samedi 20 décembre 2008

mea culpa

Il fut un temps où l'on disait que le cinéma n'est pas seulement un art, que c'est aussi une industrie. Aujourd'hui il importe rappeler que c'est aussi un art.  La colère que suscite en moi cette dérive m'a poussé une établir une  liste trop restreinte des films qui depuis le début de la saison ont pu marquer les esprits et les sensibilités. Il faut ajouter à ce choix Le silence de Lorna des frères Dardenne où l'on ne retrouve pas la vitalité électriques de leurs réalisations antérieures mais bien leur empathie pour les damnés de la terre. Aujourd'hui les sans papiers. L'autre film qui n'a rien d'un produit commercial porte le nom de son personnage central : Stella. Sylvie Verheyden dont les parents tenaient un bistrot où la majorité des clients faisaient montre d'une sacrée descente, y raconte les faits marquants de l'année où elle est rentrée dans une école pour rejetons de la bourgeoisie. Enfants et adultes rivalisent de justesse dans cette reconstitution du début des années 70, période encore trop proche que pour être souvent traitée à l'écran. Ce blog   reprendra début janvier, mois  riche en spectacles nouveaux. Le premier sur lequel on se penchera est Edourd II de Marlowe que monte un surdoué de la scène encore peu connu qui a pour nom Cédric Gourmelon. Les représentations auront lieu à partir du 5 janvier au Paris-Villette.  

lundi 15 décembre 2008

cinéma : Mascarades de Lyes Salem

Les films un tantinet singuliers sont devenus une denrée si rare que lorsque l'un d'entre eux trouve une sortie on est titillé par l'envie de le défendre. Cette saison seuls se sont détachés du lot de médiocrités dont on nous abreuve Two lovers de James Gray, Home de de Ursula Meier, Hunger de Steve McQueen et Quatre nuits avec Anna de Jerzy Skolimowski, authentique merveille dont le passage en salles fut si furtif qu'il passa inaperçu du public. Pour le reste walloo, qui peut se traduire par rien ou que dalle. Cette semaine sort heureusement Mascarades de Lyes Salem qui dépeint sur le mode ludique la vie d'une famille sans le sou d'une bourgade algérienne.

Marié à une femme accueillante et perspicace et père d'un garçon d'environ dix ans, Mounir (qu'incarne avec juste ce qu'il faut d'humour le cinéaste par ailleurs comédien issu du Conservatoire de Paris) a la malchance d'avoir une soeur jolie comme un coeur qui à tous instants sombre dans le sommeil. Ce qui lui vaut dans le village à l'atmosphère étouffante et bouffonne, où fusent quolibets et médisances, la réputation d'être folle. Ce qui n'empêche pas la jeune fille d'avoir un soupirant en la personne du seul ami de son frère hélas, fauché comme les blés. Les deux jeunes gens ont l'art lorsqu'ils se chuchotent leur amour de faire chanter les mots.

Mounir rêve pour sa frangine d'un parti plus prestigieux et annonce sur la place centrale du village lors d'une nuit où il a bu plus que de raison qu'un riche étranger à jeté son dévolu sur sa gracieuse parente. C'est évidement pure invention que la jeune fille, qui confond ses rêves et la réalité, va confirmer. Du coup Mounir jusque là méprisé par une raclure mieux nantie que lui va faire figure de héros et être l'objet de toutes les attentions et en particulier de celles du richard corrompu jusqu'à l'os. Ce qui n'est pas pour déplaire au frimeur qui sommeille en lui.

Lyes Salem, qui se sent à l'évidence proche de ce petit monde, a un sens du trait qui fait songer à la férocité mêlée de tendresse avec laquelle les maîtres de la comédie italienne (Risi, Comencini, Scolla....) décrivaient dans les années 70 les préjugés, petitesses et accès de vanités de leurs compatriotes. On songe également à Goldoni qui avait le chic pour décrire en les raillant des petites communautés d'individus.

