vendredi 28 décembre 2012

Blackbird de David Harrower

Une jeune femme fait irruption sur le lieu de travail jonché de canettes d'un travailleur qui pourrait être son père. Ses phrases se bousculent hachées, rageuses peut être incohérentes. Son interlocuteur, manifestement sur la défensive, tente de la faire quitter les lieux. En vain. Il apparaît bientôt à travers leurs échanges vindicatifs qu'ils ont été amants alors qu'elle avait 12 ans et lui plus du double. Il fut incarcéré, elle vécut emprisonnée par ses souvenirs. "Tu as fait de moi un fantôme" lui balance t'elle.
Le dramaturge écossais David Harrower cultive l'art de quitter les sentiers rebattus. D'où son succés. Il explore ici jusqu'au vertige la relation qu'ont entretenu l'enfant et l'adulte. Marquée par les paroles de sa mère et vraisemblablement des policiers et psychologues qui se sont penchés sur "son cas" elle tient le langage de l'institution. Mais des mots qu'il lui a autrefois dits survivent dans sa mémoire. Leurs corps, eux aussi, se souviennent.
Dirigés avec une remarquable sagacité par Régine Achille-Fould, Charlotte Blanchard (au départ raide comme la justice) et Yves Arnault (ne sachant quelle contenance prendre)  incarnent avec une telle conviction ces personnages traumatisés que le spectateur se découvre, au terme de la représentation, déstabilisé. Y a-t-il meilleur compliment?
Jusqu'au 19 janvier Lucernaire tel 01 45 44 57 34

samedi 22 décembre 2012

Par hasard et pas raté Spectacle- concert

Serge Gainsbourg était un drôle d'outil. Né, comme il le disait, sous une bonne étoile .... jaune, il avait l'humour de ceux qui ne se font pas d'illusions.  Mis en scène par Camille Grandville, Philippe Duquesne, qui fut autrefois de la mémorable aventure des Deschiens, interprète des fragments du répertoire du chanteur poète. De fait il glisse constamment d'un refrain parfois séditieux à des harangues exaltées.
Accompagné de trois jazzman d'une fichue force (Joël Bouquet, Patrice Soler et Guillaume Arbonville) et de deux comédiennes chanteuse (Célia Catalifo et Adeline Walter) qui campent avec un aplomb confondant les partenaires parfois célèbres, comme BrigitteBardot ou Jane Birkin, de l'homme à la tête de chou, Phillipe Duquesne fait briller d'un nouvel éclat des chansons qu'on pourrait pour la plupart fredonner avec lui. Dans sa jeunesse Gainsbourg avait ce que ses camarades de classe appelaient "un physique naze"Il s'en arrangea si bien qu'il fut plus tard,  considéré comme un homme d'un  glamour irrésistible. Son ironie carnassière, son art de faire la nique aux convenances  devaient y être pour beaucoup.
Gainsbarre, comme il a fini par se faire appeler, a cassé sa pipe en 1991 à l'âge de 63 ans. Le faire revivre dans un spectacle musical d'une joyeuse tenue - dans lequel est intégré un numéro du tonnerre de  Yolande Moreau - donne un peu de peps à  cette fin d'une année peu jouasse.
Jusqu'au 19 janvier Le Montfort théâtre tel 01 56 08 33 88

lundi 17 décembre 2012

Les optimistes, une création du théâtre Majaz

Faut-il que les membres du théâtre Majaz, qui réunit des comédiens israéliens, palestiniens, libanais... soient portés par une foi désespérée en l'avenir pour osé s'aventurer à monter Les optimistes. Cette production  a eu l'heur de plaire à Ariane Mnouchkine qui a mis une de ses salles de la Cartoucherie de Vincennes à sa disposition. Le spectacle s'ouvre avec l'arrivé à Jaffa d'un avocat français trentenaire venu vendre la maison de Beno, son grand-père qu'il n'a pas  connu et dont il n'a même jamais entendu parler.  Il n'aura dès lors de cesse de sonder le passé de son aïeul, un juif polonais qui après avoir été pris dans l'étau de la guerre emprunta le chemin de la terre dite promise et se retrouva dans une maison située dans la partie palestinienne de Tel Aviv. Il ignore que ses anciens habitants en ont été chassés.
Beno s'adapte sans trop de mal à son nouvel environnement et embrasse la carrière de journaliste. Plus rétive au mode de vie rustique qui lui est imposé, sa femme retourne en Europe.  Une lettre, un jour, arrive au domicile de Beno. Elle a été envoyée par les anciens propriétaires de la maison qui ont échoués dans un camp de réfugiés au Liban. Avec la complicité de voisins israéliens et palestiniens ainsi que celle d'un pope qui profitant de son laisser passer va jouer les messagers, il va leur faire croire que leur exil n'est pas sans retour. Tous  ont le sentiment que l'histoire qu'ils leur raconte n'est pas plus biaisée que celle qui nie qu'un peuple occupait cette terre avant la proclamation de l'Etat Hébreux.  Bien qu'il soit tout du long question d'un passé irrémédiablement perdu, de conflit territorial et de discrimination les comédiens auteurs ne se laissent pas abattre. Ces jeunes gens qui s'expriment en français, en hébreux ou en arabe (les propos tenus dans ces deux langues sont surtitrés!)  ont fait le pari de se montrer à l'unisson et font fréquemment s'esclaffer le public. Ils arrivent, en effet, à rendre légères des situations on ne peut plus tendues. Un ami qui m'accompagnait parlait d'un spectacle d'une rare probité. Je ne peux que lui donner raison.
Jusqu'au 22 décembre Théâtre du Soleil  tel 01 43 74 24 08
L'émission Changement de décor sur France Culture tournera le 23 déc à 2OH3O autour du théâtre Majaz et le spectacle  Les optimistes. Elle peut être postdcastée  

lundi 10 décembre 2012

Exposition d'une femme d'après Blandine Solange

Il faut entendre le mot exposition du titre dans les deux acception du mot. Blandine Solange qui souffrait de troubles bi-polaires et  tint un journal s'y expose, s'y dévoile on ne peut guère plus. Peintre elle expose aussi ses puissantes toiles lesquelles sont projetées sur le mur du fond de la salle. Dans le spectacle concocté par Philipe Adrien la comédienne Marie Micla incarne plus qu'elle ne joue cette femme engluée dans ses tourments. Artistes dont les oeuvres peuvent s'apparentées à celles d'Egon Schiele, elle proposait à des inconnus de poser pour elle, vêtements ôtés. Ce qui lui donnait à l'égard des hommes un sentiment de surpuissance.
Avant de renoncer à la vie elle décida d'écrire à son psychanalyste (qu'elle abreuva, on ne s'en étonnera pas, régulièrement d'injures) de décrire ses années de furie, de restituer en détail des épisodes décisifs de son existence.  Ainsi cette relation passionnelle qu'elle eût avec un allemand. Mais la vie quotidienne, constata-t-elle, fatigue l'amour. Après l'exaltation ce fut, comme toujours l'effondrement. La prise de médicaments psychotropes ne changea rien à l'affaire. Ses peintures accrochées, elle décrocha.
Cet écrit, on pourrait dire ce long cri du coeur, a été adapté par la psychosociologue Domnique Frischer qui a eu l'heureuse initiative de demander à Adrien, dont de nombreuses créations  tournaient autour de personnage assujettis à des forces inconscientes, de le porter à la scène. Mettre en scène l'émergence du délire, comme il le fait au cours d'un moment mémorable où Marie Micla se couvre de peintures comme si elle était elle même un tableau, ne pouvait que le tenter. Le spectacle qui a le mérite exceptionnel de s'interroger sur les liens qui unissent ou désunissent l'art et la maladie mentale capte de bout en bout l'attention. Il y a quelque chance qu'il soit repris l'été prochain en Avignon. Ce qu'il mérite largement
Jusqu'au 16 décembre la Tempête Cartoucherie tel 01 43 28 36 36

vendredi 7 décembre 2012

Tu tiens sur tous les fronts d'après Christophe Tarkos

Pour une surprise c'en est une. De surcroit magnifique. L'histoire est celle d'une rencontre entre deux univers à priori inconciliables. L'un qu'incarne Hervé Pierre, sociétaire du Français, est atteint de logorrhée, l'autre  que joue l'acteur trisomique Pascal Duquenne (repéré en 1996 dans le film de Jaco Van Dormael Le huitième jour pour lequel il obtint conjointement avec Daniel Auteuil le prix d'interprétation au festival de Cannes) est muet, solaire, espiègle et s'active sans relâche. Le plus sidérant dans ce spectacle conçu avec un véritable génie inventif par le percussionniste et compositeur Roland Auzet est qu'il ne soit  pas arcbouté à une recherche de sens. Et c'est un immense plaisir  que de découvrir un  texte qui ressemble bien davantage à une partition musicale qu'à un fragment littéraire.
Ce texte que le metteur en scène a tiré d'une oeuvre de 300 pages a pour auteur le poète Christophe Tarkos (1963 - 2004) qui contribua grandement au renouveau de cet art discrètement majeur. Dans la filiation évidente tant de Beckett que de Gertrud Stein, il crée , plus qu'eux encore,  des situations drôlatiques. Au début le bonhomme dans les nerfs duquel se glisse Hervé Pierre a des mots accablés. Puis apprend, peut être  au contact de son comparse, à se réjouir, à partager des jeux de mômes. Ils finiront, tous deux, le visage peinturluré.
Les deux zigues échangent non des mots mais des sentiments et du courage. Au début celui dont l'inflation verbale est si bluffante injurie son partenaire. Un peu plus tard il le prendra dans ses bras. Comédien d'une  chaleur humaine peu fréquente, Hervé Pierre arrive, quand il s'adresse aux spectateurs,  à les mettre autant à l'aise que s'ils avaient affaire à des personnes bienveillantes de leur entourage.
Ce spectacle en perpétuelle métamorphose bénéficie d'un  dispositif scénique incroyablement créatif.Un piano joue seul, les murs se transforment en écrans d'ordinateur sur lesquel défilent des phrases de Tarkos.  Doué comme pas deux, le scénographe Goury nous offre la vision d'un monde déréalisé. Où seules les relations- fussent elles improbables-  ont le pouvoir d'intensifier la vie.
Jusqu'au 21 décembre Théâtre de la Commune Aubervilliers tel 01 48 33 16 16

mardi 4 décembre 2012

Remue-méninges

Organisée depuis quelque 12 ans par Lieux publics, une institution qui soutient les artistes - dont l'imagination et le savoir faire se déploient dans la rue et autres lieux  auxquels chacun peut avoir accès sans verser une thune et à la tête duquel a été placé l'entreprenant et sagace Pierre Sauvageot - Remue - méninges s'est, comme toujours depuis sa création, déroulé à Pigna, un minuscule village de Haute Corse à la  beauté inentamée. Le but est de réunir des directeurs de compagnie armés  d'un projet de spectacle  pour lequel il souhaiterait trouver un financement.
Se trouvèrent réunis  lors de la dernière édition, qui se déroula du 14 au 18 novembre, cinq artistes (terme un peu passe-partout mais je n'en  trouve pas de plus adéquat) à savoir Jean-Raymond Jacob metteur en scène de la compagnie" Oposito", Julien Marchaisseau qui a créé le collectif pluridisciplinaire "Rara Woulib", Roger Bernat lequel a eu l'initiative de mettre en place des dispositifs où le public occupe la scène et devient de ce fait le personnage central, Léa Dant dont le "Théâtre du voyage intérieur"lance aux spectateurs une invitation à évoquer ce qui les turlupine et  Mohamed El Hassouni dont le "Théâtre nomade", qui se réclame d'une tradition séculaire, est constitué de parades qui traversent des quartiers défavorisés de Salé au Maroc.  
Si tous les projets sollicitent la participation du public et seront à l'évidence réalisés avec des moyens mesurés il est carrément impossible de les situer dans un même catégorie. Alors que Jean-Raymond Jacob met depuis de nombreuses années sur pied de gigantesques et ebourriffantes  parades qui sillonnent la planète, Julien Marchanseau -  qui a passé quelques années de sa jeune vie en Haïti et dit y avoir  découvert, à travers sa fréquentation des rituels  vaudous,  le pays des ombres et des voix - a rassemblé une équipe qui compte  des  musiciens, des artificiers et des plasticiens. Tous d'une belle envergure. D'un enthousiasme  contagieux, il  arrive à rassembler et à faire se déplacer  des foules de noctambules auxquels il donne le sentiment de maintenir le lien avec ceux qui ont rejoint l'au delà. Lequel semble se situer à Marseille où ses complices et lui sont établis...
Mohamed El Hassouni paraît tout aussi capable d'enflammer les foules. Après avoir fait ses armes en France avec des metteurs en scène d'un théâtre de textes il s'en est retourné au Maroc dont il est originaire et a créé des événements à cheval sur le théâtre et la fête. Il a surtout su se faire apprécier et des autorités et de la population.
Roger Bernat a, lui, présenté un projet qui marque un changement de cap. Alors qu'il regroupait un public nombreux il tente, cette fois, de mettre au point une machine qui ressemble à s'y méprendre à celles où à l'aide de la carte bleue on retire de l'argent. La différence est que celle-ci  réduit cet argent en poussières. Ce geste iconoclaste et politique a évidement suscité des discussions enflammées.
Cette foison de rêves sur le point de se réaliser est la preuve que ce qu'on appelle le théâtre de rue a des jours certes difficiles mais aussi exaltants devant lui.
Lieu public centre national de création Marseille tel O4 91 03 81 28



