mercredi 24 novembre 2010

Pornographie de Simon Stephens

Les pièces du trentenaire anglais Simon Stephen (qu'on découvrit avec le superbe Coutry music mis en scène par Tanya Lopert et joué notamment par Alexandre Zambaux) sont bien éloignées de celles de ses ainés dont la virulence des attaques contre la régression sociale était mêlée à la conviction que le libéralisme montrait des signes de faiblesse. Ecrite en octobre 2005, trois mois après les attentats - suicides perpétrés dans les transports en commun londoniens, elle ausculte en 7 séquences les comportements de quelques citoyens lambda dont le sol semble s'ouvrir sous leurs pas.

Les mutations politiques provoquent chez des personnages de tous âges une telle décrue des illusions qu'ils en arrivent à avoir des conduites qu'on aurait en d'autres temps trouvés aberrantes. Ainsi un ado à la verve furibonde en veut à tout un chacun et est sur le point de verser dans le terrorisme. En attendant, ce garçon qui a l'âge où l'on se trouve à l'apogée de ses pulsions libidinales, viole une de ses prof dont la présence l'émoustillait. Plus tard un autre enseignant dont la femme et le fils se sont éloignés et qui vit en solitaire reçoit la visite d'une ancienne élève qui, avoue-t-elle, le désirait autrefois ardemment et vient aujourd'hui le voir car elle le croit capable de lui trouver un job. Un jeu de séduction dont tous deux sortiront perdants, s'instaure entre eux.

Parmi les autres séquences marquantes (elles ne le sont pas toutes) l'une suit le parcours d'une vieille femme qui aime se caresser lorsqu'elle croit que ses voisins l'épient. Alors qu'elle écume les rues lui parvient une odeur de poulet cuit au barbecue. Elle pénètre dans la maison où se prépare le repas et demande une part de volaille qui lui est donnée sous les moqueries. L'hospitalité -mais ça on le savait! - n'est plus de mise... Notre préférence va à la scène où un frère reçoit la visite de sa soeur qui zonait. Lorsqu'elle lui propose qu'ils fassent l'amour, il ne lui résiste pas mais sachant la situation sans issue se séparera d'elle de façon brutale.

L'un des intérêts majeur de cette pièce que Laurent Gutman a mis en scène avec ingéniosité et que rehausse un splendide décor est qu'elle insiste sur le fait que les responsables des attentats sont, pour reprendre l'expression de l'auteur, "aussi anglais que les fish and chips". Elle se situe par ailleurs à l'époque où le comité olympique a décidé que les jeux auront lieu à Londres ce qui en désespère certains, conscients que les quartiers pauvres en pâtiront, et en réjouit beaucoup d'autres.

Histoire de montrer la fragilité affectives de ces représentants de notre société occidentale il est à la fin de chacune des séquence un moment où un personnage est dépassé par ses émotions et où quelqu'un lui demande pleures-tu ou ris-tu?
On est de fait partagé entre le rire et les larmes.

Jusqu'au 18 décembre Théâtre de La Colline tel 44 62 52 52

lundi 22 novembre 2010

Festival Mettre en scène de Rennes

Il n'est pas une édition de ce festival initié il y a 14 ans par François Le Pillouër, directeur du TNB, où l'on ne dégotte au moins une perle. Il s'agit cette année de "Protect me" de l'auteur et metteur en scène allemand promis à un considérable avenir Falk Richter (artiste associé à la Schaubühne de Berlin). Avec la collaboration de la chorégraphe néerlandaise Anouk Van Dijk, il dresse un état nerveux des lieux et de notre époque en pleine tourmente sociale et morale. Une époque où triomphe la culture consumériste.

