jeudi 27 avril 2017
Erich Von Stroheim de Christophe Pellet
Stanislas Nordey se lance sans cesse de nouveaux défis artistiques. On lui doit la découverte de nombreux auteurs dramatiques d'une singularité incontestable. Longtemps il apparut comme un comédien hors pairs. Ses mises en scène, à l'exception de quelques unes dont celles d'oeuvres de Pasolini, étaient en revanche figées. Les comédiens plus que de les jouer proféraient leurs textes. On assiste aujourd'hui au phénomène inverse. Sa présence forcenée et son jeu étudié dans Baal de Bertold Brecht que monte Christine Le Tailleur ne convainc pas. Sa mise en scène de la pièce de Christophe Pellet est, au contraire, d'une intensité envoutante. Deux hommes et une femme occupent le plateau.L'un des hommes vend son corps. Il sait que l'âge n'est pas à prendre à la légère, que lorsque son corps sera dans peu d'années décati, il ne saura comment survivre. L'autre dont la nudité évoque une statue grecque semble n'avoir aucune prise sur sa vie. La femme semble, elle, taillée dans le roc. Elle décide de tout mais n'a jamais qu'une vingtaine de minutes à consacrer aux deux hommes à qui la lie des arrangements opaques. Les femmes dans le théâtre de Christophe Pellet mènent le monde. Ses mots, comme les plans des films d'Erich Von Troheim, astre noir du cinéma muet, sont chargés de dynamite. C'est à travers une mise en scène qu'on ose qualifier de lyrique que Nordey aborde cette oeuvre d'un écrivain - auquel il se mesure pour la deuxième fois - dont il souligne, ce faisant, l'importance. Si les comédiens tirent tous trois leur épingle du jeu, on reste surtout impressionné par la prestation de Thomas Gonzalès qui, tout du long dans le plus simple appareil, nous rappelle la fragilité de notre condition.
Jusqu'au 21 mai Théâtre du Rond Point. tél O1 44 95 98 21
mardi 25 avril 2017
Votre maman de Jean-Claude Grumberg
Atteinte de la maladie d'Alzeimer la maman d'un fils qui lui rend de fréquentes visites finit ses jours dans une maison de retraite médicalisée. Le début de la représentation est assaisonnée de scènes absurdes. Le directeur du lieu se plaint au fils des comportements souvent agressifs de sa mère. Le fils joue les étonnés. Arrive celle dont l'esprit dérive et qui se montre d'une impertinence décapante. Elle prend ou feint de prendre le directeur pour son fils. On retrouve là le sens aigu de la dérision de Jean-Claude Grumberg. L'action se tend lorsque s'adressant une fois encore au fils le responsable de la maison lui apprend que sa maman a disparue. Hors de lui, le fils l'envoie dinguer. C'est qu'il sait que si la conscience de sa mère s'en est allée, sa douleur n'a jamais désarmée. Rescapée d'un camp d'extermination, elle ne put jamais chasser les images horrifiantes, dont celle de sa mère qui y périt, maraudant sans cesse dans sa mémoire. L'auteur dont le père fut déporté tient, avant que les dernières voix ne se taisent, à rappeler le calvaire de ceux qui virent disparaître leurs proches. Le metteur en scène Charles Tordjman, familier de l'oeuvre de Grumberg, joue sur du velours en engageant une comédienne d'un talent aussi fou que Catherine Hiégel. Laquelle est entourée de Bruno Putzulu et de Philippe Fretun, deux interprètes de la même trempe qu'elle. Un spectacle qu'on quitte à la fois retourné et diverti. Théâtre de l'Atelier. Tél 01 46 06 49 24
vendredi 21 avril 2017
La chose commune de David Lescot et de Emmanuel Bex
David Lescot est comme à son habitude à la fois auteur et metteur en scène de ce spectacle qui ravive avec vigueur le souvenir de La Commune. Il s'est cette fois associé au compositeur et jazzman Emmanuel Bex. De leur collaboration est née une sorte de cabaret où la pulsation rythmique propre au jazz accompagne les mots. Tout du long des musicos jouent d'un instrument de musique ou même de plusieurs. Comble de bonheur : la chanteuse Elise Caron interprète d'éclatante façon des chansons aimées des Communards et de leurs sympathisants. Au début David Lescot raconte, en promeneur curieux, la première journée - le 18 mars 1871 - des événements. Suivent une chanson engagée créée par le slammeur Mike Ladd puis le récit fait par la chanteuse de la participation à l'insurrection d'Elisabeth Dmitrieff, une révolutionnaire russe au destin romanesque qui s'illustra à cette période en organisant le combat des femmes. L'auteur a utilisé d'innombrables documents tels que le mémorable éditorial de l'écrivain Jules Vallès dans le Cri du peuple dont il était le rédacteur en chef et un poème de Verlaine sur Louise Michel que peu connaissent. La représentation rappelle combien cette période fut riche de projets qui auraient permis aux damnés de la société et donc du progrès d'obtenir des droits. Il serait aujourd'hui, dans notre société convertie au néo-libéralisme, d'une extrême utilité d'aller puiser dans le fourmillement d'idées qui alors jaillirent. Le mouvement fut, on le sait, réprimé au cours de la semaine sanglante où les Communards furent abattus ou déportés par l'armée de Versailles. Véritable aventure créatrice, "La chose commune" se déroule dans un décor de music-hall d'antan. Ce qui ajoute à son charme. Jusqu'au 29 avril Théâtre de La Ville-Espace Cardin tél 01 42 74 22 77
vendredi 14 avril 2017
La neuvième nuit nous passerons la frontière Texte de Michel Agier et de Catherine Portevin.