jeudi 29 novembre 2012

En v'la une drôle d'affaire

Nathalie Joly a été bien inspirée de commencer le tour de chant qu'elle consacre à Yvette Guilbert, immense chanteuse d'avant-guerre, par L'éternel féminin" de Jules Laforgue que l'artiste mit elle même en musique. Icône de la féminité avant que cette expression ne soit en vogue, la dame traça son chemin dans des conditions hasardeuses. Ses débuts, elle les fit au Chat noir, caf 'conc des Grands Boulevards où son répertoire d'une cocasserie suavement coquine était grandement apprécié.
De graves revers de santé l'éloignèrent de la scène. La solitude dans laquelle elle se retrouva la poussa à changer de cap. Exilée durant plusieurs années aux Etats Unis, elle y fonda une école de chants pour jeunes talents désargentés. Et plus décisif : exhuma des centaines de chansons médiévales dont elle se fit l'interprète. Saisie par une soif inextinguible de transcendance elle se mit aussi à l'étude du Nouveau Testament. Pas étonnant que les chants de cette époque, où la passion apparaît comme le thème central, souvent se fassent prières.
Elle n'en resta pas moins fidèle à son humour laconique et rencontra à nouveau le succès.  Douée d'une voix tour à tour enveloppante, grinçante ou de gorge, Nathalie Joly est la passeuse idéale de ces oeuvre dissemblables. Parmi les chansons qu'elle a réunies  on reste surtout sous le charme de "La pocharde", où elle décrit un personnage qui tient à la fois de Zola et de Feydeau, et de "La morphine" dans laquelle elle évoque ces femmes, souvent disciples de Lesbos, toute au bonheur d'avoir découvert des plaisirs inédits. Enrichi par la présence au piano de Jean-Pierre Gesbert - qui lance de temps à autre de piquantes répliques -ce spectacle est un délice. Qui doit beaucoup à la mise en scène d'une fieffée fantaisie de Jacques Verzier.
Jusqu'au 31 décembre Vieille Grille tel 01 47 07 22 11

lundi 26 novembre 2012

J'ai 20 ans qu'est ce qui m'attend

Ils sont cinq auteurs, François Bégaudeau, Arnaud Cathrine, Aurélie Filipetti, Maylis de Kerangal et Joy Sorman qui à partir de témoignages de garçons et filles de vingt ans ont écrit des scènes de la vie de  quelques représentants de la génération qu'on disait, il y a peu encore, montante et qui est aujourd'hui victime des convulsions répétées de la crise.
Ces aperçus sur  ces existences précaires s'imbriquent à merveille.  Exception peut être faite d'une apprentie mécanicienne, les  jeunes gens - qu'incarnent des comédiens si convaincants qu'on on ne peut  écrire qu'ils sont en devenir -   semblent tous issus de couches non défavorisées de la société. Ce qui ne les empêche pas de "ramer" Beaucoup vivent en co-location et se cherchent à la moindre occasion des crosses. La peur de se faire pigeonner les rend souvent d'une inébranlable dureté. Qu'ils aient poussé fort avant leurs études ne leur réserve pas davantage qu'aux sans diplôme les faveurs de la chance.
La partie à la fois la plus hilarante et désespérée de cette production -qui donne raison à Paul Nizan qui écrivit "je ne laisserai personne dire que 20 ans est le plus bel âge de la vie" - a trait aux stages bidons offerts par les entreprises. Un gars fait ses premier pas dans ce qu'on appelle la vie active. Il est initié à ses fonctions par une fille qui se révèle, comme lui, stagiaire non payée. Elle appelle à la rescousse un collègue aussi mal traité qu'eux par l'employeur. Lequel a eu la riche idée d'appeler tous les garçons Stéphane, toutes les filles Stéphanie. Ils est vrai qu'ils baignent tous dans le noir de leur temps. Histoire de  se consoler chacun dit à propos de sa situation : ça fait une expérience.  En oubliant que ladite expérience est tout sauf épanouissante.
L'opération lancée par les cinq artistes qui usent d'un langage estampillé jeune est une réussite. Elle fait entre autres le constat que dans le monde laissé en héritage aux jeunes pousses les utopies brillent par leur absence;
Jusqu'au 8 décembre Théâtre Ouvert tel 01 42 55 35 50

vendredi 23 novembre 2012

Tout un homme de Jean-Paul Wenzel

Auteur dramatique et metteur en scène de la plus belle eau, Jean-Paul Wenzel a toujours eu la fibre sociale. Il a, cette fois, demandé à des mineur maghrébins arrivés dans le bassin houiller de Lorraine, il y un demi siècle, de retracer leur parcours. Il s'est, pour ce spectacle en deux volets, essentiellement attaché aux récits que lui ont fait Ahmed (Hamou Graïa, immense comédien), qui quitta la Kabylie à 16 ans, et la paire d'amis que forment  Saïd et Omar venus, eux, du sud marocain.
Dans les eaux tumultueuses de leur mémoire flottent les souvenirs d'une arrivée enthousiaste pour l'un, lourde d'humiliations pour les deux autres. Mais ils se souviennent aussi de l'esprit de solidarité qui régnait parmi les mineurs de fond. Mais à la réflexion, et sur les insistances de leurs enfants,  ils leur faut reconnaître qu'ils ne furent pas toujours aussi bien accueillis par leurs compagnons de peine qu'ils se le racontent.
Tous trois ont épousés des filles choisies par leur mère. Jamais ces hommes pudiques n'évoquent le désarroi sexuel dans lequel il leur fallu, avant ces noces, longtemps vivre. Le pays d'origine leur était - tant qu'ils trimaient - devenu une terre étrangère. Ce qu'il cessa d'être quand, pour ce qui est du boulot, ils eurent fait leur temps. Mais leurs épouses se sont si bien faites à l'environnement  lorrain qu'elles refusent de retourner au "bled" Au cours d'une scène estomaquante l'une d'entre elle qui se retrouve dans le village natal de son mari veut y faire quelques pas. Les hommes qu'elle croise l'insultent. Sidérée, blessée, égarée elle part marcher sans but dans la montagne accompagnée de petits dont elle avait la garde.
Une maladie foudroyante emportera l'une de ces femmes. Son mari est effondré. Mais après les 40 jours de deuil dictés par la tradition, il convolera avec une jeunesse rencontrée au pays. La plupart des enfants de ces exilés trouvent leur société d'origine trop contraignante. L'un d'entre eux qui a tenté le retour sur les terres ancestrales déchantera vite mais essayera de trouver des réponses à ses interrogations dans le Coran.
Des musiciens qui occupent le fond de scène contribuent à plusieurs reprises à mettre les personnages en liesse. Humeur que partage volontiers les spectateurs  de tous âges.
Jusqu'au 9 décembre Théâtre Nanterre-Amandiers tel 01 46 14 70 00

mercredi 21 novembre 2012

Nouveau Roman de Christophe Honoré

Pour peu qu'on ait la passion  de la littérature ce spectacle, qui met en scène l'éditeur Jérôme Lindon et les écrivains qu'avec un flair infaillible  il  avait rassemblé sous sa bannière, ne peut que charmer.  D'autant qu'il balance entre la drôlerie et le sérieux. Il est évidement piquant de voir ces grands noms que sont Claude Simon, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Robert Pinget, Alain Robbe - Grillet, Michel Butor qui, à en croire les médias, appartenaient tous à un même cénacle baptisé le Nouveau Roman, se gausser les uns des autres.  Ces auteurs n'ont, on s'en doute, pas l'échine souple. Monstres d'égocentrisme -  comme le romancier Alain Fleischer  qualifie certains d'entre eux, au cours d'un entretien filmé - ils ne pensent, comme on dit aujourd'hui, qu'à leur pomme. Et à leur incontestable talent.

Les préjugés savants et les dérives autoritaires d'Alain Robbe Grille ont le don d'exaspérer ses pairs. Jérôme Lindon est accusé tantôt par Butor plus tard par Duras de faire sur le dos des auteurs de plantureux bénéfices. Editeur  de génie aux idées arrêtées, il rejette Claude Ollier dont il trouve l'oeuvre négligeable et les préoccupations politiques trop présentes. Ollier ne digèrera pas l'outrage. Personnalité à multiples facettes, Lindon éditera La question d'Henri Alleg qui lui vaudra d'avoir son appartement plastiqué. Il signera aussi, et fera signer par ses auteurs, la déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie nommée le Manifeste des 121,  Christophe Honoré, qui signe et le texte et la mise en scène de cet hommage tout ensemble émerveillé et caustique à une époque faste de la littérature française, rappelle que leur judéité valut à Jérôme Lindon comme à Nathalie Sarraute d'avoir sous l'Occupation été en danger de mort.

Honoré, comme il le fait dans ses films, interrompt le déroulement du spectacle en faisant égrener aux comédiens des chansons plutôt guillerettes ou en les faisant danser. Convaincu que  nos identités sexuelles sont indécises, il fait jouer à des actrices telles que Annie Mercier et Brigitte Catillon des rôles masculins. La première impose sa majesté mature dans le rôle de   Jérôme Lindon, la seconde incarne Michel Butor. Il est aussi une séquence délicieusement cocasse où Benjamin Wangermée se glisse dans la peau de Françoise Sagan. On sait par ailleurs gré au metteur en scène d'avoir laissé l'ombre de Beckett, que Lindon plaçait plus haut que tous, planer sur la représentation.

Quelques représentants du sérail littéraire d'aujourd'hui apparaissent sur de petits écrans et rappellent que ces auteurs qui, Butor et Ollier exceptés, se sont effacés du paysage, ne pourraient, à la si frileuse heure présente,   plus trouver  de maison d'édition susceptibles de les accueillir. Ce dont on ne doute pas.

Jusqu'au 9 décembre La Colline tel 01 44 62 52 52

lundi 12 novembre 2012

Festival Mettre enscène

Cette manifestation une fois de plus fait la part aussi belle à la danse qu'au théâtre, aux metteurs en scène débutants qu'à ceux qui ont fait leurs preuves, à des artistes français qu'à leurs confrères venus de diverses contrées européennes. Ainsi l'allemand Thomas Ostermeyer qui a adapté pour la scène La mort à Venise de Thomas Mann. Difficile de rayer de sa mémoire le  film que tira en 1971 de ce court roman Luchino Visconti. Ce qui n'a pas effrayé le directeur de la Schaubühne de Berlin mais l'a au contraire poussé a puisé dans ses souvenirs de cette oeuvre grandiose.  Tadzio, le jeune garçon dont s'éprend au soir de sa vie l'écrivain Aschenbach, ressemble à s'y méprendre, tant par son allure que par ses vêtements, au gracieux enfant choisi par le cinéaste.  C'est ici non une mère d'une altière beauté mais une femme corpulente - qui semble personnifier le mot gouvernante -  qui veille sur lui. Ses soeurs vêtues de noir ont, à l'évidence, été élevées au couvent. Lorsque le spectacle s'achève ce diable d'homme qu'est Ostermeyer a transformé ces vertueuses jeunes personnes en créatures des gouffres, en furies dénudées.
Ebranlé par la passion inextinguible et, comme de bien entendu mortifère, qu'il se découvre pour le bel enfant, le vieil écrivain a, quant à lui, de terrifiantes visions nocturnes. La vidéo qui, tout du long, accompagne la représentation laisse deviner  que c'est l'image de lui même dans ses jeunes années qui le jette dans un tel trouble. Ce spectacle bercé par des  musiques aussi variées que magnifiques a été co-produit par le Théâtre National de Bretagne. Ce qui explique que le narrateur soit de langue française.
 Epris de textes puissants mais qui n'ont avec la scène qu'un rapport lointain, Stanislas Nordey s'est, lui, mesuré à des écrits de Julian Beck et de Judith Malina, un couple new-yorkais  qui à la fin des années 60 fonda le Living theater. La création a pour titre "Living!" et est interprété par des comédiens novices qui ont fait leurs classes à l'école du TNB. Jeunes récitants ils se relaient pour dire des textes souvent abondants, toujours imprégnés de l'esprit insurrectionnel qui régnait dans un temps déjà bien lointain. Est-utile de dire combien est émouvant de voir ces  très jeunes acteurs adresser au public des discours tenus par ceux qui avaient vingt ans en 1968?
 "Gaze is a gap is a ghost" conçue par Daniel Linehan, chorégraphe américain établi en Belgique est nettement moins nostalgique puisqu'il célèbre une technologie censée augmenter les capacités de l'être humain. Trois danseuses qu'on croirait à peine sorties de l'adolescence font une heure durant preuve d'une énergie débordante. Une caméra subjective capte chacun de leur geste ou dédouble l'une d'entre elles.  Les mouvements ininterrompus de ce trio désaccordé sont d'une fraîcheur à laquelle on n'est guère habitué.
 A en croire ces débuts le festival Mettre en scène, qui en est à sa 16e édition, semble se bien porter.
Jusqu'au 24  novembre Rennes - Quimper - Lannion - Vannes - Brest - Saint Brieuc - Lorient  Renseignements 02 99 31 12 31