Spectacle d'une magie prenante à la croisée du théâtre et de la danse, "Protect me" s'appuie sur un texte qui n'a rien de bien remontant si ce n'est qu'il est d'une force sidérante. On n'est pas prêt d'oublier les scènes où un fils d'une quarantaine d'années, dont la mère n'est plus, tente de faire entendre raison à son père atteint de la dégenerescence mémorielle de certains vieux. Ce dernier a soudainement des tronçons de phrases qui rappellent l'odieuse idéologie qui baigna sa jeunesse. La grâce sauvage des jeunes danseurs- acrobates donne en revanche quelques espoirs pour le futur de notre société. Même s'ils se trouvent fréquemment enfermés dans des cabines closes dont leur énergie vitale et leur sensualité leur permet par instants de s'échapper. La fin de la représentation est elle aussi surprenante où un écrivain, dont on devine qu'il s'agit d'un double de Richter, exige d'une jeune femme qu'elle répète après lui que son texte l'a ébranlée au plus profond... Comédiens et danseurs évidement triés sur le volet sont pour beaucoup dans le charme soutenu que distille cet appel à se protéger des courants de non pensée et de nos propres errements.

On retiendra parmi les autres moments forts du festival "Adapting for distorstotion, 2. Repulsion and Haptic" où le chorégraphe japonais Hiroaki Umeda marqué par le mouvement hip hop danse devant un écran vidéo dans un décor sonore qui apparaît manifestement irrésistible au jeune public. A la sortie une ado dit, tout sourire, à ses copains "ah! ça dégaine".

Les frères Matej et Petr Forman (fils du cinéaste Milos Forman) invités régulièrement à "Mettre en scène" renouent selon leur habitude avec le cabaret forain. Spectacle à vocation populaire qui enchante les enfants et ravi les adultes qui les accompagnent " Obludarium" est une succession de saynettes, certaines émerveillantes d'autres plus poussives, qui rappellent les numéros de foire d'antan

Le spectacle qui suscita le plus de controverses est TDM3 de Didier-Georges Gabily qu'a mis en scène son ancien compagnon de route Yann- Joël Collin. Ceux qui connaissent cet auteur dramatique disparu il y a quelques années savent que son oeuvre suinte de mal être. Ce qui, on le comprend, met grand monde mal à l'aise. Comme le texte est extrêmement touffu et parfois obscur et que de plus on vit un temps de zapping et d'accélération, il ne peut guère être apprécié à sa juste valeur. Il serait toutefois injuste de ne pas applaudir les interprétations de Yann- Joël Collin et d'Alexandra Scicluna, vivante image du désespoir et de la compassion. L'utilisation de la vidéo est, elle, d'une ingéniosité qui évoque celle de Heiner Goebels

Mettre en scène vient de se terminer. Il laissera des souvenirs qui nous font attendre avec impatience l'édition 2011.

Théâtre National de Bretagne tel 02 99 31 12 31

vendredi 19 novembre 2010

Shun-kin mis en scène par Simon Mc Burney

Alors que les spectacles que nous avons découverts ces jours derniers étaient d'un intérêt si mince qu'il était préférable de les passer sous silence, Shun-Kin, d'après ce géant de la littérature nippone qu'était Jun ' ichirô Tanizaki, provoque un durable choc esthétique. Il est vrai que Simon Mc Burney, l'une des plus grandes pointures de la scène britannique, est aux commandes et que celui par qui débute et se clôt la représentation n'est autre que Yoshi Oida, acteur de 77 ans connu par ses ouvrages sur l'art de la scène et sa contribution décisive aux créations de Peter Brook.

Une petite fille de la haute que le geste criminel d'une gouvernante a rendue aveugle est vénérée par Sakuze, un garçon d'origine obscure de quatre ans son aîné. Entre eux va très vite s'établir un lien sado-masochiste. La petite fille est une marionnette manipulée trois officiants. L'ironie est que c'est elle qui manipule son entourage. Son autorité est telle que tous tremblent devant ses colères qu'elle ne fait aucun effort pour juguler. Sa victime favorite est Sazuke qu'elle n'hésite pas sous les prétexte les plus futiles à battre comme plâtre.Ce qui n'est visiblement pas fait pour déplaire à son souffre douleur.

