mardi 21 décembre 2010

Rêve d'automne de Jon Fosse

Vénéré comme ce qu'on appelle au Japon un trésor national vivant, Patrice Chereau a eu le privilège d'être honoré au Louvres où il eu le loisir de monter des spectacles et de faire valoir ceux d'artistes qu'il estime. Notamment 3 du chorégraphe Thierry Thieu Niang lequel est une pure merveille.Ce qui n'est pas le cas de Rêve d'automne du norvégien Jon Fosse dont l'univers est à mille lieu du lyrisme fiévreux de Chereau. Alors que pour l'auteur les morts nous envahissent, il se contente, lui, de faire évoluer dans un cimetière des fantôme parmi lesquels la grandiose Michelle Marquais et le jeune Alexandre Styker.

Mais pour le reste il utilise son lexique habituel. Et l'on retrouve comme dans la majorité de ses créations l'affrontement d'un couple dépareillé qui passe constamment de l'attirance au rejet. Comme toujours chez lui les femmes sont de fieffées emmerdeuses. L'expression "continent noir", que Freud utilisait pour parler de la gent féminine telle que la perçoit les hommes pour qui elle sera toujours un périlleux mystère, semble avoir été inventée pour celui que fut autrefois une figure de proue de la sédition théâtrale.

Le comique de la situation est qu'il se soit piégé en choisissant pour les rôles féminins principaux Valéria Bruni-Tedeschi -dont le jeu frôlant l'hystérie peut en agacer certains et en séduire beaucoup d'autres - et surtout Bulle Ogier qui donne une saisissante interprétation de son personnage de mère intrusive. Face à elles Pascal Greggory (pourtant remarquable dans Ordet mis en scène par Arthur Nauziciel) ne fait pas le poids.

Le spectacle se déroule dans un décor qui reconstitue une salle du Louvre et qui sent le fric à plein nez. Ce qui en cette période de disette est particulièrement outrageant. Les applaudissements retenus du public sont la preuve que si les journaliste ont pour la plupart écrit monts et merveille sur ce spectacle si attendu, les spectateurs eux, ne sont pas dupes.

Jusqu'au 25 janvier Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

vendredi 17 décembre 2010

Brume de Dieu de Tarjei Vesaas

Claude Régy est un très jeune homme de 87 ans. A l'inverse de la plupart des metteurs en scène hexagonaux il est un découvreur d'auteurs ignorés ou du moins, comme c'est le cas ici, rarement montés. Il a aussi la hardiesse de révéler de jeunes acteurs d'une étrangeté hypnotique. C'est aujourd'hui Laurent Cazanave, 22 ans, qu'il connut à l'école d' acteurs du Théâtre National de Bretagne et avec lequel, raconte un témoin de leur rencontre, un courant passa dès le premier instant. C'est d'ailleurs le comédien qui lors d'un stage choisit cet extrait des Oiseaux, roman qui exhale des sortilèges, du norvégien Tarjei Vesaas.

Seul sur un vaste plateau qu'il arpente avant de se figer, Mattis, un garçon considéré comme un simple d'esprit inapte à la vie sociale mais dont la connivence avec la nature est sans équivalent, a par instants une allure de spectre. Allure confortée par des clairs obscurs embrumés et des jaillissements de lumière qui semblent être des reflets de sa vie intérieure. D'une voix hachée en insistant sur les e des fins de mots, il raconte ses liens passionnés avec Hege, sa soeur et évoque les forces de l'ombre avec lesquelles il s'affronte. Il révèle de la sorte le caractère abyssal de nos ténèbres.

Lorsque la barque sur laquelle il s'était embarquée prend l'eau et que l'effroi le gagne on est littéralement pris à la gorge. Mais des ombres tapies au fond de la scène veillent. On retrouve dans ce spectacle qui scintille d'instants grandioses le radicalisme poétique de Claude Régy. En approchant au plus intime ce personnage, que sa singularité ferait considérer avec le plus grand mépris par nos actuels dirigeants, il signe l'une de ses plus ébranlantes créations.

Avec ce monologue d'un homme installé dans une solitude étanche, le Festival d'Automne se termine en beauté. Comme il a commencé. La preuve qu'Alain Crombèque s'est entouré de collaborateurs dignes de l'inestimable personne qu'il ne cessa d'être.


Jusqu'au 29 janvier Ménagerie de verre tel 01 53 45 17 17

dimanche 12 décembre 2010

My secret garden de Falk Richter

Né de la rencontre entre deux artistes, Falk Richter qui a écrit la pièce et la met en scène avec Stanislas Nordey qui en est aussi un des interprètes, My secret garden s'est bâtie autour du journal de bord que l'écrivain tient depuis de nombreuses années tout en rédigeant ses pièces. Celle-ci démarre par l'arrivée intempestive d'un homme (Nordey comme toujours d'une présence forcenée) qui cherche un titre à sa dernière pièce.Chacun de ceux qu'il énonce est illustré par des récits dans lesquels il est question notamment de son ascendance fêlée, de l'Allemagne de la reconstruction qui n'a rien à envier à l'époque nazie puisque les fonctions prépondérantes sont occupées par d'anciens partisans du grand Reich. Ce que répétait sans relâche Fassbinder.

On retient surtout dans ce vertige de mots les portraits qu'il dessine de ses parents nazifiés jusqu'à la moelle donc incapable de tendresse. L'amour, si l'on peut appeler cela ainsi, de sa mère ne se manifeste que par son besoin impérieux de le toucher. "Ne me touche pas au dessous de la ceinture" lui répète t'il à l'âge de 16 ans. Le père, lui, est revenu au foyer en 1945 après avoir, avec les hordes sauvages dont il faisait partie , mis l'Europe à feu et à sang. Ces souvenirs persistants sont relayés plus tard par la peur de voir l'âge flétrir les corps et par la rage éprouvée par le spectacle du monde actuel livré au seul pouvoir de l'argent

Stanislas Nordey reçoit dès l'instant, où il n'évoque plus ses cicatrices intérieures et les putrides secrets familiaux, le renfort de deux partenaires : Anne Tismer, comédienne allemande d'un talent équivalent à celui d'Edith Clever et qui fut longtemps l' égérie de Thomas Ostermeyer et Laurent Sauvage qui n'a jamais été aussi inspiré que lorsque, imitant la Brigitte Bardot du Mépris de Godard, il demande à une partenaire invisible "comment sont mes mains, mes fesses, ma bite..."

La dernière partie de cette oeuvre d'urgence qui respire l'intelligence est une invitation à la résistance contre un système économique qui broie nos vies. Voilà un spectacle qui dans cette époque de vide de la pensée tombe on ne peut mieux.


Jusqu'au 18 décembre Théâtre des Quartiens d'Ivry Studio Casanova tel 01 43 90 11 11

samedi 11 décembre 2010

Striptease de Cédric Orain

Elle surgit une chanson canaille aux lèvres puis apostrophe le public et en particulier un spectateur choisi au hasard. Avant de se déssaper, elle lui demande s'il apprécie de voir des filles se dévêtir. Elle passe ensuite à l'étape suivante en expliquant qu'il lui faut respecter les règles de base par exemple ne pas enlever ses chaussures. D'une voix dont le ton à la fois enfantin et aguicheur rappelle celle de Marilyn Monroe, elle évoque Mae Dix qui inaugura l'art du striptease et avec laquelle elle s'identifie.

Comédienne douée à l'extrême, Céline Milliat-Baumgartner joue là une partie ardue dont elle se sort avec éclat. Il faut la voir faire face aux regards, les yeux phosphorescent et la bouche modulant de tendres appels. Avec une souriante impudeur, elle chante, dans un décor réduit au minimum, "je suis malléable à souhait" . En ces jours de froidure de l'année déclinante elle apporte un rayon de malice.

On est pas prés d'oublier cette scène magnifique qui clôt la représentation : alors que les notes cascadent (une musique de sauvage auraient dit les anciens...) elle tourne jusqu'à l'épuisement autour d'une colonne en métal argenté rappelant ainsi le sort funeste des femmes qui refusent les normes de comportements imposés. Leur angoisse est là chevillée au rire contraint

La dernière surprise c'est lors des saluts qu'elle nous l'offre. Au lieu d'une jeune femme fatale on a devant soi une actrice haute comme trois pommes a l'air sidéré de ce qu'elle a osé nous convier à voir.

Jusqu'au 17 décembre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14
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mardi 7 décembre 2010

Un fil à la patte de Georges Feydeau

Congédié autrefois de la Comédie Française alors qu'il faisait partie de la troupe, Jérôme Deschamps y revient dans l'habit d'un metteur en scène au talent bien trempé. Il a choisi pour l'occasion Un fil à la patte de Feydeau dont l'efficacité comique n'est plus à prouver. Bois d'Enghien, dont le nom en jette mais qui n'a pas un traitre sou, a pour maîtresse Lucette Gautier, chanteuse de cabaret dont le plus qu'agréable physique rend fou d'amour un général hispanique qui la couvre de bijoux et cherche querelle à tous ceux dont il la croit éprise.

Bois d'Enghien est sur le point de signer un contrat de mariage avec la fille d'une richissime baronne. Mais comment y arriver avec ce fil à la patte qu'est la belle Lucette qui lui voue une passion indéfectible? Le malheureux ne tarde pas à être la proie de ses propres machinations. Le voilà empêtré dans des embrouilles sans issue desquelles - et c'est là le génie de Feydeau - il parvient, en usant d'arguments alambiqués à l'extrême, à se dépatouiller. Il n'était pourtant pas à la noce le soir où, alors qu' il devait apposer sa signature sur le fameux contrat, il voit arriver, pour rendre le moment festif, son amante avec laquelle il n'avait pas eu le courage de rompre.

Comme toutes les pièces de cet auteur qui possède le don du mot foudroyant, celle-ci -l'une de ses meilleures - plonge les personnages dans un écheveau d'imbroglio. Il faut ajouter que ces personnages ( un clerc de notaire qui est aussi un calamiteux compositeur, une fille à marier qui voudrait échapper à la tranquillité mortifère de son milieu et n'aime que les viveurs, sa mère, une baronne qui croit vivre sous l'ancien régime, une gouvernante anglaise véritable remède contre l'amour, un gros gaffeur dont l'odeur indispose tout ceux à qui il veut manifester son amitié, la soeur de Lucette, vieille fille qui se targue d'être encore vierge...) sont tous succulents.

Il faudrait citer tous les comédiens de ce spectacle au rythme endiablé tant il assène la preuve que la Comédie française est restée un chaudron de talents. Si Christian Hecq qui incarne avec des contorsions du corps dont il est seul capable Bouzin, rôle immortalisé par Robert Hirsch dans la mise en scène "historique de Jacques Charon, Hervé Pierre fait un Bois d'Enghien d'exception tandis que Florence Viala étincelle dans le rôle de Lucette, que Dominique Constanza donne une fois de plus la preuve de l'immensité de son art, que Thierry Hancise fait du général une figure du plus haut comique et que Serge Bagdassarian joue les gros empoté avec une contagieuse délectation. Pas étonnant que le spectacle ait été ovationné.


En alternance jusuqu'au 18 Juin Comédie Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

samedi 4 décembre 2010

Dämonen de Lars Norén

Ni Lars Norén l'auteur, ni Thomas Ostermeyer le metteur en scène n'y vont de main morte dans ce remake virulent de Qui a peur de Virginia Woolf d'Edward Albee. Frank rentre à la fin de la journée dans l'appartement ultra bobo où l'attend Katarina. Il a au départ l'allure d'un homme à la vie peignée. Mais il ne tarde pas à manifester qu'il ne s'agit là que d'un masque. Si les deux amants, neuf ans après leur rencontre s'aiment toujours, ils ne cessent de s'abreuver d'injures. Il reproche à sa compagne d'avoir été tabassée par le temps qui a coulé. Devenue maîtresse dans l'art de la pique, elle ne l'épargne pas davantage. Ayant utilisé toutes les paroles blessantes qu'ils pouvaient échanger ils invitent, pour faire diversion, le couple de voisins du dessous.

Ceux - ci, parents de deux enfants dont ils ne cessent de parler, vont d'abord être horrifiés en apprenant qu'un sac en plastique qui se trouve dans l'entrée recouvre l'urne contenant les cendres de la mère de Frank. Ils n'ont pas finis d'être sidérés. Ils deviennent les témoins de la lutte sans fin qui oppose leurs hôtes, lutte qui est avivée par le fait que l'alcool coule à flot.Le climat de haine dans lequel ils baignent fini par les atteindre. Ils se balanceront à leur tour leur quatre vérités.

La monstruosité des situation est heureusement fréquemment contrebalancée par la drôlerie qu'elle engendre. Quatre acteurs de première force défendent ces personnages au bord de la crise de nerf et qui parfois y succombent. Thomas Ostermeyer a donné à cette pièce que Lars Norén écrivit à ses débuts quelques touches actuelles notamment par un usage inédit de la vidéo ( qui n'a rien à voir avec la fâcheuse habitude qu'ont aujourd'hui la plupart des metteurs en scène de la greffer sur leurs spectacles) et par des décors dont un tourniquet nous fait découvrir les moindres détails

Lars Nôren est, c'est clair, un descendant de la haute lignée de ces autres maîtres scandinaves, Srindberg et Bergman, qui s'y entendaient pour dresser un constat accablant de la vie en couple. On ne voit pas qui mieux que le directeur de la Schaubüne pouvait en faire ressortir la substantifique moëlle.


