jeudi 24 mai 2018

Les petites reines de Clémentine Beauvais

Le succès rencontré au festival d'Avignon par Les petites reines, roman de Clémentine Beauvais que met en scène Justine Heynemann (sur une adaptation qu'elle réalisa avec Rachel Arditi) a ouvert au spectacle de nombreuses portes. D'entré de jeu, où une ado de 15 ans et demi dont le visage est éclairé par l'écran de son portable crie sa joie d'avoir été désignée "boudin de bronze" de sa classe, le public est interloqué. C'est qu'elle refuse de prendre, face à ce titre infamant, un air éploré. Elle arrive grâce à sa tchatche à redonner confiance en elles à deux autres lycéennes de sa ville à qui leur physique considéré comme peu avantageux a valu de semblables déboires. Accompagnées du frère - qui a perdu ses jambes au cours d'une mission militaire - de l'une d'elle les trois nouvelles amies partent à vélo rejoindre Paris. C'est qu'elles ont décidé de s'inviter à la garden-party du 14 juillet à l'Elysée. Chacune a quelques comptes à y régler. Le voyage se révèle carrément initiatique. Lorsque l'une de ses copines flanche, celle qui mène la troupe la pousse à être endurante. Les réseaux sociaux puis la télévision s'intéressent bientôt à leur périple. La réussite du spectacle tient autant à sa mise en scène particulièrement riche d'inventions qu'à ses jeunes comédiens qui usent d'un vocabulaire et surtout d'un esprit de leur âge c'est-à- dire marqué par internet et les excès de la médiatisation. Théâtre Tristan Bernard Paris 75017 Tél 01 45 22 08 40

vendredi 18 mai 2018

Cequ'on attend de moi écrit par Vincent Guédon

Viré de son emploi un technicien de l'informatique se présente à Pole Emploi où il demande d'un ton courtois à être reçu par le responsable de l'agence. Cet homme qui a manifestement été précipité dans la misère autant psychique que matérielle fait peur à la personne à qui il s'adresse. Laquelle ne peut retenir ses larmes. L'homme la prend calmement par la main et réitère avec les mêmes accents dépassionnés sa demande. L'épisode se conclura par une prise d'otage. En écrivant ce texte - à priori pas destiné à la scène - Vincent Guédon met en question les ambitions gestionnaires des entreprises qui ont pour conséquence de priver quantité de personnes de travail, d'en faire des déclassés. Si son écriture est d"une qualité stylistique hors du commun, c'est que si elle est à certains endroits d'une précision extrême, elle est aussi riche d'envolées d'un lyrisme inédit. Jeanne Desoubeaux a été bien inspirée qui fait ses gamme de metteuse en scène avec ce texte. Elle a choisi pour interprète Arthur Daniel qui débute en entonnant de remuante manière une chanson des Talking Heads. Il est entouré de deux musiciens : le claveciniste Martial Pauliat et le violoncelliste Jérémie Arcache. Le spectacle sera repris en tournée accompagné d'un autre récit de Vincent Guédon qui, lui aussi, décrit un homme victime de circonstances dépersonnalisantes. Jusqu'au 26 mai 19h Salle Thélème 18, rue Troyon paris 75017. Texte publié aux Editions d'Ores et Déjà.

dimanche 13 mai 2018

Névrotik hôtel Texte et mise en scène Michel Fau

Une femme d'âge disons mûr, qui mène visiblement grand train, fait son entrée dans la chambre d'un kitsch pas croyable qu'elle a réservée dans un palace normand. Portant perruque Michel Fau s'est glissé avec délectation dans la robe d'un chic étudié et les nerfs en pelote de la dame. Son coup de téléphone exaspéré à la standardiste de l'hôtel met d'emblée en joie, tant est éclatante sa mauvaise foi. Son humeur change du tout au tout à l'arrivée du groom venu lui apporter ses bagages. Le physique avantageux et les tours acrobatiques du jeune homme (Antoine Kahan, comédien au corps élastique) la rendent toute chose. Après avoir tant et plus jacasser et minauder, elle propose à ce garçon un étonnant et juteux contrat. On ne s'étonnera pas que le jeu tout en chatteries de Michel Fau soit un régal. Seul ou avec avec son talentueux partenaire, il chante et danse à de nombreuses reprises des chansons de Michel Rivgauche et d'autres sur des musiques de Jean-Pierre Stora. Il apparaît peu à peu aux yeux de celui dont elle paye les insolites prestations que la cliente aux humeurs extravagantes ne peut aimer que désespérément. Si le spectacle a de grandes chances de faire un succés c'est évidement que l'acteur baroque qu'est Michel Fau n'a guère de mal à mettre le public en poche. L'autre raison est que responsable des dialogues, Christian Siméon les fait grésiller de phrases savoureuses. Jusqu'au 27 mai Théâtre des Bouffes du Nord tél 01 46 07 34 50

