jeudi 14 décembre 2017
Après la pluie de Sergi Belbel
Quand il écrivit au début des années 90 cette pièce dont les personnages bossent dans un établissement financier l'auteur catalan Sergi Belbel semblait dépeindre un univers futuriste. Cet univers est aujourd'hui celui dans lequel nous évoluons. Sachant qu'il leur est interdit de fumer dans les bureaux les employés mais aussi les responsables vont en catimini griller des clopes sur le toit du bâtiment. C'est sur ce lieu que s'échangent des confidences, que l'on se plaint de ses supérieurs hiérarchiques, que l'on se fait du gringue. Mais aussi qu'on en arrive à perdre ses nerfs et même à gravement dysfonctionner. Les tensions sont d'autant plus vives que depuis deux ans aucune goutte de pluie n'est tombée. Le spectacle est interprété par huit comédiens d'une réjouissante envergure à savoir Véronique Vella, Cécile Brune, Clothilde de Bayser, Alexandre Pavloff, Nâzim Boudjenah, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka et Rebecca Marder. Directrice exécutive, programmeur de projet, secrétaires comme coursier tous ont un grain qui les rend attachants. Comme à son habitude la metteuse en scène Lilo Baur met chaque protagoniste en valeur. Elle a choisi pour scénographe Andrew D. Edwards lequel a réalisé un décor qui met superbement en valeur ce huis clos à l'air libre. Jusqu'au 7 janvier 2018 Vieux -Colombier tél 01 44 58 15 15
lundi 4 décembre 2017
Tous des oiseaux. Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Ce sont ses épopées théâtrales - Littoral, Incendies et Forêt - qui ont favorisées la découverte de Wajdi Mouawad devenu depuis un an directeur du Théâtre national de la Colline. Les personnages de Tous des oiseaux sont, comme ceux des pièces auxquelles il doit sa renommée, victimes des soubresauts de l'Histoire. Au cours d'un repas familial censé être un moment de partage Eitan,le fils d'une famille juive établie à Berlin provoque la fureur de ses parents lorsqu'il leur présente Wahida, la jeune fille d'origine arabe dont il s'est épris. Petit à petit on découvre que tous ont eu des parcours chaotiques. Qu'aucun des protagonistes n'est assuré de son identité. Comme il l'a admirablement fait dans ses créations précédentes, Wajdi Mouawad démêle, à coup de révélations fracassantes, l'écheveau des difficultés rencontrées par chacun. Si le grand-père rescapé de la Shoah ne semble pas sectaire, il en va tout autrement de son fils, le père d'Eitan que ses certitudes rendent féroce. L'auteur a eu à coeur que chacun s'exprime dans sa propre langue. Les échanges se font en allemand, en anglais, en hébreux et en arabe. Les comédiens, tous d'une exceptionnelle intensité, viennent des horizons les plus divers. Ce qui en ces temps de replis identitaire est réjouissant. En réunissant des hommes et des femmes qui, pour leur malheur sont souvent laissés dans l'ignorance de leur propre histoire, Wajdi Mouawad (qui semble un brin s'identifier à la jeune arabe à laquelle il a donné un nom proche du sien) montre combien il est redevable aux auteurs des tragédies antiques. Jusqu'au 17 décembre Théâtre national de la Colline tél 01 44 62 52 52
vendredi 1 décembre 2017
Ivresse(s) de Falk Richter
Jean-Claude Fall, metteur en scène du spectacle dont il est aussi un des acteurs, a eu la bonne idée de réunir trois textes de l'auteur allemand Falk Richter qui n' a pas son pareil pour éreinter nos temps d'alerte. A travers une succession de scène pour la plupart magistralement enlevées, il montre combien l'âpreté des règles capitalistes ont insidieusement transformées les relations de couple y compris celles des pères avec leurs enfants. Au cours d'une scène mémorable une fille tente - en vain - de faire entendre à son plaintif paternel que son sort à elle lui a toujours été d'une indifférence crasse. Une jeune femme sans ressource qui accepte de jouer une nazie se prend au jeu. L'ampleur de ce que nous avons à supporter pousse les couples à s'écharper. Doté d'une solide fibre socio-politique l'écrivain en arrive à décrire un camp de protestataires qui, contrairement à leurs aînés, ne sont guidés par aucune idéologie mais ressentent viscéralement le besoin de transformer un monde dans lequel ils ont le sentiment de sombrer. Le décor artisanal à souhait enchante tant il est en accord avec le refus, exprimé tout au long de la pièce, d'une société où l'argent seul est roi. Reviens constamment dans ce spectacle défendu par six attachants comédiens la question que se poseront ceux qui après nous vivrons "comment on pouvait vivre comme ça, ça n'a pas de sens et on dira tout simplement: ben oui, c'était comme ça à l'époque, ils faisaient tous ça, c'est tout..." Jusqu'au 17 décembre Théâtre de la Tempête - Cartoucherie tél 01 43 28 36 36
mardi 28 novembre 2017
Festen de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov
La carrière du cinéaste danois Thomas Vinterberg atteignit avec Festen son firmament. L'adaptation théâtrale qu'a tiré du scénario de ce film le metteur en scène Cyril Teste est d'une qualité équivalente. Un grand bourgeois fête ses soixante ans. Il a invité pour l'occasion des convives triés sur le volet. La présence d'un des fils, dont le comportement risque de gâcher la soirée, n'est pas souhaitée. Il arrivera toutefois à s'imposer. C'est Christian, un autre fils, qui va foutre le bordel en révélant que Linda, sa soeur jumelle qui a mis fin à ses jours et lui furent durant leur enfance fréquemment violés par le patriarche. Celui-ci encaisse le coup sans broncher. La fête continue jusqu'à ce que Christian revienne à la charge. Le père et son entourage évoquent alors l'instabilité mentale du jeune homme. L'atmosphère devient électrique. Plus que dans le film se font jour le racisme et le mépris de classe qui règnent dans cet univers capitonné. Les comédiens tous excellentissimes sont filmés tout du long par deux opérateurs. Les images ainsi saisies sont projetées sur un écran situé au dessus de la scène. Sur l'écran apparaît aussi - surtout - le fantôme de la soeur morte. Comme Hamlet aux yeux de qui se manifeste le spectre de son père qu'il n'a de cesse de venger Christian voit surgir l'image de sa jumelle dont il a dévoilé les causes de son incurable mal de vivre. Cyrille Teste avait démontré la saison dernière avec Nobody qu'il était un metteur en scène capable de rénover le langage théâtral. Il se montre ici, avec un spectacle toutefois moins surprenant, à la hauteur des espoirs qu'on plaçait en lui. Jusqu'au 21 décembre Odéon Ateliers Berthier 17e tél 01 44 85 40 40
vendredi 24 novembre 2017
Maîtres anciens de Thomas Bernhardt
Dans Maîtres anciens, l'avant dernier de ses romans Thomas Berhardt donne la parole à un critique musical, personnage évidement à sa ressemblance. Parvenu à un grand âge il n'hésite plus à y aller de tout son mépris pour les grands noms du patrimoine culturel germanique. Beethoven, Stifter, Mahler et bien d'autres en prennent pour leur grade. Ses paroles deviennent plus furibondes encore quand il évoque Heideger dont l'engagement national socialiste et une pensée qu'il prétend faite d'emprunts à des philosophes d'une envergure infiniment plus grande que la sienne le fait vomir. Il n'épargne pas davantage ses propres ascendants qui se vantaient d'avoir des liens familiaux avec des hommes illustres mais firent de son enfance un enfer. Il semble n'avoir d'estime que pour Schopenhauer dont il ne peut qu'apprécier le pessimisme radical. Comme l'écrivain, son double, le critique musical vient de perdre sa femme. Elle sut, on le comprend, le consoler de vivre dans un monde qui lui faisait horreur. Seul en scène, ce qui lui convient on ne peut mieux, Nicolas Bouchaud (que met en scène Eric Didry) apparaît, tant par sa manière de dire le texte (qu'il a à merveille adapté pour la scène avec son metteur en scène et Véronique Timsit)que par sa gestuelle, comme l'un des comédiens de théâtre les plus adroit et doué du moment. Si l'oeuvre de Thomas Bernhardt est d'une véhémente noirceur elle apparaît aussi, tant sont nombreuses ses outrances verbales, d'un comique achevé. On sort de ce fait de la représentation le sourire aux lèvres. Jusqu'au 22 Décembre Théâtre de la Bastille tél 01 43 57 42 14
dimanche 19 novembre 2017
Angels in America de Tony Kushner. Mise en scène Aurélie Van Den Daele
Lorsque à la fin des années 80 Tony Kushner écrivit Angels in America l'épidémie de sida était à son point culminant. Bien que la maladie puisse aujourd'hui être combattue de façon plus efficace (pour peu qu'on vive dans un pays riche...) la pièce est toujours d'actualité. Cela bien sûr car sa construction continue à nous bluffer mais aussi pour la sinistre raison que l'apparition de ce mal sexuellement transmissible favorisa un retour de l'ordre moral qui fait depuis des ravages. Un des personnages aurait vu d'un bon oeil que soient stigmatisés ceux qui s'aventurent en dehors des clous. Il s'agit de l'avocat new yorkais Roy M.Cohn qui a bel et bien exister et fut l'éminence grise du sénateur républicain Mac Carthy. Son acharnement contre les Rosenberg, accusés d'être des agents de l'Union Soviétique, contribua à les mener à la chaise électrique. Il combattit avec la même virulence les mouvements gays pour les droits civiques. Bien que victime à son tour du sida il nia jusqu'à la fin être homosexuel. Antoine Caubet incarne de saisissante façon cet homme au contentement de soi hypertrophié et au caractère atrabilaire. Le fantôme d'Ethel Rosenberg assiste en jubilant à ses derniers et douloureux moments. La pièce est tout du long semée d'embardées oniriques. Certaines auraient gagnées à être raccourcies, comme celles qui bousillent le sommeil de Harper(Emilie Cazenave), la femme de Joe (Pascal Neyron), un garçon bien sous tous rapports mais que les femmes laissent indifférent. Parmi cette galerie de personnages dont la vie est saccagée par l'irruption de ce qu'on appelait le cancer gay, Belize (Sdney Ali Mehelleb), un infirmier noir et homosexuel, rappelle,lui, par sa superbe extravagance, les débordements du monde de la nuit. Lorsque se font entendre des chansons de David Bowie c'est, enfin,le meilleur de ces meurtrières années 80 qui se rappelle à notre souvenir. Jusqu'au 10 décembre Théâtre de l'Aquarium tél 01 43 74 99 61
jeudi 16 novembre 2017
Les trois soeurs d'après Tchekhov
On s'en doutait depuis la découverte de sa Médée et de quelques autres spectacles marquants : l'australien Simon Stone fait partie du minuscule contingent des surdoués de la scène. Il porte cette fois son choix sur l'une des pièces majeures de Tchekhov. Mais il n'en garde que la structure. Les dialogues sont, eux, réécrits en langage contemporain parfois d'une extrême crudité. Les relations qu'entretiennent les personnages se sont, elles aussi, transformées. Il ne s'agit plus pour Olga, Macha et Irina, les trois soeurs de rêver de Moscou où elles ont grandies. Comme tant de jeunes adultes pas trop fauchés d'aujourd'hui, elles ne savent pas trop où elles vont vivre leur vie. Pour l'heure elles se retrouvent avec leur frère André et quelques proches dans la maison de vacances familiales où, depuis la mort de leur père cinq ans plus tôt, elles ne s'étaient plus rendues. Si elles évoquent le bel autrefois c'est que les temps leur semblent être devenus rudes. Même si tous les espoirs ne leur apparaissent pas perdus. Ainsi Macha, la cadette mariée à un homme qui la vénère, s'est-elle éprise d'un voisin dont la femme semble atteinte de troubles psychiques. La passion qui les embrase leur fait envisager d'aller s'établir à Brooklyn. André, que guette la dépendance au jeu et aux drogues, s'est amouraché de Natacha, une jeune fille extravertie que ses soeurs ne peuvent souffrir. Ce personnage apparaît d'ordinaire, tout bonnement odieux. Alors que dans la pièce originale elle chasse une vieille servante devenue inutile, elle prend ici elle même les jambes à son cou quand, devenue mère de deux enfants, elle se rend compte que l'homme camé jusqu'aux yeux qu'elle a épousé ne pourra jamais lui assurer une existence confortable. Une des nombreuses qualités de Simon Stone est qu'il fait entendre ce qui agite en profondeur chacun des protagonistes. Victor, dont les provocations tous azimuts insupportent l'entourage, voue en fait à celui qui doit épouser Irina, une amitié éperdue. En guise de décor le metteur en scène et la scénographe Lizzie Clachan ont imaginé une maison tournante qui permet de voir chacun sous des angles différents et de saisir des conversations ou des confidences parfois amusantes d'autrefois déchirantes. Si le spectacle porte si haut l'exigence artistique c'est que les acteurs y sont, comme rarement, valorisés. Ils sont onze (Jean-Baptiste Anoumon, Assaad Bouab, Eric Caravaca, Amira Casar, Servane Ducorps, Eloïse Mignon, Laurent Papot, Frédéric Pierrot, Céline Sallette, Assane Timbo, Thibault Vinçon) dont la cohésion semble être celle d'une troupe alors que pour la plupart ils ne se connaissent que depuis peu. Jusqu'au 22 décembre Odéon 6e Tél 01 44 85 40 40
