mercredi 27 février 2019
Le misanthrope de Molière
Il n'était pas aisé à une époque (le Grand siècle) où l'esprit badin régnait en maître, de se montrer en toute circonstances intransigeant. Alceste est un homme austère qui dit son fait à celui dont les compliments et les courbettes lui semblent vaines. Cette attitude lui vaut de sérieuses inimitiés. Pour son malheur il s'est épris de Célimène qui s'entoure de jeune gens gominés avec lesquels elle prend plaisir à médire sur tout un chacun. Ces assauts de bons mots au détriment des absents déplaît au plus haut point au sévère Alceste qui en fait reproche à sa bien aimée. Laquelle reçoit la visite d'une bigote qui, à son tour blâme son comportement futile. La scène où les deux femmes se disent leur fait avec des mots élégamment fielleux est un délice. Le public friand des coups de génie de Molière sont à la fête. D'autant que Peter Stein, dont la plupart des spectacles restent à jamais dans les mémoires, s'est cette fois entouré de comédiens choisis avec discernement. Lambert Wilson compose un atrabilaire dont les attitudes malhabiles sont familières à tous ceux qui ont connus des amours désastreuses . Il a à ses cotés des acteurs aussi chevronnés que Hérvé Briaux, Jean-Pierre Malo, Brigitte Catillon et Paul Minthe. Célimène est interprêtée par Pauline Cheviller qui fait preuve d'un finesse de jeu qui pourrait la mener loin. On l'a compris ce Misanthrope, où les femmes n'ont d'autres choix que d'être des coquettes ou des donneuses de leçons et où Molière prend subtilement le pouls de son époque, a tout pour plaire. Théâtre Libre, 4 boulevard de Strasbourg tél 01 42 38 97 14
samedi 23 février 2019
Verte adapté d'un roman pour enfants de Marie Desplechin
Ursule est très remontée contre Verte, sa fille dont elle trouve les ambitions étriquées. C'est que comme sa mère et ses aïeules elle est sorcière et aimerait que l'adolescente suive ses traces. Ce dont celle-ci n'a nul désir. Elle l'envoie à sa mère avec laquelle pense-t-elle, la jeune fille sera à bonne école. Mais Verte n'a aucun mal à avoir Anastabotte, sa grand-mère, aux sentiments. D'autant qu'elle a fait connaissance de Soufi, un garçon tout en délicatesse de son âge. Cette adaptation par la metteuse en scène Léna Bréban et Alexandre Zambeaux d'un délicieux roman pour petits de Marie Desplechin provoque de bout en bout le rire et l'émerveillement. Les effets de magie conçus par Abdul Alafrez et Thierry Collet comme les lumières distillées avec malice par Jean-Luc Chanonat y sont pour beaucoup. Les quatre comédiens, Céline Carrère, Rachel Arditi, Julie Pilod et Pierre Lefebvre déploient, quant à eux, une si belle énergie qu'ils emportent le morceau. Léna Bréban, qui a eu l'intelligence de se faire épaulée par un collaborateur aux idées aussi astucieuses qu'Alexandre Zambeaux, confirme que pour ce qui est du théâtre adressé au jeune public elle est championne. Les adultes qui accompagnent les enfants trouveront, pour leur part, l'occasion rêvée de sustenter leur faim de fantaisie mais aussi de fantastique.Jusqu'au 3 Mars Théâtre Paris Villette Tournée : du 6 au 8 mars Comédie de Picardie, Amiens; le 19 mars L'Eclat _ Pont Audemer; les 21 et 22 mars Les Scènes du Jura SN; le 26 mars Scène Watteau -Nogent -Sur-Marne; du 4au 7 avril Am Stram Gram - Genève; les 10 et 11 avril Comédie de Valence, CD; les 25 et 26 avril Théâtres en Dracénie, Draguignan; du 14 au 16 mai Comédie de Saint-Etienne, CDN; du 21 au 23 mai mai Théâtre d'Angoulème, SN. Production de l'espace des arts, scène nationale Chalon-sur-Saône
mercredi 13 février 2019
J'ai pris mon père sur mes épaules de Fabrice Melquiot
