mardi 21 février 2012

Il faut je ne veux pas d'Alfred de Muset et de Jean-Marie Besset

C'est à mots feutrés et avec moult circonvolutions que le comte déclare dans "Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée" d'Alfred de Musset son amour à une jeune veuve de son milieu. Bien qu'il ne lui déplait pas la jeune femme met son prétendant à l'épreuve. Pas question qu'elle épouse un homme dont elle n'ait éprouvé les sentiments.Et ses déclarations affectées ne suffisent pas à la convaincre. Tous deux appartiennent de plus à une société où on ne plaisante pas avec les différences de fortune. Si Jean-Marie Besset prend un plaisir manifeste à se saisir de cette pièce vieille de deux siècles dont les protagonistes usent de phrases d'une délicate coquetterie, il fige un peu trop ses personnages dans un jeu qui se voudrait d'époque. Il est d'autant plus ahurissant que saturé de ses habituelles obsessions il ait demandé au jeune acteur de se dénuder le torse...

Besset qui signe aussi la mise en scène de ce diptyque est manifestement beaucoup plus à son affaire avec sa propre pièce "Je ne veux pas me marier" qui fait s'affronter deux jeune amoureux d'aujourd'hui sur le point de convoler et qui appartiennent eux aussi à un monde où l'argent ne fait pas défaut.Les deux tourtereaux, cette fois, s'expriment rondement. La future mariée qui a peur des lendemains qui déchantent ne cesse de se cabrer, quitte à saccager leur union. C'est sans ambages qu'elle dit son goût pour des relations sexuelles plus imaginatives (elle emploie le mot bestial!) que celles qui sont déjà les leurs depuis six mois. Bref elle hésite à se faire mettre l'alliance au doigt.Mais lorsqu'il est sur le point d'abonder dans son sens elle hésite.

Les trois comédiens de ces deux pièces à savoir Blanche Leleu, Chloé Olivères et Adrien Melin rivalisent de justesse. Et Jean-Marie Besset, par ailleurs excellent adaptateur de pièces anglo-saxonnes, de se révéler comme un leader du jeune théâtre de boulevard.

Oeuvre tel 01 44 53 88 88

jeudi 16 février 2012

Race de David Mamet

Un homme que sa fortune avait jusqu'alors préservé des turbulences existentielles se voit accusé d'avoir tenté de violer une femme noire. Le duo d'avocats d'une suave férocité auquel il a fait appel se révèlent des stratèges de haut vol. Entre leur riche client qu'ils considèrent comme un pervers d'une effroyable intelligence et comme un raciste qui s'ignore les deux hommes de loi, dont l'un est blanc, l'autre comme on dit aujourd'hui afro-américain, s'échangent d'âpres passes d'arme.

Le dramaturge et cinéaste américain David Mamet s'était déjà dans son film "L'honneur des Winslow" penché sur le sort réservé à un garçon de la haute qui, accusé d'avoir volé un mandat postal, est défendu par un avocat réputé et ultra conservateur. Une fois encore Mamet assène la preuve que justice et vérité ne vont pas de pair. Mais il étoffe son propos par la présence auprès des deux défenseurs de l'accusé d'une stagiaire(Sara Martins qui n'a pas dit son dernier mot) elle aussi afro-américaine, aux convictions passionnées qui ne peut longtemps caché son aversion pour la race blanche. A en croire David Mamet, ce que l'on fait sans problèmes, l'esclavage, péché originel de l'Amérique n'a pas fini d'empoisonner les esprits.

Sous la férule attentive de Pierre Laville, adaptateur de l'écrivain et qui signe ici sa meilleure mise en scène, les quatre comédiens au talent bien trempé, harponnent le public. La surprise est créée par Yvan Attal, qu'on connaît essentiellement par ses rôles dans des films la plupart du temps bien choisis et qui y va d'un talent qu'on ne savait pas aussi marquant.