vendredi 10 novembre 2017
Bella figura Texte et mise en scène Yasmina Reza
Yasmina Reza a l'art de sonder notre époque en réunissant quelques personnages que les circonstances ont ravi à leurs habitudes. Un couple d'amants (Boris, un homme d'affaire et Andréa, préparatrice en pharmacie) se querellent sur la parking d'un restaurant. Surgit un autre couple, celui là légitime, accompagné de la mère - dont c'est l'anniversaire - du mari. De vagues liens unissent les nouveaux venus à Boris. Après les salamalecs d'usage les rapports se tendent. Boris est aux abois. Son entreprise, peu respectueuse de la législation, périclite. Andréa qui semble par instants s'être dépris de lui se comporte avec un naturel qui l'embarrasse. Seule Yvonne, la vieille dame, a l'imprévisible Andréa à la bonne. La présence déphasée comme les propos décalés de cette femme dont l'âge est un mystère donnent à cette improbable rencontre un climat doux dingue. Comme son écriture, la mise en scène de Yasmina Reza est d'une remarquable précision. Le spectacle est porté par des comédiens au métier éprouvé. Emmanuelle Devos montre une fois de plus l'étendue de son registre. Face à elle LOuis-Do De Lencquesaing est on ne peut plus convaincant en chef d'entreprise qui ne sait comment se sauver de la débine. Josiane Stoleru campe, pour sa part, avec un rare bonheur une vieille femme dont à la mémoire se dézingue. Un spectacle qui réunit tous les ingrédients pour faire un succès. Jusqu'au 31 décembre Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21
mardi 31 octobre 2017
C'est la vie. Texte et conception Mohamed El Khatib
Donner un avis sur "C'est la vie" n'est pas concevable. Deux comédiens, Daniel Kenigsberg (61 ans) et Fanny Catel (37 ans) ont, il y a trois ans, chacun perdu un enfant. Sam âgé de 25 ans a décidé d'en finir. Josephine souffrait de pathologies lourdes qui, alors qu'elle avait atteint sa cinquième année, ont eu raison d'elle.Chacun raconte avec ses mots ce que ce séisme a provoqué en eux. D'identité culturelle juive, Daniel Kenigsberg a bravé des interdits séculaires en portant le cercueil de son fils ce qu'un père n'est pas autorisé à faire. Alors que le Talmud condamne le suicide il s'est adressé à un rabbin éclairé qui n'a pas souscrit à cette tradition. Les plaisanteries faisant le sel des réunions ashkenazes, il ne se prive pas d'en rappeler quelques unes d'une saveur irrésistibles. Il n'hésite pas non plus à inventer des anecdotes qui mettent en valeur Djamel Debouze ou moquent Christian Clavier. Fanny Catel s'en tient, elle aux faits mais arrive néanmoins à balancer une phrase qui laisse son partenaire sans voix. Il apparaît vite qu'il n'est en français (comme dans la plupart des langues à l'exception de l'hébreu et de l'arabe)pas de mots pour désigner les parents qui ont perdu un enfant.L'initiative de cet ensemble de réflexions sur la perte d'un être cher revient à Mohamed El Khatib qui a, lui, écrit et interprété Finir en beauté où il se remémore la mort de sa mère. Il s'est, cette fois pour ce qui est de l'élaboration et l'écriture de C'est la vie, fait le complice des deux acteurs. Lesquels sont à la fois présents sur scène et sur des écrans conçus par le plasticien vidéaste Frédéric Hocké. Dans le cadre du Festival d'Automne. Jusqu'au 7 novembre Théâtre Ouvert tél 01 42 55 74 40 Du 10 au 22 novembre Espace Cardin/Théâtre de la Ville
jeudi 26 octobre 2017
Intra Muros écrit et mis en scène par Alexis Michalik
Alexis Michalik a le vent en poupe. Ce qui n'est pas fait pour surprendre puisque Le porteur d'histoire, Le cercle des illusionnistes et Edmond, ses précédentes pièces à la langue ciselées sont aussi riches en péripéties, retournements de situation, émotion et humour que des bonnes séries télévisuelles. Ce qui est aussi le cas de Intra muros, sa petite dernière. Elle se déroule entre les quatre murs d'un lieu de détention pour des condamnés à de lourdes peines. Un metteur en scène de théâtre qui, lui, na pas rencontré la gloire, vient y faire son premier cours épaulé par une actrice qui fut sa femme et une assistante sociale moins godiche qu'il n'apparaît de prime abord. Celui qui semble jouer son va tout et espérait que son cours allait attirer de nombreux détenus ne tarde pas à faire la cuisante constatation que seuls deux d'entre eux se montrent intéressés. L'un, Kevin, bouillonne d'énergie, l'autre nettement plus âgé ne décroche pas un mot. Petit à petit chacun -y compris les théâtreux - vont se livrer. Les récits s'enchevêtrent à merveille grâce au métier dont font preuve les cinq comédiens - soutenus par un musicien - qui passent d'un rôle à l'autre. On aurait raison de trouver parfois mécanique le déploiement de virtuosité, qui caractérise les mises en scène d'Alexis Michalik et déplorer que l'avalanche de rebondissements jamais ne connaisse de répit. Mais on ne peut que constater que le public, en majorité jeune, y trouve son compte. La Pépinière théâtre tél 01 42 61 44 16
mardi 17 octobre 2017
Ceux qui restent. Conception David Lescot
Lorsque la Pologne tombe en 1939 sous le joug nazi Paul avait 7 ans, sa cousine Wlodka 12. Ils sont du petit nombre des témoins encore en vie des atrocités commises dans le ghetto de Varsovie avant qu'il ne fut liquidé et ses habitants déportés à plein convois. Face à David Lescot, ils ont rameutés des souvenirs que pendant des décennies ils furent incapables de mettre en mots. Paul est le fils d'un libre penseur, sa cousine la fille d'un membre du Bund (mouvement révolutionnaire juif) Si les deux enfants purent échapper à une soldatesque rompue à l'insensibilité c'est que des jeunes non juifs les aident à travestir leur identité et leur trouvent des familles qui contre paiement acceptent de les cacher. Si quelques personnes leur viennent en aide, la plupart, se souviennent-ils, étaient plutôt enclins à les dénoncer.Par amour de l'argent comme par haine du "youpin"Malgré ce que Paul appelle des couacs de la mémoire, il en arrive à en rassembler des bribes. Arrivé en France où il vécut dans des maisons d'enfants de l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide il ne dira mot de son passé. Jamais les enfants regroupés dans ces lieux n'évoquent leur famille disparue ou les épreuves qu'ils ont traversés. Plus tard il est devenu astrophysicien et a, comme sa cousine, fondé une famille. A celle-ci il s'est, sur ses vieux jours, mis à parler. A une époque où tant d'humains sont à nouveau privés du droit d'avoir des droits les témoignages de Paul et de Wlodka ne peuvent qu'éclairer une jeunesse abreuvée d'informations souvent douteuses. Les interprétations d'Antoine Mathieu et de Marie Desgrange qui, sous la direction délicate de David Lescot, se glissent dans la peau et les nerfs des enfants rescapés sont de celles qui s'impriment en nous. Du 18 au 28 octobre puis du 7 novembre au 9 décembre. Théâtre Dejazet tél 01 48 87 52 55
samedi 14 octobre 2017
Zig Zig de Laila Soliman
Figure phare de la scène égyptienne Laila Soliman rappelle dans Zig Zig des faits atroces que se sont produits en 1919 dans un village de son pays alors sous mandat britannique. Pour se venger d'une agression subie dans la région des soldats de l'empire ont violé de nombreuses paysannes puis après avoir fait main basse sur l'argent et les bijoux ont incendiés leurs maisons. Un procès a suivi au cours duquel plusieurs des femmes outragées ont pris la parole et décrit leur calvaire. Ces récits cinq comédiennes s'en sont emparés qui se glissent tour à tour dans la peau des victimes et de ceux qui jugent de la véracité de leurs témoignages. Il s'agit là d'un théâtre a minima mais d'une puissance peu commune. Les sévices subis par ces femmes ont provoqués chez plusieurs d'entre elles des troubles de l'identité. Ce qui permet à ceux qui les jugent de distordre les faits et de considérer mensongères leurs dépositions. Rentrés au pays les soldats violeurs s'en tirent, eux, sans casse. Ce théâtre documentaire trouve en cette époque qui connaît tant de séismes politiques de troublants échos. Il est,on le remarque, fait peu de cas des paroles de ceux qu'on appelle les migrants. Allégeant la représentation les comédiennes exécutent quelques pas de danse. A d'autres instants c'est pour notre plus grand plaisir que s'élève la voix d'Oum Khalthoum. Dans le cadre du Festival d'Automne. Jusqu'au 21 octobre Nouveau Théâtre de Montreuil tél O1 48 70 48 90
lundi 2 octobre 2017
Stadium Performance documentaire Texte de Mohamed El Khatib
Stadium a l'immense mérite de ne s'inscrire dans aucune tradition. Pour en écrire le texte Mohamed El Khatib, lui-même fan de foot qu'il a pratiqué à haut niveau, s'est longuement entretenu avec des supporters du RC Lens. A partir du matériau recueilli il a conçu ce qu'il appelle une performance documentée et documentaire. Le plateau est occupé par une foule d'hommes, de femmes et d'enfants qui consacrent une part substantielle de leur temps à leur passion et surtout à supporter leur club. Ce qui, on s'en doute leur permet d'échapper aux pesanteurs de la réalité. Et semble les rendre solidaires les uns des autres. Une grand-mère qui défend avec conviction les couleurs du club est entourée de sa nombreuses descendance dont tous les membres - à l'exception d'une belle fille qui soutient une autres équipe... - partagent sa passion. Tous s'expriment sans détour et d'une façon le plus souvent savoureuse. Beaucoup y vont de quelques paroles bien senties où ils apparaissent d'une parfaite lucidité tant pour ce qui est de l'assujettissement des clubs sportifs au système marchand qu'en ce qui concerne les difficultés que connaît leur région où depuis la fermeture des mines et l'effondrement de l'industrie sidérurgique le chômage va en progressant. Ce qui, comme le souligne un maire du Nord Pas de Calais explique le vote protestataire en faveur du Front national d'électeurs d'une région traditionnellement de gauche. Certains se livrent sur un écran situé en fond de scène notamment un homme jeune qui constate que le supporterisme l'intéresse au delà de toute mesure et lui fait faire des sacrifices qu'il risque fort de regretter dans quelques années. Tout n'est donc pas rose chez les membre du Racing Club de Lens. Ce qui n'empêche que le nombre grandissant de supporters qui ont rejoint le plateau où beaucoup se sont mis à danser évoquent irrésistiblement les kermesses et marchés peints par Breughel l'ancien. Dans le cadre du Festival d'Automne et en collaboration avec le Théâtre de la Ville. Jusqu'au 7 octobre La Colline tél 01 44 62 52 52
mardi 26 septembre 2017
Les jumeaux vénitiens de Carlo Goldoni