jeudi 10 mai 2018

Tristesse. Un spectacle d'Anne - Cécile Vandalem

Dès ses débuts la metteuse et scène et auteure belge Anne-Cécile Vandalem est apparue comme une figure de pointe du théâtre européen. Le lieu dans lequel se déroule sa pièce "Tristesse" est on ne peut plus rugueux puisqu'il s'agit d'une île danoise que ses habitants, à l'exception de huit d'entre eux, ont désertés. C'est la fermeture des abattoirs où tous travaillaient qui explique ce départ en masse vers le continent. La femme du pasteur prend soin des maisons abandonnées. Le plateau est occupé par celles qu'occupe la poignée de personnes restées sur place. Le spectacle s'ouvre sur la découverte du corps d'une femme. Laquelle est la mère d'une dirigeante d'un parti populiste. La jeune femme revenue sur l'île pour emporter le corps n'hésite devant aucun coup bas pour arriver à convaincre les iliens de lui laisser le champs libre pour créer sur leur étendue de terre un studio de films de propagande. Hommes et femmes n'arrêtent de se quereller et même d'en venir aux mains. Le maire, un homme bilieux est marié à une femme qui toujours pleure. Ils ont ont deux filles. L'une est muette alors que l'autre, le plus souvent armée d'un fusil, chante divinement. Leurs voisins et souvent parents sont eux aussi des personnages hauts en couleur. Ce qui rend la cérémonie funéraire d'une ahurissante dinguerie. Bien qu'il dépeigne un monde qui va à vaux l'eau le spectacle - qui fait la part belle aux morts témoins des comportements des vivants- provoque souvent le rire. Il se déploie, c'est sa force, à la fois sur le plateau et sur un écran ce qui permet aux spectateurs de découvrir en gros plans les visages. En s'imbriquant avec tant de souplesse théâtre et cinéma offrent de ce petit monde une image qui constamment s'enrichit. Véritable cri d'alarme contre le populisme agressif qui partout se répand "Tristesse" est interprété par des comédiens belges (dont Catherine Mestousis repérée dans des créations de Joel Pommerat) d'un métier et d'un biscornu époustouflants. Jusqu'au 27 mai Theâtre de l'Europe Paris 75006

samedi 5 mai 2018

A la trace d'Alexandra Badea

Anne Théron met en scène depuis plusieurs années des auteurs de l'importance d'Elfriede Jelinek, Christophe Pellet,Carmelo Bene, Christophe Tarkos ainsi que des texte nés de sa propre plume. Pour, semble-t-il la première fois, elle dispose, grâce au Théâtre National de Strasbourg où le spectacle a été créé, d'un budget confortable. Elle a visiblement trouvée en l'auteur Alexandra Badea une âme soeur. Les quatre femmes autour desquelles tourne la pièce sont toutes mal assurées de leur identité. Après la mort de son père, Clara, la plus jeune, a trouvé dans ses effets une carte électorale au nom de Anna Girardin qu'elle va s'obstiner à retrouver. Nombre de femmes portent ce nom. Un peu plus âgée Anna a choisi un métier qui lui permet de ne jamais rester en place, de dépayser son malaise. Au cours des liens virtuels qu'elle entretient avec quelques hommes (Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad, Laurent Poitrenaud) elle se confie ou fait mine de le faire. Ses souvenirs sans cesse fluctuent. On ne ne tarde pas à saisir que si elle a choisi d'évoquer avec ces êtres visiblement de qualité des moments cruciaux de sa vie, c'est qu'ils sont, comme elle, enfermés dans une bulle de solitude. L'usage sur scène de la vidéo est aujourd'hui si fréquente qu'elle donne des envies de fuite. Il n'en est pas de même ici où elle permet à des personnes qui se trouvent à proximité ou au loin d'échanger des propos que l'on tairait si l'on se trouvait face à face. Le spectacle doit son charme à ses comédiennes c'est- dire à la jeune Liza Blanchard, Judith Henry, Maryvonne Schiltz qui fait de la mère un personnage magnifiquement déroutant et Nathalie Richard à propos de qui les mots manquent pour dire l'incroyable éclat. Le seul regret qu'inspire la représentation est sa fin légèrement mélodramatique. Jusqu'au 26 mai La Colline Théâtre National; tél 01 44 62 52 52