Comédie des Champs Elysées tel 01 53 23 99 19

samedi 11 février 2012

Invisibles de Nasser Djemaï

En choisissant cette pièce écrite et mise en scène par Nasser Djemaï Le Tarmac ( Scène internationale Francophone) démarre en force dans les nouveaux murs qui lui ont été attribués. La représentation est, en effet, de celles qui ne s'oublient pas. Martin, un homme d'une vingtaine d'année dont la mère vient de décéder, tente de découvrir le secret de la vie de cette femme peu disserte. Le début fait songer à un écrit du dramaturge libano-canadien Wasni Mouhawad dont les personnages déambulent dans les vestiges sordides d'un passé qu'ils n'ont pas connus. Mais la pièce très vite prend une tournure bien différente.

A la recherche d'un homme dont la défunte lui a cité le nom, le jeune parisien débarque dans une ville de province et arrive dans un foyer où vivotent cinq Chibanis (hommes à cheveux gris en arabe dialectal). S'il est malvenu par l'un des vieillards, trois autres, en particulier Driss (Lounès Tazaïrt, acteur discrètement majeur) qui ne tarde pas à le considérer comme un fils d'élection, lui font bon accueil. Le cinquième habitant de l'immeuble insalubre, où ces hommes passent leur temps à jouer aux dominos et à prier, est depuis quelque temps aphasique. Martin aimerait voir ces hommes qui l'ont reçus à la fortune du pot emménager dans une maison de retraite où ils jouiraient de plus de confort.Mais ses hôtes, qui n'ont d'autres projets que d'être inhumés dans leur terre natale, refusent tout net de changer leurs habitudes.

Chacun d'entre eux a connu des vicissitudes mais n'effeuille qu'avec parcimonie ses souvenirs et alors qu'ils ont trimés leur vie durant cavalent après une retraite de misère. Cela sans jamais se lamenter. Comme leur visiteur on est étreint par la délicatesse de leurs gestes et de leurs mots. La puissance de vérité de ce spectacle doit beaucoup à la finesse de jeu des acteurs retenus notamment David Arribe qui incarne Martin

En cette période de racisme d'Etat cette production accessible à tous public est à notre grande satisfaction applaudie avec ferveur.

Jusqu'au 18 février Le tarmac tel 01 43 64 80 80

mardi 7 février 2012

Les Quatre Jumelles de Copi

Il est clair que Jean-Michel Rabeux qui mit déjà en scène sa pièce L'homosexuel ou la difficulté de s'exprimer adore comme Copi piétiner les tabous. Avide de frasques ses personnages apparaissent, dès leur sortie d'une sorte de trou où ils semblaient goûter de noirs délices comme des toxicos sans identité sexuelle précise et aux liens familiaux on ne peut plus fantaisistes. L'héroïne qu'ils n'arrêtent de s'injecter les uns aux autres est à l'évidence aussi nuisible à leur santé mentale que les idées toutes faites dont les médias nous abreuvent à longueur de temps.

Si la mort couve tout au long de la représentation, elle n'est jamais définitive. Une des jumelles sur qui une substance ultra-nocive a fait son effet ou qui a reçu une balle dans le buffet s'écroule, reste sans vie puis se relève. Plus que chez n'importe quel représentant du théâtre dit de l'absurde, la rationalité a chez Copi pris congé. Ses seuls maîtres sont à l'évidence les surréalistes qui avaient en horreur toute situation porteuse de sens. C'est pourquoi cet esprit épris de strass, de paillettes, de cabaret et de vaudeville mais aussi de tragique reste inimitable. Sa radicalité en tous domaines a eu l'heureux effet de le préserver de toute postérité.

L'excellence de Claude Degliame, Georges Edmond, Marc Merigot et Christophe Sauger dont la folle énergie doit être constamment à l'oeuvre et dont le langage ne cesse de déraper en une décharge d'injures est pour beaucoup dans la réussite de ce spectacle si secouant qu'il n'est pas une soirée où quelques spectateurs ne se carapatent.