Jean-Louis Benoit n'a pas son pareil pour aborder des pièces où cohabitent la farce et l'émotion. Les jumeaux vénitiens imaginés par Goldoni ont été séparés à leur naissance. Une vingtaines d'années plus tard ils se trouvent, sans le savoir, tous deux dans la même ville. L'un est un homme dégourdi, l'autre un crétin. Le premier est venu retrouver celle qu'il aime, le deuxième la fille qu'il n'a jamais vue à laquelle on le marie. Leur parfaite ressemblance va créer une avalanche de quiproquos. Le metteur en scène a eu l'heureuse initiative de se lancer dans une adaptation qui respecte le parler brut et à l'occasion le verbe vert qu'affectionnait l'auteur. De ce fait les dialogues constamment font mouche. Montée à un rythme soutenu la pièce apparaît dans toute sa saveur. Pris dans un faisceaux de malentendus, les personnages comprennent que dalle à ce qui leur arrive. C'est ainsi que l'un des frères que la vue d'une épée fait défaillir est pris pour son jumeau solide bretteur... Jean-Louis Benoit montre comme le plus souvent une grande sureté dans sa direction d'acteurs. Entourant Maxime d'aboville qui campe avec époustouflante maestria les jumeaux Victoire Bélézy, Thibault Lacroix et leurs partenaires y vont de tout leur savoir faire. Une mention spéciale à Olivier Sitruk distribué avec justesse dans le rôle d'un faux dévot et authentique canaille qui évoque le Tartuffe de Molière écrit en en 1669. Comme Goldoni écrivit la sienne de pièce 75 ans plus tard on présume qu'il s'en est inspiré. Vieux complice du metteur en scène, Jean Haas a conçu un décor si astucieux que les événements les plus saugrenus peuvent s'y situer. Jusqu'au 31 décembre Théâtre Hébertot tél 01 43 87 23 23
jeudi 21 septembre 2017
Haute surveillance de Jean Genet
Cédric Gourmelon avait monté cette pièce emblématique de Jean Genet il y a vingt ans. Ce fut un émerveillement qui se reproduit aujourd'hui dans la mise en scène qu'il réalise dans le cadre de la Comédie- Française. L'auteur, qui connut l'enfer des bagnes pour enfants, savait d'expérience combien il importe à ceux qui sont enfermés de trouver le moyen d'enchanter leur séjour. Dans son théâtre comme dans ses romans Genet éleva la voyouterie au niveau de la mythologie. Ici ils sont trois dont l'un, Yeux verts, est condamné à mort. Ce qui lui confère aux yeux de ses co-détenus un violent attrait. L'un, Maurice ne cache pas la passion qu'il lui voue. L'autre, Lefranc, seul lettré du trio, écrit les lettres qu'il envoie à sa femme. Entre ces deux hommes la jalousie gagne constamment du terrain. Lorsque leurs regards s'éprouvent le plateau ressemble à une arène. Yeux verts qui, lui, s'exprime le plus souvent à travers des monologues, affirme qu'il est déjà mort. Il semble d'ailleurs, à certains instants désincarné. Comédiens au métier sûr, Sébastien Pouderoux, Jérémy Lopez, Christophe Montenez et Pierre Louis-Calixte (qui campe le surveillant, le gaffe comme ils disent) manient à merveille la langue en fusion de Genet. Les somptueuses lumières d'Arnaud Lavisse achèvent de rendre ce spectacle, osons le mot, ensorcelant. Jusqu'au 29 octobre Studio - Théâtre de la Comédie-Française tél O1 44 58 15 15
lundi 18 septembre 2017
La pitié dangereuse de Stefan Zweig
En adaptant pour la scène le roman de l'autrichien Stefan Zweig, le metteur en scène britannique Simon McBurney révèle l'étourdissante richesse de son vocabulaire théâtral. Dirigeant cette fois des comédiens de la Schaubühne de Berlin, il réalise à sa façon le rêve européen de Zweig. A la veille de la première guerre mondiale le lieutenant Anton Hofmiller, né dans une famille modeste, se trouve de manière inopinée invité chez un richissime propriétaire terrien. L'accueil chaleureux que lui fait ce père d'une jeune paralytique a sur lui un effet enchanteur. Les sarcasmes de ses camarades de beuverie qui traitent son hôte d'origine juive d'escroc ne l'atteignent pas. L'écrivain explore jusqu'à l'effroi la relation qui se noue entre l'officier et l'infirme qui s'est prise pour lui d'un fol amour. Que submergé par la compassion il n'a pas la force de décourager. Et qu'au contraire, malgré une panique grandissante et à son corps défendant, il entretient. Ce qui aura des conséquences dévastatrices. Simon McBurney a réalisé là un spectacle d'une puissance déflagrante. Porté, cela va sans dire, par les acteurs d'une troupe considérée à juste titre comme l'une des meilleures du continent. Dans le cadre du Festival d'Automne et en collaboration avec le Théâtre de la Ville-Paris; Jusqu'au 24 septembre Les Gémeaux 92 Sceaux tél 01 46 61 36 67
mercredi 13 septembre 2017
YOU YOU de Jovan Atchine
You You, qui s'appele en réalité Yougoslavia, est le nom par lequel l'appelait monsieur Rozenberg, qui fut son patron et l'homme de sa vie. Celui-ci vient de mourir. Son fils qui a repris la direction de sa florissante entreprise et que la présence de l'amie de son père indispose lui a "accordé" ses droits à la retraite. Face au personnel de la maison où elle mena des décennies durant une vie industrieuses, You You, tout sourire, fait un discours d'adieu. Celui-ci est entrecoupé par le récit des événements marquants de sa vie. Née au bord du Danube, lequel précise t'elle n'est pas bleu, elle dût quitter son pays quand, après avoir chassés les allemands, les russes, amateurs forcenés des femmes des pays conquis ou libérés, l'occupèrent. Après avoir mené à Paris une existence précaire, elle fit la connaissance de celui qui allait densifier sa vie. Son mariage les éloigna. Mais il revint vers elle quand son couple se mit à battre de l'aile. Il comprit alors que le fils qu'elle élevait était aussi le sien. Aujourd'hui ce fils s'est envolé pour Amérique où il voulait qu'elle le rejoigne. Mais dévouée à son homme comme à sa "boîte, elle déclina son offre. Elle se trouve aujourd'hui irrémédiablement seule et ulcérée que dans la société actuelle les vieux, quelles que soient leurs compétences, soient mis au rebut.
Le texte a l'écriture d'une délicatesse extrême est de l'auteur et réalisateur franco-serbe Jovan Atchine. Il est interprété par Mina Poe, comédienne d'élite qui le joue avec l'accent serbo-croate de sa famille et qui longtemps s'est tenue éloignée du métier pour créer une marque de prêt à porter. Elle y revient à présent en rejouant cette partition à laquelle elle s'était mesurée sous la direction de Philippe Adrien en 1983. C'est Elodie Chanut qui assure cette fois la mise en scène. De façon on ne peut plus subtile.
Studio Hébertot tél 01 42 93 13 04
jeudi 7 septembre 2017
La dame de chez Maxim . Texte de Georges Feydeau
Il a été maintes fois prouvé que les pièces de Feydeau sont des mécaniques dont il faut respecter les ressorts. La metteuse en scène Johanna Boyé n'en a eu cure qui a réduit de quasi moitié La dame de chez Maxim. Elle courait ce faisant le danger que le spectacle apparaisse comme un "best off" d'une comédie aussi célèbre qu'irrésistible. Il n'en est fort heureusement rien. Elle a réalisé son adaptation pour seulement sept comédiens qui ne ménagent pas leur énergie. Monsieur Petypon trouve au lendemain d'une soirée très arrosée une dame de petite vertu, appelée la môme crevette, dans son lit. Comme il est marié à une bigote et que surgit chez lui sans crier gare un oncle, général aux colonies, il n'en mène pas large. D'autant que sa compagne d'une nuit s'exprime rondement et sait tirer profit des situations les plus alarmantes. D'un tempérament nettement plus timoré et d'une duplicité infiniment plus grande Petypon est, lui, tout tourneboulé. Feydeau nous plonge, comme à son habitude, dans un monde en ébulition et brosse un peinture décapante de la dite bonne société. Multipliant les trouvailles Johanna Boyé mène son spectacle à un rythme constamment trépidant. Le jeu survitaminé des interprètes, parmi lesquels Florian Choquart, Vincent Viotti, Arnaud Dupont et Vanessa Cailhol,
fait le reste. Cette représentation sans temps morts a tout pour plaire à un public essentiellement jeune que grise la vitesse. Jusqu'au 15 octobre Théâtre 13/Jardin tél 01 45 88 62 22
vendredi 4 août 2017
Quelques perles glanées dans le off d'Avignon
Plusieurs jours déjà que le festival a pris fin. Mais les souvenirs de quelques spectacles découverts in extremis dans le off restent vifs.Ce qui est le cas de "Tu seras un Homme papa" de Gaël Leiblang qui, sous la direction de Thibault Amorfini, l'interprète en solo. Ancien journaliste sportif, il se remémore les 13 jours chagrin où Roman, son fils né prématurément, fut gardé en couveuse. Avant le dénouement redouté la famille du nouveau né connut l'épreuve des espoirs constamment déçus. L'écriture aida le père à tenir le coup. Le sportif qu'il n'a cessé d'être s'employa à se battre contre l'effondrement. Une sorte de journal on ne peut plus intime est né dont, convaincu que le théâtre peut grandement contribuer à se refaire, Thibault Amorfini, metteur en scène aussi précis que doué d'une sensibilité exacerbé a tiré un spectacle qu'on quitte submergé par l'émotion.
Dans "Chuuuuuut!" Emmanuelle Rivière, également seule en scène, fait de sa vie la matière première de son spectacles. Ses souvenirs, notamment celui de sa bruyante grand-mère espagnole, remontent à tire d'aile. Du temps de son enfance, elle aussi d'un tempérament excessif, s'entendit sans cesse dire qu'elle en faisait trop. Après l'avoir du coup trop souvent bouclée elle laisse son esprit dériver et nous livre avec un humour incendiaire ce qu'elle appelle son brouhaha intérieur. Auteur dramatique à la réputation amplement méritée, l'irlandais Martin Mcdonagh s'attache dans "La reine de beauté de Leenane" - dont s'est emparée Sophie Parel - à un couple mère-fille englué dans une vie sans autre distraction que les incidents qui les dresse l'une contre l'autre. Revenu pour quelques jours de Londres où il est allé gagné de quoi subsister un garçon découvre, après n'avoir songé qu'à passer avec elle du bon temps, qu'il s'est épris de la fille de la misérable maison. Peu après il lui demandera de tenter avec lui l'aventure de l'Amérique. Grâce à la traduction fidèle du parler terrien des personnages faite par Gildas Bourdet et au jeu impressionnant de justesse de Marie-Christine Barrault (qui l'a joué en alternance avec Catherine Salviat), d'Alexandre Zambeaux et d'Arnaud Dupont ce spectacle a fait tout du long salle comble. Jean-Louis Bourdon nous dépeint avec "L'étrange destin de M. et Mme Wallace", sur lequel Marion Bierry a jetté son dévolu, une Amérique qui n'est, elle, pas de rêve. Madame Wallace est une femme dévastée par l'ennui et par le souvenir d'une fausse couche. Le jour où elle découvre dans sa poubelle un nourrisson noir elle ne se tient plus de joie. Le mari l'a, lui, mauvaise. Ce qui n'est pas étonnant puisqu'il est un membre actif du Ku klux Klan. Il finit pourtant par comprendre que sa femme et lui menaient jusqu'alors un existence rabougrie.Opinion que ses compagnons de virée ne partagent pas. Comédienne à très forte présence, Marianne Epin tire adroitement son épingle du jeu. Il faut en revanche beaucoup d'imagination pour se convaincre que Bernard Menez, qui excelle dans les rôles de benêt, puisse être un leader d'une bande de racistes prêts à commettre les pires exactions. De racisme il est aussi question dans le captivant "Voyage de Dranreb Cholb" qu'a écrit (d'abord sous forme de récit puis de pièce) et monté Bernard Bloch. Seul juif d'un groupe de touristes qui sillonnaient Israël et les territoires occupés, il discuta avec quantité de personnes dont la plupart exhalèrent leur amertume. Les témoignages les plus marquants sont restitués par l'entremise de comédiens qui apparaissent sur un écran. Sur le plateau c'est le toujours excellent Patrick Le Mauff qui relate les étapes de ce voyage dans une région du monde où les compromis politiques apparaissent décidément, et sans doute pour le malheur de tous, inenvisageables. Joué par Thomas Durant et Mélissa Broutin "La nuit et le moment" de l'écrivain libertin Crébillon fils fut un des moments les plus délectables du off. Un homme et une femme évoquent dans une langue délicieusement ciselée leurs bonnes fortunes passées. Les mots virevoltent alors qu'ils se font tantôt des avances
tantôt mine de se repousser. L'atmosphère est, pour notre plus grand plaisir, électrique. Le dernier coup d'archet fut donné par Vivaldi Piazzolla. Sous la conduite de Marianne Piketty de jeunes musiciens interprètent Les saisons de Vivaldi et celles de Piazzolla lesquelles s'enchevêtrent.Et l'on sourit enfin aux anges.
