mercredi 14 décembre 2016
Le petit maître corrigé de Marivaux
Fin portraitiste, Marivaux, dépeint dans cette pièce la rencontre embarrassée de Rosimond, un jeune parisien fortuné et de Hortense, la fille d'un comte qui n'a connu d'autres horizon que la campagne où elle est née. Bien que l'auteur ait eu jusqu'alors de nombreux succès, la réception de cette pièce fut si tiède qu'elle ne sera jouée que deux fois. Il aura fallu attendre près de trois siècles pour qu'elle soit à nouveau représentée. La raison de ce rejet est vraisemblablement que les nobles qui la découvrirent n'appréciaient pas mais alors pas du tout le jour sous lequel ils étaient décrits. On ne peut que savoir gré à Clément Hervieu-Léger qui a pris l'initiative de la désenfouir et de la mettre - délicatement - en scène. Ce qu'elle méritait. Elevé dans un monde où l'on ne fait pas étalage de ses sentiments, Rosimond se montre à l'égard de la jeune fille qui lui est promise champion dans l'art de l'esquive. Vexée, celle-ci décide de le mettre à l'épreuve. Le jeune homme de son côté doit apaiser le goût très vif qu'une ancienne amante à pour lui. Heureusement, comme il est de coutume chez Marivaux, le valet de l'un et la servante de l'autre veillent au grain et agissent. Et Rosimond de se décidé à s'amender. Mené avec fougue ou retenue par Adeline d'Hermy, Florence Viala, Loïc Corbery, Christophe Montenez et leurs partenaires, le spectacle est de bout en bout d'une revigorante fraîcheur. Les magnifiques lumières de Bertrand Couderc et le décor insolite que signe Eric Ruf ajoutent évidement au plaisir que procure la représentation. Jusqu'au 24 avril Comédie Française-Salle Richelieu tél 01 44 58 15 75
dimanche 11 décembre 2016
Place des héros de Thomas Bernhardt. Mise en scène Krystian Lupa.
Quand le Théâtre national de Lituanie proposa à Krystian Lupa de venir travailler avec la troupe, le metteur en scène polonais porta son choix sur Place des héros la dernière et plus virulente pièce de Thomas Bernhardt, son auteur favori. L'écrivain, comme on le sait,a toujours été en délicatesse avec l'Autriche, son pays qu'il ne quitta pourtant jamais. Josef Schuster qui s'est jeté par la fenêtre et dont le fantôme est le personnage central de la pièce, était un intellectuel juif qui, avec femme et enfants, s'exila en Angleterre au lendemain de l'Anschluss. Il revint pourtant vivre à Vienne dans un appartement dont les fenêtres s'ouvrent sur la place des héros où Hitler éructa un discours acclamé par la foule. Ces ovations, l'épouse du professeur ne cesse, depuis leur retour, de les entendre. Ce qui a altéré sa santé et son esprit. Plus qu'avec elle le professeur aimait s'entretenir avec sa gouvernante madame Zittel qui dans la longue et sublime scène du début détaille les manies et singularités de son patron et des membres de sa famille dont on fait connaissance dans la deuxième partie du spectacle. Celle-ci se déroule à la sortie du cimetière où après une inhumation bâclée se retrouvent les deux filles et le frère du défunt. Ce frère, Robert Schusters, s'est lui aussi décidé à finir ses jours dans le pays où il est né. Cet homme a la mémoire longue et le désespoir sarcastique. Tragique et comique sont, comme toujours chez Thomas Bernhardt intimement liés. Incapable de retenir plus longtemps son courroux, l'homme qui fut professeur de philosophe - et est à l'évidence le porte parole de l'auteur - s'insurge contre ce pays où l'antisémitisme apparaît enraciné et les hommes politiques d'un cynisme à toute épreuve. Ce discours dans lequel l'auteur exprime le dégout que lui inspire la recrudescence du nationalisme trouve une accablante résonance en ces temps où se libèrent les discours de haine.Ce spectacle d'une rare splendeur visuelle, soulignée par le filet de lumière blanche qui entoure le plateau à la fin des deux premières parties de la représentation, est comme tous ceux mis en scène par Lupa interprété par des comédiens dont le jeu est réglé à la perfection. Jusqu'au 15 décembre Dans le cadre du Festival d'automne. La Colline tél 01 44 62 52 52
lundi 5 décembre 2016
Une place particulière. Création collective dirigée par Olivier Augrond.
Comédien à la carrière théâtrale foisonnante, Olivier Augrond a notamment participé à des ateliers de Joël Pommerat. Lesquels lui ont manifestement donné l'idée de monter et d'écrire les répliques d'un spectacle dans lesquels s'emboitent de multiples situations, toutes tendues. Six jeunes comédiens au métier déjà solide et un musicien ont improvisé des scènes où des événements recueillis ou vécus ont servi de combustible. Convoqués chez un notaire après la mort d'un parent plusieurs personnes se rencontrent pour la première fois. Ils se retrouveront plus tard dans la maison de campagne du défunt. Entre temps aura eu lieu une réunion autour de l'urne. Au cours de chacune de ces circonstances apparaissent des visages nouveaux de celui qui a rendu les armes Si la vérité d'un homme, comme nous le rappelle finement le spectacle, n'est pas univoque, les épisodes les plus importants de nos vies ne se sont pas eux non plus déroulés comme on en était convaincu. Au cours d'une scène particulièrement réussie les parents d'un nouveau né, persuadés que cet enfant n'est pas le leur, reviennent à la maternité afin de l'échanger. Pas de fil conducteur entre les séquences mais de nombreuses résonances. Ce spectacle au charme certain, dont l'écriture comme l'interprétation sont de la meilleure veine, a visiblement conquis un public de tous âges. Jusqu'au 14 décembre Théâtre Sylvia Montfort tél 01 56 08 33 88
samedi 3 décembre 2016
Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni (Nous partons pour ne plus vous donner de soucis) de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini.
Le point de départ de ce spectacle des metteurs en scène italiens associés Daria Deflorian et Antonio Tagliarini est le début du roman "Le justicier d'Athènes" écrit en 2011 par l'écrivain grec Pétros Markani. N'arrivant plus nouer les deux bouts, ce qui engendre de navrantes conséquences psychiques, quatre femmes retraitées se sont données la mort. Cela après avoir laissé leurs lieux d'habitation dans un état impeccable et laissé des mots dans lesquels elles expliquent ne pas vouloir être à la charge de la société à qui leur disparition va ôter un poids. Comme ces femmes les comédiens sont quatre, les deux initiateurs du projet et deux autres interprètes. Ils prendront à tour de rôle la parole. Hormis quelques chaises le plateau est nu ce qui rappelle l'extrême précarité dans laquelle vivaient les personnes qui ont pris la décision d'en finir. En choisissant de jouer sur un vaste plateau où ils se trouvent éloignés l'un de l'autre les acteurs font aussi ressentir le sentiment de vide qu'éprouvaient les défuntes. Si le spectacle, qui souligne combien la misère étend ses ravages, distille de l'émotion il est aussi, mâtiné d'humour grâce notamment à Daria Deflorian, comédienne de première force. On lui sait gré d'avoir souligné dans le dossier de presse que, comme les femmes âgées dont il est question, les artistes sont en ces temps accablant considérés comme des bouches inutiles. Avec le Festival d'Automne Jusqu'au 18 décembre Odéon - Ateliers Berthier -17e tél O1 44 85 40 00
lundi 28 novembre 2016
The valley of astonishment. Texte et mise en scène Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
La lecture de "L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau" du neurologue Oliver Sachs, qui décrivait des êtres dont le cerveau semblait dissemblable de celui des personnes dites normales, poussa Peter Brook a mettre en scène "L'homme qui".Il co-signe aujourd'hui avec Marie-Hélène Estienne un spectacle dans lequel il s'attache à des femmes et des hommes dotés de capacités mémorielles hors du commun. Trois comédiens (Kathryn Hunter, Marcello Magni et Pitcho Womba Konga) à la sureté de jeu exceptionnelle, épaulés par le musicien Raphaël Chambouvret, jouent plusieurs personnages. Une femme hyperménésique se trouve face à un médecin qu'on retrouve plus tard dans le rôle d'un magicien. On croise ainsi plusieurs personnes à la singularité extrêmement attachante. En particulier la femme à la mémoire si phénoménale qu'elle intéresse autant des scientifiques qu'un promoteur de spectacles. La mise en scène est, quant à elle, d'une sobriété et d'une précision bien dans la manière du maître de son art qu'est Peter Brook. Jusqu'au 23 décembre Théâtre des Bouffes du Nord tél O1 46 07 34 50
vendredi 25 novembre 2016
Iphigénie en Tauride de Johan Wolfgang von Goethe
Cette pièce peu connue - du moins en France - Goethe l'écrivit à la fin du 18e siècle, époque où l'Allemagne s'était enflammée pour la Grèce et ses mythes. L'écrivain donne de l'histoire de la fille aînée d'Agamemnon sacrifiée par son père alors qu'il voguait vers Troie une version bien éloignée de celle d'Euripide reprise par Racine. Iphigénie a été sauvée de la mort par Diane et emmenée par elle sur un nuage en Tauride. Devenue prêtresse de la déesse et gardienne de son temple, elle connaît des années de confinement. Elle a réussi à obtenir l'arrêt de la pratique barbare qui consiste à mettre à mort tous les étrangers qui débarquent dans le pays. Lorsque Thoas (Alain Rimoux), le vieux roi la demande en mariage et qu'elle se défile, le monarque furieux rétabli une coutume qui sacralise les pulsions meurtières du peuple. Iphigénie se trouve de ce fait contrainte de devoir exécuter deux étrangers fraîchement arrivés en Tauride. Ces condamnés sont, elle l'apprendra vite, son frère Oreste qui a assassiné Clytemnestre, leur mère et Pylade son compagnon (Pierre-Frnçois Garel). La sobre mise en scène de Jean-Pierre Vincent épaulé par son vieux complice le scénographe Jean-Paul Chambaz, met la pièce magistralement en valeur. Cécile Garcia Fogel, technique impeccable et voix ardente, est une Iphigénie qui avec son éloquence torrentielle a tout de la pythie. Face à elle Vincent Dissez campe un Oreste poursuivi par les furies qui l'ont transformé en bloc d'anxiété. Son jeu tout de liberté et de finesse rend son personnage aussi fragile qu'attachant.La traduction limpide - éloignée de l'hyper romantisme auquel nous avaient habitués les adaptateurs de Goethe - de Bernard Charteux et de Eberhrd Spreng concoure, elle aussi, à la réussite du spectacle. Jusqu'au 10 décembre Théâtre de la Ville au Théâtre des Abbesses. Tel 01 42 74 2é 77
mercredi 23 novembre 2016
Une chambre en Inde. création collective du Théâtre du Soleil dirigée par Ariane Mnouchkine.