Anthropologue dont les recherches portent sur les déplacements de populations, Michel Agier et la journaliste Catherine Portevin ont écrit à quatre mains un texte que, remué par l'actuel flux migratoire, Marcel Bozonnet a mis en scène. Le spectacle a pour point de départ l'essai de Michel Agier "Le couloir des exilés" Il est joué par le comédien Roland Gervet avec en alternance les danseuses Nach et Adelaïde Desseauve. La fiction et les témoignages s'y entremêlent. Les cloisons sont d'autant plus volontiers bannies que les personnes, qui pour fuir l'horreur totalitaire ou des contrées peu hospitalières ont pris le chemin de l'exil, rencontrent sur leur route des obstacles difficilement franchissables. Des stratégies de dissuasion ont, on le sait ô combien, été conçues par les Etats - dont la France - pour restreindre les dépôts de demande d'asile. Prétendre que ces personnes jetées sur les routes bénéficient de privilèges indus ne tient évidement pas debout. La représentation n'est pas pour autant accablante qui mainte fois emprunte à une tradition orale extrêmement vivace et à qui le krump, danse née le Los Angelès des années 90, donne aux spectateurs des envies de guincher. Ce que font, le spectacle bouclé, les élèves ou habitués des établissements scolaires, sociaux et culturels de Seine-Saint-Denis où il a été présenté. Producteur de l'événement, la MC93 (maison de la culture de Seine-Saint-Denis-Bobigny)a tenu à ce qu'il sorte des lieux habituels de représentation. Il ne fait pas de doute que le public des Métallos à Paris 11e où il se donne à présent soit, lui aussi, harponné. Du 18 a 23 avril Maison des Métallos tél 01 47 00 25 20
dimanche 9 avril 2017
Bajazet de Jean Racine
Il fallait pour se confronter à Bajazet, une des pièces les moins jouées de Racine, une sacrée audace. Eric Ruf visiblement n'en manque pas. La pièce peine à dérouler ses pompes. Elle ne décolle que lorsque les femmes font leur apparition. Roxane, la favorite du sultan parti au combat, s'éprend de Bajazet, le frère de son protecteur. Elle ignore qu'un amour tenu secret aux yeux de tous uni depuis leur jeune âge celui sur qui elle a jeté son dévolu à Atalide, une jeune fille d'extraction royale. Roxane tient à ce que Bajazet lui prouve son amour en l'épousant quasi séance tenante. Il sera, s'il refuse, mis à mort. Cédant aux exhortations d'Atalide, il feint de partager les sentiments de celle qui s'est enamourée de lui. Tous se trouvent bientôt égarés dans un dédale de manigances et de dangers. Comme dans toutes ses tragédies, Racine met face à des puissants que la passion pousse à des extrémités des êtres mal armés pour leur tenir tête. Fait d'élans irrationnels l'amour est mauvaise conseillère. Après avoir connu des parenthèses enchantées, Roxane, comme ceux qu'elle aura réussi à confondre, seront vaincus. Leurs rôles étant plus denses, c'est le jeu des comédiennes qui, ici,éblouit. Face à Clothilde de Bayser, qui déploie une gamme nombreuse de sentiments, Rebecca Marder apparaît dans le rôle d'une brutale innocence d'Atalide comme une révélation majeure. Comme le furent il y a quelques années Audrey Bonnet et Judith Chemla. Jusqu'au 7 mai Comédie-Française Vieux- Colombier tél 01 44 39 87 00
jeudi 6 avril 2017
La résistible ascension d'Arturo UI de Bertold Brecht