vendredi 23 juin 2017
Richard III de William Shakespeare
A une époque où des responsables politiques prennent de plus en plus de liberté avec la vérité, on conçoit qu'il soit pour de nombreux metteurs en scène tentant de se confronté à Richard III de Shakespeare. Metteur en scène d'une virtuosité quasi sans égale Thomas Ostermeier tire de cette pièce parmi les plus célèbres un spectacle qui secoue. Même s'il ne convainc pas de bout en bout. Lars Eidinger, comédien dont on a fréquemment apprécié l'exceptionnel talent incarne un prince puis roi qui masque sa dangerosité sous des aspects bouffons. Il prend un plaisir manifeste à bruyamment se moucher et à bâfrer les plats qui lui sont servis. Du coup il incarne le dérèglement du pouvoir à la manière d'Ubu. Comme chez de nombreux personnages de Shakespeare l'engagement moral lui est étranger. Le problème est que ce plaideur averti de sa bonne foi alors qu'il n'est qu'intrigues retorses et desseins criminels fait plus souvent rire qu'il ne terrifie. Son rôle est tellement prééminent et sa composition si haute en couleurs que ses partenaires semblent faire de la figuration.La traduction limpide de Marius von Mayenburg et surtout la scène finale d'une audace et d'une splendeur sidérantes finissent par laisser de ce spectacle pourtant imparfait une impression d'une rare puissance. Jusqu'au 29 juin Odéon - Théâtre de l'Europe tél01 444 85 40 40
mercredi 14 juin 2017
Réparer les vivants de Maylis de Kerangal
Rares sont les spectacles qui nous hypnotisent autant que cette adaptation réalisée par Sylvain Maurice de l'ouvrage déjà renommé de Maylis de Kerangal. Se gardant de tout sentimentalisme, l'auteur détaille dans un style vif et précis la mort accidentelle d'un garçon de 19 ans.La greffe de son coeur permettrait de sauver la vie d'une autre personne. Les parents, qui au départ éperdus de chagrin s'insurgent, sont relayés par des membres du corps médical qui se montrent furieusement efficaces. L'écrivain, qui a le sens du trait, évoque sans s'y attarder les caractéristiques de ces personnages d'une compétence hors pair. Comédien qui ne cesse artistiquement de grandir, Vincent Dissez, debout sur un tapis roulant sur lequel il esquisse quelques pas de danse, prend les voix des différents protagonistes. Juché sur le haut du décor en forme de tombeau imaginé par Eric Soyer, le talentueux compositeur et musicien Joachim Latarjet accompagne de bout en bout ce voyage du pire à l'espoir. L'entremêlement des paroles et des sons est on ne peut plus heureux. En un temps où les raisons de s'affliger sont si fortes ce spectacle rappelle, comme le livre dont il est issu, qu'il est des progrès qui sont source de vie. Il est peu de représentation qui, comme celle-ci, nous fait ressentir les pulsations du temps. Elle mérite amplement la découverte. Jusqu'au 24 juin Théâtre des Abbesses tél 01 42 74 22 77
lundi 12 juin 2017
Jan Karski (mon nom est une fiction) de Yannick Haenel
Si l'ouvrage de Yannick Haenel est d'une force qui défie l'entendement c'est qu'il s'inspire du rapport explosif écrit par Jan Karski. Agent de liaison entre la résistance polonaise et le gouvernement en exil de son pays, il se rendit - sur la demande de deux responsables qui espéraient que son témoignage sauverait ce qui restait des leurs - deux fois dans le ghetto de Varsovie où il assista à des scènes d'une horreur inconcevable. Ceux qui n'avaient pas encore été envoyés dans les camps d'exterminations étaient des morts vivants à la merci des patrouilles de jeunes soldats nazis qui prenaient plaisir à les tirer comme des lapins. Sa visite dans un camp où ils étaient traités avec une férocité inouïe par des hommes exercés à l'insensibilité avant d'être entassés dans des wagons plombés dans lesquels on les laissa mourir de faim, l'empêcha jusqu'à son dernier jour de trouver le sommeil. Comédien investi dans son rôle avec une ferveur confondante, Laurent Poitrenaud raconte les vains effort que fit Karski pour faire savoir aux dirigeant politiques anglais et américains que l'extermination des juifs d'Europe était en cours. Roosevelt refusa d'y croire ou plutôt fit mine de refuser d'y croire.Il était en réalité passé maître dans l'art de l'esquive et les suppliques des deux hommes qui avaient pris contact avec Karski restèrent lettres mortes. Dans le temps suspendu de la représentation que met fiévreusement en scène Arthur Nauziciel on redécouvre, comme le firent ceux qui connurent cette période, que le fond de bestialité que des siècles de savoir vivre avaient refoulés ressurgit avec une sidérante facilité. Pas étonnant que Karski baigna tout le reste de sa vie (il mourut en 2000) dans le noir de ce temps. Ajoutons que la voix de Marthe Keller qui accompagne tout du long le spectacle rappelle qu'il est des êtres qui ne cèdent jamais au pire. Jusqu'au 18 juin Théâtre National de la Colline tél O1 44 62 52 52
samedi 10 juin 2017
Art de Yasmina Reza
La pièce de Yasmina Reza connut il y a quelques années un tonitruant succès. Grâce surtout à l'interprétation de Fabrice Lucchini, Pierre Arditi et Pierre Vaneck qu'avaient mis en scène Patrice Kerbrat. D'autres pays s'en entichèrent à leur tour. Aujourd'hui, qu'elle apparaît pour ce qu'elle est, c'est à dire une oeuvre de boulevard intelligemment troussée, c'est heureusement des comédiens de la troupe Belge TG STAN et néerlandaise Dood Paard, qui s'en emparent. Pratiquant avec talent la dérision les membres de ces troupes dynamisent la pièce. Un homme fortuné a acheté un tableau entièrement blanc pour une somme rondelette. L'un de ses amis, rebelle aux modes, ne se prive pas de lui dire combien il trouve le tableau merdique. Yvan, un de leurs amis communs a, lui, des convictions malléables. Ce qui lui vaut d'être la cible des sarcasmes de ses deux compères.Le ton n'arrête de monter. Le temps ne favorisant pas nécessairement les amitiés celle qui lie les trois hommes semble sur le point d'imploser. Mais la raison teintée d'humour l'emportera. La passe dangereuse que les trois hommes ont traversées aura néanmoins révéler la complexité et la fragilité des relations humaines. Les comédiens n'ont, c'est une chance, pas l'esprit de sérieux. Leur jeu farfelu et leurs fréquentes adresses au public mettent le public en joie. Jusqu'au 30 juin Théâtre de la Bastille tél 01 43 57 42 14
vendredi 2 juin 2017
Boxe Boxe dirigé et chorégraphié par Mourad Merzouki
Mourad Merzouki n'a de cesse de donner de l'ampleur à Boxe Boxe qu'il créa en 2010. Il a cette fois convié le quatuor à cordes Debussy à participer à l'aventure. Sa présence, au départ dans l'obscurité, rend les combats que se livrent les huit danseurs particulièrement gracieux. D'autant qu'ils boxent dans le vide et se livrent à des exploits d'une beauté à couper le souffle. La drôlerie de certaines séquences - notamment celles où l'arbitre (Dieguiho) se livre à d'inimaginables acrobaties - rappellent les affrontements de Laurel et Hardy ou la présence sur le ring face à un colosse du fluet Charlie Chaplin. Mais loin d'être constamment burlesque le spectacle engendre parfois de la mélancolie. En particulier au cours du solo sublimement interprété par Teddy Verardo alors que les musiciens jouent La jeune fille et la mort de Schubert. Au confluent du hip-hop et de la danse contemporaine Boxe Boxe est à sa façon un témoignage sur notre époque. Une représentation dont on sort heureux. Jusqu'au 18 juin Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21
samedi 27 mai 2017
Une vie de Pascal Rambert
Bizarre que des journalistes de théâtre que je considères parmi les plus éclairés n'aient pas de phrases assez louangeuses pour parler d'Une vie qu'a écrit et mis en scène Pascal Rambert. Il s'agit, à l'inverse, pour moi, d'un ramassis de clichés enrobés dans une langue boursouflée. Un spectacle qui loin d'exciter la réflexion la comprime. En dépit de la présence de comédiens aussi balèzes et subtils que Denis Podalydès, Hervé Pierre, Cécile Brune, Jennifer Decker et Pierre-Louis Calixte ce cheminement dans le labyrinthe du passé d'un artiste m'est apparu dénué de la moindre grâce.Comédie Française/Vieux Colombier tél 01 44 39 87 00
jeudi 25 mai 2017
Des hommes en devenir d'après Bruce Machart
Sur un plateau baigné de pénombre six hommes perclus de solitude viennent successivement raconter des pans de leur vie grosse de désastres. L'un affronte l'imminence d'une disparition, le nourrisson d'un autre est mort né, un troisième n'a plus touché une femme depuis douze ans... Ecrivain texan issu d'une famille d'agriculteurs, Bruce Machart a visiblement côtoyer des êtres que des événements traumatiques ont plongés dans une douleur sans fond. Il a, semble t'il, le sentiment qu'en leur donnant la parole il leur permet de mettre leur chagrin à légère distance. Le metteur en scène Emmanuel Meirieu a l'art peu commun de porter à la scène, en en conservant la puissance, des romans d'auteurs justement réputés. Ce qu'il a fait avec Russel Bank dont il a monté De beaux lendemains et avec Sorj Chalandon dont il a tiré de Mon traitre un spectacle remarquable. Bien que le climat qui se dégage de la représentation soit anxiogène, on ne peut qu'être épaté par la force de la mise en scène et du jeu des comédiens que des vidéos font parfois apparaître en gros plan. La virtuosité dont fait preuve dans ses compositions Xavier Gallais est connue. Elle est ici encore plus impressionnante que d'ordinaire. Jérôme Kircher fait, lui, de l'aide soignant qu'il incarne un homme dont l'humanité et le calme qu'il conserve dans les situations les plus insoutenables nous remue au plus profond.Toute aussi prodigieuse est l'interprétation de Jérôme Derre qui travailla fréquemment sous la direction avertie de Chantal Morel. Un spectacle dont on sort sonné mais qu'on aurait tort de ne pas recommander. Jusqu'au 10 juin Théâtre Paris-Villete tél 01 40 03 72 23
vendredi 19 mai 2017
Histoire du soldat de Ramuz et Stavinsky
De l'amitié de Stravinsky et de l'écrivain Ramuz est né en 1918, cette "Histoire du soldat" qui mêle à une oeuvre musicale de toute beauté un récit chimérique né du souvenir tout proche de la Grande Guerre. Si le résultat de leur collaboration est fréquemment monté le metteur en scène Stéphan Druet est sans doute le premier à avoir l'audace de ne pas faire appel à un récitant pour raconter l'étrange aventure du soldat mais de la faire jouer par des comédiens. Alors que les 7 musiciens qui appartiennent à un orchestre d'insertion d'interprètes de haut niveau jouent en direct sur une scène minuscule, le candide soldat qui rentre chez lui en permission croise la route d'un véritable ordonnateur d'illusions qui n'est autre que le diable. Celui-ci propose au soldat de lui vendre son violon - autrement dit son âme - contre un livre qui prédit l'avenir et le rendra riche. Le garçon cède et après avoir connu quelques jours de félicité ira, malgré d'éblouissantes rencontres, de déconvenues en déconvenues. Au pays de son passé il passe inaperçu et malgré son nouveau et enviable statut n'arrivera jamais à retrouver sa mère. Ses doléances outragées amusent l'être maléfique qui l'a circonvenu. Si les musiciens jouent avec grâce de leur instrument Claude Aufaure, lecteur du texte joue du sien d'instrument, c'est-à dire de sa voix, avec un métier et un talent prodigieux. Licinio Da Silva compose un être maléfique singulièrement réjouissant. Quant au choix de Fabian Wolfrom pour jouer le soldat, il est, lui aussi, particulièrement heureux. On l'a compris : passionnés de théâtre comme fans de Stavinsky sont à la fête.