Jusqu'au 11 décembre Odéon - Théâtre de l'Europe tel 01 44 85 40 40

jeudi 2 décembre 2010

Petites histoires de la folie ordinaire de Petr Zelenka

Petr Zelenka : un nom à retenir. Né à prague en 1967, il est à la fois auteur dramatique, scénariste et cinéaste. Il a en effet adapté pour l'écran Les frères Karamazov et sa première pièce qui n'est autre que Petites histoires de la folie ordinaire. Il y dépeint des personnages qui vivent sous l'autoritaire régime communiste et qui tous ont un grain. C'est en connaisseur qu'il pénètre leur intimité cafardeuse. Dès la première scène on nage dans l'absurde. Un trentenaire sous la coupe d'un gourou coupe, alors qu'elle dormait, les cheveux de la fille qui l'a laissé choir. Il doit ensuite brûler la chevelure à l'endroit où il a connu la demoiselle. Petit problème : il s'est attaqué à la tignasse non de celle qu'il voudrait voir revenir à lui mais à celle de sa tante.

La pièce est tout du long du même acabit. Ses parents comme ses amis et voisins collectionnent les galères, connaissent la déroute de leurs amours et tiennent des discours où l'absurde le dispute au tragique ou au comique échevelé.Les échanges entre ces personnages totalement à côté de la plaque sont évidement crépitants. D'autant que le merveilleux s'en mêle puisqu'un mannequin de cire se met à parler et que la couverture du personnage central s'anime sous ses yeux...

Le collectif DRAO qui s'est donné pour mission de mettre collectivement en scène des auteurs contemporains (ils se sont affronté à Jean-Luc Lagarce, Fausto Paravidino, Roland Schimmelpfennig) aurait dû faire appel à un metteur en scène de leur choix qui aurait empêché que le spectacle soit une suite de numéros et qui aurait fait en sorte qu'il soit tour à tour émouvant, effrayant, désopilant.La pièce de Petr Zelenka n'est pas seulement une farce tourbillonnante mais se veut aussi un miroir d'une société qui ne tourne pas rond. Ce qui n'est pas particulièrement hilarant.

Lacan, dans un de ses moment de génie, disait "n'est pas fou qui veut". On pourrait ajouter qu'il ne suffit pas de jouer au fou pour convaincre le public que l'univers dans lequel évoluent les comédiens ressemble comme deux gouttes d'eau à un hôpital psychiatrique.

Juqu'au 12 décembre Théâtre de la Tempête Cartoucherie de Vincennes tel 01 43 28 36 36

mercredi 24 novembre 2010

Pornographie de Simon Stephens

Les pièces du trentenaire anglais Simon Stephen (qu'on découvrit avec le superbe Coutry music mis en scène par Tanya Lopert et joué notamment par Alexandre Zambaux) sont bien éloignées de celles de ses ainés dont la virulence des attaques contre la régression sociale était mêlée à la conviction que le libéralisme montrait des signes de faiblesse. Ecrite en octobre 2005, trois mois après les attentats - suicides perpétrés dans les transports en commun londoniens, elle ausculte en 7 séquences les comportements de quelques citoyens lambda dont le sol semble s'ouvrir sous leurs pas.

Les mutations politiques provoquent chez des personnages de tous âges une telle décrue des illusions qu'ils en arrivent à avoir des conduites qu'on aurait en d'autres temps trouvés aberrantes. Ainsi un ado à la verve furibonde en veut à tout un chacun et est sur le point de verser dans le terrorisme. En attendant, ce garçon qui a l'âge où l'on se trouve à l'apogée de ses pulsions libidinales, viole une de ses prof dont la présence l'émoustillait. Plus tard un autre enseignant dont la femme et le fils se sont éloignés et qui vit en solitaire reçoit la visite d'une ancienne élève qui, avoue-t-elle, le désirait autrefois ardemment et vient aujourd'hui le voir car elle le croit capable de lui trouver un job. Un jeu de séduction dont tous deux sortiront perdants, s'instaure entre eux.

Parmi les autres séquences marquantes (elles ne le sont pas toutes) l'une suit le parcours d'une vieille femme qui aime se caresser lorsqu'elle croit que ses voisins l'épient. Alors qu'elle écume les rues lui parvient une odeur de poulet cuit au barbecue. Elle pénètre dans la maison où se prépare le repas et demande une part de volaille qui lui est donnée sous les moqueries. L'hospitalité -mais ça on le savait! - n'est plus de mise... Notre préférence va à la scène où un frère reçoit la visite de sa soeur qui zonait. Lorsqu'elle lui propose qu'ils fassent l'amour, il ne lui résiste pas mais sachant la situation sans issue se séparera d'elle de façon brutale.

L'un des intérêts majeur de cette pièce que Laurent Gutman a mis en scène avec ingéniosité et que rehausse un splendide décor est qu'elle insiste sur le fait que les responsables des attentats sont, pour reprendre l'expression de l'auteur, "aussi anglais que les fish and chips". Elle se situe par ailleurs à l'époque où le comité olympique a décidé que les jeux auront lieu à Londres ce qui en désespère certains, conscients que les quartiers pauvres en pâtiront, et en réjouit beaucoup d'autres.

Histoire de montrer la fragilité affectives de ces représentants de notre société occidentale il est à la fin de chacune des séquence un moment où un personnage est dépassé par ses émotions et où quelqu'un lui demande pleures-tu ou ris-tu?
On est de fait partagé entre le rire et les larmes.

Jusqu'au 18 décembre Théâtre de La Colline tel 44 62 52 52

lundi 22 novembre 2010

Festival Mettre en scène de Rennes

Il n'est pas une édition de ce festival initié il y a 14 ans par François Le Pillouër, directeur du TNB, où l'on ne dégotte au moins une perle. Il s'agit cette année de "Protect me" de l'auteur et metteur en scène allemand promis à un considérable avenir Falk Richter (artiste associé à la Schaubühne de Berlin). Avec la collaboration de la chorégraphe néerlandaise Anouk Van Dijk, il dresse un état nerveux des lieux et de notre époque en pleine tourmente sociale et morale. Une époque où triomphe la culture consumériste.

Spectacle d'une magie prenante à la croisée du théâtre et de la danse, "Protect me" s'appuie sur un texte qui n'a rien de bien remontant si ce n'est qu'il est d'une force sidérante. On n'est pas prêt d'oublier les scènes où un fils d'une quarantaine d'années, dont la mère n'est plus, tente de faire entendre raison à son père atteint de la dégenerescence mémorielle de certains vieux. Ce dernier a soudainement des tronçons de phrases qui rappellent l'odieuse idéologie qui baigna sa jeunesse. La grâce sauvage des jeunes danseurs- acrobates donne en revanche quelques espoirs pour le futur de notre société. Même s'ils se trouvent fréquemment enfermés dans des cabines closes dont leur énergie vitale et leur sensualité leur permet par instants de s'échapper. La fin de la représentation est elle aussi surprenante où un écrivain, dont on devine qu'il s'agit d'un double de Richter, exige d'une jeune femme qu'elle répète après lui que son texte l'a ébranlée au plus profond... Comédiens et danseurs évidement triés sur le volet sont pour beaucoup dans le charme soutenu que distille cet appel à se protéger des courants de non pensée et de nos propres errements.

On retiendra parmi les autres moments forts du festival "Adapting for distorstotion, 2. Repulsion and Haptic" où le chorégraphe japonais Hiroaki Umeda marqué par le mouvement hip hop danse devant un écran vidéo dans un décor sonore qui apparaît manifestement irrésistible au jeune public. A la sortie une ado dit, tout sourire, à ses copains "ah! ça dégaine".

Les frères Matej et Petr Forman (fils du cinéaste Milos Forman) invités régulièrement à "Mettre en scène" renouent selon leur habitude avec le cabaret forain. Spectacle à vocation populaire qui enchante les enfants et ravi les adultes qui les accompagnent " Obludarium" est une succession de saynettes, certaines émerveillantes d'autres plus poussives, qui rappellent les numéros de foire d'antan

Le spectacle qui suscita le plus de controverses est TDM3 de Didier-Georges Gabily qu'a mis en scène son ancien compagnon de route Yann- Joël Collin. Ceux qui connaissent cet auteur dramatique disparu il y a quelques années savent que son oeuvre suinte de mal être. Ce qui, on le comprend, met grand monde mal à l'aise. Comme le texte est extrêmement touffu et parfois obscur et que de plus on vit un temps de zapping et d'accélération, il ne peut guère être apprécié à sa juste valeur. Il serait toutefois injuste de ne pas applaudir les interprétations de Yann- Joël Collin et d'Alexandra Scicluna, vivante image du désespoir et de la compassion. L'utilisation de la vidéo est, elle, d'une ingéniosité qui évoque celle de Heiner Goebels

Mettre en scène vient de se terminer. Il laissera des souvenirs qui nous font attendre avec impatience l'édition 2011.

Théâtre National de Bretagne tel 02 99 31 12 31

vendredi 19 novembre 2010

Shun-kin mis en scène par Simon Mc Burney

Alors que les spectacles que nous avons découverts ces jours derniers étaient d'un intérêt si mince qu'il était préférable de les passer sous silence, Shun-Kin, d'après ce géant de la littérature nippone qu'était Jun ' ichirô Tanizaki, provoque un durable choc esthétique. Il est vrai que Simon Mc Burney, l'une des plus grandes pointures de la scène britannique, est aux commandes et que celui par qui débute et se clôt la représentation n'est autre que Yoshi Oida, acteur de 77 ans connu par ses ouvrages sur l'art de la scène et sa contribution décisive aux créations de Peter Brook.

Une petite fille de la haute que le geste criminel d'une gouvernante a rendue aveugle est vénérée par Sakuze, un garçon d'origine obscure de quatre ans son aîné. Entre eux va très vite s'établir un lien sado-masochiste. La petite fille est une marionnette manipulée trois officiants. L'ironie est que c'est elle qui manipule son entourage. Son autorité est telle que tous tremblent devant ses colères qu'elle ne fait aucun effort pour juguler. Sa victime favorite est Sazuke qu'elle n'hésite pas sous les prétexte les plus futiles à battre comme plâtre.Ce qui n'est visiblement pas fait pour déplaire à son souffre douleur.

L'amour n'étant pas, comme le dit pertinemment le metteur en scène, un lac tranquille, les jeunes gens partent, cohabiter dès qu'ils ont rallié l'âge adulte. Shun - Ki ,à présent jouée par une comédienne, se distingue par sa maîtrise du shamizen, un instrument de musique traditionnel. Devenue une enseignante cruelle, elle essuiera une nuit les foudres d'un élève qu'elle a malmené. Défigurée, elle ne veut être vue de personne. Et Sazuke de se crever les yeux.

Comme dans L'éloge de l'ombre du même auteur monté en France il y a quelques années, la beauté réside ici dans l'obscurité.
La passion qu'éprouve la musicienne pour les mouettes qu'elle demande à son amant-esclave de libérer et qui toujours reviennent se réfugier dans leur cage, rappelle qu'au regard des japonais du temps jadis ( le roman se situe au 19e siècle) la vie est faite de moments fugitifs. L'extrême élaboration formelle du spectacle est d'un tel raffinement qu'on en reste bouche bée.
Alors que les rapports des deux personnages principaux est d'une brutalité intolérable, Mc Burney les traite avec une douceur
qui rappelle qu'en matière d'amour il n'est pas de rêgle qui tienne. Et qu'en matière de théâtre la grâce parfois surgit. Comme c'est le cas ici.

Dan le cadre du Festival d'automne Jusqu'au 23 novembre Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

jeudi 11 novembre 2010

Boris Godounov d'Alexandre Pouchkine

L'anglais Declan Donnelan confirme avec cette reprise de Boris Godounov interprété par des acteurs moscovites qu'il est l'un des grands noms de la scène internationale. Particulièrement judicieux pour ce qui est du choix et de la direction des comédiens, il fait reposer tous ses spectacles sur eux. Et sur l'absence résolue de décors. Le choc esthétique que provoquent ses mises en scène en est d'autant plus stupéfiant .

Moins réputé et plus rarement représenté que l'opéra qu'en tira Moussorsky, le drame de Pouchkine est une plongée dans cet empire du crime qu'était la Russie tsariste du 17e siècle. (la Russie actuelle n'a rien à lui envier) Après avoir fait égorger le tsarevitch âgé de 7 ans, Boris Godounov, après avoir fait mine de le refuser, a accepter de devenir le maître du pays. Un maître hanté par la jeune ombre de sa victime. Quelques années plus tard un moinillon prénommé Grigori mis au parfum par un vieil ecclésiastique s'enfuit de son couvent et gagne la Pologne où il se fait passer pour le défunt tsarevitch. Au cours d'une scène magistrale il avoue l'imposture dont il s'est rendu coupable à la fille de son protecteur de laquelle il s'était épris. Mais à son grand dépit elle le rejette. Prompt à trouver des arguments frappants il arrivera à ce qu'elle se ravise. Mais à certaines conditions...

