dimanche 28 octobre 2012

Cahin-Caha de Serge Valletti

On ne compte plus les metteurs en scène qui se sont mesurés au théâtre de Serge Valetti. Mais seule à ma connaissance Chantal Morel sut, il y a belle lurette, en montant,  "Le jour se lève Léopold", mettre en valeur l'absurde savoureux de cet auteur dont la faconde rappelle, par instants, celle de Roland Dubillard,  David Géry s'attaque, lui, à une pièce écrite par Valletti pour France Culture et qui n'a, pour autant qu'on le sache, jamais été jouée. Son faste verbal étourdissant a, à l'évidence, foutu la trouille à ceux qui auraient voulu s'en emparer. Mais pas à Olivier Cruveiller ( en alternance avec Claude Guyonnet) et à Christian Drillaud qui interprètent deux personnages lesquels  s'appellent l'un Cahin, l'autre Caha.

Se posant comme tout un chacun quand il est seul, des questions aussi démentes que "Comment communiquait- on avant l'invention du langage?" ils en arrivent, emportés par leur verve, à associer des raisonnements de plus en plus hasardeux. Cahin ne se remet pas d'avoir été plaqué par une fille. Caha lui fait remarquer qu'il n'a connu l'objet de son obsession que cinq minutes il y a quinze ans et l'autre de lui  répondre "tu ne connais rien au coup de foudre". Et si, plutôt que de se laisser submerger par les mots qui bruissent dans leurs têtes,  ils se mettaient  à écrire et, pourquoi pas,  à se transformer en dramaturge? Ce qui a, sans doute aucun, été le cas pour le sieur Valletti.

Le plus frappant dans ce spectacle jubilatoire qui tourne en boucle  est que les deux comédiens n'ont jamais l'air de jouer mais semblent eux- même entraînés dans un feu roulant de questions et de réponses on ne peut plus saugrenues.Difficile de ne pas admirer la sagacité avec laquelle David Géry a dirigé cette opération à haut risque.

Jusqu'au 24 novembre Lucernaire tel 01 44 45 57 34

dimanche 14 octobre 2012

HHhH de Laurent Binet

Un écrivain tente de cerner la personnalité toute en ombres  et les événements les plus marquants de la vie de Reinhard Heydrich que sa soif de destruction aida à grimper à toute allure les échelons de la hiérarchie nazie. Il fut notamment le principal organisateur de la conférence de Wansee au cours de laquelle fut décidée l'application de la Solution finale. Ce que Laurent Hatat, le metteur en scène, a eu l'heureuse  idée de montrer à travers des extraits de deux films l'un" Les Bourreaux meurent aussi" de Fritz Lang ( dont une part importante du scénario fut écrite par Bertold Brecht) fut réalisé à chaud, c'est-à dire peu après l'attentat qui 'envoya le bonhomme  au diable et Conspiracy tourné par un réalisateur de la télévision anglaise. Kenneth Brannagh y campe un Heydrich suave, extrêmement british alors que l'original avait une voix de crécelle et, dit-on,  écumait  de haine.

Le roman de Laurent Binet dont Laurent Hatat tire un spectacle au lance-flamme, ne tente pas seulement d'éclairer les abimes d'un monstre, il tente aussi de savoir comment on peut s'emparer d'un fragment de l'Histoire sans que l'écriture le déforme, le dénature. Dirigés avec sagacité Olivier Balazuc et Leslie Bouchet forment le  couple qui se déchire sur les dangers que comportent pareille entreprise. Même s'il pense en connaître  un bout sur ces temps où l'on refusa à certains individus la condition d'être humain, le spectateur, tout au long de la représentation, n'arrête d'être sidéré par ce qui lui est révélé.