Jusqu'au 16 juillet Théâtre de Poche Montparnasse tél 01 45 44 50 21
lundi 8 mai 2017
Le testament de Marie de Colm Toibin. Mise en scène Deborah Warner
Le contraste entre la vierge en majesté qui trône au centre d'une scénographie de toute beauté et le corps allongé et recouvert d'un tissu de Marie est sidérant. A l'instant où le spectacle débute elle émerge d'un cauchemar. Son esprit d'emblée reprend le fil. Si elle raconte quelques étapes du parcours de son enfant qui était, dit-elle, entourée d'une bande de désaxés et qui, exemple même du fils prodige, quitta son foyer deux ans plus tôt, elle est aussi hantée par la vision d'un être maléfique. Un homme qui introduit dans une cage à lapins un animal qui les met en pièces. Cet être qui semble trouver du plaisir à assister à des supplices évoque le calvaire auquel fut condamné son fils mais aussi le danger qui la menace elle. Les mots bruissent dans la tête de Marie qui n'a rien d'une sainte mais tout d'une mère dont le fils s'est carapaté. Elle même abandonnera ce fils avant qu'il n'expie. Nous voilà loin de l'imagerie pieuse, du mythe forgé par les apôtres.L'auteur irlandais Colm Toibin a écrit une oeuvre résolument laïque. Marie relate par le menu la résurrection de Lazarre mais ne s'attarde pas sur l'aspect miraculeux de l'événement. Qu'il ait été considéré comme le roi des juifs ou le fils de dieu apparaît à la femme déspiritualisée qu'elle est totalement incongru. Elle ne croit pas, comme son entourage d'exaltés, que les dons dont il est pourvu soient le signe d'une ferveur messianique. Deborah Warner qui met la pièce en scène a entre autres talents celui de pousser les comédiens au meilleur d'eux-même. Comme dans Maison de poupée d'Ibsen qu'elle joua il a vingt ans sous sa direction, Dominique Blanc déploie une gamme infinie de nuances. Seule en scène sous les lumières somptueuses de Jean Kahlman, elle interprète de façon souveraine une femme débordée par son destin. Jusqu'au 3 juin Comédie Française au Théâtre de l'Odéon Tél 01 44 85 40 40
mardi 2 mai 2017
L'abattage rituel de Gorge Mastromas de Denis Kelly
Après avoir mis en scène des pièces de Marius Von Mayenburg, figure de pointe du jeune théâtre germanique, Maïa Sandoz se confronte aujourd'hui au scénariste et dramaturge Dennis Kelly dont l'oeuvre relève de la tradition britannique de la satire sociale. Gorge, le personnage dont on suit la trajectoire, est un enfant quasi modèle. Difficile de savoir si ses comportements sont d'un môme gentil ou lâche. Ses prudences semblent au fil du temps de plus en plus calibrées. La vingtaine atteinte, il joue un tour de cochon à son patron et se jette, ce faisant, dans la gueule du système. Devenu expert en techniques managériales, il s'approprie par des moyens qu'on ne qualifiera pas de recommandables tout ce qui lui fait envie. A la fin de sa vie il est devenu un homme corrompu, fortuné et solitaire. C'est alors qu'il reçoit une étrange visite. L'auteur a l'habileté de montrer comment le goût du gain infiltre insidieusement la conscience. C'est avec adresse qu'il restitue la texture de l'époque. Riche de saynètes saugrenues, la première partie du spectacle est délectable, la suite un peu moins convaincante. La faute sans doute à l'écrivain qui multiplie les ellipses et n'évite pas toujours les clichés. La choix de la distribution est, en revanche, heureux qui réunit 7 comédiens (Adèle Haenel, Aurélie Vérillon, Paul Moulin, Serge Blavan, Gilles Nicolas, Maxime Coggio et Christophe Danvin) Jusqu'au 5 mai Manufacture des Oeillets Tél 01 43 90 11 11
jeudi 27 avril 2017
Erich Von Stroheim de Christophe Pellet
Stanislas Nordey se lance sans cesse de nouveaux défis artistiques. On lui doit la découverte de nombreux auteurs dramatiques d'une singularité incontestable. Longtemps il apparut comme un comédien hors pairs. Ses mises en scène, à l'exception de quelques unes dont celles d'oeuvres de Pasolini, étaient en revanche figées. Les comédiens plus que de les jouer proféraient leurs textes. On assiste aujourd'hui au phénomène inverse. Sa présence forcenée et son jeu étudié dans Baal de Bertold Brecht que monte Christine Le Tailleur ne convainc pas. Sa mise en scène de la pièce de Christophe Pellet est, au contraire, d'une intensité envoutante. Deux hommes et une femme occupent le plateau.L'un des hommes vend son corps. Il sait que l'âge n'est pas à prendre à la légère, que lorsque son corps sera dans peu d'années décati, il ne saura comment survivre. L'autre dont la nudité évoque une statue grecque semble n'avoir aucune prise sur sa vie. La femme semble, elle, taillée dans le roc. Elle décide de tout mais n'a jamais qu'une vingtaine de minutes à consacrer aux deux hommes à qui la lie des arrangements opaques. Les femmes dans le théâtre de Christophe Pellet mènent le monde. Ses mots, comme les plans des films d'Erich Von Troheim, astre noir du cinéma muet, sont chargés de dynamite. C'est à travers une mise en scène qu'on ose qualifier de lyrique que Nordey aborde cette oeuvre d'un écrivain - auquel il se mesure pour la deuxième fois - dont il souligne, ce faisant, l'importance. Si les comédiens tirent tous trois leur épingle du jeu, on reste surtout impressionné par la prestation de Thomas Gonzalès qui, tout du long dans le plus simple appareil, nous rappelle la fragilité de notre condition.
Jusqu'au 21 mai Théâtre du Rond Point. tél O1 44 95 98 21
mardi 25 avril 2017
Votre maman de Jean-Claude Grumberg
Atteinte de la maladie d'Alzeimer la maman d'un fils qui lui rend de fréquentes visites finit ses jours dans une maison de retraite médicalisée. Le début de la représentation est assaisonnée de scènes absurdes. Le directeur du lieu se plaint au fils des comportements souvent agressifs de sa mère. Le fils joue les étonnés. Arrive celle dont l'esprit dérive et qui se montre d'une impertinence décapante. Elle prend ou feint de prendre le directeur pour son fils. On retrouve là le sens aigu de la dérision de Jean-Claude Grumberg. L'action se tend lorsque s'adressant une fois encore au fils le responsable de la maison lui apprend que sa maman a disparue. Hors de lui, le fils l'envoie dinguer. C'est qu'il sait que si la conscience de sa mère s'en est allée, sa douleur n'a jamais désarmée. Rescapée d'un camp d'extermination, elle ne put jamais chasser les images horrifiantes, dont celle de sa mère qui y périt, maraudant sans cesse dans sa mémoire. L'auteur dont le père fut déporté tient, avant que les dernières voix ne se taisent, à rappeler le calvaire de ceux qui virent disparaître leurs proches. Le metteur en scène Charles Tordjman, familier de l'oeuvre de Grumberg, joue sur du velours en engageant une comédienne d'un talent aussi fou que Catherine Hiégel. Laquelle est entourée de Bruno Putzulu et de Philippe Fretun, deux interprètes de la même trempe qu'elle. Un spectacle qu'on quitte à la fois retourné et diverti. Théâtre de l'Atelier. Tél 01 46 06 49 24
vendredi 21 avril 2017
La chose commune de David Lescot et de Emmanuel Bex
David Lescot est comme à son habitude à la fois auteur et metteur en scène de ce spectacle qui ravive avec vigueur le souvenir de La Commune. Il s'est cette fois associé au compositeur et jazzman Emmanuel Bex. De leur collaboration est née une sorte de cabaret où la pulsation rythmique propre au jazz accompagne les mots. Tout du long des musicos jouent d'un instrument de musique ou même de plusieurs. Comble de bonheur : la chanteuse Elise Caron interprète d'éclatante façon des chansons aimées des Communards et de leurs sympathisants. Au début David Lescot raconte, en promeneur curieux, la première journée - le 18 mars 1871 - des événements. Suivent une chanson engagée créée par le slammeur Mike Ladd puis le récit fait par la chanteuse de la participation à l'insurrection d'Elisabeth Dmitrieff, une révolutionnaire russe au destin romanesque qui s'illustra à cette période en organisant le combat des femmes. L'auteur a utilisé d'innombrables documents tels que le mémorable éditorial de l'écrivain Jules Vallès dans le Cri du peuple dont il était le rédacteur en chef et un poème de Verlaine sur Louise Michel que peu connaissent. La représentation rappelle combien cette période fut riche de projets qui auraient permis aux damnés de la société et donc du progrès d'obtenir des droits. Il serait aujourd'hui, dans notre société convertie au néo-libéralisme, d'une extrême utilité d'aller puiser dans le fourmillement d'idées qui alors jaillirent. Le mouvement fut, on le sait, réprimé au cours de la semaine sanglante où les Communards furent abattus ou déportés par l'armée de Versailles. Véritable aventure créatrice, "La chose commune" se déroule dans un décor de music-hall d'antan. Ce qui ajoute à son charme. Jusqu'au 29 avril Théâtre de La Ville-Espace Cardin tél 01 42 74 22 77
vendredi 14 avril 2017
La neuvième nuit nous passerons la frontière Texte de Michel Agier et de Catherine Portevin.