A l'affut de thèmes porteurs, le metteur en scène Arnaud Meunier a commandé à Fabrice Melquiot, auteur dramatique à succés une pièce dont les personnages tirent le diable par la queue. Situation familière à un nombre de plus en plus important d'individus. Ceux dont il est ici question appartiennent à des générations différentes et forment une quasi communauté. Parmi eux une femme (Rachida Brakni) dont le charme opère à la fois sur Roch (Philippe Torreton), un homme plus tout jeune et Enée (Maurin Ollés), son fils dopé, comme ses copains, à la débrouille. Ce petit monde dont les membres sont soudés par l'amitié se trouve secoué par l'annonce que fait Roch du cancer dont il a appris être atteint. Si d'autres trouvent le moyen de rire pour décompresser, Grinch (Vincent Garanger), son vieux pote qu'on devine rivé à lui, perd les pédales. Le monde, lui-même est bouleversé qui est secoué par une série de tremblements de terre. L'atmosphère des lieux apparaît tantôt déconnante, tantôt chagrine. Enée prend l'initiative d'emmener son paternel au Portugal, l'extrême ouest, le farr-west du continent. Projet qu'il aura quelque mal à mener à bien. Acteur populaire qui a du métier à revendre, Philippe Torreton joue à la perfection l'homme en fin de course. Face à lui, Rachida Brakni est prodigieuse en jeune femme qui vit dans une turne et qui confrontée au malheur sait garder son sang froid. Leurs jeunes partenaires leur renvoient tous la balle avec une habileté extrême. Il est pourtant un hic. Fabrice Melquiot, dont l'oeuvre est faite de hauts et de bas a, cette fois, écrit une pièce dont l'écriture mêle avec bonheur le trivial et le lyrisme. Dommage toutefois qu'il ne se soit pas davantage bridé ou que le metteur en scène, pourtant fin stratège, n'ait pas procédé à des coupes drastique. Amputé d'une demi heure, le spectacle aurait eu tout pour plaire. Jusqu'au 10 mars Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21
dimanche 10 février 2019
La fin de l'homme rouge d'après le roman de Svetlana Alexievitch
Pendant quarante ans Svetlana Alexievitch, qui a obtenu en 2015 le prix Nobel de Littérature, a sillonné l'URSS puis, après sa disparition en 1991, des miettes de cet ancien "empire" et a enregistré des centaines de témoignages. Tous accablants. Emmanuel Meirieu qui a à maintes reprises prouvé sa capacité à porter des romans à la scène s'est emparé de ces paroles d'hommes et de femmes broyés par un système politique. Comme dans tous ses spectacles des comédiens viennent tour à tour raconter les événements dont ils ont été témoins ou victimes. Après qu'une mère ait évoqué son fils de 14 ans qui semble avoir prémédité sa fin c'est un ami de l'adolescent disparu qui relate le destin de ses autres copains de jeunesse. Viendront successivement une femme qui retrouve des années après l'avoir quitté l'univers désolé de la steppe où elle fut une enfant martyr et son fils qui après avoir été officier, et avoir vécu la conquête loupée et meurtrière de l'Afghanistan est devenu un homme d'affaire. Chacun se remémore combien rude fut l'érosion de ses espérances. Certains en arrivent à raconter le sort atroce de ceux, innombrables, qui furent considérés comme des ennemis du peuple. Seul un vieillard qui rejoignit à 15 ans le parti communiste lui est resté fidèle. Cela malgré l'arrestation sur dénonciation de sa femme militante elle aussi puis la sienne et avoir vu avec quelle cruauté, quel sadisme étaient traités les détenus. Libéré après deux ans de captivité, il ne songea plus qu'à reprendre la carte du parti. Que ses petits enfants lui disent que croire au communisme leur apparaît aussi absurde que d'être persuadé de l'existence des extra-terrestres ne le fait pas bouger d'un iota. Il constate en revanche que les jeunes gens d'aujourd'hui n'ont, contrairement à ceux qu'il fréquenta dans son jeune âge, aucune flamme dans le regard. Le fond de l'air, constate t'il non sans raison, est cyniquement marchand. Sept comédiens (Anouk Grimberg, Stéphane Balmino, Evelyne Didi, Jérôme Kircher, Xavier Gallais, Maud Wyler et André Wilms) incarnent avec une inoubliable intensité ces êtres qui ont réalisé l'ampleur de la tragédie qu'ils ont connu dans ces vastes étendues où régnait un socialisme inhumain. Il s'agit, on l'a compris d'un spectacle d'une puissance exceptionnelle. Jusqu'au 17 févier Les Gémeaux. Scène Nationale-Sceaux tél 01 46 61 36 67 Puis en tournée.
