jeudi 26 mai 2016

Le système Ribadier de Georges Feydeau

Mariée en première noce à un dragueur compulsif dont elle n'a découvert les fredaines qu'après sa mort, Angèle se montre avec monsieur Ribadier, son second mari, d'une méfiance de tous les instants. Quand il proteste de son innocence, le bonhomme semble d'une parfaite bonne foi. Mais les personnages de Feydeau, qui s'y entendait pour tracer au couteau les portraits de ses contemporains, sont tous soit gaillardement manipulateurs soit d'une candeur qui ressemble à s'y méprendre à de la connerie. Ribadier a une aventure galante pour laquelle il a trouvé le moyen (peu banal) d'endormir les soupçons de sa femme. Mais Ribadier, sera comme tous les bourgeois croqués par Feydeau victime de ses propres machinations. Dans les pièces d'une absurdité désopilante de cet auteur il n'est personne qui arrive à ses fins. On se trouve entraîné avec Le système Ribadier, comme avec toutes les merveilles nées sous la plume de cet écrivain qui finit ses jours au cabanon, dans un tourbillon de quiproquos. Son langage est, comme ses personnages masculins, riche en duplicité. Les femmes ne sont pas pour autant épargnées. Toutes sont de sacrées enquiquineuses... La palme pourrait revenir à Angèle qu'interprète Hélène Babu avec une impétuosité, une perspicacité et une précision rare dans ses geste, comme dans ses répliques. Elle a trouvé en Pierre Gérard un partenaire efficace. Comédien d'une belle envergure, Gauthier Baillot campe, lui, de réjouissante et atypique manière un mari outragé chez qui domine l'esprit boutiquier. Pépinière Théâtre tél 01 42 61 44 16

dimanche 22 mai 2016

La mouette de Tchekhov

Désireux d'insuffler du quotidien dans la pièce de Tchekhov, Thomas Ostermeyer a demandé à Olivier Cadiot de lui en fournir une nouvelle version. Chose faite. Au début de la représentation un interprète raille les modes auxquels sacrifient de nombreux metteurs en scène. Ce qui fait rire. On se marre moins quand un autre comédien évoque le sort d'un réfugié syrien. Ce qui apparaît d'une démagogie à laquelle l'intransigeant Ostermeyer ne nous a pas habitué. Commence la pièce avec ses personnages qui ressassent avec délectation leurs désillusions ou, dans le cas de la vedette de théâtre Arkadina, ses succès. La pièce est célèbre qui oppose des représentants de deux générations, celle des artistes en vogue et celle des débutants qui veulent apporter au théâtre un souffle nouveau et même en dézinguer les codes au risque de paraître confus voire balourds. Konstantin, le fils d'Arkadina, est le type même de ces jeunes gens à la recherche d'un style moins convenu que celui qui a fait la gloire de leurs aînés. Si malgré un langage qui affadi une oeuvre d'une densité phénoménale, le spectacle, par moments, enchante c'est grâce à certains de ses acteurs. En particulier à Valérie Dréville dont le jeu tout en finesse laisse deviner qu' Arkadina cache sous ses accés de vanité et d'égocentrisme un tempérament dépressif. Un mot aussi pour Matthieu Sampeur, qui compose un Konstantin à la mélancolie rageuse et poignante, et pour Sébastien Pouderoux qui se glisse dans la peau d'un médecin plus averti des maux de l'âme que de ceux du corps. A la sortie de nombreux spectateurs se plaignaient de n'avoir entendu que des bribes du texte. Mauvaise acoustique ou malencontreux conseils donnés aux comédiens de parler à vois basse? Jusqu'au 25 juin Théâtre de l'Odéon 6e tél 01 44 85 40 40