Anthropologue dont les recherches portent sur les déplacements de populations, Michel Agier et la journaliste Catherine Portevin ont écrit à quatre mains un texte que, remué par l'actuel flux migratoire, Marcel Bozonnet a mis en scène. Le spectacle a pour point de départ l'essai de Michel Agier "Le couloir des exilés" Il est joué par le comédien Roland Gervet avec en alternance les danseuses Nach et Adelaïde Desseauve. La fiction et les témoignages s'y entremêlent. Les cloisons sont d'autant plus volontiers bannies que les personnes, qui pour fuir l'horreur totalitaire ou des contrées peu hospitalières ont pris le chemin de l'exil, rencontrent sur leur route des obstacles difficilement franchissables. Des stratégies de dissuasion ont, on le sait ô combien, été conçues par les Etats - dont la France - pour restreindre les dépôts de demande d'asile. Prétendre que ces personnes jetées sur les routes bénéficient de privilèges indus ne tient évidement pas debout. La représentation n'est pas pour autant accablante qui mainte fois emprunte à une tradition orale extrêmement vivace et à qui le krump, danse née le Los Angelès des années 90, donne aux spectateurs des envies de guincher. Ce que font, le spectacle bouclé, les élèves ou habitués des établissements scolaires, sociaux et culturels de Seine-Saint-Denis où il a été présenté. Producteur de l'événement, la MC93 (maison de la culture de Seine-Saint-Denis-Bobigny)a tenu à ce qu'il sorte des lieux habituels de représentation. Il ne fait pas de doute que le public des Métallos à Paris 11e où il se donne à présent soit, lui aussi, harponné. Du 18 a 23 avril Maison des Métallos tél 01 47 00 25 20
dimanche 9 avril 2017
Bajazet de Jean Racine
Il fallait pour se confronter à Bajazet, une des pièces les moins jouées de Racine, une sacrée audace. Eric Ruf visiblement n'en manque pas. La pièce peine à dérouler ses pompes. Elle ne décolle que lorsque les femmes font leur apparition. Roxane, la favorite du sultan parti au combat, s'éprend de Bajazet, le frère de son protecteur. Elle ignore qu'un amour tenu secret aux yeux de tous uni depuis leur jeune âge celui sur qui elle a jeté son dévolu à Atalide, une jeune fille d'extraction royale. Roxane tient à ce que Bajazet lui prouve son amour en l'épousant quasi séance tenante. Il sera, s'il refuse, mis à mort. Cédant aux exhortations d'Atalide, il feint de partager les sentiments de celle qui s'est enamourée de lui. Tous se trouvent bientôt égarés dans un dédale de manigances et de dangers. Comme dans toutes ses tragédies, Racine met face à des puissants que la passion pousse à des extrémités des êtres mal armés pour leur tenir tête. Fait d'élans irrationnels l'amour est mauvaise conseillère. Après avoir connu des parenthèses enchantées, Roxane, comme ceux qu'elle aura réussi à confondre, seront vaincus. Leurs rôles étant plus denses, c'est le jeu des comédiennes qui, ici,éblouit. Face à Clothilde de Bayser, qui déploie une gamme nombreuse de sentiments, Rebecca Marder apparaît dans le rôle d'une brutale innocence d'Atalide comme une révélation majeure. Comme le furent il y a quelques années Audrey Bonnet et Judith Chemla. Jusqu'au 7 mai Comédie-Française Vieux- Colombier tél 01 44 39 87 00
jeudi 6 avril 2017
La résistible ascension d'Arturo UI de Bertold Brecht
Après avoir dans les années 70 été monté tant et plus le théâtre de Bertold Brecht n'a aujourd'hui - du moins en France - plus guère la cote. A beaucoup il apparaît didactique ce qui dans le langage actuel signifie ennuyeux. La comédienne et metteuse en scène allemande Katharina Thalbach prouve avec sa mise en scène de La résistible ascension d'Arturo Ui qu'il n'a rien perdu de sa force et de sa modernité. En décrivant la montée en puissance de Ui, un voyou dans le Chicago des années 30, Brecht dénonce celle de Hitler et de sa clique à laquelle il assiste en Allemagne. Les noms des gangsters américains et leurs innombrables exactions évoquent sans qu'on puisse s'y tromper celle des nazis qui exercent une violence paroxystique contre leurs opposants. Au départ ils apprivoisent les craintes du Hindsborough, le maire d'un âge vénérable dont l'appui leur est nécessaire. On a évidement compris que ce vieil homme n'est autre que Hindenburg, président de la République de Weimar. Lequel, dont la probité n'est que de façade, finira par lâcher les commandes. Dont s'empare aussi sec Arturo Ui. Le scénographe Ezio Toffolutti n'y est pas allé de main morte qui a inventé un espace dominé par une toile qui évoque celles que tissent les araignées. L'abomination est dès lors à l'oeuvre. A l'incendie du Reichstag dont est accusé sans l'ombre d'une preuve un jeune militant de gauche succède la nuit des longs couteaux au cours de laquelle Röhm, ami de longue date du dictateur, est assassiné avec les membres de la S.A qu'il dirigeait. Au moment où Brecht écrit la pièce la politique génocidaire des S.S. n'en est encore qu'à ses débuts. Il n'en touche mot. Maquillages soutenus, visages plâtrés, les comédiens semblent droits sortis d'un film expressionniste.Comme Laurent Stocker qui tient le rôle d'Arturo Ui, Florence Viala, Jérémy Lopez, Serge Bagdassarian, Thierry Hancisse, Nâzim Boudjena, Bruno Raffaelli, Eric Genovése et leurs partenaires, qui pour la plupart jouent plusieurs personnages, sont tous d'une impressionnante maestria. A l'heure où les doubles d'Arturo Ui ont le vent en poupe le spectacle résonne de façon particulièrement inquiétante. Cela d'autant que Katharina Thalbach, dont la mère fut une des vedettes principales du Berliner ensemble que dirigeait Helène Weigel épouse de Brecht, n'a non seulement rien oublié de la manière dont on y travaillait mais l'a affinée. Jusqu'au 30 juin Comédie-Française Richelieu tél 01 44 58 15 15
dimanche 2 avril 2017
Les aliens d'Annie Baker
Encore ignorée en France l'oeuvre dramatique d'Annie Baker (née aux Etats Unis en 1981) est abondamment jouée dans les pays anglo-saxons. Grâce au jeune metteur en scène Benjamin Guillot qui s'est pris de passion pour son univers d'hommes qui bien qu'encore jeunes sont persuadés d'être dans une impasse existentielle, elle pourrait, comme il y a quelques années celle de Sam Shepard avec laquelle elle a des traits communs, trouvée ici aussi des aficionados.Jasper et Ki passent le plus clair de leur temps dans l'arrière cour laissée à l'abandon et entourée de poubelles d'un bistrot. Evan, un lycéen qui le temps des vacances bosse dans l'établissement se sent attiré par ces deux hommes épris de rock underground qui volontiers chantent, fument,boivent du thé aux champignons hallucinogènes mais dont la crudité des paroles le mettent mal à l'aise. Il est définitivement conquis lorsque Ki lit un essai littéraire né de sa plume mais qui doit beaucoup aux poèmes de Charles Bukowski lequel sut se libérer d'un conformisme jugé mortifère. Au cours de la nuit du 4 juillet, date de l'indépendance de l'Amérique, où ils se retrouvent dans la quasi décharge des liens d'amitié se nouent entre les deux trentenaires à la ramasse et le garçon qui a pour projet de rejoindre une université. Un drame survient qui fera connaître à Evan son premier chagrin et lui permettra de confier ses propres ressentiments. Vision d'une Amérique persuadée que rien ne peut survenir à l'horizon qui vaille qu'on se batte, les aliens doit beaucoup à la traduction de Ronan Mancec à coup sûr fidèle à l'esprit de l'auteur et à la mise en scène discrètement inventive de Benjamin Guillot. Jusqu'au 11 Avril L'Etoile du Nord 16, rue Georgette Aguttte tél 01 42 26 47 47
mercredi 29 mars 2017
Never, Never, Never de Dorothée Zumstein
Il ne fait plus de doute que l'écriture de Dorothée Zumstein est de celle qui nous aimante. On en avait le sentiment avec May Day mise en valeur il y a quelques semaines au théâtre de la Colline par la mise en scène foisonnante de Julie Duclos. On en a confirmation avec Never, Never, Never à laquelle Marie - Christine Mazzola, sortie récemment du Conservatoire National d'Art Dramatique a donnée la forme d'une épure. Une nuit alors qu'il va recevoir un titre prestigieux, Ted Hugh retrouve dans l'appartement londonien où il vécut avec elle Sylvia Plath qui, vingt ans plus tôt, mis fin à sa vie. Bien que la défunte en ait gros sur le coeur, il apparaît d'emblée que leurs amours ne sont pas mortes, que leurs liens sont irrévocables. Les souvenirs rappliquent tour à tour tendres et déchirants. Peu après surgit Assia Wevill pour qui Ted s'éloigna de Sylvia et dont les souffrances sont elles également encore à vif. Elle aussi se suicida. Avec leur enfant. En tentant de répondre aux phrases d'une gracieuse cruauté des fantômes qui le hantent, l'homme prend conscience qu'il affronte ses démons. C'est dans un décor spartiate, que se déroule ce huis -clos qui rappelle à chacun combien ceux qu'on a chéris et perdus restent présents en nous. Le charme que dégage la représentation doit beaucoup à ses trois interprètes. Si Assia (Tatiana Spivakova) apparaît, comme on la décrit, pleine de vie voire gavée de vie, Sylvia (Sarah Jane Sauvegrain) assure un relief mystérieux à la poétesse Sylvia. Quant à Thibault de Montalembert il donne à Ted, chez lequel se mêle la culpabilité,l'agacement et la nostalgie, un éclat irrésistible.Dorothée Zumstein qui s'est inspirée des vie de ces trois anciens humains arrive par la magnificence de ses mots à nous les rendre proches. Jusqu'au 1er avril Théâtre Studio, 16, rue Marcelin Berthelot, 94140 Alfortville Tél 01 43 76 86 56 . Du 11 au 15 avril Gare au Théâtre, 13, rue Pierre Sémard,94400 Vitry-sur-Seine Tél 01 55 53 22 26
lundi 27 mars 2017
Vera de Petr Zelenka
Plus la société est libérale moins elle est sociale. C'est ce que montre sans détours l'auteur dramatique et cinéaste tchèque Petr Zelenka dans Vera une comédie féroce dont se sont emparés Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier. Partie de rien, Vera a fondé sa propre entreprise, une agence de casting pour acteurs de cinéma et de télévision. Son succès lui donnant des ailes, elle accepte de faire fusionner sa société avec un puissant groupe anglais, ce qui, pense-t-elle, fera davantage encore fructifier ses affaires. Vis à vis des personnes qui subissent sa férule, elle se montre d'une dureté à tous crins. A ses proches, son mari, son père et son frère elle reproche de se situer à contre courant de leur temps. Elle est en revanche tout sourire face à ses associés britannique qui après l'avoir contrainte à balayer ses derniers scrupules s'en débarrasseront. Ce qui la fera partir en vrille. Karine Viard a, elle l'a maintes fois prouvé, du métier et de l'abattage à revendre. Elle est une Vera si convaincante que le rôle semble avoir été écrit pour elle. A ses côtés huit comédiens, dont Marcial Di Fonzo Bo - qui co-signe la mise en scène - et Pierre Maillet, qui donne une fois encore la mesure de son brio, jouent une trentaine de personnages. En d'autres mains la pièce apparaîtrait, comme les oeuvres théâtrales ou cinématographiques de Fassbinder auxquelles elle fait songer, d'une noirceur résolue. Le climat burlesque dans lequel les deux maîtres d'oeuvre la font baigner en atténue le tragique. Ils ont eu l'heureuse idée de demander à Pierre Notte, passé maître en matière de réparties incongrues et vachardes, d'assurer la version théâtrale de la pièce traduite par Alena Sluneckova. Jusqu'au 8 avril Théâtre des Abbesses tél 01 42 74 22 77
samedi 25 mars 2017
Mon coeur de et mis en scène par Pauline Bureau
L'affaire du médiator, ce coupe - faim, mis sur le marché par le laboratoire pharmaceutique Servier, qui coûta la santé et souvent la vie des personnes à qui leur médecin l'avait recommandé, a fait la une des médias. Cela grâce à la pugnacité d'Irêne Frachon, une femme médecin qui n'était, elle, pas de mèche avec les laboratoires. Bouleversée par l'état de ceux - surtout celles - qui avaient consommé ce médicament lequel s'était avéré être un poison, elle s'acharna à le faire interdire. Le combat fut long. Pauline Bureau a écrit l'histoire d'une femme - Claire Tabard- qui, comme la plupart des victimes, ne supportant pas de se trouver grosse avala la funeste molécule. Quelques années plus tard elle subit une opération à coeur ouvert à la suite de laquelle sa santé physique et aussi morale n'arrêta de se dégrader. Epaulée par un avocat guerroyeur, elle intenta un procès au laboratoire qui avait coutume d'examiner au plus prés et de trouver sans fondements les plaintes qui leur étaient adressées. Claire, dont la vie sociale, professionnelle et amoureuse étaient devenues inexistantes, fut dans un premier temps anéanties par le cynisme railleur des avocat de l'adversaire. Au sommet de sa maîtrise, Pauline Bureau a réalisé un spectacle prodigieux de simplicité et de limpidité. Le charme de l'interprétation (Catherine Vinatier, Marie Nicolle, Rebecca Finet et de leurs partenaires, tous à l'unisson) fait le reste. Jusqu'au 1er avril Théâtre des Bouffes du Nord tél O1 46 07 34 50
lundi 20 mars 2017
Je crois en un seul dieu de Stefano Massini
L'une est étudiante à l'université de Gaza et a, comme grands nombre de jeune palestiniens, le sentiment de mener une existence sans issue. Elle se prépare à devenir martyr. L'autre appartient à la gauche morale israélienne Elle enseigne l'histoire juive. Les opinions partisanes de certains élèves et collègues la hérissent. La troisième, une soldate américaine, considère que l'unité dont elle fait partie a un rôle de médiateur. Nouveau fleuron de la scène internationale, Stefano Massini se penche à travers ses pièces (Femme non-rééducable, Mémorandum théâtral sur Anna Politkovskaïa et de Chapitre de la chute, la saga des Lehman Brothers) sur les faiseurs et victimes des désastres de notre temps. Il se met cette fois à l'écoute des monologues intérieurs qui sans cesse s'entrecroisent des trois femmes dont la vie va basculer au cours d'un attentat qui se produira à Rishon LeZion dans les alentours de Tel Aviv. Dirigée avec discernement par Arnaud Meunier (qui a déjà brillamment mis en scène deux autres pièces de Massini), Rachida Brakni passe d'un personnage à l'autre et dévoile l'évolution de leur état d'esprit. Hantée par les violences exercée contre son peuple l'étudiante palestinienne se fait embrigader et découvre la féroce complexité de son engagement. Le séisme intime que provoque en elle l'attentat dont elle est témoin donne à l'enseignante israélienne le sentiment d'être devenue étrangère à elle-même. Ce qu'elle peut vérifier lorsque l'un de ses collègues, par ailleurs homme aux vastes connaissances, se laisse aller à des propos immondes et qu'elle ne s'insurge pas. A l'exemple de celle de Pasolini, l'oeuvre de Stefano Massini est aussi poétique que politique. Ce que soulignent la mise en scène d'Arnaud Meunier, les lumières de Nicolas Marie et le jeu de Rachida Brakni. Jusqu'au 9 avril Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21
lundi 13 mars 2017
L'indigent philosophe de Marivaux
La soixantedizaine flamboyante, Claude Brasseur interprète aux côté d'une jeune violoncelliste un monologue méconnu de Marivaux. L'homme né dans une famille de la haute a claqué son copieux héritage et s'en est allé sur les routes. S'accommodant de peu et doué d'une gaîté inépuisable, il a fait quantité de rencontres et de petits métiers. Il a fini par se joindre à une poignée de saltimbanques parmi lesquels il vit en harmonie. En écrivant ce texte succulent, Marivaux signifie l'importance qu'ont eu sur lui les philosophes des Lumières. On lui savait la pensée large. Il frôle cette fois l'insolence libertaire. L'écriture pétillante du grand auteur dramatique convient on ne peut mieux à Claude Brasseur que dirige Christophe Lidon. Le voir pourfendre le monde dont il est issu, vanter les délices d'une vie aventureuse et évidement sans le sou et l'entendre dire qu'il est toujours prêt à se lier pour la vie ou quelques heures avec une belle met en joie. On ne peut que conseiller d'aller voir ce spectacle qui ne dure qu'une heure où Claude Brasseur retrouve un personnage de la veine et de la fraîcheur de celui qu'il jouait en 1964 aux côtés d'Anna Karina et de Sami Frey dans Bande à part d'un Jean-Luc Godard qui en ce temps avait le bon goût d'adorer les chenapans.
