S'éloignant des drames naturalistes dans lesquels il excellait, Ibsen décrit dans Peer Gynt le parcours d'un homme qui tout au long de sa tumultueuse vie s'enfonce davantage dans ce que Victor Hugo nomma "l'hilarité des ténèbres" Petit bonhomme réfractaire et éprouvé vivant dans un village norvégien avec une mère à la personnalité impétueuse, il commet de si nombreux impairs qu'il finit par fuir vers les lointains du monde. Sa route sera semée de rencontres extravagantes comme celle des trolls, peuplade issue de vestiges de légendes nordiques. Avant de revenir sur les lieux de sa jeunesse, il connaîtra les délices de Capoue, se retrouvera même dans la peau d'une florissante canaille qui fait commerce d'esclaves, deviendra empereur et essuiera au cours d'une traversée une tempête où il se montrera sous un jours qu'on peut difficilement qualifié de glorieux.
Eric Ruf qui fit déjà preuve d'un beau talent lorsqu'il monta il y a quelques années avec une bande de copains "Du désavantage du vent" a choisi pour mettre en valeur cette épopée un lieu étincelant : le salon d'honneur du Grand Palais. Il ne s'est, ce faisant, pas rendu la tâche facile. Le praticable sur lequel se déroule l'action est d'une telle longueur que les comédiens se trouvent dans l'obligation de constamment l'arpenter. Son avantage est qu'il favorise les parades de l'étrange dont le spectacle est émaillé.
Si l'effet de troupe (celle de la Comédie Française) est garanti on est surtout subjugué par Hervé Pierre dont la palette ne cesse de s'élargir. Il fallait une nature aussi engagée dans son art que la sienne pour donner autant de consistance à l'homme intranquille et pas particulièrement aimable qu'est Peer Gynt. A ses côtés Catherine Samie qui incarne celle qui lui a donné le jour est, comme elle le fut toujours, d'une présence quasi irréelle. Le moment de ses funérailles est d'une émotion à ne pas croire. On ne peut aussi qu'applaudir à la composition savoureuse de Serge Bagdassarian, roi tout puissant, puis réduit à la débine, des trolls. Un autre moment clé de ce spectacle fleuve est celui où Eric Genovèse incarne un homme de dieu qui tient avec une délicatesse inouïe et la force des convaincus une oraison funèbre peu orthodoxe. Contrairement à Peer Gynt, le disparu, un homme simple, su être lui- même.
On a compris qu'il s'agit d'un spectacle coup de maître lequel doit aussi beaucoup aux costumes somptueux de Christian Lacroix et à l'adaptation émerveillante de François Regnault;
Jusqu'au 14 juin Salon d'Honneur du Grand Palais tel O8 25 10 16 80