dimanche 15 mai 2016

Chansons sans gêne. Nathalie Joly chante Yvette Guilbert

Mis en scène par Simon Abkarian, le troisième volet consacré par la chanteuse et comédienne Nathalie Joly à la vedette du caf'conc Yvette Guilbert tient moins du cabaret que du récital d'une femme chez laquelle la maturité a raffermi l'ambition de penser large. L'artiste est désormais une femme à qui on la fait pas. Les chansons délicieusement canailles tel que "A présent que t'es vieux" où un joli brin de garçon, pour lequel elle eût autrefois le béguin, est à présent cacochyme, appartiennent toujours à son répertoire mais d'autres nettement plus graves y ont la part belle. Le sort fait aux femmes est au centre de ses préoccupations. Pas plus conforme qu'elle ne le fut dans ses jeunes années, elle pourfend la tyrannie exercée par les hommes. Sa longue fréquentation de Sigmund Freud, qui ne sortait plus guère de chez lui que pour aller l'applaudir, lui a appris que si la psychanalyse ne guérit pas, elle permet d'y voir plus clair. Ce qui ne peut se faire que si les mots sonnent juste. C'est pourquoi les textes des chansons de la dernière période de sa vie sont écrit d'une plume particulièrement exigeante. Les qualités vocales de Nathalie Joly (qui s'y entend pour adopter le grain de voix de l'époque) qu'accompagne au piano, comme partenaire de jeu et surtout comme complice exceptionnellement sensible Jean-Pierre Geesbert font le reste. Un mot enfin pour souligner la qualité des éclairages d'Arnaud Sauer. Lesquels contribuent largement à la réussite de cette plongée dans l'univers de celle qu'on surnommait "la princesse de la rampe". Jusqu'au 22 mai La Tempête-Cartoucherie de Vincennes tél 01 43 28 36 36 Du 6 au 27 juillet Festival d'Avignon, Théâtre Le Petit Chien

jeudi 12 mai 2016

Je suis Fassbinder de Falk Richter

Fassbinder n'y alla jamais pas quatre chemins. Lorsque pour les besoins du film collectif "L'Allemagne en automne", réalisé en 1978, il poussa sa mère à extirper des bas fonds de son être les sentiments que lui avait inspiré le nazisme elle finit par lâcher qu'elle en avait été proche. Le spectacle que met en scène Stanislas Nordey et Falk Richter (qui en est aussi l'auteur) s'ouvre sur une pareille discussion. L'affrontement de deux acteurs dont l'un joue le rôle de la mère, porte sur les événements qui eurent lieu la nuit du 31 décembre essentiellement à Cologne. La "mère" déplore qu'Angela Merkel ait favorisé l'installation en Allemagne d'une foule d'hommes jeunes originaires de pays musulmans où la femme, en particulier occidentale, est méprisée. Ces désaccords se poursuivront tout au long de la représentation qui aborde de front les conflits d'une société qui, comme celle de l'Allemagne du milieu des années 70, se trouve en état d'urgence. Appartenant à la même famille de pensée, Richter et Nordey brandissent les dangers qui menacent, au premier plan, le succès que rencontre aujourd'hui dans toute l'Europe les courants nationalistes et xénophobes. La raison pour laquelle le spectacle donne du grain à moudre à nos esprits n'est pas que politique. Les contradictions personnelles de Fassbinder ne sont pas passées sous silence. Personnalité incontrôlable, il pouvait se montrer avec son entourage d'une injustice et d'une brutalité aussi grandes que celle de la plupart des personnages de ses films et pièces de théâtre. Femmes et homosexuels apparaissent dans ses oeuvres autant victimes de la vilénies de leurs proches que de leur propres perversions. A l'image de ses oeuvres la création de Stanislas Nordey et de Falk Richter est celle de deux immenses artistes. Il est de nombreux moments comme ceux où sont projetés des plans des films de Fassbinder ou des vidéos d'Aliocha Van der Avoort ou encore ceux où chante d'une voix qui terrasse Thomas Gonzalès, qui font chavirer. Et font oublier l'état de colère et de crainte où nous plongent ces visions des temps de brute que nous vivons. La distribution qui, outre Nordey, comprend Laurent Sauvage, Judith Henry, Eloise Mignon et Thomas Gonzalès est à vigoureusement saluer. Jusqu'au 4 juin La Colline-Théâtre National tel 01 44 62 52 52