Jusqu'au 1er Avril Théâtre de l'Atelier tél O1 46 06 49 24
vendredi 10 mars 2017
Timon d'Athènes de William Shakespeare
Avant de se retrouver aux extrêmes marges de la société Timon était un personnage éminent qui distribuait sans compter présents et argent à ses amis. Quand il s'est retrouvé criblé de dettes et que s'en fut fini de son existence dorée, il eût la surprise de constater que ceux qui avaient bénéficier de ses bienfaits avaient tourner casaque. Ces revirements lui firent comprendre qu'il s'était acoquiné avec des gens que les scrupules moraux n'étouffaient pas. Il écume désormais de haine, agonit d'injures ceux qui l'approchent. La pièce de Shakespeare tourne autour d'un personnage unique.Ceux qui l'entourent ne sont que des comparses.Fort heureusement le metteur en scène Cyril le Grix a choisi pour camper Timon d'Athènes Patrick Catalifo, un comédien qui non seulement a du coffre mais est surtout d'une justesse confondante. Grâce à lui et à la traduction parsemée de superbes éclats de Jean-Claude Carrière le spectacle mérite la découverte. Jusqu'au 2 avril Théâtre de la Tempête tél 01 43 28 36 36
jeudi 2 mars 2017
Un amour impossible d'après le roman de Christine Angot.
Christine Angot a elle même adapté pour la scène, dont elle est une fervente, Un amour impossible, son dernier ouvrage. Célie Pauthe qui assure la mise en scène a eu l'heureuse idée de faire incarner la mère et la fille dont la relation au départ intense se délite et finit par se renouer par ces ces comédiennes d'exception que sont Bulle Ogier et Maria de Medeiros. Cette dernière n'a pas la tâche facile puisqu'elle joue au début une enfant plus tard une femme dans la force de l'âge. Le décor est sommaire, la situation épineuse. Elevée par sa mère, Christine ne fait la connaissance de son père qu'à la pré-adolescence. Lors de leur première rencontre la force du verbe et l'érudition de son géniteur l'éblouissent, lui en imposent.Elle revient de leurs rendez-vous suivants nettement moins enthousiaste. Le père, qui a fondé une famille, n'a de cesse de lui reprocher ses maladresses, ses oublis, sa mauvaise éducation. Lorsque plus plus tard elle apprend que l'homme qu'elle a aimé abuse de leur fille une infection oblige la mère à se faire hospitaliser.Crispée sur sa douleur, Christine ne supporte plus de ne pouvoir échanger que des paroles insipides avec celle qui l'a mise au monde et semble avoir mis ses souvenirs à distance. Viendra la minute de vérité où Christine comprend et fait entendre à sa mère qu'à travers la fille c'est la mère issue d'un milieu pauvre et de surcroit juive que l'homme, grand bourgeois, s'acharnait à humilier. Comme le livre le spectacle nous empoigne. Odéon-Ateliers Berthier tél 01 44 85 40 40
lundi 27 février 2017
Vertiges de Nasser DjemaÏ
Après avoir brillamment fait ses armes avec "Invisibles" où il s'introduisait dans le logement d'une poignée de retraités maghrébins qui ont, leur vie durant, turbiné en France Nasser Djemaï dépeint dans Vertiges les difficultés que rencontre Nadir venu, après des années d'absence, voir où en sont les siens. Ceux-ci, qui vivent dans un HLM, ne vont pas fort. Le père visiblement au bout du rouleau éprouve une incurable nostalgie pour le bled où accompagné de sa femme il se rend chaque été. Mais la mère ne tient pas à y retourner. Mina, la soeur est la seule qui s'est trouvé un boulot mais elle ne tente pas pour autant de quitter le nid familial. Hakim, le benjamin de la fratrie vit, comme beaucoup de garçons de la cité, de menus trafics.Nadir, dont le couple fait naufrage, est un homme miné par son obsession du rangement. Ses tentatives pour mettre de l'ordre dans les papiers administratifs comme dans la vie de chacun se révèleront vaines. Pas plus sa mère, engoncée dans ses habitudes, que les autres n'apprécient qu'il se mêle de leur sort. Leur hostilité grandissante ébranlera ses nerfs.Nasser Djemaî exerce, comme dans ses précédents spectacles, la double pratique d'auteur et de metteur en scène. Il a eu la lumineuse idée de faire errer dans l'appartement une voisine muette. Sa présence - qui met Nadir hors de lui - s'apparente à celle du choeur antique. Les personnages sont interprétés avec tant de convictions - par Zakaryia Gouram, Lounès Tazaïrt, Fatima Aibour, Clémence Azincourt, Issam Rachyq-Ahrad et Martine Harmel - qu'ils semblent avoir été tricotés sur mesure. Il est pour chacun d'entre eux un moment - bouleversant - où il laisse entendre leurs ruminations intérieures. Dans ce spectacle sur une famille, écrit Djemal, orpheline de sa propre histoire, l'auteur ne se contente pas de piocher dans le réel, il lui donne aussi la dimension d'une fable.De la belle ouvrage.
Jusqu'au 12 mars Manufacture des Oeillets. Ivry tél 01 43 9O 49 49 Puis les 14 et 15 mars Le Granit scène nationale Belfort, le 18 mars Théâtre Edwige Feuillère scène conventionnée -Vesoul, Le 21 mars Le Bateau-Feu scéne nationale -Dunkerke, le 31 mars La Garance scène nationale-Cavaillon, du 4 au 8 avril THéâtre de la Croix Rousse - Lyon
samedi 25 février 2017
Mayday de Dorothée Zumstein
Les talents réunis de deux jeunes femmes, l'auteure Dorothée Zumstein et la metteuse en scène Julie Duclos nous valent un des spectacles les puissamment inconfortables de la saison. Frappée par l'entretien qu'a accordé à une journaliste May Bell - femme d'une quarantaine d'année qui à l'âge de 11 ans tua deux petits garçons et qui libérée de prison s'est mariée et a eu une enfant - Dorothée Zumstein a écrit de sa plume acérée, on peut même dire sans merci une pièce qui a, à juste titre, séduit Julie Duclos. Le spectacle débute sur celle qui commit autrefois ce crime exorbitant (fabuleuse Marie Matheron) laquelle en rameutant ses souvenirs tente de comprendre son geste. Elle apparaît à la fois sur la scène et sur un vaste écran où son visage exprime la souffrance qui jamais ne la quitte. Elle est issue d'une famille sans le sou marquée par la suprématie féminine, mais aussi la prostitution et l'inceste. Sa mère dont elle ne garde que des souvenirs affligeants commença à l'adolescence, après la mort de son père, à zoner. Mary (troublante Alexis Riemer) à qui elle donna naissance alors qu'elle avait 17 ans lui apparût d'emblée comme un être malfaisant. La grand mère, qui connut quant à elle une passion religieuse, n'évoquait jamais les événements traumatisants du passé. Le mystère, des comportements excentriques ou carrément prédateurs de certains membres de la famille demeure. Julie Duclo s'est rendu en Angleterre sur les lieux dévastés, projetés sur des écrans, où les faits se sont déroulés. Comme beaucoup de metteurs en scène de sa génération elle utilise parfois en surabondance les projections. C'est là la seule réserve que suscite ce spectacle explosif sur les énigmes de la transmission. Jusqu'au 17 mars La colline Tél 01 44 62 52 52
lundi 13 février 2017
La rêgle du jeu d'après le scénario de Jean Renoir
Depuis son insolite et saisissante adaptation des Trois soeurs (What if they went to Moscow) la metteuse en scène brésilienne Christiane Jahaty bénéficie d'un engouement dont on se félicite. Ne manquant visiblement pas d'air, elle s'attaque cette fois à La règle du jeu dont Jean Renoir fit le chef d'oeuvre que l'on sait. La représentation s'ouvre sur un film d'une grosse vingtaine de minutes où le maître de maison (Jérémie Lopez tient le rôle créé autrefois par Marcel Dalio) reçoit, à l'occasion d'une fête, ses convives. La frénésie mondaine bat son plein. Son sommet est atteint avec l'arrivée non comme chez Renoir d'un héros de l'aviation mais d'un navigateur (Laurent Lafitte) qui a sauvé en Méditerrannée nombre de réfugiés. Quand le film s'arrête (pour repartir sur la fin) la plupart de ces personnes qui mènent à l'évidence une existence dorée ont disparues. Commence une séquence durant laquelle les protagonistes chantent, se déguisent, se poursuivent mais se laissent aussi aller à leurs tourments. Dès ce moment Christiane Jahaty distord le récit ce qui a pour effet que l'on n'y comprend parfois goutte. On a toutefois durant toute cette séquence le sentiment de l'imminence d'un désastre moins politique que chez Renoir, qui tourna le film en 1939, que sentimental. Celle qui engendre les passions est Christine l'épouse du possesseur des lieux (Suliane Brahim dont la carrière pourrait être incandescente). Ses diverses inclinations provoqueront l'irréparable. En contre point les amours de la domestique (Julie Sicard,) mariée à un serviteur jaloux, et du braconniers engagé depuis peu aux cuisines (Eric Genovese) apparaissent délicieusement coquins. Le public qui a la surprise d'assister à des allers-retours entre théâtre et cinéma semble aussi (pour certains...) apprécier que des scènes se jouent au beau milieu de l'honorable salle Richelieu et même dans les travées. Jusqu'au 15 juin Comédie-Française Salle Richelieu tél 01 44 58 15 15
dimanche 5 février 2017
Abigail's party de Mike Leigh
Alors que l'adolescente Abigail organise une fiesta dans l'appartement où elle vit avec sa mère, celle-ci passe la soirée chez un couple de voisins. Lesquels sont bientôt rejoints par des jeunes mariés qui viennent d'emménager dans le quartier. La soirée tourne peu à peu au désastre. Mike Leigh, dont on connaît en France davantage les films que les pièces, carbure généralement à la noirceur. Beverly, une ancienne esthéticienne, qui joue à l'hôtesse et est manifestement à couteaux tirés avec son mari, n'arrête de faire des boulettes. Ce qui provoque des situations pour le moins gênantes. Thierry Harcourt tire grand profit d'acteurs (Lara Suyeux, Alexie Ribes, Séverine Vincent, Dimitri Rataud et Cédric Carlier) à l'abattage étourdissant. Lequel devrait néanmoins être parfois modéré. L'auteur aime, ses films le prouvent, les personnages brinquebalants. Qu'ils frétillent sans arrêt, ravalent leur colère ou singent les poupées barbie, ceux-ci étalent leur mal être. Thierry Hcourt l'avait déjà prouvé en mettant il y a peu en scène The servant, il a le talent de tirer de chacun de ses interprètes une note excentrique comme de révéler le côté obscur de personnages apparemment sans histoires. Théâtre de Poche tél 01 45 44 50 21
