dimanche 28 janvier 2018

L'autre fille d'Annie Ernaux

Comme à son habitude la metteuse en scène et directrice de la Comédie de Béthune Cécile Backès exerce son art à bas bruit. Ce mélange d'intensité et de discrétion convient on ne peut mieux à "L'autre fille", texte dans lequel Annie Ernaux recueille images et paroles obscures subsistant dans sa mémoires. L'auteure s'adresse à sa soeur morte de la diphtérie deux ans avant sa naissance. Si personne ne lui a parlé de cette enfant elle a entendue sa mère qui tenait un petit commerce l'évoquer devant des clientes. Née en 1940, elle est d'une génération où les adultes étaient persuadés que les mômes étaient incapables de comprendre les mots qu'ils échangeaient et pouvaient, de ce fait, avoir en leur présence des paroles meurtrières. Annie Ernaux se souvient ainsi avoir entendu sa mère confier à une de ses connaissances que leur fille disparue était plus gentille que celle qui était à l'écoute... Les psychanalystes nomment "crimes innocents" de telles conduites. Sachant qu'on ne lutte pas contre une morte mais qu'on peut apprendre à l'aimer l'écrivaine, qui d'ordinaire n'a pas sa pareille pour dresser des tableaux de l'univers social modeste dont elle est issue, adresse cette fois une lettre d'une infinie tendresse à celle qu'elle a remplacée. Comédienne d'une impressionnante envergure, Cécile Gérard joue au milieu des spectateurs parfois très jeunes et toujours d'une attention soutenue. Passant de Béthune à une multitude de communes environnantes le spectacle doit constamment s'adapter aux contraintes des lieux. Il dévoile avec tant de délicatesse des blessures intimes qu'on est nombreux à partager qu'il semble être accueilli partout avec la même émotion. Festubert, salle des fêtes le 31 janv à 20h, Marles-Les-Mines, salle Pignon le 1er février à 20h, Béthune, Le Palace Foyer du 2& au 2" fév 20h.

lundi 22 janvier 2018

Katie Mitchell se mesure à Marguerite Duras et à Elfriede Jelinek

Katie Mitchell n'a pas froid aux yeux qui monte deux spectacles à partir d'écrits d'auteures aussi justement fameuses que Marguerite Duras et Elfriede Jelinek. Dans son roman La maladie de la mort, qu'a choisi d'adapter la metteuse en scène, Duras observe un homme (Nick Fletcher) et une femme (Laetitia Dosch) qui durant plusieurs semaines se retrouvent dans une chambre d'hôtel. Elle est payée pour se plier à tous les désirs de cet homme aux comportements souvent inquiétants. Conservant un captivant mystère, elle mettra fin à ces rencontres après s'être fait molester et lui avoir fait entendre qu'il est atteint de la maladie de la mort dont le symptôme est l'incapacité d'aimer. L'homme et la femme échangent peu de mots. Enfermée dans une cabine en verre une comédienne (Irêne Jacob) dit ce texte d'une étrange amplitude. Fidèle à sa manière Katie Mitchell a inventé un dispositif scénique qui force les habitude du regard. Trois caméras sont braquées sur les deux protagonistes. Les images ainsi saisies sont projetées en direct sur un écran qui surplombe la scène. Un spectacle qu'on quitte à la fois fasciné et saisi de malaise. Pour Schattent d'Elfriede Jelinek, Katie Mitchell a fait appel à la troupe de la Schaubühne de Berlin. Poursuivant ses recherches sur les mythes féminins l'écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek met en scène une Eurydice étouffée par le besoin qu'à d'elle Orphée, un chanteur à succès. La volonté engourdie dès qu'il s'approche d'elle, elle ne parvient pas à se consacrer à l'écriture, sa passion. Ce qui l'a fait violemment souffrir. Aussi se découvre t'elle apaisée lorsque - comme dans le mythe- elle est mordue par un serpent et se retrouve au royaume des morts. Ne pouvant se passer de sa présence Orphée part à sa recherche, la ramène, mais ne peux l'empêcher de retourner parmi les ombres. Jelinek raconte pour la première fois à sa costaude façon l'histoire d'Orphée en adoptant le point de vue d'Eurydice. Les deux créations de Katie Mitchell qu'on peut découvrir en ce moment ont en commun de s'attacher à des femmes qui se dégagent de l'emprise d'un homme qui ne songe qu'à ses propres tourments ou à son bon plaisir. Toutes deux sont foisonnantes de riches trouvailles formelles. La maladie de la mort Jusqu'au 3 février Théâtre des Bouffes du nord (dans la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville) tél 01 46 07 34 50 ou 01 42 74 22 77 Shatten (Eurydice sagt) Jusqu'au 28 janvier La Colline Théâtre National tél 01 44 62 52 52