Lorsque son directeur devenu brindezingue lâche les commandes, sa troupe en tournée en Inde s'y trouve coincée. C'est à Cornelia, son assistante, que revient la charge de reprendre le flambeau. Réveillé en pleine nuit par un coup de téléphone qui lui annonce la fâcheuse nouvelle elle va avoir le plus grand mal à retrouver le sommeil. D'autant qu'une foule d'autres appels pressants, sinon menaçants vont suivre. Des solutions lui apparaissent à travers ses rêves et des visions.Elle voit ainsi surgir des danseurs qui dans de somptueux costumes bariolés jouent des épisodes du Mahabharata. Vont alterner tout au long de la représentation théâtre épique souvent dansé et chanté et saynètes burlesques. Que du bonheur! Désemparée, la malheureuse Cornelia (qui n'a à l'évidence pas comme Ariane Mnouchkine toutes les audaces) appelle en renfort ces dieux du théâtre que sont Shakespeare et Tchekhov. Tous deux rappellent que leur but était d'écrire des comédies. Le rire apparaît donc comme seul capable de faire la nique au désespoir. Et des rires le spectacle en suscite beaucoup notamment sur des sujets aussi décourageants que Daesch ou le sort des femmes en Inde. On aura compris que Cornelia se trouve dans un situation qui par son apparence souvent désespérée rappelle le chaos du monde où il nous faut vivre, où les foyers de tension sont toujours plus nombreux, où des religieux qui prônent la violence étendent leur empire. Mais Ariane Mnouchkine et sa nombreuse troupe composée de femmes et d'hommes venus de diverses régions du monde ont les idées qui crépitent. Confrontés à une actualité calamiteuse, ils nous offrent un spectacle étourdissant d'humanité qui se clôt sur un message d'espoir ou en tout cas de tolérance particulièrement bienvenu. Théâtre du Soleil - Cartoucherie de Vincennes tél Individuels 01 43 74 24 08 Collectivités, groupes d'amis 01 43 74 88 50
dimanche 20 novembre 2016
Les français d'après A la recherche du temps perdu de Marcel Proust
Nombreux sont les metteurs en scène qui tentent de faire vaciller les frontières entre littérature et théâtre. Krzystof Warlikowski part, lui, carrément à la recherche du temps perdu. Il en ramène quelques pépites mais souvent s'égare. Il a choisi de prendre dans chaque partie de cette oeuvre monumentale une scène clé ou qu'il considère telle. Comme il juge que Proust est essentiellement marqué par sa judéîté et son homosexualité, il insiste - parfois à gros traits - sur ces deux aspects de son univers. Au début il n'est question dans le monde des Guermantes que de l'affaire Dreyfus. Il est mal vu dans dans cette société antisémite que Charles Swann (l'alter ego de Proust) ait des sympathies dreyfusardes. Cette obsession du judaïsme, il ne semble pas qu'elle était partagée par l'écrivain bien qu'il côtoyait un monde que cette question agitait. Il apparaît en revanche, on le remarque dans nombre de ses créations, que cette question taraude avec raison Warlikowski qui, polonais, a grandi dans un monde hanté par les fantômes des trois millions de juifs assassinés.Les aristocrates ici croqués n'ont de cesse de s'enorgueillir de leur rang et se font une règle de ne pas saluer, Odette, épouse de Swann qui a vécu de galanteries. C'est dans le deuxième volet du spectacle qu'apparaît dans toute sa force la profondeur et l'esprit caustique de Proust. La société que fréquente Marcel, le narrateur, apparaît sous un jour plus affiné, ce qui ne veut pas dire plus aimable. Chacun se montre expert dans l'art de nouer et de dénouer des intrigues. Charlus, l'homosexuel érudit est mis sur la touche par les Verdurin dont l'ambition mondaine et la vulgarité sautent aux yeux. De son côté Swann parvenu à son zénith amoureux, prend conscience que celle pour qui il s'est démené n'est pas son genre... Le metteur en scène a visiblement eu plus de mal avec "Le temps retrouvé", par lequel Proust démarra son grand oeuvre. Les personnages plein de panache d'autrefois sont à présent cacochymes, frappés d'impotence et peu sensibles à la morsure du souvenir. Ce qui est, il faut bien l'admettre un cliché sur les années qui ont filées et nous ont flétris. Dans son film "Le temps retrouvé" Raul Ruiz avait avec infiniment plus de bonheur et d'invention montré que le temps retrouvé était celui qui nourrit nos rêves et nos pensées. On ne comprend pas davantage pourquoi Warlikowski fait débuter la dernière partie du spectacle par une lassante diatribe contre l'Europe. Les comédiens défendent, eux, tous vaillamment leur personnage. Dommage que les micro HF nous donnent trop souvent le sentiment de nous trouver dans une chambre d'échos. Les créations vidéos de Denis Guéguin nous mettent, en revanche, avec finesse en présence des obsessions de Proust.
mardi 8 novembre 2016
La cuisine d'Elvis de Lee Hall
Sa bonne réputation, Lee Hall la doit au scénario du film de Stephen Daldry Billy Elliot. Il est par ailleurs l'auteur de nombreuses pièces de théâtre dont le public anglais raffole. Metteur en scène d'un théâtre corrosif, Pierre Maillet a eu mille fois raison de puiser dans l'oeuvre de ce dramaturge "La cuisine d'Elvis" qui nous fait entrer dans l'intimité d'une famille singulièrement déglinguée. Ses trois membres sont, en effet, de drôles de pistolets. La mère, qui a un sérieux penchant pour la bouteille, s'envoie en l'air avec un jeune homme étonné d'être autant désiré. Le père est réduit à l'état de légume. Reste la fille qui est à longueur de temps aux fourneaux où elle prépare des plats qui ferait le bonheur des amateurs de ripailles. Si la mère anorexique n'apprécie pas mais alors pas du tout cette passion culinaire, son amant se révèle une excellente fourchette. Pas surprenant qu'il devienne bientôt autant l'objet de la convoitise de la fille que de la mère. La pièce de Lee Hall est une sorte d'anti-Théorême où, l'on s'en souvient, un étranger séduit chacun des habitants de la maison où il a été accueilli. Comme dans un songe le père (Pierre maillet) sort parfois de sa catatonie pour chanter des tubes du King, autrement dit d'Elvis Presley. Mais ce petit monde ne fait pas que débloquer. Soudain, alors qu'on ne s'y attend pas, la mère (Marie Payen qui a l'art de conjuguer barjerie et émotion) confie que le mal dont souffre son homme la laisse inconsolée. Les relations qu'elle entretient avec sa fille (Cécile Bournay) sont, elles, tantôt à couteaux tirés,tantôt tendres. Les talents et tempéraments de ces deux comédiennes s'accordent à merveille. Elles ont trouvé en Matthieu Cruciani un partenaire à leur mesure. Si l'on ajoute combien est succulente la traduction de Louis-Charles Sirjac on aura compris que La cuisine d'Elvis mérite qu'on s'y rende. Jusqu'au 27 novembre Théâtre du Rond-Point Tél01 44 95 98 21
samedi 5 novembre 2016
Espia a una mujer que se mata de Daniel Veronese d'après Oncle Vania d'Anton Tchekhov
Pourquoi cet étonnant titre espagnol? Pour la bonne raison que Daniel Veronese, l'écrivain qui s'est lancé dans l'adaptation de la pièce fameuse de Tchekhov est argentin. Comme dans ses propres oeuvres les personnages sont pour la plupart au sommet de la surexcitation. Depuis qu'Alexandre le mari de sa défunte soeur est venu vivre avec sa seconde et jeune épouse prénommée Elena dans le domaine qu'il entretient avec sa nièce,Vania s'abandonne constamment à sa fureur. Ses explosions verbales sont autant provoquées par les accès de vanité de son beau-frère que par l'attitude de sa mère littéralement toquée d'Alexandre et surtout par la passion qu'il s'est découvert pour Elena. Laquelle est plus sensible au charme du médecin de campagne à la fibre philosophique, devenu un familier de la maisonnée. Les tensions s'exacerbent quand Alexandre, qui aime à rappeler que son corps commence à déclarer forfait, décide de vendre le domaine. Le metteur en scène Guy Delamotte a pris le parti de faire jouer ses comédiens de façon fébrile. Ce qui a pour effet que lorsque Alexandre et sa jeune femme quittent la propriété et que Vania et sa nièce retrouvent leur routine, le spectateur a le sentiment que la mort s'installe. L'ingénieux dispositif scénique imaginé par Jean Haas et l'interprétation haute en couleur de François Frapier (Vania), Marion Lubat (la nièce), Martine Bertrand (La mère) et leur partenaires rendent fichtrement attachant ce spectacle parsemé de phrases empruntées a des auteurs qui secouent l'univers de Tchekhov. Jusqu'au 23 novembre Les lundis, mardi, mercredi Cartoucherie-L'épée de bois tél 01 48 08 39 74
mercredi 2 novembre 2016
Outrages de Pierre-Yves Chapalain
Il est des outrages qui ne se digèrent pas. Edmond, un voisin a, il y a sans doute un bout de temps, extorqué leurs biens aux parents de Mathilde qui vivent depuis dans la dèche. La jeune fille fait des ménages. Notamment chez Edmond. La situation se tend quand elle leur apprend que l'homme qui les a pigeonné veut lui léguer ses biens. A la condition qu'ils soient, elle et lui, enterrés côté à côte. Les parents considèrent cette proposition comme un nouvel outrage. Mais il semble que Mathilde se soit éprise de celui qui veut en faire son héritière. L'irruption après des années de silence de la meilleure amie de Mathilde, par ailleurs nièce d'Edmond ajoute à l'embrouillamini. Les parents finissent par voir dans la réconciliation le moyen de rapidement retrouvés leur fortune. A condition qu'Edmond clamse... Sismographe des turbulences de la pensée, Pierre-Yves Chapalain, qui est l'auteur de la pièce qu'il a lui-même avec brio mis en scène s'est intéressé à la manière dont l'idée de meurtre peut naître dans le cerveau de personnes placées dans des circonstances malaisantes. Tout en tension son spectacle au charme débraillé est truffé d'inventions. Retournée une table se transforme en barque. Une scène de banquet où les élément les plus épars du décor sont rassemblés nous plonge dans un monde gagné par l'avidité meurtrière des parents souverainement interprétés par Catherine Vinatier et Jean-Louis Coulloc'h. Leur trouble ne naît pas seulement des circonstances imprévisibles auxquelles ils leur faut faire face mais aussi de la menace d'un monde numérisé auquel il ne comprennent goutte et que l'amie de leur fille leur fait entrevoir. Comme toutes les pièce de Pierre-Yves Chapalain, celle-ci provoque l'ivresse d'une authentique découverte. Chose infiniment rare en ces temps de formatage. Jusqu'au 10 novembre Théâtre L'Echangeur Bagnolet Métro Gallieni Tél 01 43 62 71 20
dimanche 30 octobre 2016
Avant de s'envoler de Florian Zeller
D'entrée de jeu on apprend qu'il y a eu un deuil. Face à une de ses filles qui tente de le convaincre de quitter la maison de campagne où il vivait avec sa femme un homme qui a atteint le grand âge se tait. Dans d'autres scènes ce sera la mère qui aura survécu à la disparition de son mari. Il est enfin des moments où les deux époux sont en vie. Florian Zeller entremêle des réminiscences du passé à ces instants où celui ou celle qui est resté en vie se montre inconsolable. Et ce ne sont pas les efforts où les manigances de leur deux filles qui peuvent les aider. D'autant apprend-on au fil de la représentation que les parents, s'ils appréciaient les visites de leurs enfants, ne se lamentaient pas quand elles déguerpissaient. Ce qui rend la pièce poignante est bien sûr qu'elle soit jouée - et avec quelle maestria! - par ces deux comédiens déjà entrés dans la légende du théâtre que sont Robert Hirsch et Isabelle Sadoyan. Interprètes à forte présence Anne Loiret et Léna Brébant incarnent avec finesse leurs dissemblables filles. Claire Nadeau fait, quant à elle, d'une ancienne relation qui surgit à l'improviste un personnage joliment improbable. La délicatesse de touche du metteur en scène Ladislas Chollat met en valeur l'écriture de Florian Zeller qui, bien qu'il ait bâclé quelques scènes, confirme son habileté à écrire des pièces au propos et à la construction audacieuses destinées à un large public. Oeuvre Tel 01 44 53 88 88.
