dimanche 30 septembre 2012

Britannicus de Jean Racine

Jean-Louis Martinelli  s'affronte pour la troisième fois à une tragédie de Racine. Et tient, cette fois, le bon bout. Non uniquement parce qu'il creuse son propre style avec une vigueur nouvelle mais aussi parce qu'il s'est entouré d' acteurs qui portent la pièce à son paroxysme. Seul, du moins dans mon souvenir, Antoine Vitez avait réussit à faire entendre avec une telle clarté ce texte d'une renversante  magnificence.

 Dès son arrivée sur le plateau on lit dans le regard de Neron le feu d'un certain dérèglement. Et les membres de son entourage connaissent tous le moyen de faire flamber sa rage. Personnalité à géométrie variable, il semble invariablement se rendre aux arguments de ses interlocuteurs, qui tous font preuve d'une remarquable intelligence tactique. Mais c'est celui qui d'un ton doux lui tiendra les propos les plus séditieux qui l'emportera. Grégoire Oesterman qui tient, et avec quelle maestria, le rôle du redoutable Narcisse faisait remarquer que Britannicus est une pièce où les regards jouent un rôle crucial.  Plus que les paroles, qui elles sont souvent trompeuses, ce sont eux qui déterminent le cours des événements.

D'Anne Benoît qui incarne  Agrippine d'une voix prenante mais  avec une conviction qui fait froid dans le dos (ah! la manière dont elle prend conscience que Neron, son fils, veut s'affranchir du joug de ses bienfait) à Anne Suarez (chavirante Junie) en passant évidement par Alain Fromager (le jeune empereur dont la violence se tient en embuscade) tous nous laissent pantois. Si le spectacle est d'une telle force c'est aussi que Ursula Patzak  qui signe les costumes est une incontestable artiste.

On oublie en découvrant un spectacle d'une telle intensité combien ce qu'on appelle les arts vivants vivent des jours incertains.

Jusqu'au 27 octobre Théâtre Nanterre-Amandiers tel 01 46 14 70 00  

vendredi 28 septembre 2012

Dom Juan ou le Festin de pierre de Molière

Dom Juan a pour habitude de franchir avec délectation les murailles morales. Non content d'engranger les conquêtes féminines, il se plaît à blasphémer et semble, cela  au grand dam de son serviteur Sganarelle, mithridatisé contre le remord. Là où l'on peut trouvé qu'il pousse un peu loin le bouchon est lorsque, faisant le joli coeur devant une jeune paysanne, il colle force beignes à son promis à l'accent rural qui apprécie modérément  de constater que la naïve donzelle se laisse embobiner par les belles paroles de son séducteur. L'irrévérence de ce dernier apparaît bientôt sans bornes.

Molière écrivit avec Dom Juan non seulement sa pièce maîtresse (ou du moins l'égale du Misanthrope) mais aussi celle où il fait davantage montre que dans ses autres écrits - dans lesquelles  il fustige les moeurs de son temps - d'une perturbante ambiguité. Bien malin qui pourra dire que la vie superlative de son personnage principal ne lui semble pas follement attrayante. Jean-Pierre Vincent, dont on ne peut qu'applaudir  la mise en scène, et son comparse de toujours le dramaturge Bernard Charteux nous ont mitonné un final si inattendu qu'on comprend d'emblée que pour leur faire croire au  châtiment divin il vaut mieux repasser.

On n'aurait pas d'emblée songer à Loïc Corbery à la bouille si sympathique, si dénuée de malignité  pour interpréter Don Juan. Mais l'on doit admettre que comédien plein de ressources il s'en tire à merveille. Avec son corps considérable dont il joue avec humour Serge Bagdasarian est d'une humanité tonitruante. Recrutée il y a relativement peu dans la maison de Molière, Suliane Brahim compose une Elvire que seul peut laisser insensible un homme tel que Dom Juan qui en a soupé des sermons et des désirs de le sortir des enfers où il se sent comme un poisson dans l'eau.

Jusqu'au 11 novembre La comédie Française au Théâtre éphémère tel 08 25 10 16 80


mercredi 26 septembre 2012

Antigone de Jean Anouilh

Considéré autrefois comme une sommité des lettres, Jean Anouilh n'avait plus n'avait plus été  hébergé par  la Comédie Française depuis des décennies. Sa propension à déballer ses aigreurs et ses phrases si souvent sentencieuses qui donnent à son théâtre une tonalité artificielle y sont certainement pour beaucoup. Son Antigone méritait toutefois d'être réévalué.