vendredi 9 novembre 2012

Dark spring d'Unica Zurn

On le sait : la perception des événements survenus dans l'enfance se modifie avec le temps. Le plus étonnant avec Dark spring (Sombre printemps) est que ce recueil d'épineux souvenirs - où elle  décrit avec une sidérante acuité les émois intimes d'une fillette -  a été écrit  par Unica Zürn (1916 - 1970) au soir de sa vie. Désireuse de garder des distances avec la môme qu'elle fut, elle relate son parcours à la troisième personne.
Père absent, mère mal aimante, frère violeur, elle se réfugia dans des ruminations vengeresses et des fantasmes de sévices lesquels sont, aurait identifié Sigmund Freud, des recours contre l'effondrement psychique. L'éclosion d'un premier amour la sortira de la dépression. Mais ne la protégera pas des tentacules familiales.
Le metteur en scène Bruno Geslin a l'art de faire fraterniser comédiens et musiciens. Il a, cette fois, réunis Claude Degliame, dont le talent pour faire briller les mots fait jubiler, et Coming soon, un groupe de jeunes rockers anglophiles dont la richesse de l'invention mélodique ferait frémir une bûche.
Ce spectacle, qui avait été vigoureusement applaudi la saison dernière, se donne au Paris-Villette que la mairie de Paris et le ministère de la culture ont lâché sous des prétextes indignes et donc condamné à la fermeture.
Jsqu'au 24 novembre Paris Villette tel 01 43 38 83 45 tarif unique 12 euros    

mercredi 7 novembre 2012

Souvenirs d'un pauvre diable d'Octave Mirbeau

Mieux que le fait durant les mêmes années Jules Renard dans Poil de carotte et le feront plus tard François Mauriac et Hervé Bazin, Octave Mirbeau (1848 - 1917) décrit dans ces "Souvenirs d'un pauvre diable"le nid de crotales familial dans lequel il grandit. Enfant rêveur il fut rejeté et constamment moqué  par des parents d'une "honnête inintelligence" et par ses deux pimbêches de soeurs. Son talent à décrire cette parentèle à laquelle s'ajouteront deux beaux frères d'une abyssale médiocrité est pure réjouissance. Les chemins de la mémoire le mènent  aussi sur les traces d'une vieille et hideuse cousine tourmentée par sa libido. Cette femelle en folie comme il l'appelle lui fera subir un "demi viol"
Entouré d'un père que ses questions d'enfant curieux des choses de la vie embarrassait et qui se plaisait à exercer sur lui son ironie et d'une mère dévote qui ne posa jamais sur son fils  qu'un regard dénué d'affection, il s'abîma dans la contemplation des étoiles puis découvrit le plaisir et les déboires que procurent les amours ancillaires.
Anne Revel-Bertrand, la metteuse en scène de ce spectacle qui tient de bout en bout le spectateur en alerte, a tiré  de ces mémoires d'un enfant traumatisé un découpage d'une remarquable et savoureuse intelligence.  Joué par Patrick Coulais et Yves Rocamora, deux comédiens stupéfiants d'inventivité qui inversent fréquemment les rôles, ce monologue apparaît comme un joyau aussi désespéré que désopilant.
Jusqu'au 22 décembre Théâtre du Marais tel 01 45 44 88 42

vendredi 2 novembre 2012

Les Estivants de Maxime Gorki

On savait que le collectif de comédiens  tg STAN a l'art de rendre cocasse l'univers  des auteurs à priori les moins drôles. Ce fut le cas avec Ibsen, Schnitzler et d'autres tout aussi accablés par la propension de leur semblables à aller vers leur perte. Dès les premières scène où des hommes et des femmes à l'accent belge à couper au couteau se retrouvent un été réunis dans la maison de Varja, l'épouse d'un homme d'affaires fortuné et d'une honnêteté douteuse, le rire nous gagne. Mais à ce  climat de cabaret se substitue peu à peu, au fur et à mesure que la personnalité des protagoniste émerge, un autre qui tout au long de la représentation oscillera entre la gravité et la comédie.
Varja est le réceptacle des confidences de chacun. Comme aucune relation n'est sans nuages et que les rumeurs prennent feu à une vitesse folle, elle a fort à faire. D'autant qu'insatisfaite de sa vie oisive, elle se trouve engluée dans ses propres tourments.
Gorki écrivit cette pièce afin de dépeindre la petite bourgeoisie cultivée d'avant la révolution bolchevique.  Il croque avec une habileté indéniable des personnages aussi hauts en couleur qu'un écrivain sentencieux et vain, qu'une femme à la maturité rayonnante troublée par la passion qu'elle inspire à un garçon de 18 ans, qu'une vieille fille qui se prend pour une poétesse et écrit des vers exécrables, qu'une mère de famille acariâtre qui n' a de plus grandes satisfactions que de déballer ses aigreurs....
Les plupart des acteurs interprètent plusieurs personnages. On s'y perd parfois un brin. Ce qui est de peu d'importance tant on est subjugué par l'accumulations de scènes truculentes superbement (et collectivement) mises en scène et chorégraphiées.
Si les oeuvres engagées de Gorki ont pris un sérieux coup de vieux, il n'en va pas de même des Estivants qui dans l'adaptation concoctée par Jolente De Keersmaker - qui s'est par ailleurs glissée dans la peau de Varja - apparaît d'une incontestable modernité. Au point qu'on on peut y voir un clin d'oeil à nos temps si éprouvants.
Les options esthétiques radicales du tg STAN sont  cette fois (c'est loin d'être toujours le cas) les bienvenues.
Dans le cadre du Festival d'automne Jusqu'au 17 novembre Théâtre de la Bastille tel 01 42 57 42 14

jeudi 1 novembre 2012

La chair de l' homme de Valère Novarina

Ses écrits, affirme volontiers Valère Novarina, se sont fait tout seuls.Ont jailli de sa plume ou plutôt du plus profond de son être sans qu'il le décide. Il se situe, se disant, dans la lignée des  écrivains surréalistes qui  dans ce qu'ils appelaient les cadavres exquis laissaient  les mots qui leur venaient à l'esprit s'emboiter à leur guise.  La différence, de taille, est que l'oeuvre de Novarina est celle d'un homme féru de théologie. La connaissance de l'Ancien et du  Nouveau testament imprègne  le flot d'éructations, de paroles inventées, d'allitérations  qui sortent de la bouche de Marc-Henri Lamande.

Vêtus d'un vêtement noir qui lui colle à la peau et ressemble à un habit de plongée et le visage couvert de blanc à la manière d'un Pierrot, ce fabuleux comédien balance ou chante un texte qui comprend monologues et dialogues. On a du mal à saisir comment il arrive à mémoriser une telle quantité de tronçons  de phrases et de listes de noms. Entouré d'une violoncelliste et d'un spécialiste du numérique assis  à un pupitre, l'acteur est littéralement emporté par la spirale de termes qui disent la solitude, l'angoisse, les transports de l'âme. Les amateurs d'expériences artistiques audacieuses ne peuvent qu'être sensibles à  l'amplitude poétique de ce spectacle aussi modeste que gracieux.

Jusqu'au 18 novembre Lucernaire tel 01 45 44 57 34  

dimanche 28 octobre 2012

Cahin-Caha de Serge Valletti

On ne compte plus les metteurs en scène qui se sont mesurés au théâtre de Serge Valetti. Mais seule à ma connaissance Chantal Morel sut, il y a belle lurette, en montant,  "Le jour se lève Léopold", mettre en valeur l'absurde savoureux de cet auteur dont la faconde rappelle, par instants, celle de Roland Dubillard,  David Géry s'attaque, lui, à une pièce écrite par Valletti pour France Culture et qui n'a, pour autant qu'on le sache, jamais été jouée. Son faste verbal étourdissant a, à l'évidence, foutu la trouille à ceux qui auraient voulu s'en emparer. Mais pas à Olivier Cruveiller ( en alternance avec Claude Guyonnet) et à Christian Drillaud qui interprètent deux personnages lesquels  s'appellent l'un Cahin, l'autre Caha.

Se posant comme tout un chacun quand il est seul, des questions aussi démentes que "Comment communiquait- on avant l'invention du langage?" ils en arrivent, emportés par leur verve, à associer des raisonnements de plus en plus hasardeux. Cahin ne se remet pas d'avoir été plaqué par une fille. Caha lui fait remarquer qu'il n'a connu l'objet de son obsession que cinq minutes il y a quinze ans et l'autre de lui  répondre "tu ne connais rien au coup de foudre". Et si, plutôt que de se laisser submerger par les mots qui bruissent dans leurs têtes,  ils se mettaient  à écrire et, pourquoi pas,  à se transformer en dramaturge? Ce qui a, sans doute aucun, été le cas pour le sieur Valletti.

Le plus frappant dans ce spectacle jubilatoire qui tourne en boucle  est que les deux comédiens n'ont jamais l'air de jouer mais semblent eux- même entraînés dans un feu roulant de questions et de réponses on ne peut plus saugrenues.Difficile de ne pas admirer la sagacité avec laquelle David Géry a dirigé cette opération à haut risque.

Jusqu'au 24 novembre Lucernaire tel 01 44 45 57 34

dimanche 14 octobre 2012

HHhH de Laurent Binet

Un écrivain tente de cerner la personnalité toute en ombres  et les événements les plus marquants de la vie de Reinhard Heydrich que sa soif de destruction aida à grimper à toute allure les échelons de la hiérarchie nazie. Il fut notamment le principal organisateur de la conférence de Wansee au cours de laquelle fut décidée l'application de la Solution finale. Ce que Laurent Hatat, le metteur en scène, a eu l'heureuse  idée de montrer à travers des extraits de deux films l'un" Les Bourreaux meurent aussi" de Fritz Lang ( dont une part importante du scénario fut écrite par Bertold Brecht) fut réalisé à chaud, c'est-à dire peu après l'attentat qui 'envoya le bonhomme  au diable et Conspiracy tourné par un réalisateur de la télévision anglaise. Kenneth Brannagh y campe un Heydrich suave, extrêmement british alors que l'original avait une voix de crécelle et, dit-on,  écumait  de haine.

Le roman de Laurent Binet dont Laurent Hatat tire un spectacle au lance-flamme, ne tente pas seulement d'éclairer les abimes d'un monstre, il tente aussi de savoir comment on peut s'emparer d'un fragment de l'Histoire sans que l'écriture le déforme, le dénature. Dirigés avec sagacité Olivier Balazuc et Leslie Bouchet forment le  couple qui se déchire sur les dangers que comportent pareille entreprise. Même s'il pense en connaître  un bout sur ces temps où l'on refusa à certains individus la condition d'être humain, le spectateur, tout au long de la représentation, n'arrête d'être sidéré par ce qui lui est révélé.

Jusqu'au 26 octobre Théâtre de la Commune Aubervilliers tel 01 48 33 16 16  

jeudi 11 octobre 2012

La mort d'un commis voyageur d'Arthur Miller

Pendant longtemps Claudia Stavisky, semblait avoir grand mal à montrer l'étendue de ses capacités de metteuse en scène. Les années passant elle se lança de dangereux défis artistiques et sembla à maintes reprises plus sûre d'elle. Elle a, avec cette pièce écrite par Arthur Miller à la fin des années quarante,  franchi une étape décisive. Son spectacle est , en effet, celui d'une pointure  de la scène.

Se sachant tabassé par le temps qui a coulé,  Willy Loman, voyageur de commerce d'un soixantaine d'années a l'esprit qui décroche. La réalité se dissout pour cet homme, qui sait sa carrière et par conséquent  sa vie derrière lui, dans les souvenirs mais aussi les espoirs les plus insensés.  Il a pour ses deux fils et en particulier pour Biff l'aîné des ambitions tonitruantes. Mais cela sans vouloir savoir qu'à la suite de quelques désastres intimes ce trentenaire n'a cessé de mener une existence ténébreuse. Père et fils n'arrêtent de se molester verbalement.  Parfaite femme d'intérieur, comme on disait autrefois, Linda Loman  est la vigie de la maisonnée. Si elle se fait des cheveux, jamais elle ne le montre. Bien que torturée par la lucidité, elle s'acharne, mais en vain, à apaiser la mésentente qui pollue l'atmosphère. Happy, le cadet joue les  gars à la coule qui préfère draguer à tout va que d'arpenter le terrain poisseux des relations familiales.