samedi 15 octobre 2016
Mon fric de David Lescot mis en scène Cécile Backès
Né sous la plume de David Lescot, Moi le personnage central dont on suit le récit de la vie de 1972 à 2040, vit dans un monde sous l'emprise grandissante de l'argent. Les mises en scène de Cécile Backès regorgent, elles, non de moyens financiers mais de trouvailles. C'est une fois encore le cas ici où les quatre comédiens qui entourent l'acteur principal endossent une cinquantaine de rôles. Il en va de même pour le décor fait de menus objets qui jamais ne quittent le plateau mais sont constamment utilisés à des fins différentes. Le prodige est que ce théâtre artisanal nous en dit long sur un monde de plus en plus en mouvant où Moi (double fictionnel de beaucoup d'entre nous) peine à se maintenir à flot. Avec ses ellipses , accélérés et ralentis le style de David Lescot est à l'évidence influencé par l'écriture cinématographique. La mise en scène suit le mouvement. Elle s'attarde sur certains épisodes de la vie de Moi et passe à toute blinde sur d'autres. Les années défilent marquées par les résonances funestes de l'actualité. La pièce toutefois ne parle de Moi que par rapport à l'argent. Incapable de jouer des coudes il se trouve constamment laminé par la brutalité du système économique. Il fait, comme le dit l'auteur, partie de "la lumpen bourgeoisie". Convaincu d'être poursuivi par la guigne, il ira voir un psychanalyste. Ce qui nous vaut une scène aussi réjouissante qu'aux antipodes des clichés. Alors qu'il peine à nouer les deux bouts sa fille trouve le filon pour se faire des thunes. Les lignages ont de ces mystères... Moi ne vit pas qu'en compagnie de ses compagnes successives ou de son frère avec lequel les relations s'étaient espacés mais se sont renouées après la mort de leurs parents. Il est aussi entouré de personnages nés de son imagination ou plutôt de ses rêves d'autres vies qu'il aurait pu mener. Epaulée par la chorégraphe Marie-Laure Caradec, Cécile Backès fait preuve d'autant de sureté que d'audace dans la direction de ses cinq jeunes comédiens. Tous plus que prometteurs. Création jusqu'au 14 Comédie de Béthune CDN Nord-Pas DE CALAIS -PICARDIE. Du 30 novembre au 2 décembre Théâtre National de Nice - DU 6 au 9 déc Théâtre Dijon Bourgogne - du 11 au 13 janvier Comédie de Saint - Etienne - du 2 au 4 mars La CRIEE - THEATRE National Marseille - du 22 au 24 mars THEATRE DE Sartrouville et des Yvelynes -CDN - du 28 mars au 1er avril reprise au à la Comédie de Béthune.
samedi 8 octobre 2016
Vania d'après Oncle Vania de Tchekhov.
Récent administrateur de la Comédie-Française, Eric Ruf fait fréquemment confiance à de jeunes metteurs en scène. Ce qui est le cas de Julie Deliquet qui a, avec tact, élagué la pièce de Tchekhov, lui a ôté les aspects qui appartiennent à la vieille Russie. Le climat tendu qui règne parmi les habitants de la propriété campagnarde reflète du coup la folie ordinaire des familles. Pas étonnant donc que les personnages s'étreignent, s'écharpent, se sentent rejetés. On est d'autant plus sensibles à leur difficulté d'être qu'un dispositif bifrontal nous les rend particulièrement proches. Les spectateurs sont donc tout du long suspendus à leurs gestes et paroles. Si Vania, qui depuis des lustres s'occupe avec Sophia, sa nièce, du domaine, a le plus grand mal à supporter Alexandre, le mari de sa défunte soeur, un professeur à la retraite perclus de vanité, c'est que le bonhomme s'est remarié avec Elena, une femme dont le charme, la lucidité et l'indolence l'ont rendus fou d'amour. Alors que Vania perd la tête, sa nièce, toute aussi mal lotie, s'est éprise d'Astrov le jeune médecin de la région qui n'a, lui, d'yeux que pour Elena. Les personnages de Tchekhov sont tous des coeurs irrémédiablement solitaires. Ils ont les traits de Laurent Stocker, Florence Viala, Hervé Pierre, Stéphane Varupenne, Anna Cervinka tous à leur meilleur. Comme le sont également dans des rôles de plus petite envergure Dominique Blanc et Noam Morgensztern. La traduction de Tonia Galievsky et de Bruno Sermonne aussi riche de trouvailles langagières que fidèle à l'esprit de l'auteur contribue enfin largement a donné à ce Vania une troublante puissance émotionnelle. Jusqu'au 6 Novembre Vieux-Colombier tél 01 44 39 87 OO/01
mercredi 5 octobre 2016
Politiquement correct. Ecrit et mis en scène par Salomé Lelouch
Salomé Lelouch a réussi avec sa troisième pièce la gageure de pondre une comédie sentimentale en se jouant des clichés. Mado, la jeune prof d'histoire qui un soir d'élection présidentielle croit rencontrer le grand amour, fait en réalité la rencontre d'un homme qui n'est pas, mais alors pas du tout, son genre. Sympathisante d'un parti socialiste qu'elle sait dévitalisé, elle reste (comme le disait autrefois, au cours d'un entretien avec un journaliste, Carla Bruni Tedeschi...) viscéralement de gauche. Son bel inconnu prénommé Alexandre est, lui, comme elle l'apprendra, d'extrême droite. Son meilleur ami le croit même promis à un avenir d'exception au Front National qui risque de sortir victorieux de son affrontement avec la gauche. Si Alexandre semble d'un tempérament pondéré, son comparse ne cache pas ses obsessions identitaires. Sonnée par la découverte qu'elle fait des opinions de celui qui est devenu son amant, Mado laisse le plus souvent la parole à sa copine Andréa. Laquelle a la verve mordante et des arguments de poids lesquels évidement ne convainquent en rien l'adversaire. Salomé Lelouch a le goût des formules qui cognent. Ce qui a pour effet qu'on rit beaucoup au cours d'une représentation où les dangers qui aujourd'hui menacent la démocratie sont pourtant constamment évoqués. Le mérite aux comédiens tous en grande forme. Si Thibault de Montalembert a mainte fois prouvé qu'il est capable de s'approprier les rôles les plus divers, on connaissait moins Rachel Arditi, Ludivine de Chastenet, Bertrand Combe et Arnaud Pfeifer au jeu plein de saveur.
La Pépinière théâtre tél 01 42 61 44 16
mardi 20 septembre 2016
Dom Juan de Molière
Lorsqu'il s'empare d'une pièce de Molière Jean-François Sivadier a le chic pour la dépoussiérer. Avec Dom Juan il y arrive mieux encore que d'ordinaire. Sans doute parce que ce personnage de libre penseur suscite en ces temps menacés par des vagues obscurantistes une vive sympathie. Et parce que la virtuosité de Nicolas Bouchaud, l'interprète du rôle, n'a jamais - du moins dans les mises en scène de son vieux comparse Sivadier - été aussi bien employée. D'autant qu'à ses côtés Vincent Guédon impose un Sganarelle qui n'est pas seulement un savoureux lèche botte mais aussi sous ses airs de bonne pâte un sacré vaurien. Le couple maître - valet fonctionne de ce fait à merveille. La mise en scène est à l'unisson du foutoir que l'hédoniste Don Juan met dans la vie de ceux qui croisent sa route. Cet homme à la libido on ne peut plus affirmée dirige à l'évidence sa vie à rebours de celle de sa noble âme de père. Lequel aussi naïf que les paysannes qu'aguiche son fils le croit sur parole quand il dit regretter son inconduite. C'est que Don Juan a un tel culot qu'il en arrive à tutoyer les ombres. Il semble en effet n'avoir pour religion que celle des faits. C'est de ce climat mi réaliste - mi fantastique que le spectacle tire sa force et sa singularité. Et aussi du fait que les nombreux autres rôles sont joués par seulement trois comédiens. Evidemment chauffés à blanc. Jusqu'au 4 novembre Odéon Théâtre de l'Europe tél 01 44 85 40 40
dimanche 18 septembre 2016
Interlope. (Cabaret) Conception et mise en scène Serge Bagdassarian.
