mardi 23 décembre 2014

La chair de l'homme de Valère Novarina

Ses écrits, affirme volontiers Valère Novarina, se sont faits tout seuls. Ont jaillis de sa plume ou plutôt des souterrains de son être. Il se situe, ce disant, dans la lignée des surréalistes qui, dans ce qu'ils appelaient des cadavres exquis, laissaient les phrases s'emboiter à leur guise. La différence de taille est que l'oeuvre de Novarina est celle d'un écrivain féru de théologie. Ses connaissances de l'Ancien et du Nouveau testaments imprègnent les innombrables éructations, allitérations et mots inventés qui se déversent de la bouche de Marc Henri Lamande. Vêtu d'un vêtement noir qui lui colle à la peau et ressemble à un habits de plongée, le visage plâtré à la manière d'un Pierrot, ce comédien sans pareils balance ou chante un texte où voisinent monologues et dialogues. Comment il arrive à mémoriser une telle quantité de tronçons de phrases et de listes de noms relève du mystère. Entouré d'une violoncelliste et d'un champion du numérique, l'acteur semble emporté par la spirale de termes qui disent une solitude sans recours et les transports de l'âme. Les amateurs d'aventures artistiques qui ouvrent des horizons insoupçonnés ne peuvent qu'être sensibles à l'amplitude poétique de cette représentation. Jusqu'au 28 février Théâtre Reine Blanche tel 01 40 05 06 96

lundi 8 décembre 2014

La pensée de Leonid Andréev

Nouvelle vie pour ce spectacle créé avec succès en février dernier. Sur scène un médecin passe en jugement parce qu'il a fracassé, sous les yeux de celle qui partageait sa vie, le crâne de son meilleur ami, un écrivain dont il jugeait le talent plutôt mince. Il ne cache pas qu'il n'était pas insensible au charme de la femme de sa victime. Il est toutefois rapidement clair que ce n'est pas la jalousie qui lui a fait commettre l'irréparable.Son récit des événements le rend étrangement volubile. Mais plus cet homme tente de maîtriser ses arguments moins il convainc. Peut être l'horreur des faits entrave-t-elle sa pensée. Il semblerait qu'il tente à travers les mots qui lui échappent de saisir les raisons qui le poussèrent au crime. Léonid Andréev (1871 - 1919)fut chroniqueur judiciaire. Il est vraisemblable qu'il s'inspira pour écrire ce texte d'une puissance échevelée d'un cas qui lui fut soumis. L'interprétation d'Olivier Werner qui a mis en scène cette apostrophe à soi même et traduit la nouvelle du russe est celle d'un comédien au talent bien trempé. L'espace dans lequel il se meut est réalisé par Jean Creuzet, lui aussi dans la plénitude de son savoir-faire. Les 11, 12, 13, 15 décembre La Fabrique Montreuil tel 01 74 21 74 22. Le 6 février Festival Seul en scène : Théâtre de Cachan tel 01 45 47 72 41 Du 17 février au 7 mars Théâtre de Poche à Bruxelles tel 00322 649 17 27

