lundi 27 février 2017
Vertiges de Nasser DjemaÏ
Après avoir brillamment fait ses armes avec "Invisibles" où il s'introduisait dans le logement d'une poignée de retraités maghrébins qui ont, leur vie durant, turbiné en France Nasser Djemaï dépeint dans Vertiges les difficultés que rencontre Nadir venu, après des années d'absence, voir où en sont les siens. Ceux-ci, qui vivent dans un HLM, ne vont pas fort. Le père visiblement au bout du rouleau éprouve une incurable nostalgie pour le bled où accompagné de sa femme il se rend chaque été. Mais la mère ne tient pas à y retourner. Mina, la soeur est la seule qui s'est trouvé un boulot mais elle ne tente pas pour autant de quitter le nid familial. Hakim, le benjamin de la fratrie vit, comme beaucoup de garçons de la cité, de menus trafics.Nadir, dont le couple fait naufrage, est un homme miné par son obsession du rangement. Ses tentatives pour mettre de l'ordre dans les papiers administratifs comme dans la vie de chacun se révèleront vaines. Pas plus sa mère, engoncée dans ses habitudes, que les autres n'apprécient qu'il se mêle de leur sort. Leur hostilité grandissante ébranlera ses nerfs.Nasser Djemaî exerce, comme dans ses précédents spectacles, la double pratique d'auteur et de metteur en scène. Il a eu la lumineuse idée de faire errer dans l'appartement une voisine muette. Sa présence - qui met Nadir hors de lui - s'apparente à celle du choeur antique. Les personnages sont interprétés avec tant de convictions - par Zakaryia Gouram, Lounès Tazaïrt, Fatima Aibour, Clémence Azincourt, Issam Rachyq-Ahrad et Martine Harmel - qu'ils semblent avoir été tricotés sur mesure. Il est pour chacun d'entre eux un moment - bouleversant - où il laisse entendre leurs ruminations intérieures. Dans ce spectacle sur une famille, écrit Djemal, orpheline de sa propre histoire, l'auteur ne se contente pas de piocher dans le réel, il lui donne aussi la dimension d'une fable.De la belle ouvrage.
Jusqu'au 12 mars Manufacture des Oeillets. Ivry tél 01 43 9O 49 49 Puis les 14 et 15 mars Le Granit scène nationale Belfort, le 18 mars Théâtre Edwige Feuillère scène conventionnée -Vesoul, Le 21 mars Le Bateau-Feu scéne nationale -Dunkerke, le 31 mars La Garance scène nationale-Cavaillon, du 4 au 8 avril THéâtre de la Croix Rousse - Lyon
samedi 25 février 2017
Mayday de Dorothée Zumstein
Les talents réunis de deux jeunes femmes, l'auteure Dorothée Zumstein et la metteuse en scène Julie Duclos nous valent un des spectacles les puissamment inconfortables de la saison. Frappée par l'entretien qu'a accordé à une journaliste May Bell - femme d'une quarantaine d'année qui à l'âge de 11 ans tua deux petits garçons et qui libérée de prison s'est mariée et a eu une enfant - Dorothée Zumstein a écrit de sa plume acérée, on peut même dire sans merci une pièce qui a, à juste titre, séduit Julie Duclos. Le spectacle débute sur celle qui commit autrefois ce crime exorbitant (fabuleuse Marie Matheron) laquelle en rameutant ses souvenirs tente de comprendre son geste. Elle apparaît à la fois sur la scène et sur un vaste écran où son visage exprime la souffrance qui jamais ne la quitte. Elle est issue d'une famille sans le sou marquée par la suprématie féminine, mais aussi la prostitution et l'inceste. Sa mère dont elle ne garde que des souvenirs affligeants commença à l'adolescence, après la mort de son père, à zoner. Mary (troublante Alexis Riemer) à qui elle donna naissance alors qu'elle avait 17 ans lui apparût d'emblée comme un être malfaisant. La grand mère, qui connut quant à elle une passion religieuse, n'évoquait jamais les événements traumatisants du passé. Le mystère, des comportements excentriques ou carrément prédateurs de certains membres de la famille demeure. Julie Duclo s'est rendu en Angleterre sur les lieux dévastés, projetés sur des écrans, où les faits se sont déroulés. Comme beaucoup de metteurs en scène de sa génération elle utilise parfois en surabondance les projections. C'est là la seule réserve que suscite ce spectacle explosif sur les énigmes de la transmission. Jusqu'au 17 mars La colline Tél 01 44 62 52 52
lundi 13 février 2017
La rêgle du jeu d'après le scénario de Jean Renoir