Disons le d'emblée: cette reconstitution des coulisses et de la scène d'un cabaret d'avant-guerre qui se nomme L'interlope, dont les vedettes sont ce qu'on appelle aujourd'hui des transgenres, est un pur délice. La chanteuse maîtresse du lieu puis les trois homosexuels transformistes appartenant à des générations différentes évoquent les turbulences de leur vie et entonnent avec un humour canaille des chansons pour la plupart d'une indéniable qualité poétique. Si ces airs du répertoire en disent long sur l'homophobie ambiante, ils n'en sont pas moins chantés avec panache. Vêtues de robes froufroutantes (dont beaucoup appartiennent aux collections du Moulin rouge) les artistes ont le franc parler de ceux qui ont su se ménager un espace de liberté. La loge est le lieu où, sous l'oeil averti de la patronne, ils se pomponnent, oeuvrent à leur prestance et s'envoient des piques. Serge Bagdassarian qui met ce réjouissant spectacle en scène s'est entouré de Véronique Vella, Michel Favory et Benjamin Lavernhe, des comédiens et chanteurs aussi magnétiques que lui. A une époque où l'on assiste à la montée des intolérances, un spectacle à l'atmosphère aussi scintillante et confiante que celui-ci fait un bien fou. Jusqu'au 30 octobre. Comédie-Française- Studio Théâtre tél 01 44 58 15 15
jeudi 15 septembre 2016
La version Browning de Terence Rattignan
Comme grand nombre d'anciens élèves des écoles privées et des prestigieuses universités anglaises, le dramaturge et scénariste Terrence Rattignan ( 1911-1977) était hanté par les souvenirs cuisants qu'il en avait conservés. La version Browning, l'une de ses pièces les plus renommées, a pour personnage principal un professeur de lettres classiques au robuste savoir, à la santé défaillante et au tempérament atrabilaire. Il n'est aimé ni de la plupart de ses élèves, ni de ses collègues, ni surtout de sa femme. Celle-ci cache sous des sourires radieux des monceaux de ressentiments et de frustrations. La veille de son départ le directeur de l'école annonce avec une courtoisie pleine de fiel à l'enseignant qu'il sait impopulaire des nouvelles qui ne peuvent que l'accabler. Ce que cet homme ainsi humilié se garde bien de laisser paraître. Intraitable, il enverra, au contraire, aux pelotes celui qui lui manifestera de la sympathie. La mise en scène au cordeau de Patrice Kerbrat fait oublier combien les dimensions du plateau sont réduites. Mais si le spectacle rencontre un franc succès c'est surtout qu'il a fait appel à des comédiens de première force. Jean-Pierre Bouvier compose avec un métier infaillible un érudit pour qui il est honteux de céder à ses émotions. Face à lui Benjamin Boyer, l'amant de sa femme, apporte une touche d'humanité dans un monde qui en semble singulièrement dépourvu. Marie Bunel, quant à elle, relève le défi de rendre presque touchante une femme que le fiasco de sa vie amoureuse et de ses ambitions sociales ont rendus d'une implacable dureté. Théâtre de Poche Montparnasse tél 01 45 44 50 21
lundi 12 septembre 2016
2666 d'après Robeto Bolano
Après s'être avec succès attaqué aux Particules élémentaires de Michel Houllebecq, le jeune metteur en scène Julien Gosselin se mesure à 2666, roman fleuve et inachevé de Roberto Bolano (1953-2003), auteur chilien exilé à Barcelone après l'avoir été au Mexique. De cette oeuvre profuse le téméraire homme de théâtre a tiré un spectacle de 12 heures dont trois d'entracte. La première partie dépeint la rencontre de quatre universitaires qui partagent la même passion pour Benno de Archimboldi, un écrivain allemand que personne ne semble avoir rencontré et dont ils vont tenter de retrouver la trace. Ce qui va les entraîner au loin. Des nappes de musique jouée à plein volume rendent ce début narratif parfois difficile à saisir. Comme l'oeuvre littéraire le spectacle est ensuite construit par fragments. Beaucoup d'une prodigieuse intensité. On peut toutefois regretter l'utilisation abusive de la vidéo. L'imaginaire débridé de l'écrivain n'avait nul besoin qu'on en rajoute avec un si grand nombre de séquences filmées. D'autant que le jeu des comédiens est on ne peut plus probant et que la déferlante d'images les font souvent passer au second plan. Entrelaçant des événements fictifs à d'autres qui eurent lieu dans l'Allemagne de la seconde guerre mondiale et dans le Mexique d'aujourd'hui le récit dépeint à sa façon sinueuse un monde livré à la violence. C'est ainsi que dans la quatrième partie sont projetés des textes qui décrivent le martyre subi par des jeunes femmes et des petites filles à Santa Téresa, bourgade miséreuse du nord du Mexique.Soupçonné de ces assassinats un parent de Benno de Archimbaldo croupit dans la prison de cette localité. Après avoir constamment bifurqué le récit trouve sa cohérence dans la dernière partie de la représentation dont le classicisme fait merveille. Il est notamment un moment qui restera ancré dans les mémoire. Un fonctionnaire nazi détaille longuement en allemand le travail que, obéissant aux ordres et sans l'ombre d'un remords, il exécuta. Un dernier mot pour dire combien donne de l'ampleur au spectacle la scénographie signée Hubert Colas.
Jusqu'au 16 octobre Odéon- Ateliers Berthier - 17e tél 01 44 85 40 40 Du 26 novembre au 8 décembre Théâtre national de Toulouse.
vendredi 17 juin 2016
Monsieur De Pourceaugnac de Molière
Monsieur De Pourceaugnac, un homme a l'allure débonnaire (Gilles Privat) arrive de son Limousin natal à Paris. Le moins qu'on puisse dire est que le chemin qu'il lui faudra emprunter pour faire connaissance avec sa promise sera singulièrement chahuté. C'est que la jeune fille a un amoureux et que celui-ci n'entend pas s'en séparer. Il s'est acoquiné avec quelques pétulantes canailles qui vont transformer la venue dans la capitale du naïf prétendant en enfer. Le meneur de ce jeu cruel est Sbrigani (Daniel San Pedro), dont la feinte bienveillance endormira, à chacune de ses mésaventures, la méfiance du malheureux Pourceaugnac. On retrouve dans cette comédie ballet de Molière (qui y travailla avec le compositeur Lully) les thèmes qui le hantait. Comme Georges Dandin, l'Oronte de Tartuffe, Le bourgeois gentilhomme ou Le malade imaginaire, De Pourceaugnac est une proie idéale pour les filous qui se disent médecins, avocats ou n'agir que par pure bonté d'âme. Les "héros de Molière" (excepté Le misanthrope qu'épargne sa sombre lucidité) finissent tous floués. Mais aucun ne l'est avec autant d'acharnement que le provincial dont sont ici conté les déboires. Clément Hervieu-léger a mis en scène, avec la complicité pour ce qui est de la direction et la conception musicale de William Christie, cette comédie noire avec une frénésie de tous les instants. De ce fait la lassitude parfois gagne. Mais elle est compensée par d'innombrables morceaux de bravoure. Le spectacle est d'ailleurs accueilli par une salve d'applaudissements. Jusqu'au 9 juillet Théâtre des Bouffes du Nord Tel 01 46 07 34 50
samedi 4 juin 2016
Les cuisinières de Carlo Goldoni
Chez Carlo Goldoni (1707-1793) les femmes ont immanquablement le beau rôle. Ce qui se vérifie dans "Les cuisinières" où les hommes jeunes avivent leur appétit et les vieillards leur amour du gain. Elles sont quatre bonnes à tout faire dans des maisons tenues par des gens fortunés. Le jour du carnaval, où tous portent un masque, leur donne l'occasion de se moquer, d'aguicher et parfois de se venger de leurs patrons. On retrouve dans cette pièce rarement jouée le talent de Goldoni à dépeindre des quartiers cancaniers où abondent les querelles attisées par représentantes fortes en gueules du dit beau sexe. En dépit d'une production un peu chiche, le metteur en scène Philippe Lagrue réussit à faire un spectacle d'excellente facture où l'on prend un vif plaisir à assister aux chassés croisés de personnages de condition sociale différente et à les entendre se moucher de cinglante façon. Un final particulièrement ingénieux où la troupe entière, qui ne compte pas moins de 12 comédiens au robuste métier, se trouvent réunis nous fait quitter la salle la mine réjouie. Jusqu'au 30 juin Artistic théâtre tél 01 43 56 38 32
jeudi 26 mai 2016
Le système Ribadier de Georges Feydeau
Mariée en première noce à un dragueur compulsif dont elle n'a découvert les fredaines qu'après sa mort, Angèle se montre avec monsieur Ribadier, son second mari, d'une méfiance de tous les instants. Quand il proteste de son innocence, le bonhomme semble d'une parfaite bonne foi. Mais les personnages de Feydeau, qui s'y entendait pour tracer au couteau les portraits de ses contemporains, sont tous soit gaillardement manipulateurs soit d'une candeur qui ressemble à s'y méprendre à de la connerie. Ribadier a une aventure galante pour laquelle il a trouvé le moyen (peu banal) d'endormir les soupçons de sa femme. Mais Ribadier, sera comme tous les bourgeois croqués par Feydeau victime de ses propres machinations. Dans les pièces d'une absurdité désopilante de cet auteur il n'est personne qui arrive à ses fins. On se trouve entraîné avec Le système Ribadier, comme avec toutes les merveilles nées sous la plume de cet écrivain qui finit ses jours au cabanon, dans un tourbillon de quiproquos. Son langage est, comme ses personnages masculins, riche en duplicité. Les femmes ne sont pas pour autant épargnées. Toutes sont de sacrées enquiquineuses... La palme pourrait revenir à Angèle qu'interprète Hélène Babu avec une impétuosité, une perspicacité et une précision rare dans ses geste, comme dans ses répliques. Elle a trouvé en Pierre Gérard un partenaire efficace. Comédien d'une belle envergure, Gauthier Baillot campe, lui, de réjouissante et atypique manière un mari outragé chez qui domine l'esprit boutiquier. Pépinière Théâtre tél 01 42 61 44 16
dimanche 22 mai 2016
La mouette de Tchekhov
Désireux d'insuffler du quotidien dans la pièce de Tchekhov, Thomas Ostermeyer a demandé à Olivier Cadiot de lui en fournir une nouvelle version. Chose faite. Au début de la représentation un interprète raille les modes auxquels sacrifient de nombreux metteurs en scène. Ce qui fait rire. On se marre moins quand un autre comédien évoque le sort d'un réfugié syrien. Ce qui apparaît d'une démagogie à laquelle l'intransigeant Ostermeyer ne nous a pas habitué. Commence la pièce avec ses personnages qui ressassent avec délectation leurs désillusions ou, dans le cas de la vedette de théâtre Arkadina, ses succès. La pièce est célèbre qui oppose des représentants de deux générations, celle des artistes en vogue et celle des débutants qui veulent apporter au théâtre un souffle nouveau et même en dézinguer les codes au risque de paraître confus voire balourds. Konstantin, le fils d'Arkadina, est le type même de ces jeunes gens à la recherche d'un style moins convenu que celui qui a fait la gloire de leurs aînés. Si malgré un langage qui affadi une oeuvre d'une densité phénoménale, le spectacle, par moments, enchante c'est grâce à certains de ses acteurs. En particulier à Valérie Dréville dont le jeu tout en finesse laisse deviner qu' Arkadina cache sous ses accés de vanité et d'égocentrisme un tempérament dépressif. Un mot aussi pour Matthieu Sampeur, qui compose un Konstantin à la mélancolie rageuse et poignante, et pour Sébastien Pouderoux qui se glisse dans la peau d'un médecin plus averti des maux de l'âme que de ceux du corps. A la sortie de nombreux spectateurs se plaignaient de n'avoir entendu que des bribes du texte. Mauvaise acoustique ou malencontreux conseils donnés aux comédiens de parler à vois basse?
