mercredi 30 mars 2011

De l'amour de Philippe Minyana

Deux couples de citoyens lambda, c'est à dire de névrosés aussi ordinaires que vous et moi, dont on observe une heure durant les bouffées de bonheur, les relations tempétueuses, le vieillissement, la disparition. De sa plume qui réserve toujours d'heureuses surprises Philippe Minyana en brosse un tableaux d'une précision hargneuse. Il pointe ce faisant le conformisme de la gent humaine. Emboitant (peut être sans le savoir) le pas à ce merveilleux cinéaste qu'était Jean-Daniel Pollet dont l'un des films a pour titre" La vie c'est gai, la vie c'est triste" il allie constamment, et pour notre plus contentement, la farce et l'épouvante.

Auteur d'une vive ironie, il nous met face à une femme qui ne parle que fringues y compris dans les moments les plus sombres "comment s'habiller pour un enterrement en été" se demande -t-elle lors de l'inhumation de son beau frère... Son mari se rappelle des moments bénis de son enfance quand lui, ses frères et cousins comparaient leur "zob". La vie de ces couples est faite d'accalmies et de turbulences existentielles. Ce qui serait banal si l'auteur ne possédait un art consommé de la rupture de ton et si des commentateurs n'y allaient de leurs remarques savamment effilochées

Un ami dans la débine vient demander de l'aide. Nos braves gens pour qui la situation semble à cette époque florissante lui en donne mais ne lui cachent pas leur mépris. Mais les ménages se délabrent, les deuils se succèdent, la vie quitte ces êtres pour qui l'horizon ne fut jamais lyrique.

Philippe Minyana a signé la mise en scène de cette pièce, dans laquelle il donne une forme nouvelle à ses hantises, avec Marylin Alasset en qui il semble avoir trouvé une complice à sa mesure.


Juqu'au 2 avril Théâtre Ouvert tel 01 42 55 74 40

jeudi 24 mars 2011

Le dragon d'or de Roland Schimmelpfennig

La nouvelle génération d' auteurs dramatiques allemands (Ernest von Mayenburg, Falk Richter et Roland Schimmelpfennig) se singularise par son acharnement à ouvrir la boîte noire du siècle.Le dragon d'or est un restaurant thaï-chinois-vietnamien dans lequel trime notamment un jeune chinois venu en Europe dans l'espoir de retrouver sa soeur dont sa famille est depuis une éternité sans nouvelles. En proie à'une rage de dents, le garçon souffre le martyre. Sa situation de sans papier empêche qu'il soit soigné par des personnes compétentes. Ce sont donc ses collègues qui vont s'employés à le soulagé de sa douleur. Ce qui causera sa perte.

La pièce n'est pas pour autant une fable dramatique sur le sort des émigrés clandestins. Elle navigue entre fantaisie, pathétique et
fantastique. La dent arrachée se retrouve dans le potage d'une cliente. Elle sera ensuite soumise aux traitements les plus inattendus... Comme dans un roman de Georges Perec on lie connaissance avec les multiples habitants de l'immeuble. Cinq comédiens choisis avec discernement prennent en charge dix-sept personnages. Un décor aussi superbe qu'astucieux à la fois horizontal et vertical signé Graciela Galan donne l'opportunité de découvrir les évènements qui se déroulent dans la cuisine du restaurant et dans les étages qui le surplombent.

Claudia Stavisky, qui est à la manoeuvre, à la rare qualité de se lancer sans cesse de nouveaux défis artistiques. Il était en effet particulièrement casse- gueule de mettre en scène ce texte orchestral dont l'écriture en déconcertera plus d'un tant elle est novatrice. Difficile de pas songer aux premières représentations d'une pièce de Ionesco dont l'incongruité faisait fuir le public des années cinquante. Ce qui ne fait pas de doutes est que le souvenir de cette représentation continuera à vivre dans les mémoires de ceux qui y ont été attentifs.

