dimanche 28 juillet 2019

Quelques pépites dénichées dans le Off d'Avignon

On peut évidement déplorer qu'il y ait dans le off d'Avignon un nombre décourageant de spectacles. Et que cela va en s'aggravant. Mais il importe aussi de se réjouir que la culture marchande aujourd'hui tellement soutenue n'y ait pas sa place. Quel soulagement enfin de découvrir des productions qui ne soient pas assorties de projections vidéos et dans lesquelles les comédiens jouent sans ces satanés micros hf. Ce qui frappe en premier dans les quelques représentations auxquelles j'ai eu l'occasion d'assister c'est que le passé y prend le dessus sur le présent ou le nourrit. Il est souvent question de la part d'ombre de personnages chez lesquels on ne l'aurait pas soupçonnée. Dans "Le dossier Jouveau" de Viviane Point auquel s'attaque Taîdir Ouazine une étudiante découvre aux archives de la préfecture de police une affaire particulièrement gratinée de spoliation de bien juifs. Son travail prend vite des allures d'enquête au cours de laquelle il se révèle qu'un homme éminemment respectable ne recula devant aucune saloperie lorsque son intérêt matériel mais aussi affectif était en jeu. La force de la présence des comédiens (Eloïse Auria, Catherine Aymerie, Julien Favart et François Macherey) rend captivante cette affaire tirée de faits réels. "Née un 17 octobre" de Rachid Benzine lève d'autres lièvres. Au cours de la soirée d'anniversaire d'une fille inscrite à Science Po qui vit on ne peut plus chichement avec son père et son grand père algériens les discussions tournent, comme c'est l'habitude, au vinaigre. L'aïeul (prodigieux Hamou Graïa), qui sur sa vie passée n'a jamais pipé mot, fouille soudain dans les replis les plus douloureux de sa mémoire. Le récit qu'il fait laisse ses interlocuteurs mais aussi le public ébranlé.C'est de l'Algérie qu'il est aussi question dans "Et le coeur fume encore", un spectacle d'Alice Carré et Margaux Eskenazi qui s'est bâti sur des témoignages recueillis chez des parents et des proches des comédiens.Et chacun de franchir les abimes du temps et d'évoquer des tensions communautaires ou politiques qui ne se sont jamais totalement apaisées. Les scènes se succèdent souvent poignantes et jouées par de jeunes acteurs dont on voit poindre le talent. En chemin on croise l'éditeur Jérôme Lyndon qui fut condamné pour avoir publié Le déserteur de Kateb Yacine. Si les personnages de "Noces de corail" de Laure Loëc que mettent en scène Zakaryia Gouram et Frédéric Thibault se focalise également sur des êtres qui en bavent ils ne sont,eux, pas victimes de l'Histoire. Elle et Lui forment un couple ou si l'on préfère un duo inopiné et savoureux. Leur vie prend une autre tournure quand arrive Agathe, leur fille à qui un corail pousse dans le cerveau. Elle et Lui vont tenter de ruser avec le malheur. Lequel aura raison de leur complicité. Une écriture aussi incongrue que riche de finesses, une mise en scène fourmillante d'inventions, des comédiens épatants et le tour est joué. "Le fantôme et Mme Muir" d'après le roman de R.A. Dick est, quant à lui, une petite merveille. Une jeune veuve qui vivait dans la compagnie insipide de sa belle famille part s'établir dans une maison isolé ou elle découvre la présence d'un fantôme. Grâce à qui sa vie ralentie n'est plus qu'un souvenir. Libérée des lourdeurs du quotidien, elle fait connaissance d'un metteur en scène de cinéma au charme duquel elle est pourrait succomber. L'époque victorienne dans laquelle elle vit et qui la marque au plus profond ne favorise pas ce projet. Le réalisateur Michel Favart, dont c'est l'une des premières tentatives théâtrales, a concocté un spectacle écrit d'une plume raffinée par Catherine Aymerie qui interprète madame Muir.Les autres rôles sont défendus avec délicatesse mais aussi infiniment de drôlerie par François Cognard, Alexandre Zambeaux et Paula Brunet Sancho. Deux mots enfin sur "Carmen Flamenco" adaptation pour sept danseurs, chanteurs, musiciens et acteurs d'après Bizet et Mérimé dont l'attractivité attire, et c'est justice, les foules. Une mention spéciale à la danseuse de flamenco Ana Pérez dont la présence laisse ébloui.

jeudi 4 juillet 2019

Why ? Texte et mise en scène Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

L'espace est comme toujours dans les spectacles de Peter Brook spartiatement meublé. Trois chaises de bureau occupent le plateau tandis que trois comédiens, Hayley, Kathryn Hunter et Marcello Magni interprètent en langue anglaise de manière joliment saugrenue un texte qui dans un premier temps évoque un dieu inventeur, entre autres singularités, du théâtre. De la à se demander si c'est le théâtre qui inventa la vie ou au contraire la vie qui avait besoin de théâtre. Après ces considérations philosophico-facétieuses un glissement s'opère et les acteurs évoquent l'immense metteur en scène russe Vsevold Meyerhold. Durant les permissives années vingt et jusqu'en 1938 ses spectacles étaient accueillis avec enthousiasme. Puis le vent tourna. Son théâtre fut fermé Quant à Meyyerhold, alors âge de 66 ans, accusé d'entorses à la loi, d'anti-communisme et de complicité avec des puissances étrangères, il fut arrêté, torturé et contraint sous la menace de nouveaux coups de signer de faux aveux. Comme tant d'autres intellectuels et artistes, il finit exécuté. Zinaïda Reich, sa femme et interprète principale fut peu après trouvée dans son appartement lacérée de coups de couteaux. Crime commis, on le sut plus tard, par la police de Béria. Une guerre obstinée contre les artistes, on en a constamment la preuve, se poursuit dans l'actuelle Russie. Ajoutons que des images des victimes et des bourreaux conçues par Gabrielle Lubtchansky sont à de nombreuses reprises projetés sur le mur du fond du théâtre. Un spectacle d'une sobriété et d'une puissance qui laisse pantois. Jusqu'au 13 juillet Théâtre des Bouffes du Nord tél 01 46 07 34 50