Jusqu'au 25 juin Théâtre de l'Odéon 6e tél 01 44 85 40 40
dimanche 15 mai 2016
Chansons sans gêne. Nathalie Joly chante Yvette Guilbert
Mis en scène par Simon Abkarian, le troisième volet consacré par la chanteuse et comédienne Nathalie Joly à la vedette du caf'conc Yvette Guilbert tient moins du cabaret que du récital d'une femme chez laquelle la maturité a raffermi l'ambition de penser large. L'artiste est désormais une femme à qui on la fait pas. Les chansons délicieusement canailles tel que "A présent que t'es vieux" où un joli brin de garçon, pour lequel elle eût autrefois le béguin, est à présent cacochyme, appartiennent toujours à son répertoire mais d'autres nettement plus graves y ont la part belle. Le sort fait aux femmes est au centre de ses préoccupations. Pas plus conforme qu'elle ne le fut dans ses jeunes années, elle pourfend la tyrannie exercée par les hommes. Sa longue fréquentation de Sigmund Freud, qui ne sortait plus guère de chez lui que pour aller l'applaudir, lui a appris que si la psychanalyse ne guérit pas, elle permet d'y voir plus clair. Ce qui ne peut se faire que si les mots sonnent juste. C'est pourquoi les textes des chansons de la dernière période de sa vie sont écrit d'une plume particulièrement exigeante. Les qualités vocales de Nathalie Joly (qui s'y entend pour adopter le grain de voix de l'époque) qu'accompagne au piano, comme partenaire de jeu et surtout comme complice exceptionnellement sensible Jean-Pierre Geesbert font le reste. Un mot enfin pour souligner la qualité des éclairages d'Arnaud Sauer. Lesquels contribuent largement à la réussite de cette plongée dans l'univers de celle qu'on surnommait "la princesse de la rampe". Jusqu'au 22 mai La Tempête-Cartoucherie de Vincennes tél 01 43 28 36 36 Du 6 au 27 juillet Festival d'Avignon, Théâtre Le Petit Chien
jeudi 12 mai 2016
Je suis Fassbinder de Falk Richter
Fassbinder n'y alla jamais pas quatre chemins. Lorsque pour les besoins du film collectif "L'Allemagne en automne", réalisé en 1978, il poussa sa mère à extirper des bas fonds de son être les sentiments que lui avait inspiré le nazisme elle finit par lâcher qu'elle en avait été proche. Le spectacle que met en scène Stanislas Nordey et Falk Richter (qui en est aussi l'auteur) s'ouvre sur une pareille discussion. L'affrontement de deux acteurs dont l'un joue le rôle de la mère, porte sur les événements qui eurent lieu la nuit du 31 décembre essentiellement à Cologne. La "mère" déplore qu'Angela Merkel ait favorisé l'installation en Allemagne d'une foule d'hommes jeunes originaires de pays musulmans où la femme, en particulier occidentale, est méprisée. Ces désaccords se poursuivront tout au long de la représentation qui aborde de front les conflits d'une société qui, comme celle de l'Allemagne du milieu des années 70, se trouve en état d'urgence. Appartenant à la même famille de pensée, Richter et Nordey brandissent les dangers qui menacent, au premier plan, le succès que rencontre aujourd'hui dans toute l'Europe les courants nationalistes et xénophobes. La raison pour laquelle le spectacle donne du grain à moudre à nos esprits n'est pas que politique. Les contradictions personnelles de Fassbinder ne sont pas passées sous silence. Personnalité incontrôlable, il pouvait se montrer avec son entourage d'une injustice et d'une brutalité aussi grandes que celle de la plupart des personnages de ses films et pièces de théâtre. Femmes et homosexuels apparaissent dans ses oeuvres autant victimes de la vilénies de leurs proches que de leur propres perversions. A l'image de ses oeuvres la création de Stanislas Nordey et de Falk Richter est celle de deux immenses artistes. Il est de nombreux moments comme ceux où sont projetés des plans des films de Fassbinder ou des vidéos d'Aliocha Van der Avoort ou encore ceux où chante d'une voix qui terrasse Thomas Gonzalès, qui font chavirer. Et font oublier l'état de colère et de crainte où nous plongent ces visions des temps de brute que nous vivons. La distribution qui, outre Nordey, comprend Laurent Sauvage, Judith Henry, Eloise Mignon et Thomas Gonzalès est à vigoureusement saluer.
Jusqu'au 4 juin La Colline-Théâtre National tel 01 44 62 52 52
vendredi 29 avril 2016
SPASMES de Solenn Denis
Depuis qu''Amarante a été percutée par un chauffard alors qu'elle sortait du bahut sa famille est restée en souffrance. La mère a cinglée vers le large, son père a adoptée l'allure éloquente d'Elvis Presley ce qui fait exploser de colère son fils dont la jumelle, quand elle ne se jette pas sur son amoureux, couvre les murs de peintures. Cette constellation familiale aurait tout pour foutre le bourdon si la morte n'était pas présente sur le plateau et ne se laissait aller à des ruminations intérieures saisissantes de vie et d'aplomb. Véritable force de la nature, la défunte n'a de cesse de titiller les vivants incapables d'entendre ses paroles. Et la famille d'apparaître pour ce que si souvent elle est : le lieu par excellence où l'on ne s'écoute pas. Comme elle l'a déjà prouvé à plusieurs reprises, l'auteure Solenn Denis a - comme le faisait remarquer un ami- à l'exemple du chanteur Renaud le don de poétiser des phrases dite de façon bien tranchée. Outre deux comédiens d'une belle envergure ( Erwan Daouphar et Olivia Chatain) sont présents sur le plateau trois adolescents (Mickael Leroux, Océane Arsène et Valentin Marie). Le spectacle a en effet été créé dans le cadre du Festival Ado initié par Pauline Sales et Vincent Garanger, directeurs du Préau Centre Dramatique de Normandie - Vire. Des centaines de spectateurs dont l'âge varie entre 15 et 18 ans forment la majorité enthousiaste du public.Soulignons enfin l'apport considérable de la scénographe Camille Duchemin qui semble avoir trouvée en Solenn Denis, qu'elle ne connaissait pas, une âme soeur. Jusqu'au 30 avril au Préau Centre Dramatique de Normandie (02 31 66 16 00) Mardi 3 mai 2Oh30 et Mercredi 4 mai 10h Mortain -Bocage/ Le Géricault Mardi 10 mai : La Haye -Pesnel -Espace du Bocage. Mercredi11 mai 20h30 / Condé En Normandie : Le Royal. Jeudi 12 mai 20h30 : Domfront-en -Poiraie: Théâtre intercommunal En tournée à l'automne
dimanche 17 avril 2016
Bovary Texte et mise en scène Tiago Rodrigues
Une nuée de pages blanches balancées par les comédiens recouvrent le plateau. Le procès de Gustave Flaubert jugé pour outrage à la morale publique et religieuses ainsi qu'aux bonnes moeurs peut commencer. Accablé par la hargne d'Ernst Pinard, l'avocat impérial, l'écrivain (délectable Jacques Bonnaffé) tourne ces accusations en dérision. Pour prouver leur justesse l'homme de loi fait émerger des pans du roman. Et l'on passe constamment de l'enceinte du tribunal au coeur d'une oeuvre passée à la postérité.La trame est connue que le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues, dont on connaît depuis sa découverte la saison dernière avec By Heart, la puissance et la singularité de l'écriture scénique a montée à son audacieuse façon. Mariée à un médecin de campagne terre à terre, Emma Bovary se languit. Une fête où sa beauté fait tourner des têtes émoustille son imagination. Elle ne rêve plus dès lors que de rencontres incandescentes.Mais aucun des deux hommes avec lesquels elle se donne corps et âme, comme on disait, ne prend soin de la connaître. Enferrée dans ses échecs, elle plonge dans l'abime de la dépression. Tiago Rodrigues puise constamment dans les forces vives de la langue de Flaubert et l'assaisonne parfois d'heureuses expressions de son crû. Le penchant du metteur en scène pour les trouvailles poétiques fait le reste. Ah! ces scènes où abandonnant toute retenue chacun - défenseurs comme adversaires - embrassent Emma Bovary (Ruth Vega-Fernandez) à pleine bouche et en ayant goûté la saveur y reviennent... Flaubert, on le sait, sorti blanchi des chicanes judiciaires. "La mauvaise conduite" de madame Bovary semble, elle toujours choquer un public d'adolescents qui à la sortie du spectacle faisaient part de leur admiration pour les comédiens (notamment pour David Gerelson prodigieux en avocat de la défense) mais disaient avoir du mal à comprendre le comportement d'Emma...Jusqu'au 17 avril Puis du 3 au 26 mai Théâtre de la Bastille tél 01 43 57 42 14
lundi 11 avril 2016
L'opéra de quat'sous de Bertold Brecht. Musique de Kurt Weill
On croyait le théâtre de Bertold Brecht sur le point de tomber aux oubliettes. Le spectacle concocté par Joan Bompart et sa troupe de comédiens-chanteurs et de musiciens apporte la preuve qu'il n'en est rien. Dépouillée du pittoresque dont on l'affuble d'ordinaire, cette pièce, que Kurt Weill parsema de chansons d'un lyrisme grinçant, apparaît, comme un geste d'opposition de son auteur aux possédants de son époque. Nos temps n'étant pas particulièrement doux aux miséreux il était avisé de la réactualiser. Ce qui est fait avec un entrain jubilatoire. Le public assiste émerveillé aux combat qui oppose Peachum, le roi des mendiants, au caïd Mackie, lequel est du dernier bien avec le chef de la police. Il est clair que si Mackie est surnommé le sérineur c'est qu'il s'y entend pour faire saigner le peuple. Plusieurs femmes se disputent cet homme persuadé que tout et tous s'achètent. Ce qui nous vaut des scènes délicieusement canailles. Tel le duo chanté de Polly et Jenny, qui, pareillement persuadées d'être la femme du bandit sans honneur, se dressent l'une contre l'autre. C'est avec la même hargne résolue que, tout au long du spectacle, sont interprétées les mélodies composées par Weill. Jouant, pour la plupart, quantité de rôles les comédiens changent constamment de tenues comme de perruques et de maquillages. C'est ainsi que des mendiants abandonnent en un clin d'oeil leurs hardes pour adopter une dégaine de fille des rues. Brecht laissa les metteurs en scène choisir entre les deux fins qu'il avait envisagé. Joan Bompart conclu, pour sa part, la représentation par un deuxième final d'un grotesque digne des caricaturistes allemands des années 20 et 30. Ce qui ajoute à notre ravissement. Jusqu'au 14 avril Théâtre 71 Malakoff tél 01 55 48 91 00 Puis en tournée notamment les 2 et 4 mai Les 2 Scènes - Scène Nationale de Besançon et le 24 mai Théâtre de Corbeil-Essonnes.