jeudi 18 janvier 2018

Tableau d'une exécution de Howard Barker

Les pièces d'Howard Barker ne sont que moyennement appréciées en Angleterre son pays. Il a, en revanche, et c'est heureux, la cote en France. La metteuse en scène et directrice du théâtre des Célestins à Lyon, Claudia Stavisky, a jetée son dévolu sur Tableau d'une exécution, sans doute son oeuvre la plus vigoureuse. Le personnage central en est Galactia,une artiste vénitienne qui a abordé la soixantaine, n'a que faire des opinions courantes, a la pensée intempestive et un amant de quelques décennies plus jeune qu'elle. Celui-ci, comme elle, est peintre et consacre son maigre talent à glorifier Jésus et ses apôtres. Lorsque le doge choisit, malgré sa réputation sulfureuse, Galacticia pour peindre un tableau qui magnifie les guerre maritimes de la République, elle se met à l'ouvrage. Le résultat est on ne peut plus éloigné des souhaits de son mécène. La guerre sous son pinceau n'a rien de grandiose. N'apparaissent sur la toile monumentale qu'officiers méprisants, corps décharnés, coulées de sang... Ce qui met en boule les puissants. Bien qu'elle encourt ce faisant de gros risques l'artiste tient tête à ceux qui usent de mots destinés à la flétrir. Impossible de ne pas être sidéré même carrément ébranlé par la puissance de jeu de Christiane Cohendy qui trouve ici un rôle à sa mesure. La metteuse en scène a eu le bon goût de lui faire donner la réplique par des comédiens d'un talent aussi incontestable que David Ayala, Philippe Magnan, Julie Recoing, Anne Comte et Luc-Antoine Duquéro. Un mot enfin pour Lili Kendaka dont les costumes ajoutent a la magnificence de la représentation. Jusqu'au 28 janvier Rond-Point tél 01 44 95 98 21 Ensuite du 6 au 8 février TNBA/Bordeaux et le 13 février Comédie de Caen.

dimanche 14 janvier 2018

Saigon de Caroline Guiela Nguyen

Caroline Giuela Nguyen, qui a mis en scène et écrit avec les membres de l'équipe artistique le spectacle, a choisi pour décor un restaurant vietnamien appelé Saigon dont l'hyper-réalisme fait songer à une peinture d'Edward Hooper. Au centre se trouvent les tables, à gauche la cuisine où se préparent soupes et bobuns tandis qu'à droite a été emménagé un petit podium où Hao, un chanteur de charme entonne des airs à la mode. La patronne du lieu, que ses parents vietnamiens ont eu l'idée saugrenue de prénommée Marie-Antoinette, pleure chaque soir la disparition inexpliquée de son fils parti en 1939 en France défendre la mère patrie. Le spectacle débute en 1956 alors que colons et soldats sont sur le point de plier bagages. Les vietnamiens qui, comme Hao risquent fort d'être considérés comme des traîtres par les nouveaux dirigeants du pays, tentent, eux aussi, à se mettre hors d'atteinte. Marie-Antoinette ouvrira à Paris un restaurant semblable à celui où elle officiait au Vietnam. Elle y retrouvera ses clients-amis d'autrefois marqués par l'ampleur de ce qu'ils ont eu à supporter. Ainsi Edouard, le soldat amoureux fou d'une jeune vietnamienne qui lui a fait croire, pour qu'elle l'accompagne, qu'elle aura en France une vie de rêve. La pièce se déroule tantôt en 1956, tantôt en 1996, année où les vietnamiens exilés eurent le droit de revenir au pays. Ce que font certains comme le chanteur Hao et que refuse d'autres comme la désormais veuve d'Edouard. Attitude qui déconcerte et met en boule, son fils,un homme à la situation enviable. La metteuse en scène n'a pas craint de forcer la note mélodramatique. La musique est omniprésente, les larmes innombrables. Ce qui agacent certains mais transportent beaucoup d'autres. Parlé la plupart du temps en français, de temps à autres en vietnamien (évidement surtitré) et joué par onze comédiens, tous on ne peut plus convaincants, Saigon fait démarrer en force l'année théâtrale nouvelle.Jusqu'au 10 février Odéon-Berthier tél 01 44 85 40 40