Depuis son insolite et saisissante adaptation des Trois soeurs (What if they went to Moscow) la metteuse en scène brésilienne Christiane Jahaty bénéficie d'un engouement dont on se félicite. Ne manquant visiblement pas d'air, elle s'attaque cette fois à La règle du jeu dont Jean Renoir fit le chef d'oeuvre que l'on sait. La représentation s'ouvre sur un film d'une grosse vingtaine de minutes où le maître de maison (Jérémie Lopez tient le rôle créé autrefois par Marcel Dalio) reçoit, à l'occasion d'une fête, ses convives. La frénésie mondaine bat son plein. Son sommet est atteint avec l'arrivée non comme chez Renoir d'un héros de l'aviation mais d'un navigateur (Laurent Lafitte) qui a sauvé en Méditerrannée nombre de réfugiés. Quand le film s'arrête (pour repartir sur la fin) la plupart de ces personnes qui mènent à l'évidence une existence dorée ont disparues. Commence une séquence durant laquelle les protagonistes chantent, se déguisent, se poursuivent mais se laissent aussi aller à leurs tourments. Dès ce moment Christiane Jahaty distord le récit ce qui a pour effet que l'on n'y comprend parfois goutte. On a toutefois durant toute cette séquence le sentiment de l'imminence d'un désastre moins politique que chez Renoir, qui tourna le film en 1939, que sentimental. Celle qui engendre les passions est Christine l'épouse du possesseur des lieux (Suliane Brahim dont la carrière pourrait être incandescente). Ses diverses inclinations provoqueront l'irréparable. En contre point les amours de la domestique (Julie Sicard,) mariée à un serviteur jaloux, et du braconniers engagé depuis peu aux cuisines (Eric Genovese) apparaissent délicieusement coquins. Le public qui a la surprise d'assister à des allers-retours entre théâtre et cinéma semble aussi (pour certains...) apprécier que des scènes se jouent au beau milieu de l'honorable salle Richelieu et même dans les travées. Jusqu'au 15 juin Comédie-Française Salle Richelieu tél 01 44 58 15 15
dimanche 5 février 2017
Abigail's party de Mike Leigh
Alors que l'adolescente Abigail organise une fiesta dans l'appartement où elle vit avec sa mère, celle-ci passe la soirée chez un couple de voisins. Lesquels sont bientôt rejoints par des jeunes mariés qui viennent d'emménager dans le quartier. La soirée tourne peu à peu au désastre. Mike Leigh, dont on connaît en France davantage les films que les pièces, carbure généralement à la noirceur. Beverly, une ancienne esthéticienne, qui joue à l'hôtesse et est manifestement à couteaux tirés avec son mari, n'arrête de faire des boulettes. Ce qui provoque des situations pour le moins gênantes. Thierry Harcourt tire grand profit d'acteurs (Lara Suyeux, Alexie Ribes, Séverine Vincent, Dimitri Rataud et Cédric Carlier) à l'abattage étourdissant. Lequel devrait néanmoins être parfois modéré. L'auteur aime, ses films le prouvent, les personnages brinquebalants. Qu'ils frétillent sans arrêt, ravalent leur colère ou singent les poupées barbie, ceux-ci étalent leur mal être. Thierry Hcourt l'avait déjà prouvé en mettant il y a peu en scène The servant, il a le talent de tirer de chacun de ses interprètes une note excentrique comme de révéler le côté obscur de personnages apparemment sans histoires. Théâtre de Poche tél 01 45 44 50 21
jeudi 2 février 2017
La bain et Le voyage à La Haye de Jean-Luc Lagarce
Jean-Luc Lagarce (1957-1995) écrivit ces deux textes à la fin de sa brève vie. On n'y arpente plus comme dans ses pièces les plus jouées le terrain poisseux des relations familiales. Patrick Coulais, comédien au jeu d'une intense délicatesse, a eu l'ingénieuse idée de rassembler des monologues dans lesquels il se livre avec autant de franchise que dans son journal. Dans "Le bain" il raconte ses retrouvailles avec un garçon qu'il aime et dont le corps porte les empreintes du sida qui va bientôt l'emporter. Il est peu d'exemple où le sentiment amoureux est décrit avec une telle douceur. La mort plane aussi, mais cette fois celle de l'auteur, dans "Le Voyage à La Haye". Après avoir accompagné sa troupe lors d'une tournée qui l'a menée aux Pays Bas, Jean-Luc Lagarce rentre à Paris où il a rendez-vous avec son médecin. Un de ses yeux lui donne des soucis. Que le praticien ne minimise pas. Bien au contraire. Commence une lutte entre le malade et le toubib qui le prévient des dangers qu'il court s'il s'obstine à vouloir renter chez lui. Bien que son monde à l'évidence s'enténèbre, l'écrivain épice cet épisode de détails croustillants. Tout du long il triture ainsi, sans jamais s'apitoyer sur son sort, au plus profond de ses sentiments. Sa narration est précise, réaliste jusqu'au rocambolesque. La mort y planant dans son inexorable injustice on sort de ce spectacle, auquel l'interprète insuffle un charme enveloppant, le coeur gros. Et transporté. Tous les lundi 20h jusqu'au 3 mars Théâtre de la Huchette. Tél 01 43 26 38 99
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