Lyes Salem a réalisé avec Mascarades un premier long métrage qui, pétri d'humanité et d'effronterie, défie toute classification.

jeudi 11 décembre 2008

John Gabriel Borkman

On a pu à de nombreuses reprises remarquer la propension des metteurs allemands à dépasser les bornes. Thomas Ostermeyer, leader du jeune théâtre germanique ne s'en est, au cours de ses innombrables mises en scène,  pas privé lui non plus. Mais  Ibsen, dont il avait déjà monté Nora (Maison de poupée) et Hedda Gabler  lui donne visiblement le goût de la sobriété. Il faut dire que le désordre qui ravage les territoires intérieurs des personnages ne donne pas envie d'en rajouter. En cette saison de déroute financière il ne pouvait faire meilleur choix que John Gabriel Borkman. Banquier de son état, ce fils de mineur a en effet grugé la presque totalité de ses clients ce qui lui a valu cinq ans de taule. Il est ensuite rentré chez sa femme qui l'a relégué à l'étage du haut de leur manoir tandis que leur fils était élevé par sa tante.  Les années ont passées, le fils devenu adulte est revenu vivre avec sa mère. La pièce débute au moment où Ella, la soeur jumelle de madame Borkman resurgit après plusieurs années d'absence et demande d'avoir jusqu'à sa fin qu'elle sait proche son neveux à ses côtés.  Mais le jeune homme envoie dinguer mère et tante pour partir vivre avec celle qu'il a choisi. Tout au long de la pièce, comme dans toute l'oeuvre d'Ibsen les secrets de famille, souvent crapôteux vont se dévoiler.  Comme chaque fois qu'il se mesure à l'auteur norvégien, Thomas Ostermeyer fait preuve tant sur le plan de la mise en scène que de la scénographie d'une maîtrise vertigineuse. Un verre translucide occupe le fond de scène, chaque fois que le plateau tourne jaillit une mince fumée. Les personnages d'une densité qui suscite le malaise sont défendus par des comédiens d'exception parmi lesquels le public français reconnaîtra Angela Winkler à qui l'immense Peter Zadek confia, il y a quelques années le rôle d'Hamlet et qui fut au cinéma notamment l'héroïne  du film de Volker Schlöndorff L'honneur perdu de Katarina Blum. Le prodige est que les années ne semblent pas laisser sur elle l'ombre d'une empreinte. Ce spectacle de haute tenue  est le premier à être présenté dans le cadre de Prospero, accord de coopération culturelle qui réunit les théâtres de six pays européens dont le TNB (Théâtre national de Bretagne) est l'un des membres. Le moins qu'on puisse dire est que le projet semble bien parti. (jusqu'au 13 décembre Théâtre national de Bretagne à Rennes, du 2 au 11 avril 2009 Théâtre national de l'Odéon Paris 75006)

mardi 9 décembre 2008

L'illusion comique

Pierre Romans, Giorgio Strehler, Eric Vigner et bien d'autres se sont essayer à démêler les fils de l'intrigue de L'illusion comique de Corneille. Beaucoup s'y sont cassés les dents. On n'en dira pas autant de Galin Stoev, jeune metteur en scène bulgare établi en Belgique et devenu un familier de la Comédie Française.  Même si le spectacle accuse quelques baises de rythme, que les costumes contemporains conviennent mal à cette pièce d'un temps où le tee shirt n'avait pas encore la cote et que le décor, comme toujours chez Stoev, privilégie les jeux de miroirs et les cages de verre qui doit lui rappeler l'époque où son pays natal apparaissait aux yeux de ses habitants comme une prison, la représentation a une sacrée gueule. Grâce surtout à ses interprètes.  Artiste de premier rang, Denis Podalydès fait de Matamore un lutin irrésistiblement vaniteux, Alain Lenglet compose avec sa sobriété coutumière un père psycho-rigide persuadé que son fils mène une vie déréglée, Hervé Pierre compose un magicien d'une complexité chatoyante. Quand aux jeunes Loïc Corbery et Judith Chemla ils rappellent qu'il suffit de tomber amoureux pour perdre la maîtrise de la situation.  On connaît le faste verbal de celui qu'on surnomma le vieux Corneille. Il use ici pour parler de la sensibilité qu'il prête aux femmes et de la mentalité des hommes de phrases d'une splendeur incongrue que les tourtereaux engagés dans un véritable duel verbal s'échangent avec délectation. Mais L'illusion comique est avant tout une ode au jeu théâtral. Si, en dépit de circonstances adverses, l'amour n'est ici que merveille, c'est parce qu'il est simulé, non vécu.(Comédie Française en alternance jusqu'au 21 juin 2009)