Le passé fréquemment s'entremêle au présent. Il fallait pour interpréter ces personnages à différents âges de leur vie, et qui affronteront toujours davantage l'adversité,  des acteurs d'élite. Entourant François Marthouret, Hélène Alexandridis compose le rôle de la mère avec une précision confondante. Il fallait pour camper un homme encore jeune à la personnalité teintée du dégoût de soi un interprète qui puisse l'incarner de façon tantôt tempérée, à d'autres moments véhémente. Claudia Stavisky à eu l'heureuse idée de confier ce rôle  à Alexandre Zambeaux qui ne craint visiblement pas la traversée des cercles  les plus opaques de l'enfer. La troupe qu'elle a réunie, qui comprend aussi Mathieu Samper, Jean-Claude Durand et Mickaël Pinelli, est d'une remarquable homogénéité. Un coup de chapeau aussi au scénographe Alexandre de Dardel et à Frank Thévenon dont les lumières sont une splendeur.

La pièce, on l'aura compris, est à notre époque si accro au profit, plus d'actualité qu'elle ne le fut jamais et surtout pas à sa création au début d'une décennie  faste. Ce spectacle à vocation populaire et d'une qualité de tous les instants à tous les atouts pour faire une triomphante tournée.

Jusqu'au 31 Octobre théâtre des Célestins Lyon tel 04 72 77 40 00

dimanche 7 octobre 2012

Le père de Florian Zeller

Cette pièce marque un tournant dans l'oeuvre de Florian Zeller. On pouvait jusqu'à présent se montrer dubitatif quant à ses compétences d'auteur dramatique. Il a cette fois façonné au scalpel le portrait d'un homme dont la réalité se dissout dans la déraison et les souvenirs. Ce personnage à l'identité de plus en plus mal cimentée est interprété par un comédien qui  a du métier à revendre puisqu'il s'agit de Robert Hirsch ce trésor vivant de l'art théâtral comme on dirait au Japon.

Au cours des premières scènes il est chez lui en compagnie de sa fille que son verbe affranchi  et ses élucubrations mettent au supplice. Mais on le devine au fil du spectacle de plus en plus reclus dans son monde. Ses humeurs massacrantes et les innombrables calembredaines qu'il raconte finissent par avoir raison de la patience du compagnon de son aînée. Il en arrive d'ailleurs à ne pas le reconnaître ll voit même sa propre enfant sous les traits de deux femmes différentes. Bientôt il mettra le cap sur son enfance.

Humour et tragique marchent ici de concert. Rien de plus affligeant que d'assister à l'effondrement d'un individu dont les souvenirs sont désormais en charpie. Mais l'acteur est si époustouflant, si savoureux qu'on regarde son personnage, arrivé à l'automne de l'âge, partagé entre l'émotion et  la connivence. Robert Hirsch a trouvé en ces acteurs de premier rang que sont Isabelle Gélinas et Patrick Catalifo ainsi qu'en ceux qui tiennent des rôles plus brefs des appuis précieux. Portée par la mise en scène toute en souplesse et délicatesse de Ladislas Chollat  - et grâce à un décor conçu avec goût par Emmanuelle Roy - cette production est de celles qui méritent le succès.

Hébertot tel 01 43 87 23 23  

samedi 6 octobre 2012

Occupe-toi d'Amélie de Georges Feydeau

Feydeau cultive comme personne dérision et déraison. Pleine de folles embardées sa pièce - dont Claude Autant-Lara tira en 1949 un film d'une virevoltante splendeur - a pour principale protagoniste Amélie, une gouailleuse et aimable cocotte à qui Marcel Courbon, un viveur qui se retrouve pour l'instant sans fonds, propose un mariage factice qui lui permettrait toucher un héritage conséquent.  Sur ce début passablement cinglé  vont se greffer des personnages plus folklo les uns que les autres. Parmi eux un père qui vit des charmes de  sa fille, un prince oriental féru de son rang et surtout un tonton belge à l'accent irrésistible. Cette crème d'homme est aussi un gaffeur invétéré.

On ne dira jamais assez combien est admirable la virtuosité de la langue de Feydeau combien habiles sont les jeux constants entre le vrai et le faux et percutants  les retournements de situation qu'il n'a de  cesse d'inventer. Si on ajoute qu'il avait le génie des répliques qui tuent on comprendra que son talent surpasse largement celui des auteurs contemporains de comédies. La différence avec ceux-ci tient aussi au fait que l'humour chez cet écrivain qui finit ses jours en hôpital psychiatrique est né d'un désespoir sans fond.

Si la propension au cabotinage de certains  comédiens nuit au spectacle les interprétations d'Hélène De Fougerolles au sourire plein les yeux, de Bruno Putzulu, qui pas plus dans le registre loufoque que dans celui du sérieux ne ménage son talent ainsi que de Serge Ridoux qui campe un personnage au ridicule tonitruant donnent à cette brillante satire de la bourgeoisie d'autrefois un sacré peps

Michodière tel 01 47 42 95 22  

jeudi 4 octobre 2012

La barque le soir de Tarjei Vesaas

Il est clair que pour Claude Régy qui monte cet extrait d'un  roman de l'écrivain norvégien Tarjei Vesaas le monde dans lequel nous vivons menace notre intériorité. C'est pourquoi on se trouve à chacune de ses créations au coeur de ténèbres inexplorées. Un homme à la charpente robuste ( Yann Boudaud qui avait délaissé la scène depuis quelques trop longues années) qui parle à la troisième personne est sur le point de se laisser glisser dans l'inconnaissable. Les profondeurs de l'eau dans laquelle il semble dériver l'attirent. Cette position précaire ouvre en lui des horizons de pensée.

Bien qu'en proie à une sorte de commotion psychique, il remonte à la surface et finira peut-être par apprécier le magnifique désastre d'être en vie. L'acteur qui tout du long sépare les syllabes apparaît comme une sorte de miroir de celui que nous sommes quand il nous arrive d'être  sur le point de céder au vertige de la chute.

Des lumières, comme toujours dans les spectacles  de l'exigeant artiste qu'est Régy, cet infatigable découvreur d'oeuvres essentielles, sont de toute beauté. comme l'est la bande son. Une jauge réduite empêche les spectateurs d'être  nombreux à découvrir ce joyau à nul autre pareil.

Dans le cadre du Festival d'Automne Odéon Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

dimanche 30 septembre 2012

Britannicus de Jean Racine

Jean-Louis Martinelli  s'affronte pour la troisième fois à une tragédie de Racine. Et tient, cette fois, le bon bout. Non uniquement parce qu'il creuse son propre style avec une vigueur nouvelle mais aussi parce qu'il s'est entouré d' acteurs qui portent la pièce à son paroxysme. Seul, du moins dans mon souvenir, Antoine Vitez avait réussit à faire entendre avec une telle clarté ce texte d'une renversante  magnificence.

 Dès son arrivée sur le plateau on lit dans le regard de Neron le feu d'un certain dérèglement. Et les membres de son entourage connaissent tous le moyen de faire flamber sa rage. Personnalité à géométrie variable, il semble invariablement se rendre aux arguments de ses interlocuteurs, qui tous font preuve d'une remarquable intelligence tactique. Mais c'est celui qui d'un ton doux lui tiendra les propos les plus séditieux qui l'emportera. Grégoire Oesterman qui tient, et avec quelle maestria, le rôle du redoutable Narcisse faisait remarquer que Britannicus est une pièce où les regards jouent un rôle crucial.  Plus que les paroles, qui elles sont souvent trompeuses, ce sont eux qui déterminent le cours des événements.

D'Anne Benoît qui incarne  Agrippine d'une voix prenante mais  avec une conviction qui fait froid dans le dos (ah! la manière dont elle prend conscience que Neron, son fils, veut s'affranchir du joug de ses bienfait) à Anne Suarez (chavirante Junie) en passant évidement par Alain Fromager (le jeune empereur dont la violence se tient en embuscade) tous nous laissent pantois. Si le spectacle est d'une telle force c'est aussi que Ursula Patzak  qui signe les costumes est une incontestable artiste.

On oublie en découvrant un spectacle d'une telle intensité combien ce qu'on appelle les arts vivants vivent des jours incertains.

Jusqu'au 27 octobre Théâtre Nanterre-Amandiers tel 01 46 14 70 00  

vendredi 28 septembre 2012

Dom Juan ou le Festin de pierre de Molière

Dom Juan a pour habitude de franchir avec délectation les murailles morales. Non content d'engranger les conquêtes féminines, il se plaît à blasphémer et semble, cela  au grand dam de son serviteur Sganarelle, mithridatisé contre le remord. Là où l'on peut trouvé qu'il pousse un peu loin le bouchon est lorsque, faisant le joli coeur devant une jeune paysanne, il colle force beignes à son promis à l'accent rural qui apprécie modérément  de constater que la naïve donzelle se laisse embobiner par les belles paroles de son séducteur. L'irrévérence de ce dernier apparaît bientôt sans bornes.

Molière écrivit avec Dom Juan non seulement sa pièce maîtresse (ou du moins l'égale du Misanthrope) mais aussi celle où il fait davantage montre que dans ses autres écrits - dans lesquelles  il fustige les moeurs de son temps - d'une perturbante ambiguité. Bien malin qui pourra dire que la vie superlative de son personnage principal ne lui semble pas follement attrayante. Jean-Pierre Vincent, dont on ne peut qu'applaudir  la mise en scène, et son comparse de toujours le dramaturge Bernard Charteux nous ont mitonné un final si inattendu qu'on comprend d'emblée que pour leur faire croire au  châtiment divin il vaut mieux repasser.

On n'aurait pas d'emblée songer à Loïc Corbery à la bouille si sympathique, si dénuée de malignité  pour interpréter Don Juan. Mais l'on doit admettre que comédien plein de ressources il s'en tire à merveille. Avec son corps considérable dont il joue avec humour Serge Bagdasarian est d'une humanité tonitruante. Recrutée il y a relativement peu dans la maison de Molière, Suliane Brahim compose une Elvire que seul peut laisser insensible un homme tel que Dom Juan qui en a soupé des sermons et des désirs de le sortir des enfers où il se sent comme un poisson dans l'eau.

Jusqu'au 11 novembre La comédie Française au Théâtre éphémère tel 08 25 10 16 80


mercredi 26 septembre 2012

Antigone de Jean Anouilh

Considéré autrefois comme une sommité des lettres, Jean Anouilh n'avait plus n'avait plus été  hébergé par  la Comédie Française depuis des décennies. Sa propension à déballer ses aigreurs et ses phrases si souvent sentencieuses qui donnent à son théâtre une tonalité artificielle y sont certainement pour beaucoup. Son Antigone méritait toutefois d'être réévalué.

 Marc Paquien à  qui a été confiée la mise en scène a  pris la bonne initiative de faire jouer la pièce dans des  costumes d'aujourd'hui. Il a aussi saisi que Créon sort du rang des meurtriers ordinaires en voulant  dans un premier temps condamner Antigone, sa nièce, non à la mort promise à ceux qui, comme elle,  veulent donner une sépulture à son frère Polynice mais à la peine de vie. Cet homme est persuadé que le responsable de la cité qu'il est devenu a le devoir de dompter les passions personnelles et non de défendre les devoirs légitimes de l'individu. Mais il a affaire à  une jeune fille, presque une enfant  au cran bien trempé. Las de son refus à se soumettre à ses arguments et à tenir compte que ses frères morts loin d'être des individus admirables avaient l'âme meurtrière, il finira, comme dans la tragédie de Sophocle , à lui faire payer au prix le plus fort son acharnement à ne pas se laisser pervertir par les compromissions, à ne pas abjurer ce qu'elle considère  comme un droit sacré.

Françoise Guillard, décidément l'une des personnalités les plus attachantes de la troupe, s'impose avec une présence fébrile dans le rôle de la femme enfant qui tient tête à un homme imbu de son pouvoir. Face à elle Clothilde De Bayser dans le rôle si ardu du choeur impose une présence subjuguante  qui semble soutenu par un savoir transcendant. Dans le rôle d'Hémon, fils de Créon qui éprouve pour Antigone un fol amour, Nâzim Boudjenah, qu'on savait être un comédien d'excellente facture, assène la preuve que non seulement le bonheur n'est pas de tout repos mais qu'il peut aussi se gagner en accompagnant  l'objet de sa passion dans le repos éternel...


Jusqu'au 24 Octobre Théâtre du Vieux -Colombier  tel 01 44 39 87 00

samedi 22 septembre 2012

Loin de Corpus Christie de Christophe Pellet

Au cours d'une stupéfiante scène inaugurale des spectateurs qu'on aperçoit de dos regardent dans une salle de cinéma à la décoration kitsch typique des années quarante "Au pays du dauphin vert" un film de Victor Saville qui n' a pas laissé de traces indélébile dans les mémoires. Ce qui n'empêche pas Anne Witgenstein, une chargée de recherche à la cinémathèque, de se prendre d'engouement pour  un jeune acteur au visage effilé du nom de Richard Hart dont la carrière fut sans lendemain.  Avide d'en  savoir plus sur cette étoile filante elle part sur ses traces.