Flanqué d'une troupe de soldats polonais, lithuaniens et cosaques il franchit la frontière russe, gagne des batailles puis en perd une décisive. Au plus noir de la débâcle il fait preuve d'une vaillance qui remobilise ses troupes. Bien qu'il dispose d'une armée nombreuse et rompue à la guerre, Godounov, qui a l'opinion contre lui, devra s'avouer vaincu.

Grâce à son prodigieux sens de la narration, le metteur en scène tient le public de bout en bout en haleine. Pour notre bonheur il revient bientôt avec La tempête jouée, elle, par des sujets de sa majesté.

Jusqu'au 16 nov Les Gémeaux 92 Sceaux tel 01 46 61 36 67

lundi 8 novembre 2010

Hymne à l'amour 2 d'après un livret de Paul Scaron

Tiré de la comédie de Paul Scaron ( premier époux de Madame de Maintenon) "L'héritier ridicule ou La dame intéressée", ce spectacle donne tout du long au spectateur le sentiment d'avoir la berlue. Juliette Gautier De Charnacé, dont c'est la première mise en scène emprunte aussi bien à Copi, qu'à David Lynch ou la comédie musicale trash. La pièce d'un baroque échevelé est à l'image du théâtre de l'âge d'or espagnol peuplé de personnages portés aux excès mais annonce aussi par son dénouement, au cours duquel un être vénal se trouve confondu, le Molière des "Femmes savantes" ou de "Tartuffe"

Pour interpréter un texte écrit en alexandrins il fallait évidement des comédiens qui savent y faire. Or beaucoup ont un jeu tâtonnant. Seuls s'en sortent Salomé Stevenin (qui a des moments incandescents,) Dorothée Dupuy-Puzin, Benjamin Guillard (qui a l'étoffe et la drôlerie d'un Sganarelle) et Cyrille Thouvenin à qui échoit le rôle rudement casse-gueule d'une femme affublée de robes d'une sidérante extravagance. Ce qui ne l'empêche pas de se raser le bas du visage... Alors qu'elle fait la chattemite, elle n'a pour but que se trouver un époux fortuné. La confusion des sexes est d'autant plus grande que loin de jouer les travestis, l'acteur incarne ce personnage avec sa voix d'homme. Cheveux en pétards, comme il l'aurait été dans par exemple Starmania, Vincent Martinez n'est, lui, pas du tout familier des phrases en vers. Pour arriver à s'en sortir il s'est, dit-il, inspiré des rythmes rap. Le prodige est qu'il y parvient.

La représentation est étoffée par la musique tantôt déstructurée, tantôt mélodieuse de ce grand artiste qu'est Ghédalia Tazartès Autre atout les apparitions de Dalidazartés qui chante d'une voix qui est un enchantement. Beaucoup seront consternés par les décors, lumières et costumes de ce théâtre déjanté. D'autres apprécieront que pour ses débuts une metteuse en scène se lance dans une entreprise aussi peu formatée.


Jusqu'au 21 novembre MC93 Bobigny tel 01 41 60 72 72

vendredi 5 novembre 2010

La passion corsetée d'après Madame de Lafayette

Alors qu'elle se consacrait ces dernières années à un théâtre documentaire où elle enregistrait les paroles des habitants du quartier de la Goutte d'or qu'elle restituait elle-même ou en chargeait d'autres comédiens, Laurence Février change cette fois radicalement de registre puisqu'elle a réalisé un montage de l'oeuvre maîtresse de Madame de Lafayette, La princesse de Clèves. Ce roman tendu à se rompre s'attache au destin de mademoiselle de Chartre que le prince de Clèves, ébloui par sa beauté, épouse en grande pompe.

La jeune femme rencontre chez la dauphine (soeur d'Henri II) dont elle est une dame de compagnie, le duc de Nemours, décrit comme un chef d'oeuvre de la nature. L'homme a la réputation d'être inconstant, d'aller de bras en bras. Mais cette fois, à la vue de la princesse, il sent son coeur chavirer. Le coup de foudre est réciproque. Il déclenchera des malheurs. C'est avec un sens aigu de l'analyse des sentiments que la romancière dépeint les étapes de cette passion qui provoquera en chacun des trois protagonistes une blessure à vif. Si le lumineux objet du désir qu'est la princesse n'arrive pas à combattre son trouble, elle est prête à tout entreprendre pour maîtriser ses actes. Et l'avenir des deux amoureux d'apparaître drapé de noir.

Laurence Février relate cette passion avec une grâce souveraine. Le spectateur, lui, est émerveillé et par son jeu et par la langue d'une stupéfiante séduction de Madame de Lafayette. On doit en définitive une fière chandelle à notre président qui en raillant ce joyau des lettres françaises l'a sorti du semi- oubli où il était tombé. Ajoutons enfin que la scénographe Brigitte Dujardin a réussi a créer l'illusion que le spectacle se déroule sur un vaste plateau alors qu'il est en réalité de dimension modeste.

Théâtre le Lucernaire tel 01 45 44 57 34

dimanche 31 octobre 2010

Un coeur en herbe de Christophe Botti

Mathan, un jeune provincial, créateur de mangas, débarque dans la capitale et se rend chez un écrivain dont il a fait connaissance via internet. Cet homme dont le temps s'est écoulé sans qu'il le remarque se dit prêt à encourager la vocation de son visiteur. Arrive son compagnon qui était censé être parti avec une de ses conquêtes à San Francisco. Fier de son corps bodybuildé, le prénommé Olivier est une caricature du gay qui écume les lieux de rencontre homosexuels.Au départ il prend le dessinateur en grippe puis tente de le séduire. Ce qu'il réussit presque à faire. Lui vient ensuite l'idée d'une triangulation amoureuse.

La pièce vaut essentiellement pour les réflexions perspicaces du romancier dont l'humour blessé, la hantise du vieillissement et l'intelligence coriace évoquent Yves Navarres, écrivain gay de qualité qui a eu la mauvaise idée de mettre fin à ses jours en 1994 à l'âge de 54 ans. Pour le reste "Un coeur en herbe" qu'a mis en scène Stéphane Botti, frère de l'auteur de la pièce, apparaît comme un document sur les habitudes et mentalités de l'univers gay parisien.

Loin des gaudrioles comme "Pauvre France " ou "La cage aux folles" mais aussi des spectacles semi porno aujourd'hui en vogue, la pièce évoque sans détours les désirs insatiables, l'attirance pour les attraits de la jeunesse et le mépris pour ceux dont le corps se flétrit qui caractérisent la communauté des hommes attirés par des individus du même sexe.

La seule réserve, mais d'importance, qu'inspire ce spectacle est qu'il soit immodérément étiré. Il gagnerait à subir quelques coupes et attirerait du coup un public moins concerné par son sujet.


Jusqu'au 31 décembre les jeudis, vendredis et samedis. Théâtre Clavel tel 01 48 72 91 79

lundi 25 octobre 2010

Le cas de la famille Coleman de Claudio Tolcachir

Auteur dramatique et metteur en scène argentin, Claudio Tolcachir (35 ans) nous entraîne au sein d'une famille ou plutôt d'une meute familiale qui vit dans la débine. Les rapports entre ses membres , une grand-mère qui en a vu de toutes les couleurs, une mère chez qui s'attarde l'enfance et ses quatre enfants, sont d'une intensité volcanique. Le décor : un chaos de chaises, tables et sofas en dit long sur l'état mental de la tribu.

L'un des fils est une gouape ténébreuse et alcoolique qui vit de mystérieux trafics, l'autre, un schizophrène, fait entendre l'humain qui réside dans la folie. Les filles sont moins prisonnières de ce monde clos où domine une agitation tintamaresque. L'une tente de se tirer d'affaire en faisant de la couture. L'autre vit loin de cet univers fracassé avec un mari prospère et deux enfants que les habitants du taudis n'ont jamais vus. Elle se sent néanmoins liée aux siens et financera l'hospitalisation de la grand-mère. La chambre dans laquelle la vieille dame est accueillie et où sa fille et ses petits enfants viennent la visiter ressemblera en un clin d'oeil au lieu miteux où elle essayait - sans grand succès - de veiller sur sa descendance. Au cours d'une scène hilarante la mère et son fils psychotique se retrouvent dans le lit de l'aïeule où il s'en faut de peu qu'ils ne se fassent, comme ils en ont l'habitude, quelques mamours.

La disparition de la grand -mère fera voler la famille en éclats. Alors que les frasques des uns et des autres mettaient jusqu'alors en joie, on est soudain, en voyant le frère dément demeuré seul, pris de mélancolie. Claudio Tolcachir, dont la pièce a fait un tabac en Argentine a un tel sens du rythme que les scènes s'enchaînent à une cadence sidérante. Il se révèle aussi comme un directeur de comédiens hors pair. Si ce spectacle fait un tel triomphe c'est essentiellement parce que ses interprètes nous laissent sur le flanc.

Dans le cadre du Festival d'Automne Juqu'au 13 novembre Théâtre du Rond Point tel 01 44 95 98 21

samedi 23 octobre 2010

Un pied dans le crime d'Eugène Labiche

En grande forme satyrique Eugène Labiche (1815 - 1888) brosse dans Un pied dans le crime, pièce tombée dans l'oubli que Jean-Louis Benoit a eu l'heureuse initiative de le sortir, un portrait peu flatteur de la bourgeoisie du second empire. Les personnages sont au choix des pleutres, des intrigants sans scrupules aucun et un commerçant aux revenus confortables qui, chose rare chez cet auteur, a un goût immodéré pour la gaudriole.

Cette pièce bouffonne tourne autour d'un juge appelé à décider du sort d'un de ses amis accusé d'un méfait qu'il a lui même commis. Alors qu'il tentait d'abattre un chat dont les miaulements l'exaspérait, cet homme qui est tout sauf une fine gâchette, a tiré sur un voisin qui depuis souffre de la présence d'une balle dans la partie la plus charnue de sa personne. Tourmenté par ses scrupules, il a la guigne de recevoir la visite d'un domestique -maître chanteur (Jean-Pol Dubois d'une désopilante rouerie) qui a été témoin de la scène. Ce qui évidement avive ses inquiétudes. Son épouse, une personne guindée, est, elle, prête à commettre les pires forfaits pour tirer son mari d'affaire


Philippe Torreton si décevant losqu'il jouait Richard III ou Don Juan qu'il avait eu la malencontreuse idée de mettre lui -même en scène, retrouve ici la grandeur de ses débuts. Certains de ses partenaires ont un jeu si appuyé qu'ils évoquent davantage des pantins que des individus; On suppose que le metteur en scène voulait de la sorte leur prêter la dégaine des caricatures de Daumier. Cette réserve faite cette comédie vaudeville entrecoupée de couplets chantés est un délice qu'on pourra savourer dans nombre de régions de l'hexagone.

Le 27 octobre Théâtre de Fréjus, les 4 et 5 Novembre Scène Nationale de Narbonne, du 13 au 16 nov La Coursive Scène Nationale de La Rochelle, 20 nov Théâtre de l'Olivier, du 25 au 27 nov Le Cratère Alès, du 2 au au 10 décembre Le Grand T Nantes, du 15 au 19 déc Théâtre de l'Odyssud Blagnac, les 6 et 7 janvier Espace Jean Legendre Compiègne, les 11 et 12 janvier Théâtre de l'Hexagone Meylan, du 18 au 22 janv Théâtre de la Commune Aubervilliers, du 26 au 30 janv Théâtre National de Nice...

dimanche 17 octobre 2010

Don Juan d'après Molière

Il est des spectacles légèrement bancals mais dont certains scènes sont d'une si puissante beauté qu'elles nous laissent pantois. C'est le cas de ce Don Juan auquel s'affronte Marc Sussi pour ses débuts dans la mise en scène. Les pérégrinations sexuelles de cet homme dans la force de l'âge que seuls attirent les paroxysmes de l'existence ont si fréquemment les honneurs de la scène qu'on a le sentiment qu'ils ne peuvent plus nous surprendre. Et pourtant....

Les comédiens, à l'exception de deux d'entre eux, Simon Eine, ce notable de la scène et Philippe Bérodot qui incarne un Sganarelle particulièrement succulent, sont tous de jeunes pousses dont le maître d'oeuvre a su tiré un ingénieux parti. On retiendra parmi les moments forts de la représentation celui où Don Juan reçoit son créancier ,monsieur Dimanche, à qui il jure une amitié indéfectible mais le flanque courtoisement à la porte sans lui avoir cédé le moindre écu.Un autre moment de pur délice est celui ou notre homme, afin de passer quelques heures dorées dans les bras d'une accorte paysanne promise à un autre, la baratine jusqu'à lui promettre le mariage. Une seule comédienne joue les trois rôles féminins, celui d'Elvire dont les amples épanchements de douleur laisse son séducteur de marbre et ceux des filles de la campagne.Le final enfin, où le "héros" sourd aux sermons de son valet comme aux amers reproches de son père, se fait, d'une manière qu'il serait de mauvais goût de dévoiler, dévoré par le feu.