Jusqu'au 26 octobre Théâtre de la Commune Aubervilliers tel 01 48 33 16 16  

jeudi 11 octobre 2012

La mort d'un commis voyageur d'Arthur Miller

Pendant longtemps Claudia Stavisky, semblait avoir grand mal à montrer l'étendue de ses capacités de metteuse en scène. Les années passant elle se lança de dangereux défis artistiques et sembla à maintes reprises plus sûre d'elle. Elle a, avec cette pièce écrite par Arthur Miller à la fin des années quarante,  franchi une étape décisive. Son spectacle est , en effet, celui d'une pointure  de la scène.

Se sachant tabassé par le temps qui a coulé,  Willy Loman, voyageur de commerce d'un soixantaine d'années a l'esprit qui décroche. La réalité se dissout pour cet homme, qui sait sa carrière et par conséquent  sa vie derrière lui, dans les souvenirs mais aussi les espoirs les plus insensés.  Il a pour ses deux fils et en particulier pour Biff l'aîné des ambitions tonitruantes. Mais cela sans vouloir savoir qu'à la suite de quelques désastres intimes ce trentenaire n'a cessé de mener une existence ténébreuse. Père et fils n'arrêtent de se molester verbalement.  Parfaite femme d'intérieur, comme on disait autrefois, Linda Loman  est la vigie de la maisonnée. Si elle se fait des cheveux, jamais elle ne le montre. Bien que torturée par la lucidité, elle s'acharne, mais en vain, à apaiser la mésentente qui pollue l'atmosphère. Happy, le cadet joue les  gars à la coule qui préfère draguer à tout va que d'arpenter le terrain poisseux des relations familiales.

Le passé fréquemment s'entremêle au présent. Il fallait pour interpréter ces personnages à différents âges de leur vie, et qui affronteront toujours davantage l'adversité,  des acteurs d'élite. Entourant François Marthouret, Hélène Alexandridis compose le rôle de la mère avec une précision confondante. Il fallait pour camper un homme encore jeune à la personnalité teintée du dégoût de soi un interprète qui puisse l'incarner de façon tantôt tempérée, à d'autres moments véhémente. Claudia Stavisky à eu l'heureuse idée de confier ce rôle  à Alexandre Zambeaux qui ne craint visiblement pas la traversée des cercles  les plus opaques de l'enfer. La troupe qu'elle a réunie, qui comprend aussi Mathieu Samper, Jean-Claude Durand et Mickaël Pinelli, est d'une remarquable homogénéité. Un coup de chapeau aussi au scénographe Alexandre de Dardel et à Frank Thévenon dont les lumières sont une splendeur.

La pièce, on l'aura compris, est à notre époque si accro au profit, plus d'actualité qu'elle ne le fut jamais et surtout pas à sa création au début d'une décennie  faste. Ce spectacle à vocation populaire et d'une qualité de tous les instants à tous les atouts pour faire une triomphante tournée.

Jusqu'au 31 Octobre théâtre des Célestins Lyon tel 04 72 77 40 00

dimanche 7 octobre 2012

Le père de Florian Zeller

Cette pièce marque un tournant dans l'oeuvre de Florian Zeller. On pouvait jusqu'à présent se montrer dubitatif quant à ses compétences d'auteur dramatique. Il a cette fois façonné au scalpel le portrait d'un homme dont la réalité se dissout dans la déraison et les souvenirs. Ce personnage à l'identité de plus en plus mal cimentée est interprété par un comédien qui  a du métier à revendre puisqu'il s'agit de Robert Hirsch ce trésor vivant de l'art théâtral comme on dirait au Japon.

Au cours des premières scènes il est chez lui en compagnie de sa fille que son verbe affranchi  et ses élucubrations mettent au supplice. Mais on le devine au fil du spectacle de plus en plus reclus dans son monde. Ses humeurs massacrantes et les innombrables calembredaines qu'il raconte finissent par avoir raison de la patience du compagnon de son aînée. Il en arrive d'ailleurs à ne pas le reconnaître ll voit même sa propre enfant sous les traits de deux femmes différentes. Bientôt il mettra le cap sur son enfance.

