Pour peu qu'on ait la passion de la littérature ce spectacle, qui met en scène l'éditeur Jérôme Lindon et les écrivains qu'avec un flair infaillible il avait rassemblé sous sa bannière, ne peut que charmer. D'autant qu'il balance entre la drôlerie et le sérieux. Il est évidement piquant de voir ces grands noms que sont Claude Simon, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Robert Pinget, Alain Robbe - Grillet, Michel Butor qui, à en croire les médias, appartenaient tous à un même cénacle baptisé le Nouveau Roman, se gausser les uns des autres. Ces auteurs n'ont, on s'en doute, pas l'échine souple. Monstres d'égocentrisme - comme le romancier Alain Fleischer qualifie certains d'entre eux, au cours d'un entretien filmé - ils ne pensent, comme on dit aujourd'hui, qu'à leur pomme. Et à leur incontestable talent.
Les préjugés savants et les dérives autoritaires d'Alain Robbe Grille ont le don d'exaspérer ses pairs. Jérôme Lindon est accusé tantôt par Butor plus tard par Duras de faire sur le dos des auteurs de plantureux bénéfices. Editeur de génie aux idées arrêtées, il rejette Claude Ollier dont il trouve l'oeuvre négligeable et les préoccupations politiques trop présentes. Ollier ne digèrera pas l'outrage. Personnalité à multiples facettes, Lindon éditera La question d'Henri Alleg qui lui vaudra d'avoir son appartement plastiqué. Il signera aussi, et fera signer par ses auteurs, la déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie nommée le Manifeste des 121, Christophe Honoré, qui signe et le texte et la mise en scène de cet hommage tout ensemble émerveillé et caustique à une époque faste de la littérature française, rappelle que leur judéité valut à Jérôme Lindon comme à Nathalie Sarraute d'avoir sous l'Occupation été en danger de mort.
Honoré, comme il le fait dans ses films, interrompt le déroulement du spectacle en faisant égrener aux comédiens des chansons plutôt guillerettes ou en les faisant danser. Convaincu que nos identités sexuelles sont indécises, il fait jouer à des actrices telles que Annie Mercier et Brigitte Catillon des rôles masculins. La première impose sa majesté mature dans le rôle de Jérôme Lindon, la seconde incarne Michel Butor. Il est aussi une séquence délicieusement cocasse où Benjamin Wangermée se glisse dans la peau de Françoise Sagan. On sait par ailleurs gré au metteur en scène d'avoir laissé l'ombre de Beckett, que Lindon plaçait plus haut que tous, planer sur la représentation.
Quelques représentants du sérail littéraire d'aujourd'hui apparaissent sur de petits écrans et rappellent que ces auteurs qui, Butor et Ollier exceptés, se sont effacés du paysage, ne pourraient, à la si frileuse heure présente, plus trouver de maison d'édition susceptibles de les accueillir. Ce dont on ne doute pas.
Jusqu'au 9 décembre La Colline tel 01 44 62 52 52
mercredi 21 novembre 2012
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