Ceux qui ont découvert ce Don Juan lors de sa création l'ont parfois mal accueilli. Il s'est au fil des représentations nettement étoffé. La preuve : le jeune public qui occupait les trois quarts de la salle était on ne peut plus attentif à la parole insoumise et aux manigances du plus célèbre jouisseur du théâtre classique

Jusqu'au 22 octobre Bastille tel 01 43 57 42 14 .

mercredi 13 octobre 2010

Bidules Trucs de Pierre Notte

Nouveau fleuron de la scène hexagonale, Pierre Notte se joue dans "Bidules Trucs" de toutes les frontières. Il a en effet écrit six contes qui s'adressent aux enfants autant qu'aux adultes qui les accompagnent. Comme il est aussi musicien il ponctue ces historiettes de chansons d'un charme certain jouées sur un piano qui ne cesse de se transformer. Au début il sert de support à des figurines dont l'une est un petit môme, une autre une statuette de lion qui parle d'abondance, une troisième une matrone fan d'opéra que la simple vue d'un enfant met hors d'elle.


Comme l'auteur vit de plein pied avec le loufoque et le merveilleux il nous fait faire connaissance avec un représentant de la force publique qui demande ses papiers à ... un chat qui va dans la nuit sans craintes ni lunettes. Celui-ci lui répond qu'il ne peut en posséder puisque, contrairement au kangourou, il n'a pas de poche. Une autre saynète tourne autour d' une princesse narcissique et mal commode. On se retrouve plus tard en pleine Révolution avec une comédienne qui interprète un Louis XVI bien décidé à faire couper les têtes des meneurs et une Marie - Antoinette, évidement campée par un homme, qui propose de préparer une choucroute il va de soi géante.

Cet humour fêlé convient à merveille - et c'est une surprise - au metteur en scène Sylvain Maurice. Il bénéficie avec Eric Garmirian (par ailleurs instrumentiste) Nadine Berland et Arnault Lecarpentier (tous deux également manipulateurs de marionnettes) d'une interprétation hors pair. L'imaginaire hors de contrôle de Pierre Notte nous laisse une fois de plus béât de reconnaissance.

Tous les mercredis, samedis et dimanches en début d'après-midi La Bruyère tel 01 48 78 88 21

mardi 5 octobre 2010

Le gorille d'après une nouvelle de Franz Kafka

Dans La métamorphose Kafka plonge dans le cauchemar d'un homme qui un matin se découvre transformé en insecte. Dans la nouvelle Rapport pour une académie il imagine un parcours inverse : un gorille est capturé au coeur d' une jungle luxuriante après avoir été atteint de deux balles. Il est embarqué dans un navire à destination de l'Europe et enfermé dans une cage. A son arrivée il a le choix soit de couler des jours monotones dans un zoo soit de se produire dans un music hall. Il opte pour la seconde solution. Mais pour cela il lui faut acquérir la parole autrement dit se transformer en homme.

Devenu un individu opulent il tente de se fondre dans le paysage c'est à dire dans la jungle des humains à l'égard de laquelle, quand il aura découvert les pièges dont elle est hérissée, il émettra de vertes critiques. Convoqué devant les augustes membres d'une académie il ne mâchera pas ses mots pour exprimer son inadéquation au monde de ceux que l'écrivain Vercors appelait les animaux dénaturés.

Seul en scène, Brontis Jodorowsky transformé en homme -singe a la mémoire longue et l'esprit en courroux. On sait que le déracinement produit des pathologies sociales. Ce qui est vrai pour les humains l'est aussi, l'acteur en fait superbement la démonstration, pour ceux qui appartiennent au règne animal. Alors qu'il a constamment les nerfs en pelote, il ne connaît d'apaisement que dans les bras d'une petite guenon. Hélas son regard d'animal domestiqué finira par l'exaspérer. Ce n'est que dans l'éructation qu'il trouvera la force de faire face à sa nuit. L'adaptation et la mise en scène de ce spectacle résolument belliqueux sont l'oeuvre d'Alejandro Jodorowsky, artiste à multiples facettes et père du comédien.

Jusqu'au 27 novembre Lucernaire tel 01 45 44 57 34

dimanche 3 octobre 2010

Toâ de Sacha Guitry

Lorsqu'il monte en 1949 Toâ, nouvelle mouture de Florence qu'il créa dix ans plus tôt, Sacha Guitry a perdu de sa superbe. Il n'est plus le séducteur impénitent de ses pièces d'avant-guerre. Bien qu'il n'ait jamais eu maille à partir avec l'occupant et qu'il continua tout au long des années noires à décrire, au théâtre comme au cinéma, des rapports amoureux fluctuants, personne jamais n'apporta la preuve qu'il collabora. Il connaît à présent la solitude de l'artiste et comme il l'a fait durant toute sa carrière il transpose sa vie privée dans ses oeuvres et fait preuve en matière d'état d'âme de plus de sincérité.

Alors qu'il se laisse griser à ses propres propos, il est vrai pétillants d'esprit, dans un salon calqué sur celui de son hôtel particulier, une spectatrice le prend à partie. On apprend bientôt qu'il s'agit d'une de ses anciennes conquêtes. Le voilà bien penaud. Son ex amie finira par monter sur la scène et fera la paix avec celui qui fut, comme on disait, son galant.

C'est merveille de voir Thomas Joly, un très jeune metteur en scène porter son choix sur une pièce d'un homme qu'on considérait comme un parangon de futilité bourgeoise, pire comme un champion du bon mot. Il ne se contente pas de mettre en relief la pièce, sans doute celle à la facture la plus originale des 155 écrites par le maître, mais s'attribue le rôle principal, comme le faisait immanquablement l'auteur du Roman d'un tricheur.

Mais alors que Guitry parlait d'une voix posée et bien articulée, comme il était de mise à l'époque, Thomas Joly et ses acolytes ont adopté le jeu vif en vigueur de nos jours. Toâ apparaît du coup d'une déconcertante modernité

Jusqu'au 17 octobre Théâtre Gérard-Philipe 93 Saint- Denis tel 01 48 13 70 00

vendredi 1 octobre 2010

Les soliloques de Mariette d'après Albert Cohen

Vieux loup des lettres, Albert Cohen écrivit avec Belle du seigneur son oeuvre la plus fameuse. Anne Quesemand et Anne Danais, son interprète, ont eu la riche idée de créer un spectacle à partir des 4 chapitres consacrés à Mariette, la nounou d'Ariane restée à son service alors qu'elle est déjà adulte. Mariette qui n'est pas sans faire songer à la Félicité d'Un coeur simple de Flaubert éprouve pour Ariane une tendresse qui irradie à chaque phrase. Elle déplore - et se félicité! - qu'elle se soit mariée à un homme qu'elle juge indigne d'elle.

Utilisant le sabir de son enfance et usant d'un accent qui était celui de ses aïeux et qu'elle retrouve chez quelques vieux amis qu'elle a conservé en Charente où elle anime un café théâtre, Anne Danais incarne avec une savoureuse finesse cette femme au caractère bien trempé. Son monologue, elle le parsème de chansons populaires des années 30 souvent tombées dans l'oubli.

L'amusement que suscite ses propos désordonnés sur les membres de sa famille, les maux qui l'accablent ou sur les autres personnes au service de sa tant aimée Ariane va décroître lorsque celle-ci rencontre le grand amour. Se sentant mise sur la touche par celle dont elle se considérait comme une seconde mère, la pauvre Mariette, comme elle s'appelle elle-même, commence à maugréer. Puis trouvant asphyxiant le climat du logement du nouveau couple, elle finira par plier bagage. C'est plaisir que de voir une si truculente comédienne défendre un texte tout ensemble désopilant et poignant.

Jusqu'au 10 octobre Petit Montparnasse tel 01 43 22 77 74

mardi 28 septembre 2010

La loi du marcheur (entretien avec Serge Daney

On connaît surtout le comédien Nicolas Bouchaud grâce à la virtuosité de son jeu dans les spectacles de Jean - François Sivadier. S'appuyant sur "Itinéraire d'un ciné-fils", l'entretien que Serge Daney accorda à Régis Debray,, il change radicalement de registre. Sous la baguette d'Eric Didry il devient Daney, cinéphile et critique dont la pensée en fusion reste une référence majeure aux yeux de tous ceux pour qui le cinéma n'est pas mort.

Il commence par évoquer son enfance dans la France appauvrie et disqualifiée d'après-guerre. Le cinéma, que, emmené par sa mère, il fréquente dès ses jeunes années, lui offre ses premiers émerveillements. Il se souvient avec amusement que les films français avaient à l'époque pour vedettes les très réactionnaires Pierre Fresnay et Jean Gabin. Difficile pour un môme de s'identifier à ces monstres sacrés déjà plus de première jeunesse. Il leur préfère -qui s'en étonnera?, -les américains James Stewart ou Cary Grant. Un drap blanc occupe le fond de la scène. Y sont projetés notamment des extraits de Rio bravo d'Howard Hawks, qui restera son film-culte.

Plus tard il se remémore avec une douce auto-dérision le voyage qu'il entrepris avec son ami Louis Skoreki à Hollywood afin d'y rencontrer ces génies à leurs yeux qu'étaient évidement Howard Hawks mais aussi Leo McCarey et bien d'autres. Comme ils écrivaient pour Les Cahiers du cinéma, revue déjà prestigieuse, toutes les portes s'ouvrirent devant eux qui, se prenant très au sérieux, posaient à leurs interlocuteurs des questions qui les laissaient perplexes...

Quelques années encore et il est engagé à Libération où, veilleur inquiet de son temps, il commence à trouver, comme il en fit le constat, "critique l'état du cinéma". Il y dénonce déjà la main mise de la télévision et son langage codé qu'il appelle très justement une évangile. Il déplore aussi le retour de manivelle conservateur. Que dirait-il de la France sans illusions de ce début du 3e millénaire?

Le seul regret que nous laisse cet inclassable monologue porté par la prestation d'une remarquable vivacité de Nicolas Bouchaud est qu'on n'y entende pas la voix de Serge Daney si révélatrice de son exceptionnelle intelligence. Atteint du sida Il nous a quitté en 1992.

Jusqu'au 16 octobre Dans le cadre du Festival d'Automne Théâtre du Rond Point tel 01 44 95 98 21

dimanche 26 septembre 2010

Des jours et des nuits à Chartres de Henning Mankell

Le centre de gravité de cette pièce du suédois Henning Mankell, surtout réputé pour ses polars au climat "bergmanien", est une photo prise à la libération de la France en 1944 par l'américain d'origine juive hongroise Robert Capa. Au centre de ce cliché une femme tondue portant un nourrisson dans ses bras est entourée d'une foule, composée surtout de personnes plus âgées du sexe dit faible aux visages consumés par la haine.

Simone (Fanny Valette, une révélation découverte dans le film La petite Jérusalem de Karin Albou), c'est le nom de la jeune femme dont l'écrivain reconstitue l'histoire en y ajoutant certains épisodes et en en supprimant d'autres, ne fit pas partie des supplétifs des nazis. Son crime est d'avoir aimé un soldat allemand, qui comme la grosse majorité de ses concitoyens adulait Hitler, et d'avoir eu un enfant de lui. Jetée en prison elle attend son procès à l'issue duquel elle risque la peine de mort. La terreur palpite dans son regard lorsqu'une femme dont elle n'a pas eu le pouvoir de faire libérer le fils adolescent et l'un des ses gardiens viennent la tourmenter. Là se situe la scène la plus forte de la représentation : révulsé par le comportement du gardien qui, comme lui, fut un jeune maquisard, son collègue lui reproche de se laisser guider par des pulsions barbares. Avec ses mots Il prévient celui qui fut son compagnon de lutte qu'il pourrait s'il continue de la sorte, connaître ce que Primo Lévy appelait "la honte d'être un homme"

La jeune femme, que seul soutient un père courage, sera condamnée à une sanction carcérale et à dix ans d'indignité nationale. Mais ces événements l'auront ravagés à vie. Grâce à des changements de décors virtuoses et à une direction d'acteurs sans faille, Daniel Benoin réussit là une mise en scène qui force l'estime. Il rend ainsi un hommage amplement mérité à Robert Capa (lequel sauta sur une mine en 1954) qui disait vouloir, dans ses photos, "fixer l'insondable". Pour des raisons qu'on ne s'explique pas Henning Mankell, malgré les nombreuses propositions qui lui sont faites en Suède, refuse que cette pièce soit montée ailleurs qu'en France. Les femmes continuent pourtant d'être de par le monde des victimes expiatoires de choix

Jusqu'au 23 octobre Théâtre National de Nice tel 04 93 13 90 90

vendredi 24 septembre 2010

Les femmes savantes de Molière

Dès le début de cette avant dernière pièce de Molière le ton est donné. Martine, la vieille domestique de Chrysale, le maître de maison, est chassée par Philaminte, son épouse. A t-elle commis un larcin? Volé de l'argent? Pas le moins du monde. Mais elle a fait bien pire en s'acharnant à parler comme les gens de sa condition, estropiant ainsi la langue ce qui a pour effet de blesser les oreilles de madame. Celle-ci et les femmes de la famille sont sous l'empire de Trisotin, un pseudo poète qui a de lui-même une vision grandiloquente.

Comme dans Les précieuses ridicules mais avec davantage de véhémence, Molière s'en prend ici au pédantisme de salon. Cette pièces fait d'ailleurs écho à plusieurs de ses précédentes réussites. Comme dans Tartuffe il traque les comportements hypocrites d'un homme qui a réussit à embobiner une personne fortunée. Philaminte est aussi dupe des flatteries de son protégé que l'était Orgon de la fausse humilité du sieur Tartuffe. Elle exerce de plus un ascendant terrifiant sur son mari qui même lorsqu'il s'agit du mariage imposé à Henriette, sa plus jeune fille, avec Trisotin dont il perçoit pourtant la cuistrerie, n'ose formuler son désaccord. C'est Ariste , son frère, qui réussira à confondre l'imposteur.