Le spectacle se déroule tour à tour dans les années où le comédien fréquenta  Hollywood et son bal des vanités  et le début du 21e siècle. Metteur en scène dont on connaît le savoir faire, Jacques Lassale passe alternativement  d'une époque à l'autre. Parmi les fantômes du passé surgit Bertold Brecht (rôle qu'étrenne superbement Bernard Bloch) et sont évoqués  les interprète Oscar Homolka et Peter Lorre, l'homme de théâtre puis cinéaste William Dieterlé et tant d'autre qui réussirent à fuir la terreur nazie. Une des figures majeures du spectacle est Norma Westmore, directrice de casting à la MGM qui fit de Richard Hart l'un de ses poulain et que l'inquisition maccarthyste poussa à gagner l'Allemagne de l'Est. Ce rôle, le plus important du spectacle, est dévolu à Marianne Basler, devenue depuis quelques années la comédienne fétiche de Lassale.

Lorsque l'Allemagne sera en 1989 réunifiée, elle apprendra comme tant d'autres que le rêve qui l'avait happée d'un monde où règne davantage de justice avait, comme les Etats Unis de l'après-guerre, organisé un système de délation dont, elle avait, via son dernier  et silencieux jeune amant, été victime. Tout comme elle le fut  par celui dont elle tenta une quarantaine d'années plus tôt  de faire une star et qui était, lui, au service du FBI.

On apprend par celle qui traque l'intimité de ce mystérieux garçon que son imprégnation religieuse était si forte qu'avant de revenir à Corpus Christie, le bourg texan où il était né, il se chercha une figure maternelle (ou paternelle) majeure. Ce qu'il trouva un temps en la personne de Norma.

On le voit Christophe  Pellet est un homme de théâtre féru de cinéma et fasciné par ses arcanes. On se félicite que l'une de ses pièces soit enfin montée sur une  scène française de l'importance du théâtre des Abbesses. Si l'on veut chipoter (ce péché mignon ou pas mignon du tout de ceux qui font profession de commenter les spectacles) on dira que l'épilogue nous a semblé à la fois inutile et emphatique. Mais ce ne sont là que mots de soi disant spécialistes en la matière....

Jusqu'au 6octobre Théâtre de la Ville (aux Abesses) tel 01 42 74 22 77 Ensuite Théâtre des 13 vents Montpelliers

vendredi 14 septembre 2012

Memories from the missing room

On a pris l'habitude de découvrir des pièces de théâtre ponctuées de morceaux musicaux souvent joués en live. Il semble s'agir dans ce spectacle écrit en anglais (avec surtitres français!) et mis en scène par Marc Lainé au contraire d'un concert émaillé de quelques moments où trois comédiens jouent des personnages qui se retrouvent dans une chambre d'hôtel. Chacune de leur scène semble être une variation de la précédente Une femme se partage entre un éventuel  amant et un mari nourri de soupçons. Chacun d'entre eux a des mots chargés de dynamite et bute à tout à trac un des deux autres que le coup de feu laisse immanquablement  indemne.

Si l'on devine dans cette fiction théâtrale à l'esthétique résolument design le goût prononcé du maître d'oeuvre pour le cinéma le spectateur  tombe, lui,  surtout sous le charme étincelant du groupe musical et surtout sous celle de  Moriarty qui a non seulement une voix qui nous entraîne  dans un tourbillon de sensualité mais semble par le chant possédée. Le fait qu'elle soit nippée comme une gamine ne peut qu'ajouter au trouble qu'elle suscite.

La collaboration du  dessinateur de BD Philippe Dupuy qui projette des images mentales - notamment celle d'un chien d'une longueur démesurée qui peut être imaginé comme un loup - inspirée autant par le drame qui se joue entre les trois  protagonistes que par l'envoutante offrande musicale contribue, elle aussi largement  à ferrer le public.

Jusqu'au 7 octobre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14    

samedi 8 septembre 2012

Tabou Spectacle de Laurence Février

Le public fut  littéralement aimanté par les précédents spectacles de Laurence Février qui après avoir interrogée des personnes habitant La goutte d'or, un quartier encore populaire de la capitale, avait mis leurs mots dans la bouche de comédiens chevronnés. Tabou qu'elle monte aujourd'hui est clairement moins surprenant. Elle se contente, cette fois, de faire parler des femmes que le viol qu'elles ont subi a laissée égarée de douleur.

 Chacune d'entre elles est confrontée à une justice, comme on peut s'y attendre, d'une inqualifiable raideur qui les met en position d'accusée. La pauvreté dramaturgique de la représentation et le systématisme des interrogatoires ne tarde pas à lasser. Cela bien que la distribution composée de cinq actrices soit de bout en bout à saluer

Il est un fait que ces femmes traumatisées ne peuvent que susciter la sympathie. Mais celle-ci n'est pas faite pour activer la pensée. Recueillis dans les années 70, époque où l'avocate Gisèle Halimi s'était faite  l'avocate véhémente de la cause féministe, ils apparaissent comme les reflets d'une tendance idéologique. Il y eut entretemps l'affaire Dutroux où le viol, ce crime contre l'humanité qui git au coeur de chaque individu, fut commis contre des fillette et fut suivi, comme on le sait de leur assassinat. Si l'on réalise aujourd'hui un spectacle sur ceux qu'on a réduit à un corps, à un bout de bidoche peut-on encore faire l'impasse sur les violences exercées sur des petits garçons,notamment par des hommes d'église,  ou sur la condition des femmes dans les pays de plus en plus  nombreux ou triomphent des dictatures théocratiques?

On attend à l'avenir de Laurence Février des créations au propos moins consensuel, des productions qui ouvrent le regard sur une réalité autrement plus complexe

Théâtre le Lucernaire tel 01 45 44 57 34

jeudi 6 septembre 2012

André un spectacle de Marie Remond

Tout dieu des courts de tennis qu'il soit, André ne déroge pas à la règle : il porte dans son corps un monde de douleurs. Seule les apaisent  - et encore pour quelques heures seulement- la cortisone. De plus il déteste le sport dont il est devenu champion et que son père l'a obligé depuis son jeune âge à pratiquer. La représentation qu'a concocté Marie Rémond et dans laquelle elle s'est réservée le rôle titre est pourtant d'une légèreté de touche qui la rend toute pétulante. Il faut dire qu'actrice pleine de ressources , elle incarne avec un naturel confondant le champion (on aura reconnu André Agassi qui aimait se distinguer en portant les cheveux longs qu'il recouvrit lorsqu'ils se firent rares d'une moumoute et  en disputant ses matchs vêtu de façon biscornue)

Dans  l'entrelacs des souvenirs qu'elle nous conte il y a la rencontre, toujours décidée par le papa mentor, de Brooke Shield, alors toute jeune vedette de cinéma à qui Louis Malle donna le rôle de La petite dans le film du même nom et qui connut son  succès le plus retentissant avec Le lagon bleu. Mais comment concilier les plannings de ces deux stars? André l'épousa néanmoins mais l'union tourna vite court.

On pourrait croire que pour être  tenté de jouer un gusse au  gabarit de sportif de haut niveau il fallait que Marie Rémond ait elle-même un physique imposant. Il n'en est rien. L'actrice est haute comme trois pommes mais tient fermement la barre du spectacle. On ose parier que cette metteuse en scène naissante et comédienne à innombrables facettes  n'a pas dit son dernier mot.

Elle s'est entourée de Clément Bresson et de Sébastien Pouderoux qu'elle a connus à l'école du Théâtre National de Strasbourg ce qui explique sans doute que les relations des trois interprètes semblent si fraternelles. André mit un terme à sa carrière en 2006. Cette fin qui est aussi celle d'un supplice le trio la célèbre avec une chanson d'Anne Sylvestre qui nous cloue.

Jusqu'au 3 octobre Théâtre du Rond-Point tel O1 44 95 98 44


lundi 13 août 2012

Festival de Bussang au théâtre du peuple

Fils d'industriels vosgiens , l'écrivain Maurice Pottecher fit bâtir en 1895 dans le village de Bussang un théâtre en bois  dans le but d'éduquer le bon peuple qui trimait  dans l'usine familiale. Cette initiative paternaliste prêta longtemps à sourire. Dans la société aveuglement libérale qui est la nôtre, où seule importent les bénéfices des actionnaires, on aurait plutôt tendance à regretter ces temps durant lesquels les nantis se souciaient du sort de ceux qui bossaient pour eux... Les metteurs en scène sont aujourd'hui encore tenus de  respecter deux consignes : chaque représentations doit se clore avec l'ouverture du fond de scène et l'apparition de la montagne et choisir une distribution qui rassemble un tiers d'acteurs professionnels et deux tiers d'amateurs habitant la région.

Vincent Goethals, nouveau directeur du lieu, a opté pour une pièce de Laurent Gaudé qui a pour titre ""Caillasse" et prend parti pour le peuple palestinien (lequel n'est jamais nommé) dans le conflit que l'on sait. On a connu la plume de l'écrivain plus légère.   Byzarrement  dirigés les interprètes se vautrent dans l'emphase. Difficile de ce fait de se sentir concerné par la  panoplie de destins tragiques qui sont exposés.  D'autant que le plateau baigne dans des clairs - obscurs qui empêchent de voir les visages et donc de s'y attacher.

Les Encombrants font leur cirque, qui, lui, se donne en soirée, est nettement plus réjouissant. Cette création de Claire Dancoisne mélange théâtre d'objets, cirque et art de la marionnette. Lampions et  musique foraine sont de la partie. Les apparitions d'animaux improbables tels des moutons hypnotisés, une gigantesque et gracieuse mante religieuse, un requin coupé en deux ou celles de boîtes de sardines qui font du trapèze laissent le public béât de plaisir. Les acteurs vêtus de costumes aux couleurs corsées font le reste. Véritable poétesse de la scène Claire Dancoisne a un sens si éprouvé du spectacle  et en particulier de la direction d' acteurs qu'on ne saurait distinguer les professionnels des amateurs.   Chacun portant  une marionnette  qui est une sorte de double la partie était pourtant loin d'être gagnée.Cette production si délicieusement imaginative vaut à elle seule qu'on fasse le voyage à Bussang.

Jusqu'au 26 août 15h Caillasse 20h30 Les Encombrants font leur cirque tel 03 29 61 50 48

mardi 3 juillet 2012

Madame de ... Vilmorin

Louise de Vilmorin fréquenta tout au long de son existence le clergé intellectuel de son temps. Dès l'ouverture du spectacle-  où Coralie Seyrig (double parfait du personnage qu'elle incarne) implore  avec force mensonges l'aide de son frères et de ses amis - on apprend qu'outrageusement dépensière, elle ne vivait que des largesses de ses proches. Ceux-ci se nomment Cocteau, Jean Hugo, Antoine de Saint Exupéry, Gaston Gallimard, René Clair et André Malraux  longtemps son cavalier pardon chevalier servant.

Si elle fut une épistolière à la langue ciselée, elle fut aussi l'auteur de plusieurs romans dont Julietta et Madame de... dont Max Ophuls tira un joyau cinématographique. Bien qu'elle les écrivit d'une plume fringante, elle n'avait que peu d'estime pour ses travaux de romancière. Seuls trouvaient  grâce à ses yeux ses poèmes dont elle publia plusieurs recueils. Elle fut aussi une admiratrice passionnée des illustrateurs de son époque en tête desquels, pas si follingue qu'on pourrait le croire, elle place Balzac et Proust.

Sa lucidité on la retrouve lorsqu'elle évoque des épisodes intimes de son parcours. Elle aurait aimé, prétend elle, être fidèle mais se trouva toujours en butte aux reproches des hommes auxquels elle s'était attachée. Reproches qui lui étaient odieux. Elle ajoute, malicieuse, que ses passions ne survivaient pas longtemps à la vue des pores dilatés de la peau de ceux qui la veille encore l'avaient subjuguée

Toujours prompte à s'aventurer hors des sentiers balisés elle n'hésite pas à dire qu'il n'y a que les ecclésiastiques  et les homosexuels à  défendre l'institution du mariage. Une remarque qui trouve aujourd'hui un piquant écho. D'une sagesse plus grande qu'on pourrait se l'imaginer, elle ne s'afflige pas  lorsqu'elle constate que l'offensive de l'âge l'a mise hors circuit. Coralie Seyrig prête à cette écrivaine un peu oubliée mais à l'intelligence déliée un charme infini. Avec la complicité experte d'Annick Le Goff elle a transformé un monologue d'un fol esprit en une représentation qui reçut à sa création, il y a quelques mois, des brassées de louanges. On se félicite qu'il soit à nouveau à l'affiche.

Du 4 juillet au 30 septembre Lucernaire tel 01 45 44 57  34

dimanche 24 juin 2012

Le bourgeois gentilhomme de Molière

Dans cette comédie-ballet, l'une des dernières conçue avant que ce genre ne tombe en désuétude, Molière renoue avec l'art de la farce qui fit son succès à l'entame de sa carrière. La pièce est une succession de gags au cours desquels Monsieur Jourdain, bourgeois qui se rêve homme de qualité, apparaît comme un parfait nigaud. Ce qui n'est pas le cas de Georges Dandin ou de Monsieur de Pourceaugnac dont  la touchante naïveté attire de bonnes âmes qui ne songent qu'à les soulager de leurs avoirs. 