 Marc Paquien à  qui a été confiée la mise en scène a  pris la bonne initiative de faire jouer la pièce dans des  costumes d'aujourd'hui. Il a aussi saisi que Créon sort du rang des meurtriers ordinaires en voulant  dans un premier temps condamner Antigone, sa nièce, non à la mort promise à ceux qui, comme elle,  veulent donner une sépulture à son frère Polynice mais à la peine de vie. Cet homme est persuadé que le responsable de la cité qu'il est devenu a le devoir de dompter les passions personnelles et non de défendre les devoirs légitimes de l'individu. Mais il a affaire à  une jeune fille, presque une enfant  au cran bien trempé. Las de son refus à se soumettre à ses arguments et à tenir compte que ses frères morts loin d'être des individus admirables avaient l'âme meurtrière, il finira, comme dans la tragédie de Sophocle , à lui faire payer au prix le plus fort son acharnement à ne pas se laisser pervertir par les compromissions, à ne pas abjurer ce qu'elle considère  comme un droit sacré.

Françoise Guillard, décidément l'une des personnalités les plus attachantes de la troupe, s'impose avec une présence fébrile dans le rôle de la femme enfant qui tient tête à un homme imbu de son pouvoir. Face à elle Clothilde De Bayser dans le rôle si ardu du choeur impose une présence subjuguante  qui semble soutenu par un savoir transcendant. Dans le rôle d'Hémon, fils de Créon qui éprouve pour Antigone un fol amour, Nâzim Boudjenah, qu'on savait être un comédien d'excellente facture, assène la preuve que non seulement le bonheur n'est pas de tout repos mais qu'il peut aussi se gagner en accompagnant  l'objet de sa passion dans le repos éternel...


Jusqu'au 24 Octobre Théâtre du Vieux -Colombier  tel 01 44 39 87 00

samedi 22 septembre 2012

Loin de Corpus Christie de Christophe Pellet

Au cours d'une stupéfiante scène inaugurale des spectateurs qu'on aperçoit de dos regardent dans une salle de cinéma à la décoration kitsch typique des années quarante "Au pays du dauphin vert" un film de Victor Saville qui n' a pas laissé de traces indélébile dans les mémoires. Ce qui n'empêche pas Anne Witgenstein, une chargée de recherche à la cinémathèque, de se prendre d'engouement pour  un jeune acteur au visage effilé du nom de Richard Hart dont la carrière fut sans lendemain.  Avide d'en  savoir plus sur cette étoile filante elle part sur ses traces.

Le spectacle se déroule tour à tour dans les années où le comédien fréquenta  Hollywood et son bal des vanités  et le début du 21e siècle. Metteur en scène dont on connaît le savoir faire, Jacques Lassale passe alternativement  d'une époque à l'autre. Parmi les fantômes du passé surgit Bertold Brecht (rôle qu'étrenne superbement Bernard Bloch) et sont évoqués  les interprète Oscar Homolka et Peter Lorre, l'homme de théâtre puis cinéaste William Dieterlé et tant d'autre qui réussirent à fuir la terreur nazie. Une des figures majeures du spectacle est Norma Westmore, directrice de casting à la MGM qui fit de Richard Hart l'un de ses poulain et que l'inquisition maccarthyste poussa à gagner l'Allemagne de l'Est. Ce rôle, le plus important du spectacle, est dévolu à Marianne Basler, devenue depuis quelques années la comédienne fétiche de Lassale.

Lorsque l'Allemagne sera en 1989 réunifiée, elle apprendra comme tant d'autres que le rêve qui l'avait happée d'un monde où règne davantage de justice avait, comme les Etats Unis de l'après-guerre, organisé un système de délation dont, elle avait, via son dernier  et silencieux jeune amant, été victime. Tout comme elle le fut  par celui dont elle tenta une quarantaine d'années plus tôt  de faire une star et qui était, lui, au service du FBI.

On apprend par celle qui traque l'intimité de ce mystérieux garçon que son imprégnation religieuse était si forte qu'avant de revenir à Corpus Christie, le bourg texan où il était né, il se chercha une figure maternelle (ou paternelle) majeure. Ce qu'il trouva un temps en la personne de Norma.

On le voit Christophe  Pellet est un homme de théâtre féru de cinéma et fasciné par ses arcanes. On se félicite que l'une de ses pièces soit enfin montée sur une  scène française de l'importance du théâtre des Abbesses. Si l'on veut chipoter (ce péché mignon ou pas mignon du tout de ceux qui font profession de commenter les spectacles) on dira que l'épilogue nous a semblé à la fois inutile et emphatique. Mais ce ne sont là que mots de soi disant spécialistes en la matière....

Jusqu'au 6octobre Théâtre de la Ville (aux Abesses) tel 01 42 74 22 77 Ensuite Théâtre des 13 vents Montpelliers

vendredi 14 septembre 2012

Memories from the missing room

On a pris l'habitude de découvrir des pièces de théâtre ponctuées de morceaux musicaux souvent joués en live. Il semble s'agir dans ce spectacle écrit en anglais (avec surtitres français!) et mis en scène par Marc Lainé au contraire d'un concert émaillé de quelques moments où trois comédiens jouent des personnages qui se retrouvent dans une chambre d'hôtel. Chacune de leur scène semble être une variation de la précédente Une femme se partage entre un éventuel  amant et un mari nourri de soupçons. Chacun d'entre eux a des mots chargés de dynamite et bute à tout à trac un des deux autres que le coup de feu laisse immanquablement  indemne.