Bruno Bayen, qui revient à la Comédie Française après en avoir été écarté pour avoir voulu mettre en scène une pièce de Peter Handke lequel ne faisait pas mystère de son soutien à Milosevic, s'est bien gardé de réaliser un spectacle anti-féministe.Ce qu'il pointe est l'imposante bêtise de femmes qui veulent fonder une académie des lettres avec le projet d'éliminer les termes qui mettent leur sensibilité à trop rude épreuve tels ceux commençant par "cu" ou "con". N'étaient ce quelques emprunts à des époques récentes telle une scène bercée par l'air des "petits papiers" chanté il y a quelques années par Régine, le spectacle est des plus réjouissants. Si les comédiens sont unanimement à leur affaire on tient néanmoins à souligner l'interprétation toute en finesse d'Isabelle Gardien qui campe une Bélise d'une irrésistible drôlerie. C'est là vraisemblablement sa dernière apparition dans une création de la Comédie Française qu'elle quittera -mais pas de son plein gré - dans peu de temps.

Jusqu'au 7 novembre Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 00

mardi 21 septembre 2010

I demoni "Les démons" de Fedor Dostoïevski

Peter Stein, qui régna de 1970 à 1987 sur la prestigieuse Schubühne de Berlin et s'est désormais fixé en Italie, fait son retour au festival d'automne. Certains gardent le souvenir ébloui de l'Orestie, des Trois soeurs de Tchekhov et des Estivants de Gorky qu'il monta avec des comédiens allemands et présenta en France. Il s'attaque cette fois à l'oeuvre proliférante de Dostoïevski Les démons aussi connue sous le titre Les possédés qu'il a lui même adapté pour la scène.

Une trentaine d'acteurs italiens occupent le plateau et restituent la puissance visionnaire de ce monument de la littérature russe. Il serait vain de tenter de résumer cette fresque de quelque dix heures dont la plupart des personnages sont en proie à des pulsions homicides ou suicidaires. Metteur en scène de tout premier plan, Peter Stein a opté pour un jeu et des décors minimalistes. Ce qui dans un univers où chacun se singularise par une présence forcenée est particulièrement téméraire.

L'un, Stavroguine, se roule dans l'abjection. La scène où il confie ses infamies à un pope qui, au début du moins, a l'écoute flottante d'un psychanalyste, est sans doute la plus saisissante du spectacle. Piotr, un des autres principaux protagonistes est à la tête d'un groupe de révolutionnaires. Il s'agit en réalité d'un voyou consommé qui dévoie avec un cynisme qui va jusqu'au meurtre les idéaux de ceux qu'il tient sous sa botte. On pense évidement tout au long de ces scènes aux purges orchestrées par Staline et plus près de nous aux noyautages des groupes gauchistes par des individus à la solde du pouvoir. Comme le déroulement de ces innombrables événements se déroule dans la Russie tsariste on croise quantité d'hommes qui ont troqué leurs convictions religieuses pour les idéologies anarchistes ou nihilistes. Ce qui est un peu à l'inverse de ce qui s'y passe aujourd'hui où la croyance dans le divin est revenue en force.

Comme dans toutes les créations qu'on a pu voir de lui, Peter Stein témoigne ici de la capacité du théâtre à capter les remous infects ou nobles qui traversent la société des humains.

Jusqu'au 26 septembre Odéon - Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

dimanche 19 septembre 2010

Les acteurs de bonne foi de Marivaux

Longtemps aux commandes du Théâtre des Amandiers de Nanterre, Jean-Pierre Vincent n'y a pas réalisé de mises en scène mémorables. Il y revient aujourd'hui avec un spectacle digne de sa prestigieuse réputation. Il a choisi pour cet événement la dernière pièce de Marivaux "Les acteurs de bonne foi "sur laquelle il n'a pas pas hésité à greffer de nombreux rajouts. Se rappelant la querelle qui opposa Rousseau (qui considérait le théâtre avec mépris) et d'Alembert (qui le défendait avec fougue), l'auteur dramatique (dont cette courte oeuvre ne fut jamais représentée de son vivant), Vincent l'étoffe de réflexions du philosophe des lumières mais aussi de phrases puisées dans L'épreuve, autre petite merveille née sous la plume acide de Marivaux.

Alors qu'un impromptu doit être joué par de jeunes domestiques et paysans dans la propriété de Madame Argante,, une campagnarde fortunée mais d'une ardente sévérité, celle-ci met son holà. Ce qui déplaît à madame Amelin, une citadine qui aime le théâtre et dont le neveux doit épouser la fille de l'austère hobereaute. Mais sous les dehors de femme du monde de la dame Amelin se tapit un sadisme dont son adversaire devient le jouet. Celle-ci, malgré son parler apprêté, n'en mène pas large.

Comédiennes riches de ressources Laurence Roy et Annie Mercier -dont les rôles ont été densifiés - ont ici l'occasion de montrer l'étendue de leur talent . Elles jouent avec une finesse réjouissante du contraste des personnages qu'elles incarnent. Elles sont entourées de jeunes acteurs qui jamais ne déméritent. Et si Marivaux est dans cette pièce tardive au sommet de son art, Jean-Pierre Vincent l'est tout autant.

Jusqu'au 23 octobre Théâtre Nanterre-Amandier tel 01 46 14 70 00

mercredi 15 septembre 2010

Famille (s) -Triptyque

Pour ses débuts dans la mise en scène Crystal Shepherd-Cross a porté son choix sur trois courtes pièces qui se faufilent au sein de la famille, ce lieu où naissent les frustrations qui croupissent en chacun de nous. Ces textes qui cognent ont été écrits par ces talentueux cambrioleurs d'intimité que sont Philippe Minyana, Carole Frechette et Noëlle Renaude.

"Madame reçoit" de Philippe Minyana nous immerge dans le vide palpable où se retrouvent les après- midi dominicales les membres d'une famille nucléaire. Comme on n'a rien à se dire mais qu'on nourrit des griefs envers chacun, on se chamaille à propos de n'importe quoi, par exemple la chaise qu'on aime occuper. Pour que s'apaisent les conflits, la mère achète une banquette en skaï. Solution évidement dérisoire.

Dans "La pose" Carole Frechette décrit le retour de Marie-Luce pour qui toutes les occasions sont bonnes pour se faire la malle tandis que son frère végète dans un peu tonifiant quotidien. Quelqu'un (on ne saura jamais qui et peu importe) a l'idée, puisque voilà tout le monde réuni, de tirer un portrait de groupe. Mais personne ne sait où se poser ni quelle attitude adopter. De vieux antagonismes refont surface jusqu'au moment où la fille, suivant la courbe de ses souvenirs, se remémore une photo prise sur une plage quand elle était âgée de huit ans et qu'elle devinait le désir de ses parents pour des personnes rencontrées au cours de ces vacances.

Fidèle à son univers, Noëlle Renaude tricote dans "Bon Saint-Cloud" une intrigue où la filiation joue un rôle majeur. Le père, fumeur invétéré, finira par lâcher la rampe alors que la mère souffre de maux de tête et a de plus en plus souvent des moments de confusion mentale. A la génération suivante, c'est la fille devenue mère qui est victime de migraines. Ses enfants ne lui manifestent cependant que de l'indifférence.

Les acteurs, dont certains sont fraîchement émoulus des écoles de théâtre, font preuve d'une finesse d'autant plus déconcertante qu'il leur faut dire les didascalies, tandis que sur les murs sont projetés des phrases qui en disent long sur l'état d'esprit - dont ils ne sont pas toujours conscients - de leurs personnages.

On a compris que Crystal Sheperd-Cross appartient à la confrérie des metteurs en scène portés par le goût de l'incongru.

Juqu'au 25 septembre Ciné 13 Théâtre tel 01 42 54 15 12

jeudi 9 septembre 2010

5 clés de Jean-Paul Wenzel

Après le succès rencontré par Loin d'Hagondange, sa première pièce, Jean-Paul Wenzel connaît une gloire plutôt confidentielle. Pour la simple raison qu'il n'en a rien à battre du milieu qui fait et défait les carrières et qu'il prouve ici, une fois de plus, que la magie de son verbe procure une émotion que des auteurs dramatiques plus en vogue sont bien incapables de dispenser.

Le spectacle qui comporte quatre volets - et non cinq comme il était initialement prévu - met à nu la misère affective de personnages desquels on se sent d'emblée très proches. Telle cette jeune fille qui attend du garçon qui l'a entraîné dans un taudis où il prétend habiter, qu'il lui fasse découvrir les plaisirs de la sexualité. Mais son partenaire est aussi ignorant qu'elle des choses de l'amour. Tandis que celle qu'il convoitait prend la porte une détresse irrépressible s'empare de celui qui transformait en poèmes ses rêves étoilés.

Les pièces suivantes dépeignent des personnages qui se rencontrent inopinément tels un soldat peut être déserteur et une toute jeune femme qui a refusé de fuir devant l'avancée d'une armée d'envahisseurs. Ce que ces écrits par ailleurs si dissemblables ont en commun est qu'ils ne se situent jamais dans une époque précise et qu'un virage au noir empêche un climat qui allait devenir trivial de s'installer. Horizon incertain est d'une autre veine qu'on pourrait qualifier de durasienne. Une plage l'hiver. S'y croisent un homme aux funestes errances et la femme à laquelle il était autrefois lié. La peine qu'a provoqué en chacun d'eux leur séparation ne s'est jamais éteinte.

Grâce à des comédiens d'une saisissante intensité tels que Lou Wenzel et Thibault Vinçon, mais aussi une musique que Jean-Paul Wenzel - qui cumule les fonctions d'écrivain de metteur en scène et de comédien - utilise en orfèvre, cette soirée inclassable est de celle qu'il convient de recommander.

Juqu'au 9 octobre Théâtre Le Lucernaire tel 01 45 44 57 34

jeudi 2 septembre 2010

Ce qui arrive et ce qu'on attend de Jean-Marie Besset

Bonnes nouvelle : cette pièce écrite en 1988 par Jean-Marie Besset n'a pas pris le moindre coup de vieux. Son vocabulaire étudié a conservé toute sa séduction et ses traits d'une hilarante insolence mettent toujours autant en joie. Il est pour le reste amusant de constater qu'il était déjà convaincu qu'il n'est pas un hétérosexuel qui n'a, tapi au fond de lui, une attirance pour les individus de son sexe.

Un concours a été lancé auprès d'architectes dont la tâche est d'imaginer la forme que prendra le premier bâtiment construit sur la lune. Parmi les candidats un homme encore jeune qui vient avec sa compagne de passer cinq ans en Afrique. Contrairement à son principal concurrent , il connaît l'âpreté d'une existence reléguée et est d'un caractère plutôt ombrageux et même parfois éruptif. Il lui faut s'affronter à une femme infatuée de la gloire d'être membre de la Haute administration et surtout à un homme de son âge à qui il fut jadis lié. Atteint du sida, ce fonctionnaire zélé, qui sait qu'il va sous peu basculer dans l'inconnu de la mort, a garder intacts ses sentiments pour son amour de jeunesse. Lequel va finir par se rendre compte que tous ont sur lui des visées sexuelles auxquelles il est moins insensible qu'il le prétend.

Si la mise en scène ne frappe pas par son originalité, Arnaud Denis qui l'a réalisé, se révèle en revanche excellent interprète. Tout comme Adrien Melin dont le jeu sobre et précis est l'un des principaux atouts du spectacle. On retrouve aussi avec plaisir Virginie Pradal, irrésistible dans un rôle d'impérieuse hystérique. La représentation semble avoir souffert d'un financement serré ce qui explique sans doute la platitude du décor qui se veut chic mais ne l'est pas du tout.

Jusqu'au 31 octobre Vingtième Théâtre tel 01 43 66 01 13

jeudi 19 août 2010

La pleurante des rues de Prague de Sylvie Germain

Auteure réputée pour son indépendance d'inspiration et son écriture à la puissance mélodieuse, Sylvie Germain passa quelque six ans à Prague. Elle y croisa à plusieurs reprises une géante claudicante et disgracieuse qui manifestement ne se souciait pas le moins du monde de sa mise. Le temps passant la narratrice fait la découverte que la passante n'est pas faite de chair et de sang mais de larmes. Celle-ci n'a pas de visage et porte ainsi le poids de tous ceux dont la condition fut sans espoir. Au premier chef les victimes du Judéocide.

C'est ainsi qu'elle évoque les enfants assassiné de Terezin, un père qui dessinait sur le mur de leur misérable logis des fleurs afin que sa petite fille ait, avant de partir en fumée, un reflet de la beauté du monde et le doux Bruno Schulz, écrivain et peintre d'une incomparable ferveur qui fut abattu d'une balle dans le dos par un officier nazi. La mémoire en crue, l'auteure revoit aussi son propre père cloué par la maladie qui l'emportera
Alors qu'elle semblait avoir disparu la créature d'outre - monde resurgit sous la forme d'une colosse informe. La passante est l'exact contraire du Golem, colosse lui aussi mais fait d'argile auquel donna vie un rabbin, chimiste et philosophe afin qu'il protège la communauté juive de Prague. Car en poursuivant son chemin abrupt et en traversant les murs, la narratrice rappelle l'anéantissement de cette communauté. Elle finit par disparaître de ces rues au charme lugubre sans doute pour aller frayer avec les vivants et les morts d'autres régions du monde touchée par le malheur.