mercredi 6 avril 2016
Le monde d'hier de Stefan Zweig
En ces temps de crise économique, politique et morale "Le monde d'hier", le livre-témoignage de Stefan Zweig résonne, on s'en doute, avec force. Né dans une famille juive en 1881 à Vienne dont il se souvient comme d'un havre de quiétude il y fut longtemps célébré. Puis dès le début des années 30, lorsque le monde commença à gronder de menaces, considéré comme un proscrit. Guidé par Patrick Pineau, Jérôme Kircher est le narrateur de ce récit dont le classicisme et la concision font merveille. Après avoir évoqué sa prime jeunesse dans la capitale de l'empire austro-hongrois puis la grande guerre au terme de laquelle ses romans, nouvelles et biographies commencèrent à être publiés, il se remémore un Paris auquel il trouvait mille charmes... et qui ressemble largement à une image d'Epinal. Le temps qui fuit ne lui apporte que déceptions et chagrins. Lorsqu'il apprend en 1939 la mort de sa mère octogénaire restée à Vienne, il se dit délivré de l'angoisse de la savoir en danger. Une des pages les plus marquantes est celle de sa rencontre à Londres, où il avait trouvé un éphémère refuge, avec Freud à l'intelligence plus éclatante que jamais mais à la santé déclinante. Au somment de son art, Jérôme Kircher nous fait entendre qu'écrire cet ouvrage fut pour Stefan Zweig une manière de conjurer son désespoir. Lequel, on le sait, gagna la partie. Jusqu'au 19 juin Mathurins tél 42 65 90 00
mardi 22 mars 2016
Splendid's de Jean Genet
Jean-Paul Sartre considérait Splendid's comme la meilleure des pièces que Genet lui avait fait lire. Elle ne fut néanmoins jamais montée du vivant de son auteur. Pour la bonne raison que les personnages étaient inspirés par des hommes susceptibles de se reconnaître en eux. Après avoir kidnappé puis étranglé la fille d'un richard local, sept gangsters se retrouvent encerclés par la police au 7e étage d'un palace. Ils ont été rejoint par un flic impressionné par leur assurance assassine.Mais face à la mort qui, sans aucun doute, les attend, ils se laissent aller à des comportements troublants. L'un, considéré par ses complices, comme un chef se travestit en femme ... et perd son statut Les autres, jusque là à peine vêtus, enfilent des costumes de soirée. Interprétée par des comédiens américains, qu'il avait - il y a quelques années - dirigés dans Jules César de Shakespeare, le metteur en scène Arthur Nauziciel a pris le risque de faire jouer en anglais cette pièce au verbe luxuriant, proche du poème. Ce qui n'est en rien frustrant puisque les surtitres français sont projetés sur deux écrans. L'avantage de ce choix est que l'on est d'emblée propulsé dans les films hollywoodiens aujourd'hui mythiques dont les héros étaient de sacrés voyous. Difficile de ne pas tomber sous le charme de ce spectacle en forme de chorégraphie parlée. Même si l'on eût aimé que soit abordé avec plus de détermination le thème de la trahison qui est au coeur de l'oeuvre de Genêt. Ses lecteurs savent combien cet écrivain était, dans sa jeunesse, fasciné, on peut aller jusqu'à dire érotisé, par les hommes dénués de sens moral. Jusqu'au 26 mars La Colline tél 01 44 62 52 52 Les 21 et 28 avril Théâtre de Lorient, CDN
samedi 19 mars 2016
Phèdre de Wajdi Mouawad, Sarah Kane, J.M. Coetzee
Au début de ce spectacle au long cours apparaît Aphrodite, déesse de l'amour. Sa descendance prédit-elle, connaîtra les ardeurs et les affres de la chair. Phèdre en témoignera que sa passion sexuelle pour Hippolyte, son beau fils, conduira à d'effroyables extrémités. Tout du long elle est submergée, non - quoi qu'elle dise - par l'amour mais par le désir. On peine à comprendre pourquoi trois auteurs de renom ont été mis à contribution pour tous soutenir que l'épouse de Thésée n'a de cesse de séduire ou, pour le dire plus crûment, de s'envoyer son jeune beau fils. Qui de jeune garçon candide se transforme au fil de la représentation en gouape ténébreuse. Il semble que Krzysztof Warlikovski - dont tant de création furent des enchantements - ait voulu bâtir un monument à la gloire d'Isabelle Huppert.Qui en grande virtuose navigue d'une Phèdre à l'autre. Dans la seule scène dont elle n'est pas trône sa photo. Sa performance trop voyante donne le sentiment que c'est elle et non le metteur en scène qui tient la barre. On aimerait que cette comédienne d'un sidérant talent trouve, comme elle le fit jadis sous la direction de Claude Régy et, plus récemment à l'écran, sous celles de Claire Dennis et de Hong Sang-soo, des rôles où elle ne soit pas tentée de montrer l'étendue de son savoir-faire. La splendeur du décor conçu par Malgorzata Szczesniak et sa saisissante utilisation nous offre, heureusement, quelques moments de pur émerveillement.Jusqu'au 13 mai Théâtre de l'Odéon Paris 6e tél 01 44 85 40 40
jeudi 17 mars 2016
Garde barrière et garde fous d'après deux interviews de femmes.
L'écriture est sans ornements. Les paroles recueillies en 2007 et 2008 dans l'émission "Les pieds sur terre" de France Culture sont brutes. La cinquantaine souriante puis lasse, Monique, une femme, garde barrière à Bourg-en-Bresse, se raconte. Pas de quoi pavoiser. Alors elle s'arrime aux souvenirs d'un temps où régnait l'esprit de solidarité, où elle ne sentait ni seule, ni à bout d'énergie. D'un temps où elle n'avait pas le sentiment d'avoir été flouée. Myriam, elle, ne se livre pas. Infirmière de nuit dans un service de psychiatrie elle tente de conjurer l'angoisse de patients victimes d'un sévère dérèglement psychique ou privés de leurs facultés. En fond de scène apparaissent sur un écran le fils qui occupe la mémoire de la garde barrière puis ceux, endormis ou insomniaques, sur lesquels veille Myriam. Fidèle à ses débuts au Théâtre de l'Aquarium où furent créés des spectacles qui donnaient la parole à des anonymes le plus souvent révoltés, Jean-Louis Benoit est aux manettes. Maintenant le pathos à distance, Léna Bréban interprète les rôles de Monique et de Myriam. Elle apporte, ce faisant, la preuve de son vigoureux et éclectique talent. Jusqu'au 26 mars Théâtre de L'Aquarium La cartoucherie tél 01 43 74 99 61
lundi 7 mars 2016
Les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau
S'attaquer aujourd'hui - comme le fait Claudia Stavisky - à la pièce "Les affaires sont les affaires" de l'écrivain et pamphlétaire Octave Mirbeau (1848 - 1917) est particulièrement bienvenu. Ecrite en 1903, l'oeuvre a pour personnage central un homme qui, comme nombre d'individus actuellement à la tête de grosses entreprises, accroissent sans cesse leur fortune tandis qu'augmente dans des proportions colossales le nombre de personnes menacées par la précarité. Bien qu'il ait fait deux séjours à l'ombre, Isidore Lechat, homme d'affaire d'une impressionnante intelligence tactique, ne cesse d'étendre son empire. Cela par des moyens souvent douteux. Rayonnant de cordialité il reçoit deux hommes venus lui proposer de s'associer à une juteuse entreprise. Lechat, qui a de lui même une image très flatteuse, n'a de cesse de se vanter de ses mérites. Ses visiteurs le prennent du coup pour un crétin facile à berner. Mal à l'aise au centre d'un tel luxe, madame Lechat se plaint des extravagances de son mari mais ne veut pas entendre parler de ses malversations. Ce que fait rageusement leur fille qui n'attend que l'occasion de déguerpir. La metteuse en scène, qui a abondamment allégé un texte plein d'inutiles rebondissements, a pris l'excellent parti de mélanger deux époques qui ont quantité de traits communs. L'ingénieuse scénographie d'Alexandre de Dardel et une distribution de choix dans laquelle se croisent autour de François Marthouret (Isidore Lechat) et de Marie Bunel (son ambivalente épouse) Lola Riccaboni, Geoffrey Carrey, Alexandre Zambeaux, Stéphane Olivier-Bisson, Eric Berger et Eric Caruso achèvent de faire de ce spectacle une sombre mais néanmoins éclatante réussite.
Jusqu'au 26 mars Célestins Théâtre de Lyon tél 04 72 77 40 00
La Coursive-La Rochelle du 30 mars au 1er avril
Théâtre du Gymnase - Marseille du 5 au 9 avril
Théâtre de Namur (Belgique) du 10 au 13 mai
Théâtre de Privas les 19 et 20 mai
Comédie de Picardie - Amiens du 25 au 28 mai
jeudi 3 mars 2016
Les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos Adaptation Christine Letailleur
Pierre Choderlos de Laclos (1741-1803) était officier dans l'armée du roi et vraisemblablement excellent stratège. Son roman épistolaire "Les liaisons dangereuses" est celui de la guerre que mène madame de Merteuil, une femme affranchie et dénuée de scrupules, contre une société pétrie de principes. Ce combat elle le poursuit avec la complicité de Valmont, un libertin qui multiplie les conquêtes et fut autrefois son amant. Sachant que les femmes sont pour son acolyte des proies faciles, elle est bien décidée à en faire l'outil d'une vengeance personnelle. Mais Valmont ne songe qu'à faire céder madame de Tourvel, une dévote de belle allure. Manipulatrice de haut vol, la Merteuil n'est pas du genre à abandonner la partie pour si peu. Elle n'hésitera pas à mettre en pièces ceux - dont Valmont - qu'elle manipule avec une intelligence constamment sur le qui vive. Christine Letailleur a transposé le roman en une pièce de théâtre dont la langue est comme celle de l'oeuvre originale d'une séduction folle. Dominique Blanc et Vincent Perez font superbement retentir ce texte plein de détours. Lequel texte peut apparaître dans la bouche de la dame comme une sorte de bréviaire d'un féminisme avant la lettre. Christine Letailleur, dont la mise en scène semble aussi rouée que l'esprit de "l"héroïne" mêle classicisme et modernité. Il est en effet semé d'intermèdes saugrenus qui soulignent la vanité de la partie d'échec qui se déroule sous nos yeux.