Jusqu'au 7 avril Célestins Théâtre de Lyon. En tournée à l'automne. tel 04 72 77 40 00

lundi 21 mars 2011

Long voyage du jour à la nuit d'Eugène O' Neil

C'est à ne pas croire! Après les si enthousiasmants Ma chambre froide de Joël Pommerat et Louise, elle est folle de Leslie Kaplan on découvre avec ce Long Voyage du jour à la nuit d'Eugène O'Neil, dont le maître d'oeuvre est Célie Pauthe, un spectacle tout aussi éblouissant. Mais contrairement aux deux autres il est d'entrée de jeu tamisé d'une nostalgie feutrée.

O'Neil y fait réapparaître les fantômes de sa jeunesse, époque où sa mère droguée à la morphine, son père, un acteur d'une pingrerie pathologique et son frère qui noyait dans l'alcool son ironie dépressive étaient persuadés qu'il serait sous peu emporté par la tuberculose. En dépit de sa constitution fragile il leur survécut et pu ainsi raconté, à la fin de sa vie, l'histoire d'une journée de ce quatuor familial, dont il était issu lui, l'écrivain justement considéré comme l'inventeur du théâtre américain.

Le huis clos familial se déroule dans une pièce chichement meublée où la lumière plus que réduite en dit long et sur l'avarice du pater familia et sur le fait que les personnages sont plongés dans une nuit dont ils ne peuvent émerger. D'origine catholique irlandaise, les parents invoquent fréquemment le Tout puissant qui les a laissé dans un marasme mental dont ils ne peuvent se sortir. Lorsqu'elle est sous l'effet de la drogue la mère évoque les moments les plus douloureux du passé. A son mari qui lui reproche de ressasser ces souvenirs elle rétorque "passé et présent ne font qu'un". Le frère de l'auteur a des paroles tout aussi fortes qui lui avoue lorsqu'il a l'esprit entamé par l'alcool"méfie toi de moi car je te déteste" il ajoute ensuite " mais je t'aime encore plus que je ne te déteste" On aura rarement exprimé avec des mots aussi simples de quoi sont tissées les relations entre deux frères ou deux soeurs.

Avec ce spectacle d'une intensité contenue, Célie Pauthe, travailleuse acharnée, prouve qu'elle est de la caste des grands. Une de ses nombreuses qualités est d'avoir su choisir comme responsable des lumières l'extrêmement doué Joël Hourbeigt et pour interprètes des comédiens aussi riche de talent que Alain Libolt, Pierre Beaux et Philippe Duclos. Quant à Valérie Dréville si on savait de quel bois précieux elle se chauffe, elle arrive encore à nous surprendre tant son jeu chavire le coeur.

Eugène O'Neil est l'arriére grand-père de l'immense James Thierré lequel a une admiration éperdue et amplement justifiée pour son aïeul Charlie Chaplin. Il serait bon qu'il aille découvrir ce spectacle pour savoir que son autre ascendant est à la littérature ce que Charlot est au cinéma.

Jusqu'au 9 avril La Colline tel 01 44 62 52 52

vendredi 18 mars 2011

Othello de Shakespeare

Comme toutes les créations de Thomas Ostermeyer celle-ci est d'une virtuosité étourdissante. On quitte tout ébahi cette représentation gorgée d'inventions visuelles bluffantes. Il est vrai qu'avec son comparse et traducteur Marius von Mayenburg (par ailleurs auteur dramatique d'un talent époustouflant) il a pris avec le texte original de sacrées libertés. Le maure comme l'appelle Shakespeare arbore ici , contrairement aux habitudes, les traits d'un européen Plus important; si les paroles de cet homme aux sombres combines qu'est Iago agissent comme un lent poison altérant l'esprit d'Othello le metteur en scène va jusqu'à le faire accoster en terre de folie. Contrairement à ce que dit Lacan la paranoîa n'est pas la vérité...