Claire Ruppli qui a choisi d'interpréter ce texte le fait à la manière d'une mélopée. Une prestation qui remue les coeurs.

Jusqu'au 9 octobre Les déchargeurs tel 08 92 70 12 28

lundi 9 août 2010

Les oranges d'Aziz Chouaki

Aziz Chouaki réussit l'exploit de raconter en à peine plus d'une heure l'histoire précipitée et sanglante de l'Algérie. Si le comédien Azzedine Benamara et sa partenaire Mounya Boudiaf ont au début, à cause d'une écriture bourrée de fioritures, du mal à capter l'attention, il en va tout autrement par la suite. Avec des mots d'une simplicité ravageuse l'auteur évoque la présence française, la guerre qui se déclencha en 1954 et évidement l'indépendance avec son "corso fleuri de promesses". Après avoir pavoisé pendant huit jours, la foule algérienne ne va plus cesser de dérouiller. Et l'interprète, à présent remarquable, devient le greffier des souffrances de son peuple.

Le plus surprenant est que c'est d'une écriture joyeuse et des juxtapositions inattendues de mots que Chouaki décrit cette société défigurée par la violence. En particulier celle des barbus ignares persuadés qu'eux seuls sont en ligne directe avec Dieu. Il ne fait pas de doute qu'en dépit de ses descriptions d'un monde tout en nervosité agressive, il a pour son pays et surtout pour la ville maritime d'Alger un attachement organique. Comment sinon pourrait-il en parlant de la mer se souvenir "de ses odeurs qui fouettent les narines"?

Laurent Hatat qui assure la mise en scène n'est pas seulement un directeur d'acteurs de haut vol. L'absence de décor lui laisse les mains libres pour donner des élans inédits à un texte à priori peu fait pour la scène mais qui dépeint avec tant de justesse une population qui aujourd'hui encore n'a pas un mètre d'avenir devant elle. Si ce "conte contemporain" comme l'appelle l'écrivain a pour titre Les oranges c'est sans doute en mémoire de cet âge d'or où musulmans, juifs et catholiques vivaient en harmonie en Andalousie. Les jardins de Grenade n'étaient -ils pas plantés d'orangers?

Jusqu'au 21 août Lucernaire tel 01 45 44 57 34

vendredi 6 août 2010

Bussang 2010

Le théâtre du Peuple fondé par Maurice Pottecher fils d'un industriel vosgeois, dans le but de faire comprendre aux ouvriers qu'il est d'autres horizons que la ligne bleue des Vosges, fête cette année ses 115 ans d'existence. C'est en mettant en scène dans un théâtre en bois des farces de Molière, qu'il faisait jouer dans le langage local par les villageois, qu'il se lança dans l'aventure. Cet acte de paternalisme social n'était pas aussi aberrant qu'on a pu le croire à certaines époques puisque le lieu n'a guère changé, qu'à chaque représentation la salle est comble et que les metteurs en scène, obligés par les statuts d'offrir des rôles à des comédiens amateurs, peuvent se permettre de choisir des pièces riches en personnages. Ce que seule peut s'autoriser la Comédie Française...

Deux spectacles sont à l'affiche. L'un, qui se voit en matinée, mêle professionnels et amateurs. L'autre donné en soirée est l'affaire de gens du métier. Il s'agit cette année d'une opérette intitulée Le gros, la vache et le mainate. L'auteur en est l'actuel directeur des lieux, Pierre Guillois qui en a confié la mise en scène à Bernard Menez et n'y va pas avec le dos de la cuillère. La première scène donne le ton où un gros tout sourire chante et danse sa joie d'être enceint. La suite tient encore bien davantage du burlesque provocateur. Les moments les plus savoureux, les plus égrillards aussi on les doit à Jean-Paul Muel et à Pierre Vial qui jouent deux tatas, véritables chipies qui n'arrêtent de s'asticoter et de tenir des propos salaces.On ne dira rien de leurs comportements sauf que même Copi n'aurait osé les imaginer.


Parlant de ce petit monde en surchauffe, Jean-Paul Muel a cette phrase d'une frappante justesse: "c'est l'incursion des Marx brothers chez Pirandello". Pierre Guillois, en effet, ne se prive pas du plaisir d'introduire une pièce dans une autre. Il est des moments où la pitrerie semble tourner en rond. Mais quelques secondes plus tard on se surprend de nouveau à hoqueter de rire. C'est sur un tableau d'une surprenante beauté que se clôt cette frappadinguerie.


Tout autre est évidement Peau d'âne qu'a reécrit et monté Olivier Tchang Tchong. Il est clair, tant le danger de l'inceste que veut commettre un roi avec sa fille tout juste devenue femme, est présent que le metteur en scène a lu attentivement La psychanalyse des contres de fées de Bruno Betelheim. Le conte se transforme du coup en tragédie élisabéthaine. Une très belle scénographie et des scènes interprétées dans la lumière naturelle donne à cette version trash de l'oeuvre de Charles Perrault des accents inédits.

Jusqu'au 28 août Théâtre du Peuple-Maurice Pottecher tel 03 29 61 50 48 Peau d'âne à 15h Opérette barge Le gros, la vache et le mainate à 20h30

dimanche 18 juillet 2010

La dame de chez Maxim de Georges Feydeau

Jean-François Sivadier ne pouvait qu'être séduit par l'absurdité désopilante du théâtre de Feydeau dont il ne fait plus un plis qu'il avait un grain. Parmi les nombreuses pièces qu'il a laissé une de celles qui virent le plus à la mascarade grotesque étant La dame de chez Maxim, il s'est rué dessus.

Le docteur Petypont ramène chez lui après, une nuit arrosée, une gigolette surnommée la Môme crevette A son réveil il a la méchante surprise de la trouver dans son lit. L'affaire se corse quand débarque d'Afrique sans crier gare un tonton à héritage.Le pétulant parent prend la môme, qu'il trouve visiblement à son goût, pour la légitime de son neveu. Celui-ci le laisse dans l'erreur. Se bousculent d'innombrables quiproquos auxquels se trouvent mêlés la véritable madame Petypont, une givrée de dieu, et un intime du couple que le peu vaillant docteur fait passer aux yeux de son visiteur pour le mari de sa femme.

Comme dans Occupe toi d'Amélie, cet autre sommet de drôlerie hélas rarement monté, c'est l'arrivée inopinée d'un oncle fortuné lequel interprête de travers les événements dont il est témoin qui jette en pleine tourmente la société de gens de mauvaise foi à laquelle il se trouve mêlé. Le seul personnage qui peut garder la tête haute est la Môme crevette qui fait croire aux dames de la meilleure société provinciale que son langage relâché et ses manières lestes sont du dernier chic parisien.

Les acteurs doués d'une sacrée puissance facétieuse sont tous de vieux compagnons de route de Jean-François Sivadier dont ce spectacle qu'il créa il y a deux ans méritait largement une reprise.

Jusqu'au 31 juillet Théâtre Monfort Dans le cadre de Paris Quartier d'Eté tel 01 56 08 33 88

samedi 10 juillet 2010

15e festival de la correspondance de Grignan

Anne Rotenberg ne s'y est pas trompée en faisant donner le coup d'envoi de ce festival avec les lettres qu'adressa Madame de Sévigné à sa fille Madame de Grignan qui vivait au château qui domine le village. Le thème de la manifestation étant cette année le théâtre, elle a eu le bon goût de demander à Macha Meril , comédienne dont la prestance évoque Edwige Feuillère, de lire des extraits de ses observations sur les spécificités de son époque faite par cette mère, qui se sentait avec sa fille en résonance profonde.

La scène occupe dans ces missives toute en délicates coquetteries une place de choix. Elle parle abondamment de Corneille qu'elle vénérait et de Racine dont elle appréciait peu la mentalité courtisane mais admirait le talent en particulier dans Esther qu'elle découvrit en compagnie du Roi et de Madame de Maintenon. Macha Meril joue des scènes de quelques unes de ces oeuvres à la beauté toujours aussi prenante ce qui a pour effet de faire scintiller sa prestations d'instants magnifiques . Et Madame de Sévigné d'apparaître comme la créatrice de l'auto-fiction.

"Jean Vilar et ses compagnons "qu'a mis en espace Richard Brunel et où Myriam Boyer entourée de deux jeunes partenaires apporte le renfort de sa célébrité, raconte l'odyssée de quelques artistes qui après la seconde guerre mondiale s'échinèrent à sortir la province de son sous- développement culturel. Des hommes de la trempe de Jean Dasté, André Clavel et bien évidement Jean Vilar, épaulés par Jeanne Laurent alors en poste aux Affaires culturelles de l'Etat partent initier à la création artistique un public qui en ignorait tout. Plus tard Roger Planchon prendra leur relève. La virulence pamphlétaire des lettres qu'ils adressaient aux responsables du désastre spirituel dont ils étaient témoins attestent qu'ils n'ont pour le moins pas eu la tâche aisée. "La culture, dit de Gaulle lors de son retour au pouvoir, est la condition de la civilisation." Phrase que notre actuelle gouvernance s'obstine à jeter aux orties.


Autres évènements auxquels nous n'avons hélas pu assister : Claire Chazal loin de l'image figée qu'elle donne d'elle lors de ses apparitions au petit écran a lu "Spectre mes compagnons" de Charlotte Delbo qui après avoir été l'assistante de Louis Jouvet rejoignit la Résistance, fut arrêtée et expédiée à Auschwitz dont elle réchappa. On sent dans cet ouvrage essentiel son sens organique de la faiblesse mais aussi de la force humaine. Jérôme Kircher quant à lui, se basant sur le carnet de bord de Jean-Louis Barrault, raconte la création plus que mouvementée des Paravents de Jean Genêt, un des auteurs qui ont bouleversé le champs de l'art scénique, au Théâtre de l'Odéon. Ces pages on s'en doute ont fait vibrer la mémoire de ceux qui furent les contemporains de cette bateille qu'on ose dire plus importante que celle d'Hernani.


Invité d'honneur, Michel Bouquet, oeil bienveillant et sourire malicieux, a parlé devant un parterre de spectateurs de sa conception du théâtre. Pour lui seul compte l'auteur, ce diable d'homme dont il tente tout au long des représentations de percer les secrets sans jamais y parvenir. Je crois à l'intuition répéta t-il tout du long (mon art, dit-il, est de ne pas jouer mais celui de tout ressentir) avant de faire l'éloge de Molière car dit- il n'a cessé d'engager un combat avec lui-même sans jamais se donner raison de se voir aussi médiocre et effrayant. S'il nous est si proche c'est qu'il est le plus sincère de tous. On a compris que sa rencontre avec le public fut un moment miraculeux.

Réservation pour la saison prochaine : 04 75 46 55 83

jeudi 8 juillet 2010

Le roi s'amuse de Victor Hugo

Comme chaque année un spectacle destiné à un large public se donne devant le superbe château de Grignan. C'est cet été une pièce rarement représentée du maître du mélodrame Victor Hugo qui a été choisie Il s'agit du Roi s'amuse auquel se mesure avec un bonheur certain François Rancillac Il a d'autant plus de mérite que le premier acte de ce drame populaire au goût d'apocalypse est d'un intérêt succinct. S'enchaînent ensuite une multitude de redoutables péripéties
Triboulet, le fou du roi qui évoque Quasimodo a une fille qu'il tient enfermée dans une maison isolée avec pour seule compagnie une vieille domestique. Le seul lieu où elle a le droit de se rendre est l'église. Mais elle n'y est pas autant à l'abri des tentations que son père le croit. Un inconnu a remarqué son innocente beauté et trame un mauvais plan. Ce beau parleur n'est autre que le souverain, qui cache sous airs distingués une âme de débauché. Difficile de ne pas comparer Triboulet à l'Arnolphe de l'Ecole des femmes. Hugo ne s'est d'ailleurs pas gêné pour braconner sur les terres non seulement de l'auteur de L'avare mais aussi sur celles de Musset.

On retrouve ici la fureur inspirée de l'écrivain qui s'insurgea contre le pouvoir avec des mots si percutant qu'il fut contraint à l'exil. Si cette pièce semble si bien résister au vieillissement c'est que François Rancillac a eu l'idée forte de confier le rôle de Triboulet à Denis Lavant, un comédien d'une puissance et d'une présence proprement stupéfiantes. La longue scène de clôture où il se laisse aller à un insurmontable chagrin fait remonter des grands fonds le souvenirs des instants les plus rudes de nos existences. Si j'ajouterai que la scénographie de Raymond Sarti, qui nous plonge dans un monde de luxure laisse pantois, vous aurez compris que le metteur en scène - qui fut l'un des premiers à voir en Jean-Luc Lagarce un auteur dramatique d'importance - s'est surpassé.