Après avoir dans les années 70 été monté tant et plus le théâtre de Bertold Brecht n'a aujourd'hui - du moins en France - plus guère la cote. A beaucoup il apparaît didactique ce qui dans le langage actuel signifie ennuyeux. La comédienne et metteuse en scène allemande Katharina Thalbach prouve avec sa mise en scène de La résistible ascension d'Arturo Ui qu'il n'a rien perdu de sa force et de sa modernité. En décrivant la montée en puissance de Ui, un voyou dans le Chicago des années 30, Brecht dénonce celle de Hitler et de sa clique à laquelle il assiste en Allemagne. Les noms des gangsters américains et leurs innombrables exactions évoquent sans qu'on puisse s'y tromper celle des nazis qui exercent une violence paroxystique contre leurs opposants. Au départ ils apprivoisent les craintes du Hindsborough, le maire d'un âge vénérable dont l'appui leur est nécessaire. On a évidement compris que ce vieil homme n'est autre que Hindenburg, président de la République de Weimar. Lequel, dont la probité n'est que de façade, finira par lâcher les commandes. Dont s'empare aussi sec Arturo Ui. Le scénographe Ezio Toffolutti n'y est pas allé de main morte qui a inventé un espace dominé par une toile qui évoque celles que tissent les araignées. L'abomination est dès lors à l'oeuvre. A l'incendie du Reichstag dont est accusé sans l'ombre d'une preuve un jeune militant de gauche succède la nuit des longs couteaux au cours de laquelle Röhm, ami de longue date du dictateur, est assassiné avec les membres de la S.A qu'il dirigeait. Au moment où Brecht écrit la pièce la politique génocidaire des S.S. n'en est encore qu'à ses débuts. Il n'en touche mot. Maquillages soutenus, visages plâtrés, les comédiens semblent droits sortis d'un film expressionniste.Comme Laurent Stocker qui tient le rôle d'Arturo Ui, Florence Viala, Jérémy Lopez, Serge Bagdassarian, Thierry Hancisse, Nâzim Boudjena, Bruno Raffaelli, Eric Genovése et leurs partenaires, qui pour la plupart jouent plusieurs personnages, sont tous d'une impressionnante maestria. A l'heure où les doubles d'Arturo Ui ont le vent en poupe le spectacle résonne de façon particulièrement inquiétante. Cela d'autant que Katharina Thalbach, dont la mère fut une des vedettes principales du Berliner ensemble que dirigeait Helène Weigel épouse de Brecht, n'a non seulement rien oublié de la manière dont on y travaillait mais l'a affinée. Jusqu'au 30 juin Comédie-Française Richelieu tél 01 44 58 15 15
dimanche 2 avril 2017
Les aliens d'Annie Baker
Encore ignorée en France l'oeuvre dramatique d'Annie Baker (née aux Etats Unis en 1981) est abondamment jouée dans les pays anglo-saxons. Grâce au jeune metteur en scène Benjamin Guillot qui s'est pris de passion pour son univers d'hommes qui bien qu'encore jeunes sont persuadés d'être dans une impasse existentielle, elle pourrait, comme il y a quelques années celle de Sam Shepard avec laquelle elle a des traits communs, trouvée ici aussi des aficionados.Jasper et Ki passent le plus clair de leur temps dans l'arrière cour laissée à l'abandon et entourée de poubelles d'un bistrot. Evan, un lycéen qui le temps des vacances bosse dans l'établissement se sent attiré par ces deux hommes épris de rock underground qui volontiers chantent, fument,boivent du thé aux champignons hallucinogènes mais dont la crudité des paroles le mettent mal à l'aise. Il est définitivement conquis lorsque Ki lit un essai littéraire né de sa plume mais qui doit beaucoup aux poèmes de Charles Bukowski lequel sut se libérer d'un conformisme jugé mortifère. Au cours de la nuit du 4 juillet, date de l'indépendance de l'Amérique, où ils se retrouvent dans la quasi décharge des liens d'amitié se nouent entre les deux trentenaires à la ramasse et le garçon qui a pour projet de rejoindre une université. Un drame survient qui fera connaître à Evan son premier chagrin et lui permettra de confier ses propres ressentiments. Vision d'une Amérique persuadée que rien ne peut survenir à l'horizon qui vaille qu'on se batte, les aliens doit beaucoup à la traduction de Ronan Mancec à coup sûr fidèle à l'esprit de l'auteur et à la mise en scène discrètement inventive de Benjamin Guillot. Jusqu'au 11 Avril L'Etoile du Nord 16, rue Georgette Aguttte tél 01 42 26 47 47
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