Denis Podalydes a réussi un spectacle qui, malgré ses longueurs, met le public en joie. Il nous convie à une sorte de fête qui jamais ne prend fin. On peut, comme je le fais, la goûter modérément si l'on est peu sensible à la musique omniprésente, dansée et jouée en live de Lully. On ne peut, en revanche, qu'apprécier les costumes fastueux créés par Christian Lacroix.Et surtout être subjugué par une scène où deux couples d'amoureux que jouent Alexandre Steiger, Thibault Vinçon, Leslie Menu et Manon Combes s'entrelacent de délectable façon. 

Jusqu'au 21 juillet Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50 Puis en tournée durant huit mois...

vendredi 22 juin 2012

En v'là une drôle d'affaire d'après les chansons d'YvetteGilbert

Nathalie Joly a été bien inspirée de commencer le deuxième tour  de chant qu'elle consacre à Yvette Gilbert, chanteuse fameuse de l'avant - guerre, par "l'Eternel féminin" poème de Jules Laforgue que l'artiste mit en musique. Icône de la féminité avant que cette expression ne fut en vogue, la dame traça, avant de devenir une célébrité, son chemin dans des conditions extrêmes. Ses débuts , elle les fit en se produisant au Chat noir, caf conc des Grands Boulevards, où son répertoire d'une cocasserie suavement coquine état grandement apprécié.

De graves ennuis de santé l'éloignèrent de la scène. La solitude dans laquelle elle se retrouva la poussa a changé de cap. Elle partit durant plusieurs années aux états Unis où elle fonda une école de chants pour de jeunes talents désargentés. Elle exhuma aussi des centaines de chansons médiévales dont elle se fit l'interprète. Elle fut aussi à cette époque saisie d'une soif de transcendance qui l'incita à étudier le nouveau testament. Pas étonnant que les chants de cette époque, où la Passion devint le  thème central , souvent se fassent prières.

Elle resta néanmoins fidèle à son humour laconique et connut à nouveau la gloire. Douée d'une voix tour à tour caressante, grinçante ou enténébrée, Nathalie Joly est l'interprète idéale de ces oeuvres si dissemblables. On retiendra parmi les chanson qu'elle nous fait découvrir "La pocharde" où elle dépeint un personnage qui tient à la fois de Feydeau et de Zola et cette merveille qu'est "La  morphinée" où elle évoque ces femmes, souvent disciples de Lesbos,  qui avaient découvert des plaisirs inédits.    Enrichi par la présence complice de Jean -Pierre Guesbert son pianiste - qui n'hésite pas à lui balancer de piquantes  répliques - ce spectacle est un délice. Qui doit beaucoup à la mise en scène d'une fervente fantaisie de Jacques Verzier.

Yvette Gilbert disparut en 1944 à l'âge de 79 ans après avoir eu des ennuis avec la gestapo car mariée à un savant  d'origine juive.

Jusqu'au 24 juin Théâtre de la Tempète Cartoucherie tel 01 43 28 36 36 ensuite du 7 au 28 juillet Théâtre du Petit chien Avignon puis du 28 nov au 31 déc Théâtre de la Vieille Grille Paris 75005



samedi 16 juin 2012

La pitié dangereuse de Stefan Zweig

Alors que Freud tentait de saisir les causes du mal être de ses patients, son contemporain Stefan Zweig, qui appartenait comme lui à la communauté juive de Vienne, se lança dans l'écriture de romans dont les personnages ignoraient tout de leur zone d'opacité. La pitié dangereuse, la première de ses oeuvres, se déroule à la veille de la première guerre mondiale. Un jeune officier de cavalerie qui a le sentiment d'avoir offensé une jeune paralytique s'inquiète d'elle, vient de plus en plus fréquemment lui tenir compagnie. Il n' a pas conscience qu'il s'avance, ce faisant en terrain boueux.

Il ne voit pas les yeux plein d'attente de la jeune handicapée que la présence du militaire débordant de santé exalte. Prenant plaisir  à converser avec cette richissime héritière à l'intelligence survoltée mais sujette aussi aux coups de lune, il ne prend pas garde aux propos de son médecin (sorte de double de l'auteur) qui tente de lui faire entendre que la pitié qui l'anime aura fatalement des conséquences désastreuses sur une âme autant en peine que celle de sa patiente.
On ne peut qu'applaudir à l'adaptation théâtrale qu'a réalisé à partir du volumineux roman de Zweig Elodie Menant qui incarne aussi l'amoureuse transie. Stéphane Olivié Bisson qui signe la mise en scène a pris garde de laisser deviner les pestilences de l'air de ce temps où l'antisémitisme polluait déjà l'atmosphère. Un spectacle qui ne peut que plaire à un public amateur et de romanesque et de plongée dans ce temps que l'écrivain dans son écrit ultime appela "Le monde d'hier"

Jusqu'au 3O septembre Lucernaire tel O1 45 44 57 34

samedi 2 juin 2012

Peer Gynt de Henrik Ibsen

S'éloignant des drames naturalistes dans lesquels il excellait, Ibsen décrit  dans  Peer Gynt le parcours d'un  homme qui tout au long de sa tumultueuse vie s'enfonce davantage dans ce que Victor Hugo  nomma "l'hilarité des ténèbres" Petit bonhomme réfractaire et éprouvé  vivant dans un village norvégien avec une mère à la personnalité impétueuse, il commet de si nombreux impairs qu'il finit par fuir vers les lointains du monde. Sa route sera semée de rencontres extravagantes comme celle des trolls, peuplade issue de vestiges de légendes nordiques. Avant de revenir sur les lieux de sa jeunesse, il connaîtra les délices de Capoue, se retrouvera même dans la peau d'une florissante canaille qui fait commerce d'esclaves, deviendra empereur et essuiera au cours d'une traversée une tempête où il se montrera sous un jours qu'on peut difficilement qualifié de glorieux.

Eric Ruf qui fit déjà preuve d'un beau talent lorsqu'il monta il y a quelques années avec une bande de copains "Du désavantage du vent" a choisi pour mettre en valeur cette épopée un lieu étincelant : le salon d'honneur du Grand Palais. Il ne s'est, ce faisant, pas rendu la tâche facile. Le  praticable sur lequel se déroule l'action  est d'une telle longueur que les comédiens se trouvent dans l'obligation de constamment l'arpenter. Son avantage est qu'il favorise les parades de l'étrange dont le spectacle est émaillé.

Si l'effet de troupe (celle de la Comédie Française) est garanti on est surtout subjugué par Hervé Pierre dont la palette ne cesse de s'élargir. Il fallait une nature aussi engagée dans son art que la sienne pour donner autant de consistance à l'homme intranquille et pas particulièrement aimable qu'est Peer Gynt. A ses côtés Catherine Samie qui incarne celle qui lui a donné le jour est, comme elle le fut toujours, d'une présence quasi irréelle. Le moment de ses funérailles est d'une émotion à ne pas croire. On ne peut aussi qu'applaudir à la composition savoureuse de Serge Bagdassarian, roi tout puissant, puis réduit à la débine, des trolls. Un autre  moment clé de ce spectacle fleuve est celui où Eric Genovèse incarne un homme de dieu qui tient avec une délicatesse inouïe et  la force des convaincus une oraison funèbre peu orthodoxe. Contrairement à Peer Gynt, le disparu, un homme simple, su être lui- même.

On a compris qu'il s'agit d'un spectacle coup de maître lequel doit aussi beaucoup aux costumes somptueux de Christian Lacroix et à l'adaptation émerveillante de François Regnault;

Jusqu'au 14 juin Salon d'Honneur du Grand Palais tel O8 25 10 16 80

vendredi 1 juin 2012

Emily Dickinson, la belle d'Amherst de William Luce

Documentariste majeur, Frederick Wiseman s'en prend  dans ses films à la société américaine si peu tendre aux impécunieux. Bizarrement lorsqu'il s'affronte à la scène - ce qu'il ne fait semble t'il qu'en France - c'est pour mettre en valeur un puissant monologue. Il fit ainsi jouer à Catherine Samie, dont on n'a plus à vanter le talent, "La dernière lettre", celle qu'envoya du ghetto avant d'être assassinée la mère de Vassili Grossman, l'écrivain de Vie et destin. C'est cette fois la poétesse Emilie Dickinson (1830 - 1886) - dont Nathalie Boutefeu se fait le porte voix toute en délicatesse - qui prend la parole. Le texte écrit par William Luce rassemble des fragment de son oeuvre, des lettres d'une pénétrante beauté qu'elle adressait à des personnes croisées ou admirées et des anecdotes recueillies par l'auteur de la pièce.

Soeur de sort de ces romancières d'un talent confondant que furent Flannery O Connor et Carson Mc Cullers, Emilie Dickinson, si elle ne fut pas comme elles d'une santé désastreuse, mena, elle aussi, une vie retranchée que sa fébrilité mentale rendit féconde.

Comme toute personne qui se  complait dans la  solitude - dans son cas  entourée d'une parenté souvent toxique et d'un rigorisme religieux qu'elle ne partageait pas - elle était condamnée au souvenir. Consciente de la vanité de nos affairement, cette femme à qui l'amour charnel semble avoir été refusé, jouit  aujourd'hui  aux Etats Unis d'autant de ferveur que Rimbaud, Baudelaire ou Verlaine sous nos latitudes. Où l'on aimerait que cette représentation d'une belle tenue concourt à la faire mieux connaître.
Jusqu'au 7 juillet Lucernaire tel 01 45 44 57 34

mardi 29 mai 2012

Promenade au jardin des délices et des dédoublements par Joshka Schidlow

Vache sacrée de la littérature, Colette se lança dans l'écriture de "Chéri "(roman qu'elle transforma en pièce de théâtre) après sa rupture avec le fils de celui qui partageait sa vie. L'épanchement n'étant guerre sa tasse de thé, elle relève d'une pointe d'humour les moments où Léa, la femme vieillissante restée sur le carreau aurait tendance à geindre. Jean-Gabriel, un de ses nombreux ancien amant auquel la lie une inaltérable tendresse,  se fait un devoir mais aussi un plaisir de venir la dérider. Comme il fait volontiers son facétieux, se pique par exemple d'être un as de la couture et du crochet, il arrive quelquefois à ses fins.

Lorsque le comédien et metteur en scène Alexandre Zambeaux me proposa d'endosser le rôle de ce vieux beau à l'humour excentrique je n'avais jamais posé le pied sur une scène. J'acceptai néanmoins sans, me semble t'il, faire trop ma mijaurée. L'une des raisons était que j'avais pour partenaires une brochette de sexagénaires persuadés, comme le critique de théâtre que je suis,  que l'art de l'acteur puisse faire l'effet d'une potion galvanisante Mais le principal motif pour lequel j'ai répondu par l'affirmative est que je savais que le maître d'oeuvre du spectacle n'est pas seulement un bonhomme attentif, bien disposé, ennemi du kitsch émotionnel, amateur d'un théâtre en rupture avec les conventions scéniques mais surtout un artiste, qui, comme ses grands ainés Michel Piccoli, Jean-Louis Trintignant, Bruno Cremer... trouve sa raison d'être, son Eldorado lorsque lui échoit un rôle qui permet à son esprit de cabrioler, à sa sensibilité de jaillir.

Si je continue à écrire des articles pour adoucir le cours du temps qui court au galop, j'ai découvert qu'en interprétant un mec de mon âge  qui vit son présent comme un état de grâce j'ai eu le bol de goûter un jalon ignoré de la vie.
Salle Arletty Palais Belle Ile en mer

vendredi 25 mai 2012

Les quatre jumelles de Copi

Il est clair que Jean-Michel Rabeux qui met en scène Les Quatre jumelles de Copi est aussi partisan que ce dernier de la radicalité artistique. Avides de frasques et adorant s'exploser avec des substances illicites les personnages apparaissent dès leur surgissement d'une sorte de terrier  où ils semblent avoir goûté de noirs délices comme des énergumènes aux identités sexuelles incertaines et aux liens familiaux on ne peut plus fantaisistes

Si la mort couve tout au long de la représentation, elle n'est jamais définitive. Une jumelle sur qui l'héroïne a fait son effet ou qui a reçu une balle dans le buffet  s'écroule, reste sans vie puis se remet sur pied. La rationalité chez Copi a pris la tangente. Ses seuls maîtres sont, à n'en pas douter, les surréalistes que débectent toute situation porteuse de sens.C'est pourquoi cet esprit épris de strass, de paillettes, de vaudeville, de cabaret mais aussi de tragique reste sans postérité.

L'excellence burlesque de Claude Degliame dont les partenaires Georges Edmond, Marc Merigot et Christophe Sauger sont au diapason et dont le langage de charretier fait plier de rire ou donne des envies de fuite rendent ce spectacle parfaitement étranger aux modes et aux courants

Jusqu'au 23 juin Théâtre de la Bastille tel 01 43 5742 14

vendredi 27 avril 2012

Le fils de Jon Fosse

Le temps chez ce couple établi dans une maison du bout du monde  passe au fil d'anodines conversations. Celles-ci tournent  autour  de l'obscurité dans laquelle est plongé le paysage alentour, de la pèche que l'homme reprendra au printemps, du voisin porté sur la bouteille et du fils qui a mis les voiles, serait devenu musicien et balade sa vie on ne sait où. Comme toujours chez le dramaturge norvégien Jon Fosse - dont Claude Régy puis Patrice Chereau ont contribué a haussé la cote - les phrases restent en suspens.