Juqu'au 21 aoûtt Château de Grignan Les fêtes nocturnes Tel 04 75 91 83 65

jeudi 24 juin 2010

Noëlle Renaude de A à Z

Ils sont quelques auteurs parmi lesquels Philippe Mynyana, David Lescot et Noëlle Renaude dont l'écriture étant sans équivalent il importe de leur trouver un nouveau langage scénique. Il y deux jours sous la férule de Christophe Brault (pour lequel Noëlle Renaude a écrit "Ma Solange comment t'écrire mon désastre, Alex Roux, pièce chargée jusqu'à la gueule, convertie en 18 somptueuses heures de spectacle il y a quelques années par Frédéric Maragnani) quantité de comédiens et amis ont lu ou chanté des fragments de son oeuvre depuis ses débuts où pour gagner sa croûte elle publiait des nouvelles dans le l'hebdomadaire "Bonnes soirées" lu essentiellement par des dames vieillissantes jusqu'à ses écrits les plus récents dont certains sont encore ignorés même de ses proches. La soirée qui nous permis de pérégriner parmi une foule de personnages fut de celles qui ne se laissent pas oublier.

D'autant qu'y participèrent des fidèles de l'auteur comme Florence Giorgetti, Michel Corvin, Robert Cantarella, Michel Cerda et j'en passe. Heureusement un livre qui prouve combien la dame décloisonne avec un talentueux culot les univers est paru aux éditions Théâtrales. Dirigé par Michel Corvin cet ouvrage qui a pour titre "Noëlle Renaude" atlas alphabétique d'un nouveau monde" rassemble des textes souvent d'une intelligence lapidaire de Joëlle Gayot, Jean-Pierre Han, Frédéric Maragnani, Gaétan Vourc'h, Lucien Attoun, Robert Cantarella, qui a mis certains de ses textes en scène, et de bien d'autres.

Il apparaît clairement au fil de la lecture que cette femme qui règne par le mot appartient à une galaxie indépendante. Et qu'elle nous fait, du coup, tomber dans des abîmes de surprises.Et de félicité.

mardi 15 juin 2010

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy

Tiré de la pièce de l'écrivain symboliste Maeterlinck dont les personnages communiquent avec les forces de la terre, ce drame lyrique a séduit le metteur en scène Stéphane Braunschweig dont on n'avait jamais remarqué qu'il fut attiré comme un Claude Régy par l'interaction entre le monde des vivants et des morts. Résultat le spectacle apparaît bien sage. Sagesse accentuée par un décor d'une singulière laideur.

La musique de Debussy, dont c'est l'unique opéra, fait heureusement tinter la tragédie Elle nous entraîne dans des labyrinthes où la mort est aux aguets.Il faut dire que la direction musicale de Sir John Eliot Gardiner est grandiose. Mais les moments d'envoûtement du spectacle ont les doit pour l'essentiel aux chanteurs Philip Addis (Pelléas) et Markus Hollop (son vieux père) dont les voix nous emportent vers un ailleurs indéfini. Ils apparaissent , eux, par leur présence intense mais dénuée d'affectation, comme les investigateurs de l'invisible chers à Maurice Maeterlinck.

Plutôt que de s'attaquer à des ouvrages où la vérité se dérobe, le metteur en scène serait peut être bien inspiré lors de sa prochaine incursion sur une scène d'opéra de choisir une oeuvre contemporaine à la fois cérébrale et aussi insaisissable que le sont au théâtre les intrigues tortueuses d' Ibsen dont il est si friand.

Jusqu'au 29 juin Opéra Comique tel 08 25 01 01 23

dimanche 13 juin 2010

Lorenzaccio d'Alfred de Musset

C'est sous un chapiteau, espace de communion qui rappelle les spectacles populaires d'antan que Claudia Stavisky nous fait redécouvrir le grand oeuvre de Musset sur lequel le temps visiblement n'a pas prise.Il faut reconnaître que la metteuse en scène et ses conseillers en ont fait une adaptation où il ne reste trace de son ton parfois verbeux mais qui scintille de phrases foudroyantes

Ceux qui la connaissent se souviennent que la pièce se situe à Florence sur laquelle règne un Duc de Médicis travaillé par ses hormones qui y mène une vie festive et dévoie les conscience ou fait occire ceux qu'excédent son absence de scrupules.Il forme avec Lorenzaccio, son favori, un capiteux tandem. Ce complice qui s'y entend pour satisfaire ses appétits sexuels mais s'évanouit lorsque l'une des victimes de ses réparties narquoises brandit une épée, se roule dans l'abjection dans le seul but de gagner la confiance du tyran. Ce qui est chose faite.

Comédiens au talent bien trempé, Thibaut Vinçon (Lorenzo) et Alexandre Zambeaux (le Duc) donnent à leurs personnages au tempérament si opposés des interprétations saisissantes. Leurs partenaires sont à la hauteur, en particulier Jean-Marc Avocat qui incarne le cardinal Cibo dont les airs d'homme d'église ne permettent pas de deviner qu'il n'est qu'intrigues. Ah! cette scène où il ordonne à la femme de son frère, qu'il a vu dans les bras du Duc, de le relancer. Ou cette autre bien différente et délicatement équivoque où le despote et Lorenzaccio, dont la jeunesse, dit-il, fut pure comme l'or, dansent enlacés

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Son orientation pessimiste interdit à Lorenzaccio de se bercer d'illusions sur l'avenir. Il sait , à l'inverse de ceux qui se font appelés les Républicains, que succédera à la place de la canaille qu'il s'apprête à assassiner un individu fait du même bois. Les hommes dit-il ne sont pas méchants mais lâches et indifférents. On ne le contredira pas, nous qui sommes témoins de tant de reniements politiques...

Ce spectacle qui littéralement nous harponne a été produit par la ville de Lyon et le Conseil Général. Ils ont tout lieu de s'en glorifier.

Jusqu'au 26 juin Théâtre des Célestins 69 Lyon tel Tel 04 72 77 40 00 Les représentations se donnent au Site du Château de Gerland, 186, rue de Gerland

samedi 5 juin 2010

Les âmes mortes d'après Gogol

Alors que les fins de saison sont généralement lugubres, il en va tout autrement cette année. Ainsi ces Ames mortes, oeuvre monumentale de Gogol traduite avec son incomparable inventivité par André Markowicz et que propose, avec pour tout décor quelques misérables tables , chaises et tonneaux, le metteur en scène russe Anton Kouznetsov qui a depuis peu installé ses pénates en France.


Fréquemment adapté pour la scène -notamment par Adamov - le roman est dans le droit fil du Revizor qui révèle les tares des notables d'une bourgade qui croient avoir à faire à un puissant. Le personnage clé est ici Tchitchikov (Laurent Manzoni irréprochable) qui au contraire révèle le goût du lucre des propriétaires terriens auxquels, pour des raisons qu'on ne dévoilera pas, veut acheter les âmes des serfs morts depuis peu mais dont le décès n' a pas été déclaré. Pour ce faire il serpente entre des personnages tout aussi pittoresques qu'effrayants d'inconscience morale. Ces canailles sont toutes jouées par Hervé Briaux dont on n'a plus à vanter l'extraordinaire brio. Vera Ermakova, une jeune comédienne russe, complète la distribution. Douée d'une riche nature, elle incarne une kyrielle de rôles dont ceux d'une vioque et d'une servante qui ne craint pas de dire son fait à son patron, une sorte d'Harpagon qui porte avec énergie son grand âge.Il faut ajouter qu'elle chante divinement tant en italien que dans sa langue natale.


Acheter et vendre des biens virtuels, comme on dit aujourd'hui est pour l'auteur le comble de l'infamie. Par les temps cyniques qui courent c'est devenu monnaie courante. Lorsqu'il sent le vent du boulet, Tchitchikov prend les jambes à son cou. Il attendrait aujourd'hui qu' un nouveau scandale fasse oublier celui dont il est l'instigateur.


Jusqu'au 29 juin MC93 Bobigny tel 01 4& 60 72 72.

jeudi 3 juin 2010

Les amours tragiques de Pyrame et Thisbé

Benjamin Lazar n'en est pas à son premier coup de maître. Sa figure tutélaire est Eugène Green, professeur et cinéaste d'origine américaine, fin connaisseur de la langue française et de la gestuelle baroque. Lazar a notamment monté avec succès une pièce de l'écrivain Cyrano de Bergerac et Comment Wang-Fö fut sauvé de Marguerite Yourcenar. Il a cette fois porté son choix sur cet écrit à ma connaissance rarement vu sur un plateau que sont Les amours tragiques de Pyrame et Thysbé de Théophile de Viau (1590 -1626)


Comme toutes les pièces de la première moitié du "Grand siècle" celle-ci est peu connue sauf par l'utilisation parodique qu'en a fait Shakespeare à la fin du Songe d'une nuit d'été. Il utilisera aussi son thème central -deux adolescent s'éprennent l'un de l'autre malgré la haine que se portent leurs familles - dans Roméo et Juliette. La situation ici se complique du fait que le Roi s'est lui aussi toqué de la jeune fille.Ce qui permet à l'auteur de mettre en lumière les traîtres méandres du pouvoir politique

La délicatesse des éclairages à la bougie qui a la vertu de rehausser le caractère intimiste de ce drame galant et la beauté sans pareille des costumes d'Alain Blanchot contribuent largement à ce que ce spectacle se démarque des productions courantes.
Lorsqu'à tour de rôle Pyrame puis Thisbé (qui a découvert celui dont elle partage la passion sans vie) mettent fin à leur jeunes jours, nous revient en mémoire la phrase du psychanalyste François Perrier "L'amour c'est laisser vivre l'enfant qu'on a en soi"

Il serait injuste de ne pas ajouter que la qualité de la représentation doit énormément aux interprétations de Benjamin Lazar,de Louise Moaty et de leurs partenaires qui pour notre plus grand plaisir roulent les r et prononcent les s finaux comme cela se faisait lorsque fut conçue l'oeuvre.

Jusqu'au 12 juin Athénée - Louis Jouvet tel O1 53 05 19 19

vendredi 28 mai 2010

La mort d'un homme de bien

Alain Ollivier, metteur en scène d'une rigueur extrême nous a quitté cette semaine. La guerre d'Algérie à laquelle il fut forcé de participer et qu'il jugeait si indigne l'avait rapproché de l'écrivain Pierre Guyotat qui mieux que personne su en décrire l'abjection. Sa carrière théâtrale, il la débuta comme comédien, Métier qu'il exerça avec une sobriété ardente. En suivant la courbe de nos souvenirs nous revient son interprétation si savoureuse du roi de Pologne où Alfred Jarry pointait l'imbécilité loufoque d'un dictateur. Montée par le Philippe Adrien des grands jours le spectacle marqua à jamais ceux qui eurent le bonheur de le voir. Avec le même metteur en scène auquel le liait une profonde complicité, il joua des auteurs aussi radicalement différents que Molière et Heiner Müller.


On ne saurait énumérer tous les rôles - en particulier avec Jacques Lassalles - qu'il créa avec une précision savoureuse avant de passer à la mise en scène. Il y fit des merveilles. Il fut notamment l'un des premiers en France à faire entendre la voix rageuse de Thomas Bernhard. On retiendra entre autres réussites , La révolte de Villliers de l'Ile Adam,, Les Nègres puis Les Bonnes de Jean Genêt (sans doute la plus belle jamais conçue). Son Peleas et Melisande de Maeterlinck auquel il s'attaqua quand il prit les rennes du TGP de Saint Denis était d'une pureté rarement atteinte.

Refusant de s'exercer à une veine plus vendeuse il fut, hélas , remercié. Ce qui ne l'empêcha pas d'avoir jusqu'à son dernier souffle le projet de monter l'Otage de Paul Claudel. Qu'il n'ait pas réussit à mener cette entreprise à bien ajoute à la tristesse sans fond que provoque sa disparition

mercredi 26 mai 2010

Les trois soeurs de Tchekhov

Alain Françon voue à Tchekhov une véritable dévotion et avait monté lorsqu'il dirigeait le Théâtre de la Colline plusieurs de ses chefs d'oeuvre patrimoniaux. Mais il ne s'était jusqu'à présent jamais affronté aux Trois soeurs au climat si vibrant que l'émotion rejaillit chaque fois qu'on la redécouvre. Metteur en scène d'immense réputation il a pu, contrairement à ses confrères engagés dans l'illustre maison, choisir lui-même ses comédiens qui tous font corps avec leurs personnages.

Pas étonnant donc que cette distribution apparaisse si cohérente. Ainsi les trois soeurs qu'interprètent Florence Viala (à la voix délicatement prenante), Elsa Lepoivre (qui comme Hedda Gabler d'Ibsen semble en retrait des évènements et qu'obsède un vers qui exprime son profond désarroi) et Georgia Scalliet, une nouvelle venue aussi attachante que ses deux partenaires, entretiennent des liens, à l'évidence, indissolubles. Guillaume Galienne qui incarne d'une façon inédite leur frère Andreï fait une prestation mémorable d'un homme que son mariage avec une femme toute de mesquinerie et de calculs (Coralie Zahonero) fait basculer dans une spirale d'échecs.

Si tous sont au mieux de leur art, il faut néanmoins mettre en avant la prestation d'Eric Ruf à qui échoit le rôle de Saliony, personnage typiquement tchekhovien qui comme Platonov ou Ivanov va droit au désastre. Ses décharges d'agressivité masquent une foncière timidité qui le poussera à commettre l'irréparable.