Jusqu'au 18 mars Théâtre de la Ville tél 01 42 74 22 77
samedi 20 février 2016
Dorothy Parker ou Excusez -moi pour la poussière de Jean-Luc Seigle
Esprit aussi corrosif qu'insurgé, Dorothy Parker (1893-1967) méritait largement d'être le personnage unique d'une pièce de théâtre. Quand celle-ci débute l'écrivaine (le méchant mot!) sort péniblement de l'une de ses nombreuses cuites. Et, avec une lucidité acide dont elle ne se départira jamais, commence à se raconter. Ce qu'elle poursuivra tout au long du spectacle qui se déroule, à différentes périodes de sa vie, dans une chambre de l'hôtel Algonquin qu'elle ne cessa de réintégrer. Appelée régulièrement à Hollywood, où elle collabora à l'écriture de plusieurs scénarios de films fameux (notamment Saboteur d'Alfred Hitchcock et La Vipère de William Wyler adapté d'un roman de son amie Lillian Hellman), elle finit immanquablement par revenir vers son cher New York. Ces voyages, ou plutôt ces déplacements, ne faisaient que dépayser son mal être. Auteur de poèmes et surtout de nouvelles qui ont fait sa renommée, elle s'essaya, sans y parvenir,à l'écriture d'un roman. Impossible de nier son plaisir en l'entendant s'exprimer rondement sur les femmes au foyer qu'elle exécrait, sur ses amies qu'éternelle fauchée elle ne choisissait que pleine aux as, sur l'homme de sa vie avec qui elle se maria à deux reprises et qu'elle ne pouvait s'empêcher de régulièrement tourner en bourrique. Seul Charly, le portier noir de l'hôtel, qui la vénérait et satisfaisait le moindre de ses caprices, ne fut jamais la cible de son humour fort noir. Politiquement engagée, Dorothy Parker fut en 1936 - après avoir été quelques années plus tôt membre du comité de défense de Sacco et Vanzetti - de la création de l'Hollywood Anti-Nazi League. Attitudes qui lui valurent de comparaître devant la commission MacCarthy. Magnifiquement mise en scène et en valeur par Arnaud Sélignac, Natalia Dontcheva redonne vie à cette artiste de premier plan et prolonge, ce faisant, le bonheur qu'on trouve en se penchant sur ses écrits. Jusqu'au 19 mars Lucernaire tél 01 42 22 66 87
lundi 15 février 2016
L'art de la comédie d'Eduardo De Filippo
A peine promu préfet d'une petite agglomération de l'Italie profonde, Son Excellence De Caro (Fabien Orcier), demande à son secrétaire (Christophe Vandevelde) de lui faire faire connaissance avec les notables locaux qui ont demandé à le rencontrer. Apprenant que le chef d'une troupe de comédiens ambulants(Mohamed Rouabhi) demande à le voir, il accorde audience à cet homme qu'il s'imagine moins ennuyeux que les autres visiteurs. Mais la demande que lui fait le nommé Oreste Camprese n'est pas du tout de celle qu'il attend. Après lui avoir donné son congé le haut fonctionnaire est pris d'inquiétude. Il soupçonne le maestro, en qui il voit une forte tête, de vouloir lui jouer un mauvais tour. Se succèdent le médecin (Manuel Le Lièvre), le curé (Marc Jeancourt) et l'institutrice (Sylvie Orcier) qui tous semblent avoir un grain. Face aux numéros burlesques auxquels se livrent ces personnes triées sur le volet le préfet nouvellement nommé s'abime dans le doute. L'oeuvre de l'auteur napolitain Eduardo De Filipo (1900 - 1984) suit le réjouissant sillage de la Comédia dell arte. Elle annonce aussi, par son goût des personnages hauts en couleurs et souvent atteints de loghorrhée, les films de ces maîtres de la comédie italienne qu'étaient Risi, Monicelli ou Scolla. Comédien hors norme, Patrick Pineau s'affirme avec ce spectacle auquel il imprime un rythme soutenu, comme un directeur de troupe particulièrement convaincant. Jusqu'au 18 février Thâtre 71 Scène Nationale de Malakoff tel 01 55 48 91 00 Ensuite en tournée.
vendredi 12 février 2016
Des territoires (Nous sifflerons la marseillaise) de Baptiste Amann
Ils sont quatre, ont autour de 30 ans, vivent dans un pavillon de banlieue, viennent de perdre d'un coup leur deux parents.Il est quasi fatal que lorsqu'ils sont sous le choc les membres d'une famille se dressent, sous les prétextes les plus anodins, les uns contre les autres. Lorsque la pièce démarre la discussion entre deux des frères tourne autour du chemin le plus court pour aller chez le marchand de pizzas. Un affrontement plus rude aura pour prétexte la qualité du bois dans lequel seront fabriqués les cercueils. Chacun sera en proie à des débordements au cours desquels des épisodes d'un passé sombre ou déconcertant feront retour. Le troisième frère dont la personnalité a été abolie par un accident de voiture est, lui, l'objet de la tendresse de la soeur. Si les situations peuvent sembler trop fréquemment portées à ébullition c'est que les interprètes (Solal Bouloudnine, Samuel Réhault, Lynn Thibault, Olivier Veillon, tous quatre issus de l'ERAC, l'Ecole Régionnale d'Acteurs de Cannes) ont l'ardeur de leur jeunesse. Auteur et metteur en scène du spectacle, Baptiste Amann rappelle tout au long de la pièce les inquiétants brouillages de l'époque. Il est question de l'enrôlement islamiste d'un voisin que les membres de la fratrie connaissent depuis sa petite enfance, de la soumission de l'un des frères à son tout puissant patron, de l'attirance qu'éprouve la soeur pour un jeune commerçant qui a pour prénom Moussa. A la fin de la représentation les comédiens deviennent les protagonistes de l'ultime repas de Condorcet avant son arrestation suivie de son assassinat. On sait gré à Baptiste Ammann qui a choisi de rendre ainsi hommage à un penseur qui, à ses risques et périls, défendit la liberté de penser. Et voulut croire que le monde d'après serait de tolérance. Ce qui à notre époque qui met en rivalité les identités, les religions et les cultures semble particulièrement chimérique. "Nous sifflerons la Marseillaise" est le premier volet d'un triptyque. On attend la suite, jouée par les mêmes fervents acteurs, avec impatience. Jusqu'au 19 février Théâtre Ouvert tél 01 42 55 74 40
mercredi 10 février 2016
Réparer les vivants de Maylis de Kerangal
Rares sont les spectacles qui nous harponnent autant que cette adaptation conçue pour la scène par Sylvain Maurice de l'oeuvre littéraire de Maylis de Kerangal qui a pour titre Réparer les vivants. Esquivant tout sentimentalisme, l'auteur relate dans un style éblouissant de précision et de vérité la mort au cours d'un accident d'un garçon de 19 ans. La greffe de son coeur va permettre de sauver la vie d'une autre personne. Les parents éperdus de chagrin sont relayés par des membres du corps médical saisis à un moment de leur existence où tous se montrent à la hauteur de leur rôle. L'écrivain qui a le sens du trait évoque en passant les minuscules travers de certains de ces personnages par ailleurs admirables. Comédiens immense, Vincent Dissez, debout sur un tapis roulant sur lequel il esquisse parfois des pas de danse, prend les voix des différents protagonistes. Juché sur le haut du décor en forme de tombeau imaginé par Eric Soyer, l'ultra-compétent musicien et compositeur Joachim Latarjet accompagne tout du long ce voyage du pire à l'espoir. Le tissage des paroles et des sons est on ne peut plus réussi. En un temps où l'on a le sentiment que les sociétés vont toutes à vaux l'eau, le transvasement du livre de Maylis de Kerangal à la scène rappelle qu'il est des progrès qui peuvent être source de vie. Et nous apprend en douce que la mort est attestée non, comme on le considérait jusqu'il a peu, par l'arrêt du coeur mais par la disparition de l'activité cérébrale. Jusqu'au 19 février Théâtre Sartrouville Yvelines CDN tel 01 3O 86 77 79 Du 8 au 6 avril DU 27 au 29 avril Comédie de Bethunes Théâtre Paris Villette tel 01 40 03 72 23
samedi 6 février 2016
Dans la solitude des champs de coton de Bernard -Marie Koltès
Fréquents sont les spectacles qui satisfont la galerie, exceptionnels ceux qui envoûtent. La mise en scène par Roland Auzet de cette pièce montée à plusieurs reprises par Patrice Chéreau est de celle dont la beauté foudroie. Le face à face d'un dealer et de son client est, pour la première fois, interprété par deux comédiennes : Anne Alvaro et Audrey Bonnet qui semblent avoir été touchées par les mots de Koltès comme certains, dit-on, l'auraient été par la grâce. Les deux personnages tout du long sondent les abimes du désir et ce faisant tentent de forcer les ténèbres qui les entourent et les hantent. S'il ne prétend pas découvrir le sens ultime des choses, Koltès, qui manie la langue comme d'autres un instrument de musique, sait d'expérience que c'est en l'autre, l'objet de désir, qu'on tente de trouver le Graal. Si chez Chéreau les personnages s'empoignaient, se rudoyaient, voyaient dans le corps de l'autre un appât, il en est autrement ici où le dealer est pour le client et le client pour le dealer un mystère que, malgré la profusion de mots, l'on ne peut élucider. Emporté par sa verve, Koltès en arrive même à faire dire à l'un(e) des protagoniste que l'amitié, d'ordinaire si glorifiée, ne peut qu'être radine. Le metteur en scène explique dans le dossier de presse que "des casques pour chacun du public sont proposés pour entrer dans l'intime des mots, de la situation et des corps des actrices". Ce qui au départ peut éveiller de la méfiance mai se révèle d'une parfaite justesse. Pour donner un surcroit de tension à cette singulière danse de mort, Roland Auzet à fait appel au chorégraphe Thierry Thieû Niang dont il faut souligner le considérable apport. Un coup de chapeau enfin au Théâtre des Célestins de Lyon qui a produit ce spectacle d'une force si peu commune. Jusqu'au 20 février Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50
lundi 1 février 2016
Les derniers jours de l'humanité de Karl Kraus