On voit bientôt débarquer le fils qui, malgré les questions feutrées de ses parents, ne livrera qu'un entrebâillement de lui- même,  puis le dit voisin, grand échalas au visage crayeux et à  la langue bien pendue. Il prétend que le fils, qui lui a jadis barboté quelques bouteilles, a fait de la prison.

Jon Fosse a l'art immense de saisir les personnages dans leur déséquilibre intime et cela à travers une intrigue squelettique. Il y a donc intérêt à faire appel à des interprètes  de première grandeur. Ce que le metteur en scène  Jacques Lasalle n'a pas manqué de faire puisqu'il a réuni ces deux grands "anciens"de la Comédie Française que sont Catherine Hiégel et le si  savoureux, le toujours inattendu Michel Aumont. Jean-Marc Stehlé fait , quant à lui, une composition haute en couleur de vieil homme dont la fébrilité mentale évoque à la fois l'écrivain Céline et Léo Ferré. Il aurait, en revanche,  sans doute été préférable que Lassalle choisisse pour jouer le fils , plutôt qu'une jeune pousse, un acteur qui a de la  bouteille. Ce qui aurait rendu la situation plus éprouvante. Dommage aussi que la toile de fond peinte soit aussi hideuse. La bonne idée aurait peut être été qu'il n'y ait pas de décor du tout...

 "Le fils "est tout ensemble la peinture placide d'un monde finissant et celle d'une société où les sentiments jamais ne s'expriment. Ce qui est le plus visible au cours de  la scènes où le fils réapparaît et qu'aucun bras ne s'ouvre et aussi de celle où Catherine Hiégel , apparemment pas plus émue que cela, met un coussin sous la tête d'un mort.

Théâtre de la Madeleine tel 01 42 65 07 09

mercredi 25 avril 2012

The suit de Can Temba mis en scène par Peter Brook

Rebelle aux modes et aux courants, le metteur en scène à présent octogénaire Peter Brook n'a rien perdu de son entrain d'artisan qui monte pour la seconde fois "The suit" tiré de la nouvelle de  l'auteur sud- africain Can Themba. La première version jouée en français tourna des années durant. Celle-ci est en tous points différente. Non seulement car ses interprètes sont de langue anglaise (les surtitres sont d'une rare clarté!), mais aussi parce que le texte, adapté par Brook lui-même, Marie Hélène Estienne et Frank Krawczyk, a été enrichi et surtout parce que des musiciens jouent en live sur le plateau et participent à l'action avec des fraîcheurs de gamin.

Pendant les années de haute tension qui ont précédées la proclamation de l'apartheid, un jeune marié dévoué à sa belle découvre que celle-ci lui est infidèle. Utilisant le costume dont  l'amant n' pas eu le temps de se revêtir lorsqu'il fit irruption dans la maison, il fera de la vie de la femme adultère un enfer, franchissant constamment des crans supplémentaires dans son désir de l'humilier. Bien  que l'argument soit féroce,  la fantaisie la plus délicieuse souvent gouverne. Et l'on est de bout en bout (le spectacle ne dure qu'une heure quinze) sous le charme d'une distribution en état de grâce et des arabesques mélodiques. Mettant la barre sacrément haut, le maître a choisi pour interprètes William Nadylam, qui avait joué sous sa direction Hamlet, le new yorkais à la voix qui ferait croire au ciel Jared McNeill et Nonhlanhla Kheswa, chanteuse d'un talent fou originaire du Sowoto. Les sources musicales du spectacle vont de Schubert à Myriam Makeba. C'est dire combien les oreilles sont comblées.

Cette  (re)création qui tient de la farce, de la tragédie et du spectacle musical et qui réussit si parfaitement  la fusion entre la fiction et l'effroyable réalité politique est d'un Peter Brook  au sommet de sa maîtrise
Jusqu'au 5 mai Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50


jeudi 5 avril 2012

Mesure pour mesure de Shakeseare

Dans cette pièce rarement montée (elle l'a néanmoins été récemment et de brillante manière par Jean-Yves Ruf) Shakespeare met, comme souvent, l'accent sur les exactions des puissants. Désireux de prendre du champs, le duc de Vienne délègue pour une période indéterminée son pouvoir absolu à son cousin Angelo dont la réputation d'intégrité est reconnue par (presque) tous. Ce parangon de vertu a quelque peu tendance à confondre plaisir de la chair et noirceur de l'âme. Ce qui le pousse à faire condamner à mort un homme jeune qui, sans l'avoir encore épousée, à rendu enceinte la fille qu'il aime.

Le condamné supplie sa soeur, une gracieuse novice, d'intercéder en sa faveur auprès de leur nouveau seigneur. D'abord inflexible, ce dernier, séduit par les attraits de la demoiselle,ne va pas tarder à devoir affronter des forces aveugles, à savoir celles de sa libido.Il accepte de gracier le frère si la soeur couche avec lui. Un moine au sourire bénin va alors s'en mêler et jouer avec une perversité enjouée des sentiments et des désirs de chacun.

Disons le tout net si la patte de Thomas Ostermeyer, l'un des plus grands de la scène allemande, est incontestable, ce spectacle ne vaut pas, et de loin, Othello et surtout Hamlet auxquels il s'est précédemment mesuré.Les comédiens sont, comme toujours chez lui, solides au poste. Mais qu'avait-il besoin de céder au goût de la provocation à deux balles en nous infligeant entre autres le spectacle d'un fier à bras qui se masturbe ou de faire se mouvoir la novice - qui n'est pas du genre à pratiquer le pardon des offenses - dans une robe blanche parsemée de taches de sang, signe un peu trop évident du viol dont elle a été victime. Pour ce qui est des réserve qu'inspire la représentation on peut aussi déplorer la piètre qualité de la traduction qu'on peine à lire sur les surtitres.

Par ailleurs, il s'agit évidement d'une représentation de haute tenue dont les protagonistes se révèlent aussi remarquables chanteurs que comédiens.Les récitatifs chantés sont d'une beauté à ne pas croire. En les introduisant de multiples fois, Ostermeyer fait preuve d'une audace, celle-là, digne de lui.

Jusqu'au 14 avril Théâtre de l'Odéon 6e tel 01 44 85 40 40

dimanche 1 avril 2012

AbilifaÏe Leponaix

Un hôpital de jour où se retrouvent quatre schizophrènes. Leurs paroles ont été recueillies par une psychologue dans un carnet qu'a découvert le metteur en scène Jean-Christophe Dollé. Lequel a intitulé le spectacle qu'il en a tiré par le nom de deux médicaments donnés aux hommes et femmes qui se sentent aspirés par le néant.

Parfois en choeur, à d'autres moments seuls les fous, comme ils s'appellent eux mêmes, parlent d'abondance. L'un est en proie à des effusions mystiques, un autre n'arrête de se remémorer les trempes que lui filait une mère incapable de l'aimer, une troisième entend des voix... Tous parlent de la puissance de la pensée. Laquelle peut leur donner une perception du monde d'une stupéfiante acuité mais plus fréquemment, comme cette jeune femme qui "balance " ses médicaments, le sentiment de mener une vie de cadavre. Devant tous s'ouvrent des abîmes de vertige. Ce qui explique qu'ils aient si fréquemment des regards de personnes foudroyées.

Il importait, après les propos inqualifiables tenus par Sarkozy sur les schizophrènes dont il veut à tout prix donner une image criminogène, d'en montrer les vrais visages. Ce que réussissent admirablement les quatre comédiens dont les prestations sur le fil du rasoir nous étreignent d'autant plus le coeur que les souffrances qui habitent ces êtres désamarrés ne nous sont pas totalement étrangères. On pourrait pinailler, regretter que le metteur en scène fonce parfois vers le cliché, que les anecdotes que racontent les psychotiques sont parfois éculées. Mais ce serait faire un mauvais procès à un homme de spectacle qui non seulement a placé le sien à des hauteurs bigrement estimables et qui, surtout, rappelle que le fou occupe dans notre société la place du dernier des hommes.

Jusqu'au 14 avril Ciné 13 Théâtre tel 01 42 54 15 12

lundi 26 mars 2012

Vaterland : le pays de nos pères de jean-Paul Wenzel

Au début des années 80 Jean-Paul Wenzel, un des auteurs dramatiques les plus innovants de sa génération - connu surtout pour avoir débuté avec Loin d'Hagondange, pièce que s'arrachent des metteurs en scène des quatre coins de la planète - part avec Bernard Bloch, qui parle la langue du pays, en Allemagne. Pays dont est originaire son père qui fut durant les années vert de gris soldat de la Wehrmacht à Saint Etienne. Ville où vivait une jeune fille avec laquelle il eut un fils. Lequel devenu adulte voulut rencontrer cet homme dont personne n'avait conservé la trace. De retour en France il écrivit, avec la collaboration de son compagnon de voyage, Vaterland, récit mi- fictionnel,- mi-réel de l'odyssée de son père. Le spectacle qu'il en tira fut d'une intensité peu commune Tout comme celui que met aujourd'hui en scène Cécile Backès.

La pièce mêle deux enquêtes : celle que poursuit en 1982 un musicien rock pour retrouver son père et celle d'un ancien prisonnier de guerre qui, en 1946, part à la recherche de celui qui a pris l'identité de son frère après, croit-il, l'avoir assassiné. Il se fait que l'homme est victime plutôt que responsable de son acte. Avec ses descriptions d'un pays qui n'est plus que décombres où errent des silhouettes faméliques, où chacun vit dans la peur de se faire détrousser,le spectacle fait remonter des bouffées de souvenirs de films de l'importance de La belle ensorceleuse de Billy Wilder et d'Allemagne année zéro de Roberto Rosselini.

Peu d'effets, mais un décor qui avec ses rideaux qui s'ouvrent et se referment rappellera aux vieux de la vieille ceux des créations de Roger Planchon. Les quatre poignants interprètes, une femme et trois hommes, jouent débout. Sans jamais s'interpeller. Une vidéo où défilent des paysages font partager le sentiment d'inquiétante familiarité éprouvé par celui qui poursuit peut-être une chimère.
Une preuve de plus que l'on connaît sur le plan théâtral une saison particulièrement faste.

Jusqu'au 1er avril Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint Denis tel 01 48 13 70 00

jeudi 22 mars 2012

Hiver de Jon Fosse

Il est d'innombrables façons de mettre en scène les pièces écrites dans une langue résolument dépouillée, répétitive, dénuée de ponctuation de l'écrivain et auteur dramatique norvégien Jon Fosse. Claude Régy en a inventé une lorsqu'il monta "Quelqu'un va venir", Patrice Chereau une autre pour les besoins de "Rêve d'automne". La presque nouvelle venue Emilie - Anna Maillet a trouvé un moyen inédit de mettre en valeur la stylisation minimaliste de cet auteur dont la réputation va grandissant.

Elle et lui (les personnages de Jon Fosse ne portent pas de nom) se croisent dans la rue. Elle, Violaine de Carné, est agitée crie qu'elle est sa nana. Lui, Airy Routier, porte des lunettes, semble errer dans une ville qui n'est pas la sienne, où il a un rendez-vous de travail. Il l'invite dans l'hôtel où il loge. Quand plus tard il lui apporte vêtements, boissons et aliments elle ne semble pas le reconnaître. Ils décident de se retrouver dans un bistrot. Elle ne vient pas. Il la retrouve quelques jours plus tard et lui propose, lui l'homme marié à l'allure pondérée, père de deux enfants, de partir avec lui.

Autour de ces deux êtres dont les phrases restent en suspens passent sans cesse des personnages virtuels, des hologrammes. Ceux qui sont familiers de l'univers de l'auteur savent que les hommes et les femmes qui le peuplent sont confrontés à une solitude sans appel et entourés de fantômes. Nés de leur imagination ou de leur mémoire, peu importe. Emilie-Anna Maillet a résolu la question en créant un théâtre en trois dimensions. Force est de reconnaître que cette trouvaille - qui provoque des moments hilarants notamment lorsque la jeune femme est dupliquée à l'identique en plusieurs exemplaires... - donne au spectacle une amplitude poétique inattendue. Les amateurs d'hallucinations comme les fervents de nos temps numérique ne devraient pas le manquer.
Jusqu'au 14 avril L'Etoile du Nord tel 01 42 26 47 47

lundi 19 mars 2012

Home de David Storey

Lorsqu'à la fin des années 60 David Storey écrivit Home l'hôpital psychiatrique apparaissait comme un miroir où se réfracte la société. Que Sarkozy puisse criminaliser la folie sans que cela provoque des montées de colère prouve que l'aspiration à une pseudo normalité l'a emportée. On en sait d'autant plus gré à Chantal Morel d'avoir pris l'initiative de remonter cette pièce dont elle s'était déjà emparée à deux reprises dans les années 80. Elle fait évidement partie de ceux qui, comme le disait le psychiatre Lucien Bonnaffé, juge une société sur la manière dont elle traite ses fous.