mercredi 3 décembre 2008

Ordet

On ne peut qu'approuver Arthur Nauziciel qui en ces temps de montée de despotisme religieux, s'affronte à cette pièce du pasteur et écrivain de théâtre danois Kaj Munk dont Carl Dreyer tira  en 1955 un film d'une hypnotisante beauté. Deux communautés religieuses empêtrées dans des débats sans issues vont être témoins d'un miracle. La belle-fille de Mikel Borgen meure en couche. Considéré comme dément, l'un des fils cet homme d'un rigorisme tout protestant, trouvera la parole (ordet) qui la ramènera à la vie. Alors qu'il a d'ordinaire l'art de clarifier la complexité, le metteur en scène distille, cette fois, tout du long, le doute. S'agit-il d'un miracle ou la jeune femme est-elle tombée dans un coma hystérique? Autour d'elle, le fanatisme altère les discernements. Seul celui qui a perdu la raison et qui à la manière des prophètes de l'Ancien Testament lance des mots comme on lance des pierres, se tiens à l'écart de ses querelles de dévots où les adversaires se traitent réciproquement de créatures des ténèbres.  Arthur Nauziciel qui a signé avec Marie Darieussecq l'adaptation de cette pièce, à laquelle aucun de ses collègues n'avait encore osé se mesurer,  a opté pour une scénographie aussi ascétique que le monde paysan qu'il dépeint. Les comédiens - parmi lesquels il faut en particulier mentionner Catherine Vuillez et Pascal Greggory (qui depuis Dans la solitude des champs de coton monté par Patrice Chereau qui était aussi son partenaire n'avait jamais fait montre d'une telle maîtrise) jouent avec une intensité qui laisse pantois. (jusqu'au 7 Les Gémeaux à Sceaux)

samedi 29 novembre 2008

les surprises,de,la cartoucherie de Vincennes

Figure de pointe du théâtre français contemporain, Christophe Pellet n'est pas gâté par le sort. Ses pièces sont peu jouées et lorsqu'elles le sont c'est en toute confidentialité. Ce qui est le cas de Une nuit dans la montagne dont s'est emparée Jacques David et qui est accueillie, mais hélas sans tambour ni trompettes, par le Théâtre du Soleil  .  Résultat : les comédiens jouent devant une assistance particulièrement réduite.   Ce qui ne leur donne évidement pas du coeur à l'ouvrage. Même Sylvie Debrun et  Sébastien Accart qui défendaient si vaillamment leurs personnages dans La version Browning de Terrence Rattignan qu'avait monté Didier Bezace jouent, comme leurs partenaires, de façon un brin laborieuse. Alors que la pièce se situe dans un théâtre magnifiquement délabré (on songe aux Bouffes du Nord mais ne rêvons pas) elle est ici représentée dans un espace nu aux proportions superbes mais qui ne lui convient pas. Ce qui est d'autant plus navrant que Pellet, qui possède le don de la phrase originale et foudroyante, dépeint  une comédienne et directrice de théâtre à la maturité rayonnante qui se bat en vain pour que sa salle ne se transforme pas en parking ou en restaurant.  On retrouve ses thèmes de prédilection a savoir : la passion de la scène et l'amour des personnes appartenant au même sexe et en proie à un dramatique désordre psychique. A la Tempête, autre théâtre de la Cartoucherie, on peut savourer "Je ne sais quoi" où la chanteuse Nathalie Joly dont la voix comme  la diction au phrasé acidulé sont purs délices, chante le répertoire d'Yvette Guillbert, interprète au répertoire souvent coquin et amie de Freud (qui demanda à la revoir lorsque fuyant l'Autriche, il séjourna quelques jours à Paris chez Marie Bonaparte). Dirigée avec une délicieuse malice par Jacques Verzier et accompagné au piano par  l'espiègle Jean-Pierre Gesbert, Nathalie Joly émaille son tour de chant de lettres que la glorieuse vedette de music- hall échangea avec l'inventeur de la psychanalyse. Un moment divin. (Une nuit dans la montagne jusqu'au 7 décembre Théâtre du Soleil, Je ne sais quoi jusqu'au 20 décembre Théâtre de la Tempete)