L'amour n'étant pas, comme le dit pertinemment le metteur en scène, un lac tranquille, les jeunes gens partent, cohabiter dès qu'ils ont rallié l'âge adulte. Shun - Ki ,à présent jouée par une comédienne, se distingue par sa maîtrise du shamizen, un instrument de musique traditionnel. Devenue une enseignante cruelle, elle essuiera une nuit les foudres d'un élève qu'elle a malmené. Défigurée, elle ne veut être vue de personne. Et Sazuke de se crever les yeux.

Comme dans L'éloge de l'ombre du même auteur monté en France il y a quelques années, la beauté réside ici dans l'obscurité.
La passion qu'éprouve la musicienne pour les mouettes qu'elle demande à son amant-esclave de libérer et qui toujours reviennent se réfugier dans leur cage, rappelle qu'au regard des japonais du temps jadis ( le roman se situe au 19e siècle) la vie est faite de moments fugitifs. L'extrême élaboration formelle du spectacle est d'un tel raffinement qu'on en reste bouche bée.
Alors que les rapports des deux personnages principaux est d'une brutalité intolérable, Mc Burney les traite avec une douceur
qui rappelle qu'en matière d'amour il n'est pas de rêgle qui tienne. Et qu'en matière de théâtre la grâce parfois surgit. Comme c'est le cas ici.

Dan le cadre du Festival d'automne Jusqu'au 23 novembre Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

jeudi 11 novembre 2010

Boris Godounov d'Alexandre Pouchkine

L'anglais Declan Donnelan confirme avec cette reprise de Boris Godounov interprété par des acteurs moscovites qu'il est l'un des grands noms de la scène internationale. Particulièrement judicieux pour ce qui est du choix et de la direction des comédiens, il fait reposer tous ses spectacles sur eux. Et sur l'absence résolue de décors. Le choc esthétique que provoquent ses mises en scène en est d'autant plus stupéfiant .

Moins réputé et plus rarement représenté que l'opéra qu'en tira Moussorsky, le drame de Pouchkine est une plongée dans cet empire du crime qu'était la Russie tsariste du 17e siècle. (la Russie actuelle n'a rien à lui envier) Après avoir fait égorger le tsarevitch âgé de 7 ans, Boris Godounov, après avoir fait mine de le refuser, a accepter de devenir le maître du pays. Un maître hanté par la jeune ombre de sa victime. Quelques années plus tard un moinillon prénommé Grigori mis au parfum par un vieil ecclésiastique s'enfuit de son couvent et gagne la Pologne où il se fait passer pour le défunt tsarevitch. Au cours d'une scène magistrale il avoue l'imposture dont il s'est rendu coupable à la fille de son protecteur de laquelle il s'était épris. Mais à son grand dépit elle le rejette. Prompt à trouver des arguments frappants il arrivera à ce qu'elle se ravise. Mais à certaines conditions...

Flanqué d'une troupe de soldats polonais, lithuaniens et cosaques il franchit la frontière russe, gagne des batailles puis en perd une décisive. Au plus noir de la débâcle il fait preuve d'une vaillance qui remobilise ses troupes. Bien qu'il dispose d'une armée nombreuse et rompue à la guerre, Godounov, qui a l'opinion contre lui, devra s'avouer vaincu.

Grâce à son prodigieux sens de la narration, le metteur en scène tient le public de bout en bout en haleine. Pour notre bonheur il revient bientôt avec La tempête jouée, elle, par des sujets de sa majesté.