Journaliste qui ne mâchait pas ses phrases, Karl Kraus (1874-1936) commença l'écriture des Derniers jours de l'humanité, pièce qui comporte 209 scènes, à Vienne au début de la guerre de 14-18 qui, comme on le sait, marqua la fin de l'empire austro-hongrois. N'utilisant, à l'en croire, que des paroles entendues il en poursuivit l'écriture jusqu'en 1917. L'auteur dramatique et metteur en scène David Lescot qui s'est emparé de cette oeuvre monumentale - laquelle valut à son auteur d'être poursuivi pour défaitisme - n'en a conservé que des parties. Toutes édifiantes. A travers un montage de scènes de cabaret, d'instants de comédies acides et de projections d'archives peu exploitées,le monde d'hier tant célébré par Stefan Zweig apparaît ici bien pantelant. Le goût immodéré pour la satire de Karl Kraus est souligné dès le début de la représentation où, pris de fièvre nationaliste, de bons citoyens effacent toutes traces non germaniques des enseignes viennoises. Seules sont épargnées les inscriptions juives. Leur tour viendra. Se succèdent des bourgeois d'une étroitesse d'esprit et d'une vénalité sans limites, un homme de dieu qui pousse ses fidèles à ne pas s'encombrer de préoccupations miséricordieuses, des officiers se vantant de la cruauté dont ils ont fait preuve, une mère qui rêve de voir son fils partir au combat et y laisser sa peau. Les comédiens passent avec une délectation communicative d'un rôle à l'autre. Denis Podalydès fait montre d'un talent clownesque tel qu'on en redemanderait. Les compositions de Bruno Raffaelli sont, comme on pouvait s'y attendre, savoureuse en diable. Qu'elle joue ou chante, Sylvia Bergé, elle aussi, enchante. Quant à la jeune Pauline Clément elle montre dans une scène ou elle lit une lettre faussement affectueuse et réellement immonde qu'elle envoie à son mari encore sur le front, qu'elle a de la ressource. Maître d'oeuvre de cette véhémente dénonciation des temps obscurs que n'arrête de connaitre l'humanité, David Lescot confirme, pour sa part, qu'il est l'une des grandes pointures de la scène actuelle. Il ne serait pas surprenant que Svetlana Alexievitch, récent prix Nobel, qui dans "La fin de l'homme rouge" s'appuie sur les témoignages d'hommes et de femmes rencontrés au fil du temps, ait été marquée par la découverte des brulots de Karl Kraus. Jusqu'au 28 février Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 58 15 15
samedi 30 janvier 2016
Roberto Zucco de Bernard-Marie Koltès
On ne compte plus les metteurs en scène qui jettent leur dévolu sur les pièces de Koltès. Beaucoup (notamment Jean-Christophe Saïs, Thierry de Peretti, Jacques Nichet, Arnaud Meunier ...) en tirent des spectacles d'excellente facture. Ce qui est loin d'être le cas de Richard Brunel. Soufrant d'un manque flagrant de direction, les comédiens (dont certains on fait ailleurs preuve d'un grand savoir-faire) poussent de hauts cris,montent des escaliers à toute pompe, se roulent sur le sol, s'égarent dans un jeu outré. Seules quelques scènes (grâce à Axel Bogousslawsky et à Luce Mouchel) ne sombrent pas dans le ridicule. Comme le fit avant lui Jean Genêt avec Les bonnes inspiré du meurtre commis par les soeurs Papin,Bernard -Marie Koltès partit, pour écrire Roberto Zucco, d'un fait divers sanglant et s'abstint de condamner un rebelle forcené à l'ordre établi qui, apparemment sans état d'âme, assassina à tout va. Considérée à sa création, en 1991, comme une pièce mal famée, elle provoqua la fureur de la police et fut interdite, on s'en souvient, à Chambéry. Ce qui ne risque pas d'arriver au spectacle dénué de tout esprit de subversion mais non de lourdeur dont il est ici question. Jusqu'au 20 février Théâtre Gérard Philippe (TGP) Centre dramatique national de Saint -Denis tel 01 48 13 17 00
dimanche 24 janvier 2016
Bettencourt boulevard ou "une histoire de France" de Michel Vinaver
Il y eût sur l'affaire Bettencourt une telle inflation d'informations qu'on en a suivi les rebondissements comme celles d'un feuilleton. Michel Vinaver a saisi à chaud cette affaire qui en dit long sur les turpitudes de certains responsables politiques et membres de la haute finance. Comme on nous l'a répété à satiété, Françoise Bettencourt Meyers (Christine Gagneux), fille d'André et de Liliane Bettencourt a, malgré la sourde opposition de ses parent, épousé un juif. L'auteur a eu la bonne idée d'ouvrir la pièce sur le face à face de deux fantômes, aîeux de ce couple. L'un, est l'inventeur Schueller, père de Liliane Bettencourt, qui milita à la Cagoule et fut durant l'occupation un chaud partisan de la législation antisémite de l'Etat français, l'autre, le rabbin Meyers fut assassiné à Auschwitz. Lilane,qui a atteint un âge respectable et dont la mémoire souvent flanche, est entourée d'un paquet d'aiglefins. Parmi ceux-ci Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune au mieux avec des membres, de l'entourage de Sarkozy et le photographe écrivain François - Marie Banier. Esprit caustique, Michel Vinaver brosse de ces peu reluisants échantillons d'humanité des portrait savoureux. Jérôme Deschamps incarne de succulente façon de Maistre qui, dans ses accès d'autosatisfaction, prend des intonations gauliennes. Didier Flamand adopte, lui, la dégaine insolente de Banier qui s'y entend pour flatter la futilité de sa protectrice. Ce rôle Francine Berger le joue avec une finesse qui rendrait presque touchant ce personnage lequel n'a aucune accointance avec le réel, se paye un amuseur et profite de manière évidement éhontée de son grand âge et de sa colossale fortune. Le procès qui clôt ce spectacle mis en scène avec une plaisante ironie par Christian Schiaretti est celui d'une république qui mériterait d'être affligée du terme de bananière.Jusqu'au 14 février Théâtre National de la Colline tel 01 44 62 52 52
jeudi 21 janvier 2016
Déjeuner che les Wittgenstein de Thomas Bernhard
Thomas Bernhard avait pris son époque en dégoût et ne se privait pas de le dire haut et fort. Wittgenstein, philosophe interné en hôpital psychiatrique ressemble par d'innombrables traits à l'écrivain. Dene, sa soeur aînée a décidé de le faire réintégrer la maison familiale, ce que Ritter, la cadette n'approuve pas. Wittgenstein, lui-même, n'a nullement l'intention de s'attarder dans ce lieu qu'il compare à un caveau mortuaire. Au cours d'un déjeuner préparé avec une ardeur inquiétante par Dene qui a pour son frère un engouement sans borne, celui-ci se déchaîne. Il vomit le monde où la vulgarité gagne chaque jour du terrain, s'en prend à ses soeurs, toutes deux comédiennes, qui ont, assène t-il, sombré dans le théâtre. Il n'est pas plus tendre avec les peintres contemporains qu'il considère comme des non-artistes. Seule la musique trouve grâce à ses yeux. Il s'en prend enfin à leurs défunts parents, gens aux revenus extrêmement confortables qui les ont, ses soeurs et lui, si piètrement façonnés. Tandis que l'aînée, qui a joué sans succès les parfaites maîtresses de maison, se lamente puis s'effondre, la seconde bibine à tout va. Ce qui caractérise la plupart des pièces de Thomas Bernhardt est leur férocité comique. Fine connaisseuse du théâtre germanique, Agathe Alexis, qui assure la mise en scène , a su fait surgir tout le suc de cette pièce fourmillante de réflexions et d'interrogations sur une société qui marche sur la tête. Les trois comédiens, Yveline Hamon, Agathe Alexis et Hervé Van Der Meulen exécutent leur partition avec un tel brio qu'on serait tenté d'assurer aux interprètes en herbe, aujourd'hui en si grand nombre, qu'ils peuvent tirer de leur jeu si parfaitement rythmé un véritable enseignement.
Jusqu'au 1er février Théâtre de L'Atalante tel 01 46 06 11 90
jeudi 14 janvier 2016
Qui a peur de Virginia Woolf? d'Edward Albee
Le couple d'enseignants dans une université américaine que forment Martha et George apparaît de prime abord furieusement désaccordé. C'est à l'évidence pour foutre en rogne son mari qu'à l'issue d'une réception bien arrosée Martha a convié à prendre une dernier verre un professeur en début de carrière et sa dinde d'épouse.La soirée très vite part en sucette. L'hôtesse semble prendre un malin plaisir à dévoiler les faiblesses de son partenaire. Lequel, après avoir paru blessé, sort ses propres munitions. Les invités feront rapidement les frais de ce déballage de souvenirs réels ou inventés. La pièce, écrite en 1962, fut créée en français quelques années plus tard avec dans les rôles principaux Madeleine Robinson et Raymond Jérôme. Les deux comédiens en arrivèrent rapidement à se haïr au point de s'envoyer chaque soir à la gueule des vacheries dont ils étaient les auteurs... Rien de tel ici où les personnages empêtrés dans une relation perverse sont interprétés par Dominique Valadié qui donne la mesure de son immense virtuosité et par Wladimir Yordanoff dont la composition éblouissante de finesse force l'admiration. Les jeunes Pierre-François Garel et Julia Faure incarnent, quant à eux, les invités qui en fin de nuit quittent essorés la maison de leurs aînés. La mise en scène épurée d'Alain Françon et l'astucieux décor de Jacques Gabel achèvent de faire une réussite de ce spectacle qu'on reçoit à l'estomac.
Théâtre de l'Oeuvre tel 01 44 53 88 88
samedi 9 janvier 2016
Richard III de William Shakespeare
Peut être Thomas Jolly n'avait pas le projet de monter Richard III. Le succès phénoménal remporté par Henry VI l'aura sans doute incité à poursuivre dans la même voie. On connaît sa capacité à s'approcher au plus prés des monstres politiques. Ce monument de duplicité qu'est Richard III faisait donc parfaitement l'affaire. Il l'incarne lui-même en soulignant la malignité du personnage à qui le désir de puissance fait perdre toute mesure. La mesure n'est d'ailleurs pas la tasse de thé de ce metteur en scène qui ne lésine pas sur les effets visuels et acoustiques.La profusion de lumières rutilantes en agace plus d'un mais fait fait la joie des jeunes spectateurs qui découvrent combien le théâtre peut être à la fois divertissant et source de réflexions. Contrairement à d'autres metteurs en scène de sa génération qui se plaisent à en mettre plein la vue, Thomas Jolly tente surtout de dessiner le profil de ces fous qui de tous temps nous gouvernent. Fils disgracieux d'une mère qui l'a toujours rejeté, le Richard qu'il interprète carbure à la haine. Haine qu'il dissimule longtemps sous des airs patelins et qu'il laisse in fine si bien jaillir qu'il en arrive à foutre à tous les jetons. Mais la colère parfois l'emporte sur la peur... Des comédiens dont le jeu outrancier apparaît d'une frappante homogénéité concourent à rendre ce Richard III intelligemment spectaculaire. Jusqu'au 13 février Odéon théâtre de l'Europe Tel 01 44 85 40 40
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