Dans ce huis clos admirablement adapté par Marguerite Duras (pour Claude Régy qui est le premier en France à l'avoir mise en scène) ils sont cinq pensionnaires, deux hommes d'âge mûr, deux femmes de la même génération mais au parler beaucoup plus crû et Alfred, un jeune à qui, à en croire les deux fortes en gueules, on a enlevé un bout de cervelle. Il est, lui, chargé de rentrer le soir les chaises sur lesquelles ses ainés passent tour à tour leur temps Si chez les hommes, dont les conversation manquent de suivi, l'émotion est palpable (ils ont même souvent les yeux embués de larmes), les deux femmes, certainement dépositaires d'aussi lourdes souffrances, apparaissent sacrément plus vindicatives et pleines de vie.

David Storey - connu notamment pour avoir écrit le roman This sporting life qui fut adapté au cinéma par Lindsay Anderson et sorti en France sous le titre "Le prix d'un homme" - sait pertinemment que les psychotiques vivent dans la peur. Si les hommes ont tout au long de leurs conversations des moments de terreur silencieuses, les femmes chassent leurs démons à coups de rires gras ou de jets d'injures. Tous parlent de leur île qui est à la fois l'Angleterre et le lieu où ils végètent.

A la création par Régy les personnages étaient interprétés par des acteurs aussi fameux que Michael Lonsdale, Gérard Depardieu, Tatiana Moukhine... Ce sont aujourd'hui les moins connus mais aussi talentueux Marilyne Even, Jean-Jacques Le Vessier, Nicolas Cartier, Line Wiblé et Rémi Rauzier qui ont pris la relève. Forts des indications dune metteuse en scène osons le mot d'élite, ils projettent cette pièce indémodable à une altitude exceptionnelle.

Jusqu'au 8 avril Théâtre Nanterre-Amandier tel 01 46 14 70 00

samedi 17 mars 2012

Contes africains d'après Shakespeare

Figure de pointe de la scène contemporaine, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski creuse à chacune de ses création avec une vigueur nouvelle son propre style. Il s'est cette fois emparé de trois pièces de Shakespeare (Le roi Lear, Le marchand de Venise et Othello) dont il ne retient que des scènes où le héros pète les plombs.Il tombera à l'issue de cet accès de fureur ou d'entêtement dans des gouffres abyssaux.

Sachant pertinemment que nous sommes multiples dans le carcan d'un seul corps, Warlikowski a soin de souligner que les agissements et les paroles de ceux qui entourent le personnage central n'ont rien d'innocent. L'amoureux de Portia, la fille de Shylock entretient une relation érotique avec un homme tandis que Iago, expert en coups tordus, ne débine Desdémone auprès de son époux à la peau noire que parce qu'il a jeté son dévolu sur un favori de la jeune épouse qui, via Othello, tente de favoriser sa carrière.

Les femmes chez Shakespeare sont toujours (lady Macbeth exceptée) des victimes. Le metteur en scène a eu l'heureuse idée de demander à Wajdi Mouawad de leur écrire des monologues éperdus où elles évoquent leur vie mutilée, leurs colères.Dans la troisième et dernière partie du spectacle c'est à l'auteur sud-africain J.M. Coetzee que Warlikowsky sollicite la parole. Le personnage central des 3 pièces du dramaturge anglais est à présent un homme âgé qui atteint d'un cancer n'a plus accès aux mots. Ce sont les femmes qui ont partagé sa vie dont qui se laissent aller à leurs ruminations vengeresses ou à des sentiments plus tendres. Le spectacle se clôt sur un divertissent dansé. Et on le quitte la tête remplie d'un air de salsa...

Si Warlikowski semble, comme chaque fois!, avoir atteint la plénitude de son originalité c'est qu'il sait comme personne marier enchantement visuel et sonore, qu'il est à la tête d'une troupe d'acteurs au jeu d'une haute précision et qu'il est épaulé depuis des lustres par une scénographe de génie (le mot n'est pas exagéré) qui a pour nom Malgorzata Szczesnski.

A l'issue de la représentation Warlikowski ressemble à une pelote de nerfs C'est me dit-il que c'est la première fois que nous jouons dans ce lieu mythique créé par jean Vilar et aujourd'hui consacré à la danse. Nous sommes les premiers à refaire ici du théâtre.Cette responsabilité me terrifie.

Jusqu'au 23 mars Théâtre National de chaillot tel 01 53 65 3O OO

jeudi 15 mars 2012

Erzuli Dahomey, déesse de l'amour de Jean-René Lemoine

La folie ordinaire des familles s'étale dès les premières scènes.Victoire qui a foiré sa carrière de comédienne est une devenue une bourgeoise survoltée qui vit entourée de sa fille et de son fils, des jumeaux épris l'un de l'autre, leur précepteur et Fanta, la bonne à tout faire. La pièce démarre avec l'annonce du décès au Mexique de Tristan, le fils ainé parti chercher son orient en s'éloignant le plus loin qu'il pouvait de sa génitrice. Après son inhumation dans le caveau familial surgit Félicité, une sénégalaise à l'allure et au comportement saugrenus, venue chercher la dépouille du sien de fils. Victoire la prend évidement pour une folle. Mais le fantôme d'un jeune africain rôde dans la maison. Ses apparitions ont sur ses habitants des effets disons contrastés.

Auteur dramatique d'origine haïtienne, Jean-René Lemoine - qui d'ordinaire met ses pièces lui-même en scène - a écrit une oeuvre qui emprunte à plusieurs registres : le vaudeville (dont il dézingue les codes), le mélo et le fantastique. Pas dissimulateur pour un sou, il laisse allègrement percer l'influence qu'ont eu sur lui Almodovar et le Pasolini de Théorême. Le spectre (auquel Nâzim Boudjenah prête avec élégance sa nudité recouverte de peinture noire)apportera à chacun des protagonistes la clé de son accomplissement.

Eric Genovèse a monté ce texte si riche d'incongruités avec une audace qui laisse coi. Le seul reproche qu'on lui adressera est d'avoir cédé - mais pas à profusion - à la mode de la vidéo en fond de scène. La surexcellence des comédiens Claude Mathieu, Serge Bagdassarian et Bakary Sangaré et de Françoise Gillard et Pierre Niney dont les moments dansés apparaissent comme des pieds de nez à l'adversité est évidement pour beaucoup dans la réussite de cette création si peu conforme à celles dont nous a habituée la maison de Molière.

Jusqu'au 15avril Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 00

samedi 10 mars 2012

Se trouver de Luigi Pirandello

Mariée à une comédienne, Marta Abba, avec laquelle il eut une relation remuante on pourrait même dire dévastatrice, Pirandello considérait qu'il ne connaissait rien à ce que le dramaturge Louis Calaferte appellera "la mécanique des femmes". Plusieurs de ses pièces tournent autour de personnages féminins qui apparaissent comme la proie de forces souterraines. Ce qui est le cas de Donata Genzi ( Emmanuelle Béart), une actrice de théâtre qui se donne totalement à son art. D'un tempérament sensuel et terrien et manifestement fragilisée par sa présence sur une scène dans un rôle écrasant, la vedette du grand écran qu'est celle qui fut Manon des Sources apporte à l'univers cérébral de l'écrivain une touchante humanité.

Venue se réfugier chez une amie qui appartient à une société d'aristocrates qu'elle jugera avec raison toxique, elle préfèrera, plutôt que de passer une soirée en cette compagnie, partir affronter une mer déchaînée avec Eli, un jeune peintre amoureux du danger, qu'elle voit pour la première fois. Ce garçon qui a tout du chien fou la sauvera de la noyade. Commence en sa compagnie une vie nouvelle. Mais l'amour ne pourra pas plus que la scène l'aider à se trouver comme le dit le titre de la pièce.

On connaît la puissance de pensée de l'auteur sicilien. Stanislas Nordey qui en inventant un style qui tient souvent du récitatif s'interroge comme lui sur la relation d'une infinie complexité que le théâtre entretient avec la réalité. Le langage sinueux que tiennent les personnages de la pièce ne pouvait que nourrir sa réflexion. Si quelques uns de ses interprètes ont la parole et la gestuelle trop apprêtée, on ne peut qu'être subjugué par le talent dont fait preuve Vincent Dissez (Eli) et se réjouir de découvrir en Marina Keitchewsky une jeune pousse qui pourrait monter haut.

Le metteur en scène tire habilement parti des vastes dimensions du plateau. Le choix des costumes est, lui, discutable. Mais on a compris que malgré ses imperfections le spectacle est de ceux qui méritent d'être découvert.

Jusqu'au 14 avril La Colline - Théâtre national tel 01 44 62 52 52

jeudi 8 mars 2012

La Rimb d'après Xavier Grall

Vitalie Rimbaud portait un nom qui lui convenait à merveille. Figure maternelle majuscule, la mère d'Arthur était une paysanne ardennaise à la vitalité furieuse. Xavier Grall (1930 - 1981), auteur de la pièce radiophonique mise en scène par Jean-Noël Dahan, la surprend au soir de sa vie alors que vieille femme au corps déformé par la sciatique elle se laisse envahir par ses souvenirs. Ecrit d'une plume rutilante ce déchiffrage obsessionnel du passé prend à la gorge.

Assise sur un fauteuil, le pied gauche posé dans une bassine d'eau puis marchant en s'appuyant sur une canne, Vitalie fulmine, en veut à ces "pommadés" parisiens qui ne veulent voir en son fils qu'un génie illuminé alors qu'elle réprouve la vie de dévergondage (c'est son mot) qu'il mena avec Verlaine. Lequel elle voue évidement aux gémonies. Elle préfère voir en Arthur le négociant avisé qu'il fut dans la dernière partie de sa courte vie.

Elle se remémore pourtant que dès son plus jeune âge il "fallait qu'il fiche son camp". Elle en a dit des neuvaines pour qu'il revienne... Mais lorsqu'il finit par le faire il était "souillé de pied en cape". Les certitudes de cette femme saturée de moralisme et de religion - qui s'est toujours considérée comme un roc au milieu d'une mer en furie - par instants vacillent. Ne seraient-ce pas sa sécheresse de coeur et son autorité tatillonne qui ont fait fuir son fils?

Il a rarement été dit avec une telle justesse combien le passé des morts pèse sur la tête des vivants et combien il rendent confus nos propres sentiments. Martine Vandeville joue cette apocalypse intime avec la belle âpreté des vraies tragédiennes. Qu'elle ne soit pas davantage sollicitée est un mystère.

Jusqu'au 21 avril Théâtre du Lucernaire tel 01 45 48 91 10

jeudi 1 mars 2012

Tartuffe de Molière

Tartuffe a été monté d'innombrable fois. Mais dans ces temps qui stagnent où les sectes pullulent et où les fanatiques animés d'aussi peu de scrupules que de sens du sacré tentent d'imposer leurs diktats, elle apparaît d'une vibrante actualité. Laurent Delvert qui la met en scène a eu la perspicacité de la faire débuter au sein d'une famille qui ressemble à nombre de celles d'aujourd'hui où les jeunes dansent - certains diraient gesticulent - sur des airs à la mode. Arrive Orgon, le maître de maison joué d'admirable façon par Vincent Schmidt. Et chacun de rentrer dans ses petits souliers.

Bien que marié en deuxième noce à Elmire, une attrayante jeune personne, le maître de céans ne révère que Tartuffe, un dévot démuni qu'il a recueilli.On pourrait même dire qu'il a pour cet homme, que les autres membres de la maisonnée exècrent, les yeux de Chimène. Perdant tout bon sens, il s'est mis en tête d'en faire son gendre. Mais pris au piège par les proches de son bienfaiteur, Tartuffe montre son vrai visage. Celui d'une fripouille qui va mettre celui qui s'était montré si généreux à son égard dans de beaux draps.

Les dialogues fringants de Molière font de véritables miracles. Créé au théâtre du Beauvaisis (scène nationale de l'Oise) devant un public composé en majorité de très jeunes gens, le spectacle a rencontré un triomphe. Une spectatrice d'environ 15 ans confia à une amie "je n'ai pas compris chaque mot mais qu'est -ce que je me suis amusée..."

On se souvient que la pièce se termine sur une scène où, par l'entremise de l'un de ses représentants, le souverain pardonne dans sa grande magnanimité à Orgon de ne pas avoir dénoncé un adversaire de la couronne. Comme dans beaucoup de ses pièces Molière, qu'une grande partie de l'entourage de Louis XIV détestait, agit à la fois en artiste et en politique. C'est évidement son génie que Laurent Delvert met avec superbe en valeur. Franche révélation ce Tartuffe mérite d'être vue par le plus grand nombre.

Les 13,14,15,16 et 17 mars
Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Grand Théâtre
L-2525 Luxembourg
Tel 352 47 96 39 00

Les 19 et 20 mars
Théâtre d'Esch L-4010 Esch-sur-Alzette
352 54 03 87 ou 352 54 09 16