samedi 6 décembre 2014

Nuits blanches de Haruki Murakami

Une femme, la trentaine, ne ferme plus l'oeil depuis dix-sept nuits. Elle a jusqu'alors goûté la sécurité anesthésiante que procure les habitudes. Au fil des jours, au cours desquels elle n'éprouve aucune fatigue, grandit en elle le sentiment que sa vie manque de relief. Son mari, est un dentiste à la clientèle fournie, qu'elle aime mais,qui ne lui plaît pas. Il lui apparaît peu à peu qu'elle entretient avec lui, depuis qu'ils ne font plus l'amour en début d'après-midi, des relations ténues. Elle discerne dans la physionomie de son fils, encore un enfant, des traits qui lui rappelle ceux sans attrait de son époux et de sa belle-mère. Débordante d'une énergie qu'elle ne se connaissait pas, elle nage abondamment et se plonge dans la lecture d'Anna Karénine puis des romans de Dostoïevsky,explorateur passionné des souterrains de l'être. Maitre en écriture, Haruki Murakami a l'art de décrire les moments où la réalité perd de sa vraisemblance et où des forces vives ou obscures nous assaillent.Hervé Fallous qui a eu la riche idée d'adapter (avec le concours de Corinne Atlan) et de mettre en scène sa nouvelle "Sommeil" (1) fait preuve d'une sureté exceptionnelle dans la direction de Nathalie Richard. Une comédienne (qui évoque par son mélange de grâce et de mystère Brigitte Helm à qui Fritz Lang confia la rôle clé de Métropolis) qu'on aimerait voir plus souvent tant son jeu subjugue. Le crédit de la réussite de cet envoûtant monologue revient aussi Philippe Sazerat dont les éclairages délicats font merveille. Jusqu'au 25 janvier l'Oeuvre tel 01 44 53 88 88 (1) Sommeil de Murakami chez Belfond.

jeudi 4 décembre 2014

La Double Inconstance de Marivaux

Comme elle l'a prouvée avec ses mises en scène de "Trois hommes dans un salon" et "Des fleurs pour Agernon" de Daniel Keyes, Anne Kessler est loin d'être manchote. On ne peut pourtant, cette fois, que déplorer combien le spectacle qu'elle a tiré de La Double inconstance de Marivaux manque d'unité. Pourquoi plutôt que de rendre à cette pièce ses brillances a -t-elle procédé à des mises en abimes qui l'affaiblissent. Aucun auteur n'a avec un esprit aussi aiguisé que cet auteur su souligner que l'amour est un sentiment vibrionnant. Il ne fallait donc surtout pas en rajouter. Ce que font pourtant, sans doute mal conseillés, de jeunes comédiens qui jouent avec insistance les naïves ou les farauds. Si le spectacle ne manque néanmoins pas de séduction c'est que Loïc Corbery et Florence Viala sont, eux à leur meilleur. Qu'ils mettent de délicieuse façon en valeur la vivacité des dialogues du roué Marivaux. Il en va de même pour Eric Génovése qui incarne un confident payé pour savoir combien le désir est incertain. Il suffit à ces trois interprètes d'apparaître pour que l'on déguste une langue qui en dit long sur les fluctuations du coeur et de la pensée. En alternance jusqu'au 1er mars Comédie - Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

lundi 1 décembre 2014

La ville de Martin Crimp

"La ville" commence comme le plus conventionnel des face à face d'un homme et d'une femme qui tentent de se confier. Elle est traductrice et a rencontré dans des circonstances étranges un écrivain connu. Lui devine qu'il va sous peu perdre son travail. Aucun ne semble accorder beaucoup d'importance à ce qui lui dit l'autre. Surgit une voisine dont le mari est parti à la guerre et dont la présence engendre un malaise durable. Elle se plaint du raffut que font les enfants du couple. Enfants qui semblent s'être cloitrés dans une chambre. Les comportements des personnages sont de plus en plus déconcertants. Au fil de la représentation l'homme devient un autre... La femme a,pour sa part, des bouffées d'excitation. L'écrivain anglais Martin Crimp montre à travers ces situations mouvantes combien la réalité lui semble incertaine.Seul provoque une émotion tenace un morceau de Franz Schubert pour piano. Alors que Marcial Di Fonzo Bo a récemment mis en scène à sa manière superbement baroque une autre pièce de Crimp "Dans la République du bonheur", le jeune Rémy Barcher se passe de décor et nous plonge, lui, avec une sobriété exemplaire dans un univers où la propension psychotique de chacun finit par apparaître. On ne saurait assez louer les interprétations d'une singularité résolue de Marion Barché, Louise Dupuis et Alexandre Pallu. Des comédiens à ne pas perdre de vue. Jusqu'au 10 janvier La Colline - théâtre national tel 01 44 62 52 52