samedi 22 novembre 2008

l'ancien et le récent

Rien à priori ne rapproche Le voyage de monsieur Perrichon d'Eugène Labiche, comédie partiellement chantée aux effets de vaudeville à Nous étions jeunes alors de Frédéric Sonntag, auteur dramatique âgé de trente ans.  Les deux pièces ont pourtant en commun d'être emblématiques de leur époque respective. Dans la pièce de Labiche deux amis en pincent pour la même mignonne Henriettte ( Hélène Babu), fille d'un marchand qui s'est décidé à faire en famille un voyage en Suisse. Manifestant que l'âge tendre peut être coriace, les deux prétendants leur file le train. Le premier sauvera la vie du  père Perrichon qui s'était aventuré dans une région escarpée, le second s'arrangera pour que le même Perrichon vienne à son secours quand il tombe dans une crevasse d'une profondeur réduite. Le commerçant marque très vite sa préférence pour celui qui lui a donné l'occasion de montrer son courage et manifeste  peu de sympathie à celui qui lui est venu en aide et l'a donc surpris alors qu'il se trouvait en danger.

Julie Brochen qui a mis en scène cette oeuvre de répertoire et s'était déjà,il y a quelques années, atttaqué avec brio à La cagnotte du même Labiche, semble douée - alors qu'elle marque généralement son penchant  pour des créations  plus ardues -  pour monter des oeuvres dont l' efficacité comique est le trait principal. Si le casting mérite un coup de chapeau collectif , on louera en particulier la prestation de Piere Vial qui reprend de savoureuse manière  la partition de haute volée  où s'étaient successivement illustrés Jacques Charron et Jean Le Poulain. Véritable mise en pièce d'une petite bourgeoisie où la fille,malgré le goût qu'elle a pour un des deux garçons qui la convoitent,  laisse ces parents choisir celui qui la conduira à l'autel, Le voyage de monsieur Perrichon en dit long sur l'esprit qui régnait dans la France du XXe siècle. 

Nous étions jeune alors de Frédéric Sonntag décrit le lieu de chaos qu'est aujourd'hui devenu le monde. Conscients que le ce monde menace notre intériorité, un garçon et deux filles laissés sur le bas- côté de la route, quittent la grande ville pour rejoindre une maison au coeur de la forêt  où ils ont le sentiment de retrouver des saveurs  d'enfance. Mais ils ne tardent pas à déchanter. L'ennui qui les envahi une fois qu'ils se sont barricadés les pousse  à se camer et à s'identifier aux personnages de fiction des films d'antan dont ils font une consommation excessive. Pour ne pas perdre la tête ils n'ont d'autres solutions que de retourner vers la métropole qu'ils  ont fuit. Si on regrette l'utilisation trop intensive de la vidéo et surtout  qu'il s'agisse d'une pièce chorale où les personnages sont peu dessinés, il faut reconnaître que cette pièce est une critique on ne peut plus féroce de notre désastreux début de millénaire.  (Le voyage de monsieur Perrichon Vieux Colombier jusqu'au 11 janvier, Nous étions jeunes alors Théâtre ouvert jusqu'au 13 décembre)     

dimanche 16 novembre 2008

Mettre en scène

Comme toujours la sélection de Festival de Rennes initiée par François Le Pillouër est copieuse. Nous n'avons, et c'est navrant , pu découvrir que trois spectacles sur la quantité de ceux qui sont programmés du 11 au 22 décembre.  Très attendue La vénus à la fourrure d'après Leopold von Sacher- Masoch n'a pas comblé notre attente. D'autant que le précédent  spectacle de Christine Letailleur "La philosophie dans le boudoir" tiré de l'oeuvre de Sade était d'une grâce irradiante. La  metteuse en scène, qui  a manifestement un faible  pour les textes qui prennent la forme de réflexions sur nos abîmes intérieurs,  décrit ici comment un homme a découvert le plaisir  après avoir  subi au cours de son adolescence  une expérience masochiste. Il arrive (sans trop de peine) à corrompre l'imagination de Wanda, une  femme qu'il a séduit. Il lui demande  de l'engager comme esclave et la pousse à se revêtir d'une fourrure quand elle en fait son consentant souffre- douleur.  Fanatisé par sa passion pour les traitements infamants qu'elle lui inflige, il ne pourra jamais avoir avec elle des relations plus ordinaires. Christine Letailleur a eu la fâcheuse idée de verser dans la surenchère esthétique. La moindre des attitudes Valérie Lang est d'une sophistication appuyée, ce qui ne peut que faire enrager ceux qui ont vu le film de Christophe Honoré, La belle personne,  où elle jouait avec un naturel exquis une prof éprise d'un jeune collègue.  (du 21 janvier au 15 février Théâtre de la Colline)