Créé au au Maillon à Strasbourg, il va continuer sa route en bravant les convenances quelques mois encore

les 14 et 15 février Le Bateau Feu - Scène Nationale de Dunkerke
Du 21 au 25 février Nouvel Olympia - Centre Dramatique Régional de Tours
Du 9 au 11 mai La Rose des Vents - Scène Nationale de Villeneuve d'Ascq / Lille Métropole
Du 21 mai au 23 Juin Théâtre de la Bastille -Paris

vendredi 3 février 2012

Sortir du corps de Valère Novarina

Crée en 1978 la compagnie de l'Oiseau-Mouche est composée de 23 comédiens atteints d'un handicap mental. Aucun metteur en scène n'y est permanent. Tous ceux qui ont parcouru un bout de chemin avec ces acteurs ouverts à de nouvelles perspectives esthétiques ont réalisés des spectacles qui restent imprimés dans les mémoires.

C'est le cas une fois encore de Sortir du corps pour lequel Cédric Orain a réuni cinq acteurs, deux femmes et trois hommes, qui se mesurent, souvent comme sur un ring, à des fragments de 3 oeuvres de l'écrivain-plasticien Valère Novarina : Lettre aux acteurs, Pour Louis de Funès et le monologue de l'infini tiré de L'opérette imaginaire.

Dans les pièces de cet auteur les personnages semblent se dissoudre dans le verbe qui se transforme progressivement en substance sonore. Comme le dit Florence Decourcelle, l'une des interprètes, "ce texte a modifié la conscience que j'ai de moi. Il me colle à la peau"Il est en effet clair que Novarina parle de l'énigme du théâtre. Qu'il prospecte au delà des réseaux habituels.

Pour familiariser ses acteurs à ce monde déréalisé, Cédric Orain les a inciter à improviser. Et les a placés dans un décor si schématique que seul leur jeu rend compte de leur tornade intérieure. Le plus touchant est peut-être qu'ils arrivent a être tantôt homme, tantôt femme, d'autre fois d'une identité sexuelle plus floue.Il est des instants où certains portent perruque, d'autres où une comédienne montre le haut de son corps. On aura compris qu'il s'agit là d'un spectacle qui ne peut que plaire à des spectateurs qui apprécient la présence dans la réalité de l'invraisemblable.


Jusqu'au 12 février La Maison des Métallos tel 01 48 05 88 27
Du 14 au 17 février La Rose des vents Villeneuve D'Ascq (59) tel 03 20 61 96 96
Le 15 mai Théâtre Le Passage Fecamp (76) tel 02 35 29 22 81

jeudi 2 février 2012

Egisto de Pier Francesco Cavalli

Elève de Monteverdi, Cavalli (1602 -1676) fut l'un des compositeurs vénitiens les plus prolifiques de son temps. Il aura cependant fallu attendre ce début de 2012 pour que soit mis en scène en France et ce par Benjamin Lazar, ce passionné d'opéra baroque dont la notoriété va en grandissant, Egisto l'une de ses oeuvres les plus marquantes.

Comme dans les tragédies grecques les humains y ont partie liée avec les dieux. La dérive des sentiments - comme l'incertitude que tout coeur épris a de la sincérité de l'autre - trouve dans la présence des habitants de l'Olympe, eux aussi en proie à la passion et à ses tracas, des raisons de ne pas désespérer de leur sort. Les scènes les plus cocasses sont celles où les dieux sont eux aussi atteints par le bacille de l'amour. Ce qui ne les empêche pas de souffrir non mille morts (un mot qui ne les concerne pas...) mais force tourments.

Spectacle d'une haute tenue vocale, Egisto - et c'est là qu'il ne peut être affligé par les ans - mêle constamment démence et raison. Notre sort commun.Un décor non seulement de toute beauté mais qui autorise les passages d'un lieu à un autre et l'usage de la bougie, qui permet aux chanteurs de jouer de la lumière qui les entoure et de celle qui les habite, donne à la représentation un climat de mirage.

En dépit des obstacles qui sans relâche se dressent, des emportements qui mettent les sentiments en périls et de la versatilité des humeurs, l'amour finit par triompher. Comme le disait, lorsque s'achève cet opéra en trois actes, dont on aurait pour une fois aimé qu'il se prolonge, la personne qui m'accompagnait:"voilà enfin un spectacle qui donne envie d'être amoureux"

Jusqu'au 9 février Opéra Comique tel 08 25 01 01 23