Comme il l'avait déjà fait dans ses traitements antérieurs des pièces de l'immense dramaturge russe, Françon a tenu a reconstituer les décors de Stanislawski. Les contraintes de la Salle Richelieu ne lui ont toutefois pas permis de totalement les reproduire. Il n'en reste pas moins que la pièce apparaît, comme aux yeux des protagonistes, telle un songe vécu. Il n'est donc pas surprenant que les comédiens viennent saluer le public sous un déluge de vivats.

En alternance jusqu'au 16 juillet Comédie Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

jeudi 13 mai 2010

Les Boulingrin de Georges Aperghis d'après Courteline

Si Jérôme Deschamps qui assure la mise en scène à le talent de croquer des personnages grotesques, Georges Aperghis sait,lui, grâce à une incomparable verve rythmique étoffer les personnages. Au début surgit Des Rillettes, un pique assiette qui demande à Félicie, la bonne, à qui il fait un brin de cour et donne quelques sous, si la maison est bonne car il a l'intention de venir y dîner trois fois par semaine. Devenu par la volonté du compositeur une sorte de Monsieur Loyal, la jeune fille cède à son désir et fait l'éloge de ses patrons. Elle l'introduit, en fait, dans l'antre du diable. Pourtant comme pour l'en avertir elle pousse des criaillements qui ressemblent à d'aigres chants d'oiseau.


Commence pour le visiteur une véritable descente aux enfers. Les Boulingrin apparaissent dans un vacarme de mots haineux. Les tentatives qu'il fait pour les calmer ne fait qu'exaspérer leur vindicte. Des Rillettes essaie mais sans y parvenir de quitter les lieux. L'agressivité des bourgeois dont il voulait partager la table se retourne contre leur hôte.. Furieux qu'ils ne prenne le parti d'aucun d' eux, ils ne reculent devant aucune cruauté. Au lieu des mets succulents dont il rêvait, ils tentent lui faire avaler de la soupe empoisonnée.


Avec sa musique qui emporte tout, Aperghis réussit à transformer cette pièce de boulevard qui sent son 19e siècle en une sorte de festin de pierre. Comme Don Juan qui se croyait invincible, Des Rillettes est pris au piège. L'incendie que provoque à la fin madame Boulingrin laisse supposer qu'il disparaîtra, comme le personnage de Molière, dans les flammes.

D'une pièce de peu d'envergure Aperghis a fait une tragédie qui annonce Les bonnes de Genêt. C'est en effet Félicie la responsable du sort pathétique de celui qui croyait en sa bonne fortune.

Les 14, 16, 18 mai Opéra Comique tel 08 25 01 01 23

mercredi 12 mai 2010

Rosa la rouge de Claire Diterzi et Marcial Di Fonzo Bo

La Rosa du titre est Rosa Luxemburg (1871 - 1919) née en Pologne dans une famille juive qui se fixa à Berlin où elle devint une tenante farouche de la lutte contre une société où l'injustice dépassait les bornes. Lors de la guerre 14-18 elle en fut une des rares opposantes, ce qui lui valut trois ans de prison. Durant cette longue captivité elle écrivit de nombreuses lettres qui sont lues par Claire Diterzi qui, chanteuse au tempérament bien frappé et musicienne hors pair, s'est, à sa façon rockeuse, emparée du rôle de la combattante.


Marcial Di Fonzo Bo et son interprète et co-metteur en scène n'ont pas pour autant réalisé un spectacle militant. Désertant les chemins convenus, ils ont montés une épopée musicale où l'Histoire avec un grand H comme disait Georges Perec devient un objet non identifiable dans lequel se joignent numéros musicaux où le feu ne cesse de couver sous la cendre des notes et vidéos stupéfiantes d'inventions. Parmi les nombreux moments savoureux il en est un particulièrement gonflé. Au lieu d'évoquer le mouvement spartakiste dont Rosa Luxembourg fut une figure de proue, ils projettent quelques scènes d'une force et parfois d'un humour ravageur du film Spartacus de Stanley Kubrick.

Comme ils ont tous deux l'imaginaire frondeur, ils ne cessent d'extravaguer. Ce qui vaut aux spectateurs d'aller de surprises en surprises et de trouver bougrement réjouissant ce brûlot échevelé qui balance le vieux monde (dont l'étau semble aujourd'hui se resserrer) par les fenêtres.

La renommée de Marcial Di Fonzo Bo - et de sa complice -est, c'est une évidence, en plein essor. On ne peut que s'en féliciter.

Jusqu'au 22 mai Théâtre du Rond Point tel 01 44 95 98 44
Les 26 et 27 mai Scène Nationale d'Orléans Le 1er juin Hangar 23 -Rouen

jeudi 22 avril 2010

Familles (s) -Triptique

Pour ses débuts dans la mise en scène Crystal Shepherd-Cross a porté son choix sur trois courtes pièces qui s'introduisent au sein de la famille, lieu de formation, de frustrations et de contradictions qui est le support de quasi tout un chacun. Ces textes qui cognent ont été écrits par ces talentueux cambrioleurs d'intimité que sont Philippe Minyana, Carole Frechette et Noëlle Renaude.

Madame reçoit de Philippe Minyana fait ressentir le vide palpable des dimanches où les membres d'une famille se retrouvent. Comme on n'a rien à se dire mais qu'on a des griefs envers chacun on se chamaille à propos de la chaise qu'on veut occuper.L'absence du père pèse. De la même manière qu'on déplore la présence d'un des convives. Pour que cessent les conflits à propos des sièges, la mère a acheté une banquette en Skaï. Solution évidement dérisoire.

Dans La pose Carole Frechette décrit le retour de Marie -Luce pour qui toutes les occasions sont bonnes pour appareiller tandis que son frère est installé dans la paresse de la routine. Quelqu'un (on ne saura jamais qui et peu importe) a l'idée puisque voilà tout le monde réuni de faire une photo. Mais une fois encore personne ne sait où se poser ni quelle attitude adopter. De vieux antagonismes refont surface jusqu'au moment où la fille suivant la courbe de ses souvenirs évoque une photo prise sur une plage quand elle avait huit ans et qu'elle ressentait les désirs qui animaient ses parents pour des personnes rencontrées au fil de ces vacances.

Fidèle à son univers, Noëlle Renaude tricote dans Bon, Saint Cloud une intrigue où la filiation joue un rôle majeur. Le père, fumeur invétéré, finira par casser sa pipe tandis que la mère a des maux de têtes et de plus souvent des blancs. A la génération suivante c'est la fille devenue mère de jumeaux qui souffre de migraines tandis que ses enfants ne lui manifestent que de l'indifférence.

On retrouve les acteurs dont certains sont fraichement émoulus des écoles de théâtre dans des rôles on ne peut plus diversifiés où ils font preuve d'une finesse peu commune. . Leur tâche est d'autant plus ardue qu'ils leur faut dans les trois pièces dire les didascalies, tandis que sur les murs sont projetés des phrases qui en disent long sur l'état d'esprit de leurs personnages que ceux-ci ne soupçonnent pas
Bref on a compris que Crystal Shpherd - Cross a commencé a emprunter la voie royale et qu'on reparlera d'elle.

Jusqu'au 15 mai Ciné 13 Théâtre tel 01 42 54 15 12

mercredi 14 avril 2010

Passion selon Jean d'Antonio Tarantino

Deux hommes patientent pendant des heures dans une salle d'attente. L'un est un schizophrène qui comme beaucoup de personnes atteintes de cette maladie mentale ont besoin d'une prestigieuse figure historique ou religieuse pour tenter de rassembler des pulsions désordonnées. Il se prend, lui, pour le Christ. Il est accompagné d'un infirmier habitué aux phrases qui ricochent dans le vide de celui dont il a la garde.

Celui-ci parle au triple galop, se lance dans des discours d'une beauté incongrue, passe du- coq- à l'âne et ne cesse malgré l'avis d'interdiction affichée sur le mur d'allumer des cigarettes. L'infirmier a l'expérience qui lui permet d' apaiser l'homme à la fois absent à lui-même et d'une indécidable étrangeté.


Tout ensemble inquiétant et drôle, ce duo est sans doute le plus déroutant et juste qui traite de la folie. Son auteur, l'italien Antonio Tarantino a beaucoup arpenté les hôpitaux psychiatrique et est, de plus, l'un des écrivain de théâtre les plus inventifs du moments. Ce sont les deux acteurs, Olivier Cruveiller et Paul Minthe, qui parviennent par la force de leur jeu à rendre leurs personnages ébranlants, qui ont proposé à Jean-Yves Ruf de mettre cette pièce en scène. Il a été si enthousiasmé par ce texte qu'il a non seulement accepté leur proposition mais veut aussi en 2012 monter avec les mêmes interprètes deux autres pièces de Tarantino.

Jean-Yves Ruf est, comme il l' a à maintes reprises prouvé, l'un des hommes de théâtre les plus aptes à s'attaquer à des oeuvres hors du commun. Son spectacle à la justesse de ces inoubliables films sur la folie que furent Fous à délier de Marco Bellocchio et San Clemente de Raymond Depardon.

Jusqu'au 16 avril Théâtre 71 Malakoff tel 01 55 48 91 00 MC de Grenoble du 27 au 30 avril

vendredi 9 avril 2010

Richard II de William Shakespeare

Connu surtout pour avoir été le metteur en scène attitré de Thomas Berhardt qu'il montait au Burg theater de Vienne, le public ne pardonna jamais à Claus Peymann sa connivence avec cet écrivain qui jusqu'à son dernier souffle dépeignit l'Autriche comme un repaire de nazis. A la tête aujourd'hui du Berliner Ensemble il a porté son choix sur Shakespeare qui question monstres en connaissant lui-aussi un bout.


Comme les personnages dont on va suivre la trajectoire le décor semble légèrement bancal. Un cousin du jeune roi cherche l'embrouille en dénonçant les agissements d'un courtisan. Les deux hommes seront bannis pour quelques années du royaume. Aussi dénué de scrupules que les autres souverains dont le destin inspira Shakespeare , Richard II s'empare à sa mort des biens de son oncle, père du cousin qu'il a éloigné. Le prince spolié fera connaître son désaccord avec une rudesse. qui poussera son parent à lui donner sa couronne. C'est là une des scène les plus marquantes de ce spectacle dont le début avec ses personnages vêtus tout de blanc ou de noir évoque le cinéma expressionniste. La deuxième partie est quant à elle carrément trash où l'ex roi désormais hors jeux est victime d'un peuple qui le couvre de détritus et de merde.

Cette pièce sur la Comédie du pouvoir n'est pas de celles qui sont le plus souvent représentées. Pourtant avec plus de finesse que d'autres plus connues, elle dénonce les noces de la politique et du crime. Ce faisant elle arpente simultanément l'Histoire et le présent. La traduction qu'en a réalisée l'auteur Thomas Brasch (1945 -1991) est d'une poésie aussi abrupte que les écrits de Verlaine (non, non, je n'ai pas bu un coup de trop!) Si les acteurs sont tous, sans exceptions, remarquables, on ne peut que rester scotché devant les prestations éblouissantes de Michael Maertens (Richard II) qui lorsqu'il est à bout de déchéance fait songer à un enfant maltraité et de Veit Schubert (le cousin qui le dépose). Claus Peymann a, c'est l'évidence, le don pour trouver le point de jonction entre un comédien et un rôle. C'est une des nombreuses raisons pour laquelle son spectacle est l'un des plus percutant qu'il nous a été donné de voir.

Jusqu'au 11 avril Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

vendredi 2 avril 2010

Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès

Vieillir c'est interdit est-il écrit dans le Talmud. Bernard-Marie Koltès illustre on ne peut mieux ce précepte, lui dont l'oeuvre conserve une inaltérable jeunesse. Ainsi ce Quai Ouest qui débute par l'arrivée dans un quartier dont les habitants "vivent comme des pauvres chiens oubliés dans le noir" d'un homme qui cherche à se faire dézinguer. Il s'est fait conduire en voiture par une harpie qui n'hésite pas à dire que pour faire disparaître cette enclave du quart monde, il suffit de pousser les propriétaires à hausser les loyers.


Koltès avait une prédilection pour les individus qui ont divorcés du corps social. S'ils n'entretiennent entre eux que des relations conflictuelle, ils semblent tous être aussi aptes à semer le chaos. Peut être, comme l'écrit l'auteur à sa façon drue et poétique, pour la bonne raison qu'ils n'ont pas le moindre rêve. Il fallait après Patrice Chereau qui a monté cette pièce avec le bonheur que l'on sait, trouvé un nouvel angle d'attaque. Ce qu'a réussi le jeune Rachid Zanouda dont notamment deux scènes resteront à jamais ancrées dans les mémoires, l'une où une femme chante dans sa langue amerindienne natale une mélopée qui retourne les sangs , l'autre où deux des acteurs principaux dansent jusqu'à l'épuisement sur une musique qui semble venue du fond des âges. Le metteur en scène a trouvé avec Marie Payen, Jean Sukama-Bamba , Vincent Guédon (d'un talent décidément affolant) et leurs partenaires, qui aucun ne démerite, des interprètes qui n'ont aucun mal à faire croire qu'ils vivent dans des galetas.

Une fois de plus le Théâtre National de Bretagne apporte la preuve que l'audace paye. La salle est comble et enthousiaste alors que le spectacle ne s'attache qu'à des personnages partis à la dérive.

Jusqu'au 8 avril Théâtre National de Bretagne tel 02 99 31 12 31
Comédie de Caen les 20 et 21 octobre