Autre spectacle qui fut l'objet de controverses : La petite pièce en haut de l'escalier de Carole Frechette auquel s'est coltiné Blandine Savetier. L'auteure qui aime flirter avec le fantastique décrit une jeune femme qui vient d'épouser le propriétaire d'une maison au nombre de pièces impressionnant. Seul l'accès de l'une d'entre elle lui est interdit. D'abord étourdie par le vertige qu'apporte une soudaine richesse, la jeune femme n'aura bientôt d'autre obsession que de pénétrer dans la chambre qui doit rester close. On songe évidement à Barbe bleue. Mais la dramaturge a pris l'initiative d'user de nombreuses disjonctions narratives, ce qui rend ce texte, qui pourrait avoir été écrit  en des temps reculés, étrangement prenant. On comprend toutefois qu'une  portion de public soit resté insensible à cet univers proche de celui d'un conte. 

Mais le clou de cette bribe de festival auquel nous avons pu assister est Edouard II de Christopher Marlowe qu'a choisi de monter Cédric Gourmelon. (et qu'il a traduit avec André Markowicz) Follement épris de Glaveston, son mignon, le roi le couvre de faveurs ce qui lui vaut l'hostilité des nobles du royaume. Plus qu'une pièce sur l'homosexualité, Edouard devient le récit de la  passion dévorante que le roi, malgré le pouvoir dont il est investi, payera au prix le plus fort.  Une scénographie austère est régulièrement contrebalancée par des bouffées baroque que n'aurait pas désavoué un cinéaste comme Werner Schroeter dont l'oeuvre est nourrie d'artifices aussi somptueux  qu' audacieux (on pense notamment à ce moment ou l'aimé apparaît enrobé d'une musique qui en dit long  sur les sentiments qu'éprouve pour lui le souverain). Cédric Gourmelon possede avec Vincent Dissez qui interpete le roi une carte maîtresse. Sa présence effrénée, son acharnement à évoquer à tout bout de champs son bien aimé, les patins qu'il lui roulent devant la cour réunie (et sa femme rejetée)  et les rires maladifs dont il est pris à l'annonce de l'exécution de ses ennemis génèrent une tension  qui a sur le reste de la troupe un effet galvanisant. S'il est un spectacle qui aura provoque durant ce week end un onde choc, c'est celui-là. (les 2 et 3 dec l'hippodrome, scène nationale de Douai, les 12 et 1" dec Théâtre Brétigny sur Orges, du 5 au 31 janvier Paris- Villette

lundi 10 novembre 2008

Conversation avec Jean-Yves et Eric Ruf

Mesure pour mesure est une pièce qui ne se laisse pas facilement apprivoiser. Jean-Yves Ruf qui a une prédilection pour les textes peu faits pour la scène et a déjà fréquenté Shakespeare en montant Comme il vous plaira y va de tout son talent et gagne la partie. Pour interpréter Angelo qui, pour un temps indécis, remplace à la tête du pays, son cousin, le duc, il a fait appel à son frère Eric Ruf, sociétaire de la Comédie française. Les frangins qui disent être des hommes taiseux (ils se sont au départ consacré à des activités solitaires puisque le premier fut à ses débuts hautboitiste et que le second eut pour première passion le dessin) ont tous deux choisis les planches afin de partager avec d'autres leurs émotions. 

Ce qui m' a attiré dans Mesure pour mesure dit Jean-Yves est qu'elle soit dans sa structure une sorte de monstre qui mélange les vers à la prose, passe de la comédie à la pastorale et aborde des thèmes comme la foi et le désir de pureté. Voilà longtemps que nous voulions travailler ensemble. Nous avons manqué le faire ajoute Eric en jouant les rôles de deux hommes qui se découvrent frères dans Marion Delorme de Victor Hugo que devait mettre en scène Eric Vignier. Mes engagements à la Comédie Française nous en a empêché.  A ce propos Jean-Yves fait remarquer que Muriel Mayette, administratrice du Français, désirerait qu'il y réalise une mise en scène. Mais plutôt que de m'affronter à une pièce choisie par la maison, j'aimerais leur en proposer une . 

Pour ce qui est d'Eric, il apprécie grandement de jouer de temps à autre, comme il le fit en endossant le rôle d'Hippolyte dans la Phèdre mise en scène par Chereau, ailleurs que dans la maison de Molière.  C'est dit-il pour moi une façon de me ressourcer. Je reprendrai sans doute un jour ma propre troupe avec laquelle j'ai monté deux spectacles. Je continue par ailleurs à faire des décors. La saison prochaine j'en réaliserai un pour Denis Podalydès qui monte Fortunio de Messager, tiré du Chandelier de Musset, à l'opéra comique. Je reviens de ces aventures avec l'impression d'avoir changé. 