Humour et tragique marchent ici de concert. Rien de plus affligeant que d'assister à l'effondrement d'un individu dont les souvenirs sont désormais en charpie. Mais l'acteur est si époustouflant, si savoureux qu'on regarde son personnage, arrivé à l'automne de l'âge, partagé entre l'émotion et  la connivence. Robert Hirsch a trouvé en ces acteurs de premier rang que sont Isabelle Gélinas et Patrick Catalifo ainsi qu'en ceux qui tiennent des rôles plus brefs des appuis précieux. Portée par la mise en scène toute en souplesse et délicatesse de Ladislas Chollat  - et grâce à un décor conçu avec goût par Emmanuelle Roy - cette production est de celles qui méritent le succès.

Hébertot tel 01 43 87 23 23  

samedi 6 octobre 2012

Occupe-toi d'Amélie de Georges Feydeau

Feydeau cultive comme personne dérision et déraison. Pleine de folles embardées sa pièce - dont Claude Autant-Lara tira en 1949 un film d'une virevoltante splendeur - a pour principale protagoniste Amélie, une gouailleuse et aimable cocotte à qui Marcel Courbon, un viveur qui se retrouve pour l'instant sans fonds, propose un mariage factice qui lui permettrait toucher un héritage conséquent.  Sur ce début passablement cinglé  vont se greffer des personnages plus folklo les uns que les autres. Parmi eux un père qui vit des charmes de  sa fille, un prince oriental féru de son rang et surtout un tonton belge à l'accent irrésistible. Cette crème d'homme est aussi un gaffeur invétéré.

On ne dira jamais assez combien est admirable la virtuosité de la langue de Feydeau combien habiles sont les jeux constants entre le vrai et le faux et percutants  les retournements de situation qu'il n'a de  cesse d'inventer. Si on ajoute qu'il avait le génie des répliques qui tuent on comprendra que son talent surpasse largement celui des auteurs contemporains de comédies. La différence avec ceux-ci tient aussi au fait que l'humour chez cet écrivain qui finit ses jours en hôpital psychiatrique est né d'un désespoir sans fond.

Si la propension au cabotinage de certains  comédiens nuit au spectacle les interprétations d'Hélène De Fougerolles au sourire plein les yeux, de Bruno Putzulu, qui pas plus dans le registre loufoque que dans celui du sérieux ne ménage son talent ainsi que de Serge Ridoux qui campe un personnage au ridicule tonitruant donnent à cette brillante satire de la bourgeoisie d'autrefois un sacré peps

Michodière tel 01 47 42 95 22  

jeudi 4 octobre 2012

La barque le soir de Tarjei Vesaas

Il est clair que pour Claude Régy qui monte cet extrait d'un  roman de l'écrivain norvégien Tarjei Vesaas le monde dans lequel nous vivons menace notre intériorité. C'est pourquoi on se trouve à chacune de ses créations au coeur de ténèbres inexplorées. Un homme à la charpente robuste ( Yann Boudaud qui avait délaissé la scène depuis quelques trop longues années) qui parle à la troisième personne est sur le point de se laisser glisser dans l'inconnaissable. Les profondeurs de l'eau dans laquelle il semble dériver l'attirent. Cette position précaire ouvre en lui des horizons de pensée.

Bien qu'en proie à une sorte de commotion psychique, il remonte à la surface et finira peut-être par apprécier le magnifique désastre d'être en vie. L'acteur qui tout du long sépare les syllabes apparaît comme une sorte de miroir de celui que nous sommes quand il nous arrive d'être  sur le point de céder au vertige de la chute.

Des lumières, comme toujours dans les spectacles  de l'exigeant artiste qu'est Régy, cet infatigable découvreur d'oeuvres essentielles, sont de toute beauté. comme l'est la bande son. Une jauge réduite empêche les spectateurs d'être  nombreux à découvrir ce joyau à nul autre pareil.

Dans le cadre du Festival d'Automne Odéon Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40