mercredi 6 février 2019
Rabbit hole de David Lindsay -Abraire
La metteuse en scène Claudia Stavisky possède deux qualités fondamentales: elle choisit les pièces auxquelles elle s'affronte et les comédiens qui l'interprètent avec un rare discernement. le plateau est, cette fois, investi par Patrick Catalifo, Julie Gayet, Christiane Cohendy, et Lolita Chammah qui tous montrent une aptitude peu commune à interpréter des personnages infiniment plus complexes qu'il n'y parait au départ. La pièce démarre sur une discussion plutôt vive entre Becky, qui joue les parfaites femmes d'intérieur et Izzy, sa jeune soeur au comportement plus trash qui annonce qu'elle est enceinte. Ce qui trouble d'autant plus son aînée que celle-ci a depuis peu perdu son fils de cinq ans. Arrive Howard, le père du garçonnet qui contrairement à sa femme ne manifeste pas de tendance à la claustration. Il accepte, en revanche, mal que le sexe ait déserté leurs rapports. Il ne tardera pas à apparaîtra que le chagrin qu'il dissimulait avec soin est, lui aussi, ravageur. C'est quand la jeune soeur, qui a à présent, peut être à cause de son état, du plomb dans la cervelle et sa mère font irruption dans la maison qu'il devient clair que chacun a le coeur en vrac et les nerfs en pelote. Dès que Nat, la mère tente maladroitement d'apaiser les tensions elle se fait rentrer dedans par sa fille endeuillée. Ce huis-clos familial, où aviver les souvenirs peut conduite au drame et où un adolescent (Renan Prévot) qui se croit coupable de l'accident qui coûta la vie à l'enfant tente de venir s'expliquer, est d'autant plus attachant que contre toute attente il laisse l'avenir ouvert. Les applaudissements chaleureux qui accueillent les comédiens lors des saluts en dit long sur la valeur de la représentation. Bouffes Parisiens tél 01 42 96 92 42
lundi 4 février 2019
Heptameron. Récits de la chambre obscure
Benjamin Lazar a le chic pour réaliser des spectacles dans lesquels s'imbriquent avec bonheur musique et théâtre. Il mêle, cette fois, à des récits écrits par Marguerite de Navarre, femme de haute noblesse (elle était la soeur de François 1er) et de lettres et par Boccace des madrigaux de Monteverdi et d'autres compositeurs de la même époque, c'est à dire de la fin de XVIe siècle et du début de XVIIe. Instruite des vices comme des vertus des humains, la dame a laissé avec l' Heptameron un recueil de nouvelles dont les personnages au départ tout à leur allégresse ou à leur rêves finissent par le payer cher. L'histoire née de la plume de Boccace (qui fut adaptée au cinéma par Pier Paolo Pasolini) est tout aussi cruelle mais ne tarde pas à verser dans le merveilleux. Comme ce sont des conteurs électrisants qui nous les donnent à entendre on est sous le charme. Ils sont de temps à autres relayés par Geoffrey Carey qui appartient au mince peloton des comédiens dont la présence est un enchantement. Il évoque, lui, des moments d'une telle étrangeté qu'ils sont restés fichés en lui. Si la musique recèle, de son côté, des harmonies exquises c'est que les musiciens dirigés par Geoffroy Jourdain, sont, eux aussi, choisis avec discernement. Une mise en scène sans apprêts privilégie des éclairages d'une remarquable finesse. La dernière partie où la lumière dispensée par des bougies le dispute à l'ombre laisse un sentiment de douce mélancolie. Aussi belles qu'elles soient les images du cinéaste Joseph Paris, qui par instants accompagnent le spectacle, nous donnent du monde une vision nettement plus apocalyptique. Jusqu'au 23 février Théâtre des Bouffes du Nord tél 01 46 07 34 50
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