Les deux frères ne tarissent pas d'éloges sur André Markowicz, le traducteur de la pièce. Il a su aussi bien rendre la force comique mais aussi l'intensité des scènes dramatiques que l'impertinente liberté de plume de Shakespeare. A l'inverse d'autres traducteurs chevronnés, il ne craint pas d'affirmer que ce qui est obscur il faut le traduire obscurément. Il bosse à toute vitesse puis constate "là il y a un noeud" Ne reculant devant aucune difficulté, il s'attaque depuis quelques temps à La divine comédie de Dante.   

Pour ce qui est de ses distributions, Jean-Yves dit aimer mélanger les familles d'acteurs. Souvent raconte t-il je ne fais pas passer d'audition mais engage les comédiens après avoir bu un coup avec eux. Pour ce qui est des familles d'acteurs, l'expérience d'Eric est évidement toute autre. On appelle les comédiens du Français remarque t-il la famille des Atrides. Il suffit de voir combien d'entre eux ont fait bloc et se sont insurgés à l'idée d'aller à Bobigny pour constater que cette réputation est injustifiée. Les personnes qui aujourd'hui se refilent la patate chaude après avoir eu l'idée d'implanter le Français à Bobigny  méconnaissent le terrain contrairement à ceux qui l'arpentent depuis des années.  Hier matin encore, ajoute son frère, j'ai été parlé de Shakespeare à des élèves d'une école proche du théâtre qui, à quelques exceptions prés ne savaient pas de qui il s'agissait. Ils assisteront bien sûr à l'une des représentations. Comme la pièce parle de religion et de désir il y a quelque chance qu'elle les accroche.

Quand on leur demande si leurs parents ont des liens avec la scène, ils répondent que non mais Eric fait remarquer que leurs deux grands pères étaient pasteurs et avaient donc l'habitude de s'adresser à un auditoire. Comme leurs aïeux, ils ont donc un rapports à la parole qui à un effet tant sur leur carrière que sur leur vie.    

samedi 8 novembre 2008

Shakespeare l'indépasable

Evoquant Iago, Othello dit : c'est un homme qui connaît tous les rouages de la condition humaine. On pourrait retourner le compliment à Shakespeare dont la perception si aiguë de ses semblables a fait un auteur indémodable.  L'Othello qu'a monté Eric Vignier dessert  malheureusement, la pièce à cause de sa mise en scène trop esthétisante, d'une musique omniprésente et d'une direction d'acteurs dénuée de la moindre rigueur. (Théâtre de l'Odéon jusqu'au 7 décembre) Il en va tout autrement de Mesure pour mesure à laquelle, c'est le cas de le dire , s'est mesuré Jean-Yves Ruff . ( MC93 jusqu'au 2 décembre puis en tournée jusqu'en mars)

Peu connaissent la trame de cette pièce qui débute au moment où le duc de Viennes délègue pour une période indéterminée son pouvoir absolu à son cousin Angelo dont la réputation d'intégrité est reconnue par (presque) tous.  Ce parangon de vertu a quelque tendance à confondre plaisir du corps et péché de l'âme. Ce qui le pousse à faire condamner à mort un jeune homme qui sans l'avoir encore épousé  a rendu enceinte la fille qu'il aime. Le condamné demande à sa soeur, une novice jolie comme un coeur, d'intercéder en sa faveur auprès d'Angelo. D'abord inflexible,  ce dernier séduit par celle qui l'implore avec tant d'acharnement,  va bientôt devoir affronter des forces aveugles autrement dit être en proie à sa libido. Il accepte de gracier le frère si la soeur couche avec lui Un curieux moine va alors s'en mêler et jouer avec une perversion amusée des sentiments et des désirs  de chacun.