Si l'on devine dans cette fiction théâtrale à l'esthétique résolument design le goût prononcé du maître d'oeuvre pour le cinéma le spectateur  tombe, lui,  surtout sous le charme étincelant du groupe musical et surtout sous celle de  Moriarty qui a non seulement une voix qui nous entraîne  dans un tourbillon de sensualité mais semble par le chant possédée. Le fait qu'elle soit nippée comme une gamine ne peut qu'ajouter au trouble qu'elle suscite.

La collaboration du  dessinateur de BD Philippe Dupuy qui projette des images mentales - notamment celle d'un chien d'une longueur démesurée qui peut être imaginé comme un loup - inspirée autant par le drame qui se joue entre les trois  protagonistes que par l'envoutante offrande musicale contribue, elle aussi largement  à ferrer le public.

Jusqu'au 7 octobre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14    

samedi 8 septembre 2012

Tabou Spectacle de Laurence Février

Le public fut  littéralement aimanté par les précédents spectacles de Laurence Février qui après avoir interrogée des personnes habitant La goutte d'or, un quartier encore populaire de la capitale, avait mis leurs mots dans la bouche de comédiens chevronnés. Tabou qu'elle monte aujourd'hui est clairement moins surprenant. Elle se contente, cette fois, de faire parler des femmes que le viol qu'elles ont subi a laissée égarée de douleur.

 Chacune d'entre elles est confrontée à une justice, comme on peut s'y attendre, d'une inqualifiable raideur qui les met en position d'accusée. La pauvreté dramaturgique de la représentation et le systématisme des interrogatoires ne tarde pas à lasser. Cela bien que la distribution composée de cinq actrices soit de bout en bout à saluer

Il est un fait que ces femmes traumatisées ne peuvent que susciter la sympathie. Mais celle-ci n'est pas faite pour activer la pensée. Recueillis dans les années 70, époque où l'avocate Gisèle Halimi s'était faite  l'avocate véhémente de la cause féministe, ils apparaissent comme les reflets d'une tendance idéologique. Il y eut entretemps l'affaire Dutroux où le viol, ce crime contre l'humanité qui git au coeur de chaque individu, fut commis contre des fillette et fut suivi, comme on le sait de leur assassinat. Si l'on réalise aujourd'hui un spectacle sur ceux qu'on a réduit à un corps, à un bout de bidoche peut-on encore faire l'impasse sur les violences exercées sur des petits garçons,notamment par des hommes d'église,  ou sur la condition des femmes dans les pays de plus en plus  nombreux ou triomphent des dictatures théocratiques?

On attend à l'avenir de Laurence Février des créations au propos moins consensuel, des productions qui ouvrent le regard sur une réalité autrement plus complexe

Théâtre le Lucernaire tel 01 45 44 57 34

jeudi 6 septembre 2012

André un spectacle de Marie Remond

Tout dieu des courts de tennis qu'il soit, André ne déroge pas à la règle : il porte dans son corps un monde de douleurs. Seule les apaisent  - et encore pour quelques heures seulement- la cortisone. De plus il déteste le sport dont il est devenu champion et que son père l'a obligé depuis son jeune âge à pratiquer. La représentation qu'a concocté Marie Rémond et dans laquelle elle s'est réservée le rôle titre est pourtant d'une légèreté de touche qui la rend toute pétulante. Il faut dire qu'actrice pleine de ressources , elle incarne avec un naturel confondant le champion (on aura reconnu André Agassi qui aimait se distinguer en portant les cheveux longs qu'il recouvrit lorsqu'ils se firent rares d'une moumoute et  en disputant ses matchs vêtu de façon biscornue)

Dans  l'entrelacs des souvenirs qu'elle nous conte il y a la rencontre, toujours décidée par le papa mentor, de Brooke Shield, alors toute jeune vedette de cinéma à qui Louis Malle donna le rôle de La petite dans le film du même nom et qui connut son  succès le plus retentissant avec Le lagon bleu. Mais comment concilier les plannings de ces deux stars? André l'épousa néanmoins mais l'union tourna vite court.

On pourrait croire que pour être  tenté de jouer un gusse au  gabarit de sportif de haut niveau il fallait que Marie Rémond ait elle-même un physique imposant. Il n'en est rien. L'actrice est haute comme trois pommes mais tient fermement la barre du spectacle. On ose parier que cette metteuse en scène naissante et comédienne à innombrables facettes  n'a pas dit son dernier mot.

Elle s'est entourée de Clément Bresson et de Sébastien Pouderoux qu'elle a connus à l'école du Théâtre National de Strasbourg ce qui explique sans doute que les relations des trois interprètes semblent si fraternelles. André mit un terme à sa carrière en 2006. Cette fin qui est aussi celle d'un supplice le trio la célèbre avec une chanson d'Anne Sylvestre qui nous cloue.

Jusqu'au 3 octobre Théâtre du Rond-Point tel O1 44 95 98 44