jeudi 2 février 2017
La bain et Le voyage à La Haye de Jean-Luc Lagarce
Jean-Luc Lagarce (1957-1995) écrivit ces deux textes à la fin de sa brève vie. On n'y arpente plus comme dans ses pièces les plus jouées le terrain poisseux des relations familiales. Patrick Coulais, comédien au jeu d'une intense délicatesse, a eu l'ingénieuse idée de rassembler des monologues dans lesquels il se livre avec autant de franchise que dans son journal. Dans "Le bain" il raconte ses retrouvailles avec un garçon qu'il aime et dont le corps porte les empreintes du sida qui va bientôt l'emporter. Il est peu d'exemple où le sentiment amoureux est décrit avec une telle douceur. La mort plane aussi, mais cette fois celle de l'auteur, dans "Le Voyage à La Haye". Après avoir accompagné sa troupe lors d'une tournée qui l'a menée aux Pays Bas, Jean-Luc Lagarce rentre à Paris où il a rendez-vous avec son médecin. Un de ses yeux lui donne des soucis. Que le praticien ne minimise pas. Bien au contraire. Commence une lutte entre le malade et le toubib qui le prévient des dangers qu'il court s'il s'obstine à vouloir renter chez lui. Bien que son monde à l'évidence s'enténèbre, l'écrivain épice cet épisode de détails croustillants. Tout du long il triture ainsi, sans jamais s'apitoyer sur son sort, au plus profond de ses sentiments. Sa narration est précise, réaliste jusqu'au rocambolesque. La mort y planant dans son inexorable injustice on sort de ce spectacle, auquel l'interprète insuffle un charme enveloppant, le coeur gros. Et transporté. Tous les lundi 20h jusqu'au 3 mars Théâtre de la Huchette. Tél 01 43 26 38 99
lundi 16 janvier 2017
La source des saints de John Millington Synge
De Synge (1871-1909) seule est réputée et fréquemment montée sa pièce Le baladin du monde occidental. La source des saints à laquelle s'attaque aujourd'hui Michel Cerda se situe, elle aussi, dans une Irlande paysanne où le catholicisme repose sur un fond de paganisme. Martin et Mary, tous deux aveugles, errent sur la lande et vivent de mendicité. Timmy le forgeron leur annonce qu'un saint homme est attendu dans le pays. Grâce à une eau miraculeuse il leur fera découvrir les beautés du monde. Martin est le premier a y voir. Tout à la joie dans laquelle l'a plongé le prodige, il se trompe de femme et prend la jeune et jolie Molly pour la vieille et disgracieuse Mary. Quand elle sort, elle aussi des ténèbres, ils découvrent combien ils sont tous deux laids. Ils se querellent et se quittent. Tommy qui a engagé Martin à la forge lui mène la vie dure. Mais comme il n'est pas homme à filer doux et qu'il n'a pas renoncé à Molly son patron le chasse. Après qu'au grand scandale de la population, Martin renverse l'eau sacré qui peut définitivement lui apporter la vue, le vieux couple finit par se retrouver et reprend la route. Pimenté par le jeu d'Anne Alvaro et de Yann Boudaud qu'entourent trois comédiens de leur taille : Christophe Vandevelde, Chloé Chevalier et Arthur Verret, le spectacle est une succession de scènes électrisantes. Ce qui est dû autant à la mise en scène de Michel Cerda qui n' a pas craint d'exhumer une pièce à portée philosophique qu'à la traduction de Noëlle Renaude. Alors que les adaptations du Baladin du monde occidental sont résolument modernes, celle-ci est fidèle à l'écriture de l'écrivain. Lequel fit un long séjour à l'Ile d'Aran où il retrouva le rythme, les inflexions, les sons de la langue gaélique. Ce que reproduit à merveille Noëlle Renaude et donne à la représentation une attachante singularité. Jusqu'au 17 janvier Studio Théâtre de Vitry. Du 25 janvier au 2 févier Théâtre de la Commune CDN d'Aubervilliers. Du 7 au 10 févier Théâtre de Dijon Bourgogne, CDN.
vendredi 13 janvier 2017
Aglaé. Texte et mise en scène Jean-Michel Rabeux
L'indépendance artistique de Jean-Michel Rabeux qui tient le gouvernail n'est jamais prise en défaut. Aglaé, prostituée septuagénaire qu'il rencontre dans un ville du sud est, elle aussi, un esprit libre. Dans une salle de théâtre transformée en cabaret où les tabourets remplacent les gradins, Claude Degliame, comédienne hors norme et égérie du metteur en scène, se coule dans la peau d'Aglaé et effeuille ses souvenirs. A douze ans déjà elle monnaie ses services auprès des copains de son frère dans la cité HLM où elle grandit. Bien que d'une famille qui n'est pas dans le besoin, elle poursuit sur sa lancée. Les oscillations de son existences sont nombreuses. Elle se trouve tantôt sur le trottoir à d'autres moments dans des restaurants de luxe. Elle connaît les conduites érotiques les plus diverses, hait les maquereaux mais tombe sous la coupe de l'un d'entre eux qui, bien sûr, lui siphonne les fruits de ses passes. Après s'être débarrassé de lui, elle tâte de la prison. Ce qui est sans doute pure invention... Son mépris, elle semble le réserver à son fils devenu gendarme. Il s'avère cependant qu'elle a pour ce fils qu'elle ne cesse de dénigrer un réel attachement. Elle a d'ailleurs pour l'élever lu des ouvrages de Françoise Dolto. Simenon et d'Ormeson sont ses autres auteurs favoris. Bien qu'arrivée à l'automne de l'âge elle poursuivait jusqu'il y a peu ses activités. Ce qui est frappant dans ses paroles est qu'elle soient dénuées de regrets comme d'aigreur. A une époque où l'on assiste à une exaspération du puritanisme de tels propos relayés par une interprète d'un talent fou font l'effet d une goulée d'oxygène. Jusqu'au 29janvier Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21 Tourné les 4 et 5 mai Le Bateau Feu de Dunkerque
lundi 9 janvier 2017
Karamazov d'après Les frères Karamazov de Dostoïevski
Oeuvre d'une amplitude et d'une densité démesurées Les frères Karamazov, dernier roman de Dostoïevski, semblait peu faite pour être transposée au théâtre. Jean Bellorini n'en a eu cure et a réalisé une adaptation d'une fidélité mais aussi d'une audace confondantes. Comme d'ordinaire l'auteur a imaginé des personnages qui semblent avoir été victimes d'une commotion psychique. Fiodor Karamazov filoute depuis toujours ceux qui ont la malchance de croiser son chemin. Deux fois veuf, il a eu de sa première femme un fils, Mitia (Jean-Christophe Folly) de sa seconde Alexeï et Aliocha.Jamais il ne s'est préoccupé de leur sort. Il a aussi engrossé une mendiante apparemment débile qui avant de mourir a donné naissance à un garçon qu'il a surnommé Smerdiakov. Celui-ci est devenu son homme à tout faire. A l'exception d'Aliocha qui se destine à une carrière sacerdotale, les fils portent à leur géniteur une une haine exorbitante. Celle de Mitia est d'autant plus exaspérée que le vieux grigou lui a dilapider son héritage et que les deux hommes se sont épris de la même jeune femme : Grouchenka. Aux abords de la vieillesse, Fiodor est resté, comme il le fut toujours, amateur de chair fraiche. Ses turpitudes lui coûteront cher. Aux prises avec un pervers aucun des fils ne peut s'en sortir. Ils connaîtront tous des destins effroyables. La surprise est que Aliocha, considéré par tous comme un guérisseur des maladies de l'âme, se montrera pour le moins réservé lorsqu'il lui est demandé s'il est vrai que les juifs assassinent des enfants chrétiens afin de se servir de leur sang pour fabriquer du pain azyme. Il importe de se rappeler que la connaissance considérable de l'esprit humain de Dostoïevski ne l'empêcha pas d'écrire dans un revue d'un antisémite virulent. Jean Bollorini a su éviter de se cantonner à la noirceur du roman. Le spectacle est constellé de moments délicieusement divertissants, notamment celui où Smerdiakov (Marc Plas) chante le succès d'Adamo "Tombe la neige"...Il faut bien sûr ajouter que la scénographie conçue par le metteur en scène et la traduction du roman fleuve par André Markowicz sont purs bonheur. Jusqu'au 29 janvier TGP Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint-Denis tél 01 48 13 70 00
samedi 7 janvier 2017
Mon traître d'après Mon traître et Retour à Killybegs de Sorj Chalandon
Emmanuel Meirieu qui signe la mise en scène a réuni deux romans de Sorj Chalandon qui décrivit pour le journal Libération l'embrasement de la violence en Irlande du Nord. Il noua durant cette époque des liens d'amitié avec Denis Donaldson, leader de l'IRA, dont il apprit qu'il vendait depuis 25 ans des renseignements aux services secrets britanniques. Peu après avoir avoué sa traitrise le renégat fut abattu. Dans "Mon traître" le journaliste fait le récit de sa relation à cet homme qui était à ses yeux une sorte de vigie morale. Hanté par le comportement de son ami, il lui donne, trois ans plus tard, dans "Retour à Killybegs", la parole. Le spectacle, lui, est composé de trois monologues.Dont on retient surtout celui où émerge d'entre les morts celui qui devint un supplétif des anglais, celui qui vendit ses frères de sort, ses frères d'arme. Né dans une famille catholique de Belfast, il fut dès l'enfance témoin puis victime de la violence des milices protestantes soutenues par l'Angleterre. Il fut plus tard emprisonné avec des hommes de sa communauté dans des conditions dont la dureté dépasse l'entendement. Les anglais ayant appris qu'il passait, chez les siens, après un faux acte de bravoure, pour un héros, parvinrent - pour des raisons en partie obscures - à le manipuler. Autant que le texte d'une force peu commune le jeu rugueux de Jean-Marc Avocat et les lumières et la vidéo (conçus par Seymour Laval et le metteur en scène) rendent ce spectacle superbement éprouvant. Et rappelle, comme tous les ouvrages de Sorj Chalandon inspirés par sa couverture des conflits qui déchirent des régions de la planètes, combien il est difficile de survivre à ses illusions perdues. Jusqu'au 29 janvier Théâtre du ROND-POINT tél 01 44 95 98 21
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