Traducteur en pointe de l'anglais comme du russe (mais aussi du breton!), André Markowicz
donne une juste équivalence à la langue de Shakespeare. Mais si le spectacle est aussi délectable et accroche de bout en bout l'attention c'est aussi grâce à l'intelligence des partis pris du metteur en scène, au mélange de cruauté et de générosité des personnages incarnés par des comédiens au talent bien trempé comme Jérôme Derre et Eric Ruff et à l'interprétation délicieusement singulière de Laetitia Dosch, une nouvelle venue qui promet. Ce spectacle qui compte tant de moments d'une grâce infinie est la preuve s'il en faut que Patrick Sommier qui dirige  la  MC93 de Bobigny est loin de faire les choix élitistes que lui reproche le ministère de la culture. 

Shakespeare sera cette saison constamment à l'affiche puisque Christian Schiaretti  montera sous peu Coriolan  au Théâtre des Amandiers à Nanterre. On ne peut pour l'instant rien  en écrire puisque Nada Stacar qui y était remarquable à des ennuis de santé et ne peut donc reprendre son rôle. 
Claire Lasnes met, quant à elle, en scène Hamlet  qui sera incarné par Patrick Catalifo. Ce spectacle qui y restera jusqu'au 15 janvier inaugurera l'ouverture du Grand Théâtre de Poitiers le 6 janvier.  Il sera ensuite joué sous chapiteau dans le Poitou et rejoindra Lyon du 20 mars au 3 avril. Avec l'espoir qu'on le voit la saison prochaine à Paris. 
Un entretien avec Jean-Yves et Eric Ruff paraîtra dans peu de jours 

    

samedi 1 novembre 2008

Toujours à l'affiche
Un triumvirat a repris les rennes de la Pépinière opéra. Les trois lascars ne semblent pas opter pour une politique pèpère puisqu'ils ont programmer Shitz de l'israélien Hanokh Levin, un des seuls  auteurs dramatiques  qui aura bouleversé le champs du de l'art théâtral de son pays. Une fille aux formes généreuses qui ne trouvait pas de fiancé finit par dégotter une petite frappe qui n' a d'autres idées que mettre la main sur le magot des parents de sa promise.

 L'incorrection de la pièce ou le père et la mère se font cruellement assaisonner par leur fille dont les hormones ont pris feu,  fit scandale dans un pays où la famille est sacrée.  Si le tragique y tutoie constamment le comique on peut néanmoins déplorer la pesanteur de la mise en scène. Il n'en va pas de même de Europeanna (joué dans la même salle) adapté d'une oeuvre de Patrick Ourednik, grand écrivain tchèque méconnu qui a installé ses pénates dans notre douce France,  et mis en scène par la comédienne Laure Dutilheul. Deux conférenciers, Sharif Andoura d'origine moyen orientale et et Jonathan Manzabi né de parents Zaïrois décrivent sans soucis de chronologie un siècle (le vingtième!) couturé de guerres. On croit en connaître un bout sur sur ces temps si proches et on en apprend de belles à chaque phrases. Le XXIe siècle commençant de manière si affligeante, le spectacle apparaît d'une importance majeure. 

Dans Des gens Zabou Breitman a porté à la scène des bribes de deux films parmi les meilleurs de Raymond Depardon (Faits divers et Urgence) Les personnages joués à merveille par Zabou Breitman elle -même et Laurent Lafitte qui godillent d'un personnage à l'autre sont en proie à des convulsions névrotiques qui ne sont étrangères qu'a bien peu de personnes. Le théâtre devient du coup une chambre d'échos du monde.  Comme l'actrice -metteuse en scène a apporté le renfort de sa célébrité, le spectacle se donne dans un théâtre privé, le Petit Montparnasse.

 Il faut enfin rappeler qu'a été prolongé jusqu'au 20 décembre pour cause de succés L'apprentissage de Jean-Luc Lagarce (Les déchargeurs) où un homme qui vient de subir une anesthésie a quelque mal à restaurer ses forces mentales. Grâce à Alain Macé, comédien d'une cinquantaine d'années dont on ne connaît pas assez les ressources, ce spectacle restera dans les mémoires comme un pincement au coeur.   

mercredi 29 octobre 2008

La Lettre et Madame de Sade

Deux spectacles au climat vénéneux font les beaux jours d'octobre.
Rien à priori ne rapproche Madame de Sade de Yukio Mishima dont s'est emparé Jacques Vincey, un des metteurs les plus prometteurs du moment et La lettre écrit et mis en scène par Pierre -Yves Chapalain qui fut longtemps l'un des interprètes de Joël Pommerat. Ils ont pourtant en commun de naviguer dans les eaux saumâtres des relations familiales.