Jusqu'au 16 nov Les Gémeaux 92 Sceaux tel 01 46 61 36 67

lundi 8 novembre 2010

Hymne à l'amour 2 d'après un livret de Paul Scaron

Tiré de la comédie de Paul Scaron ( premier époux de Madame de Maintenon) "L'héritier ridicule ou La dame intéressée", ce spectacle donne tout du long au spectateur le sentiment d'avoir la berlue. Juliette Gautier De Charnacé, dont c'est la première mise en scène emprunte aussi bien à Copi, qu'à David Lynch ou la comédie musicale trash. La pièce d'un baroque échevelé est à l'image du théâtre de l'âge d'or espagnol peuplé de personnages portés aux excès mais annonce aussi par son dénouement, au cours duquel un être vénal se trouve confondu, le Molière des "Femmes savantes" ou de "Tartuffe"

Pour interpréter un texte écrit en alexandrins il fallait évidement des comédiens qui savent y faire. Or beaucoup ont un jeu tâtonnant. Seuls s'en sortent Salomé Stevenin (qui a des moments incandescents,) Dorothée Dupuy-Puzin, Benjamin Guillard (qui a l'étoffe et la drôlerie d'un Sganarelle) et Cyrille Thouvenin à qui échoit le rôle rudement casse-gueule d'une femme affublée de robes d'une sidérante extravagance. Ce qui ne l'empêche pas de se raser le bas du visage... Alors qu'elle fait la chattemite, elle n'a pour but que se trouver un époux fortuné. La confusion des sexes est d'autant plus grande que loin de jouer les travestis, l'acteur incarne ce personnage avec sa voix d'homme. Cheveux en pétards, comme il l'aurait été dans par exemple Starmania, Vincent Martinez n'est, lui, pas du tout familier des phrases en vers. Pour arriver à s'en sortir il s'est, dit-il, inspiré des rythmes rap. Le prodige est qu'il y parvient.

La représentation est étoffée par la musique tantôt déstructurée, tantôt mélodieuse de ce grand artiste qu'est Ghédalia Tazartès Autre atout les apparitions de Dalidazartés qui chante d'une voix qui est un enchantement. Beaucoup seront consternés par les décors, lumières et costumes de ce théâtre déjanté. D'autres apprécieront que pour ses débuts une metteuse en scène se lance dans une entreprise aussi peu formatée.


Jusqu'au 21 novembre MC93 Bobigny tel 01 41 60 72 72

vendredi 5 novembre 2010

La passion corsetée d'après Madame de Lafayette

Alors qu'elle se consacrait ces dernières années à un théâtre documentaire où elle enregistrait les paroles des habitants du quartier de la Goutte d'or qu'elle restituait elle-même ou en chargeait d'autres comédiens, Laurence Février change cette fois radicalement de registre puisqu'elle a réalisé un montage de l'oeuvre maîtresse de Madame de Lafayette, La princesse de Clèves. Ce roman tendu à se rompre s'attache au destin de mademoiselle de Chartre que le prince de Clèves, ébloui par sa beauté, épouse en grande pompe.

La jeune femme rencontre chez la dauphine (soeur d'Henri II) dont elle est une dame de compagnie, le duc de Nemours, décrit comme un chef d'oeuvre de la nature. L'homme a la réputation d'être inconstant, d'aller de bras en bras. Mais cette fois, à la vue de la princesse, il sent son coeur chavirer. Le coup de foudre est réciproque. Il déclenchera des malheurs. C'est avec un sens aigu de l'analyse des sentiments que la romancière dépeint les étapes de cette passion qui provoquera en chacun des trois protagonistes une blessure à vif. Si le lumineux objet du désir qu'est la princesse n'arrive pas à combattre son trouble, elle est prête à tout entreprendre pour maîtriser ses actes. Et l'avenir des deux amoureux d'apparaître drapé de noir.

Laurence Février relate cette passion avec une grâce souveraine. Le spectateur, lui, est émerveillé et par son jeu et par la langue d'une stupéfiante séduction de Madame de Lafayette. On doit en définitive une fière chandelle à notre président qui en raillant ce joyau des lettres françaises l'a sorti du semi- oubli où il était tombé. Ajoutons enfin que la scénographe Brigitte Dujardin a réussi a créer l'illusion que le spectacle se déroule sur un vaste plateau alors qu'il est en réalité de dimension modeste.

Théâtre le Lucernaire tel 01 45 44 57 34