Le premier, plus stylisé, réunit un casting rutilant où l'on retrouve notamment Marilu Marini, Hélène Alexandridis et Anne Sée. Il se déroule dans la demeure de madame de Montreuil belle-mère du dit divin marquis alors que celui-ci est emprisonné tant pour ses convictions que pour ses actes. Vêtues de sorte de robe à panier qui leur donne au début des allures de marionnettes l'épouse du détenu et sa mère tiennent toutes deux des discours étincelants d'habileté. Les paroles provocantes ou faussement apaisantes des femmes de leur entourage aiguisent leur verve batailleuse. Fine manoeuvrière, madame de Montreuil tente de piéger sa fille dont elle connaît les frasques pour avoir envoyé un homme à sa solde assister en catimini aux nuits d'orgie auxquelles sa fille a participées. Mais celle-ci tient un discours désinhibé au cours duquel elle explique que c'est l'amour qu'elle voue à son mari, travaillé par une libido exigeante et pour lequel la violence est au coeur de la nature de l'homme, qui l'a portée à ses extrémités.

La lettre a pour cadre la maison menacée par les eaux d'un couple de paysans que mine des conflits aveugles. L'homme se persuade qu'il est gravement malade alors que docteur lui affirme qu'il se porte on ne peut mieux. On comprendra peu à peu qu'il est atteint non d'un mal physique mais d'une rage qui le dévore. L'objet de cette rage est son frère qui lui a tout pris y compris, ce qu'on comprendra en mettant au jour des zones enfouis du passé, ce qu'il a de plus cher. Lorsque ce frère qui a des allures de jeune homme ou plutôt de jeune femme réapparaîtra après des années d'absence, l'homme se vengera avec la même cruauté que celle des demi dieux des tragédies grecques.

Le climat fantastique de la pièce la rapproche de Maurice Maeterlinck. Mais alors que l'écrivain belge use d'un langage résolument lyrique, celui de Pierre Yves Chapalain est ordinaire et par à coup veiné de poésie. Faisant preuve d'une grande sureté dans dans la direction de ses interprètes, il réussit à assortir sa tragédie du terroir d'une touche d'humour. Le spectacle est en effet peuplé de personnages haut en couleur tel le médecin qui gagné par l'atmosphère ténébreuse de la maison se met soudain à hurler à plein poumons ou la soeur du paysan attirée comme un aimant par ceux que la mort menace. Son mari, lui, n'arrête de dire des âneries, ce qu'il sait pertinemment mais ne peut s'empêcher de faire.

Ces deux spectacles qui révèlent de façon si différente le caractère abyssal de nos ténèbres méritent, on l'a compris d'être découvertes.

La lettre se donne jusqu'au 9 novembre au théâtre de la Tempête à la cartoucherie de Vincennes tandis que Madame de Sade se donne au théatre de Beauvais les 13 et 14 nov, à l'Espace Jacques Prévert Aulnays- sous- bois le 17 nov ; à la Comédie de Reims les 25 et et 27 et à l'ABC Scène Nationale de Bar-le- duc le 2. En décembre il sera présenté à La Rochelle, à Dieppe, à Meylan et à Gridignan.

lundi 27 octobre 2008

présentation

Y a t’il une vie après celle de critique de théâtre, métier que j’ai exercé un paquet d’années à Télérama. Je suis convaincu que oui avec cette liberté et cette insolence accrue que permet le blog.

A mes yeux le théâtre autorise, comme toute art qui se pratiqué sur le fil, d’observer tout ensemble les spécificités de notre époque et d’imaginer un avenir indéchiffrable. Mon but premier est de défendre des spectacles qui scintillent d’instants magiques et de suivre des démarches de créateurs qui nous entraînent dans une nuit qui est autant la leur que la nôtre. Ce qui ne signifie évidemment pas que seront exclus les représentations où seule la fantaisie gouverne. `

Ce blog ne rendra pas seulement compte des heures où je me suis senti en résonance profonde mais aussi de celles qui donnent des hauts le cœur car elles reflètent une époque de vide abyssal de la pensée. Des entretiens avec des metteurs en scène, acteurs, auteurs, scénographes dont les efforts provoquent l’ivresse d’une véritable découverte seront également au programme. Tant de belles intentions peuvent causer bien des déceptions.

En attendant, comme dit l’autre, vogue la galère.

Il va sans dire que tous les commentaires, même les moins aimables, seront les bienvenus.

Joshka Schidlow