Comme toujours chez le directeur de la Schaubühne de Berlin les comédiens - de blanc ou de noir vêtus - sont tous sidérants de justesse et d'énergie. Quatre musiciens placés à l'arrière du plateau soulignent avec un harmonieux entrain les étapes de la tragédie. Mais l'idée la plus riche du maître d'oeuvre a été de placer à l'avant de la scène une pièce d'eau brunâtre sorte de cloaque dans lequel se règlent les conflits.

Si on peut regretter une utilisation trop intensive de la vidéo et le fait que le spectacle impressionne plus qu'il n'émeut on gardera sans doute à jamais le souvenir de la dernière scène où les acteurs des horreurs qui viennent de se commettre restent frappés de stupeur.

Jusqu'au 27 mars Les Gémeaux 92 Sceaux tel 01 46 61 36 67

mercredi 16 mars 2011

La nuit des rois de Shakepeare

Il apparaît dès le premier instant que Jean-Michel Rabeux n'a que faire du cadre velouté dans lequel se déroulent - du moins en France - les pièces de Shakespeare. Il s'est rappelé que du vivant du grand homme ses oeuvres étaient représentées dans des salles où les nobles poudrés se tenaient au balcon, le "bon peuple" debout face à la scène tandis que les putains pratiquaient gaillardement leur métier.Quinze ans plus tard, avec l'arrivée de Cromwell au pouvoir, l'ordre moral est instauré et les théâtres fermés.

Désireux de retrouver l'atmosphère paillarde de ce temps béni, le metteur en scène a brodé une adaptation d'une hilarante crudité. Du coup la poignante histoire de la soeur et du frère jumeaux dont le bateau a sombré en mer et qui croient chacun que l'autre a disparu dans les flots se transforme en une farce jubilante. Des clowns avec nez rouge et grosses caisses se déploient sur la scène tandis que Jean-Michel Rabeux se laisse aller à son goût contagieux du gag et du burlesque. N'ayant décidément pas froid aux yeux il a installé sur le plateau un orchestre rock qui y va franco. La surprise est que Shakespeare et le rock font excellent ménage.

Ces personnages qui lèvent volontiers le coude, font ripaille avec enthousiasme et ont la fibre bagarreuse sont à l'image de l'Angleterre pas encore collet monté qu'aimait fréquenter celui qu'on surnomma le grand Will. Les interprètes, parmi lesquels on retrouve quelques fidèles du meneur de jeu, méritent largement un coup de chapeau collectif.

Jusqu'au 3 avril MC93 Bobigny tel 01 41 60 72 72

lundi 14 mars 2011

Louise, elle est folle de Leslie Kaplan

Deux femmes visiblement excédées l'une par l'autre. Les mots jaillissent de leurs bouches sans qu'elles les maîtrisent. Leurs propos n'ont rien à voir avec la réalité mais tout avec les clichés les plus éculés. La carnassière machine capitaliste a broyé leurs personnalités. Ce qui leur reste d'humanité elles le projettent sur Louise , une tierce personne, qui n'apparaît jamais mais qui, concentre leurs désirs les plus enfouis. Elles n'ont donc de cesse de la traitée de folle.

Leslie Kaplan est sans doute aucun l'un (l'une) des rares auteurs dramatiques français digne de Bernard - Marie Kotès et de Jean - Luc Lagarce, disparus dans la fleur de l'âge. Si son sentiment de l'absurde qui gouverne nos vies évoque Beckett son propos est par ailleurs en prise directe avec notre désolant présent. On repère dans le maelström de paroles que déversent les deux occupantes du plateau (phénoménales Frédérique Loliée et Elise Vigier) l'aversion qu'inspire à l'auteur la société néo- libérale, le peu de cas qu'elle fait de nos préoccupations et son acharnement à rejeter les fous, c'est à dire tous ceux qui ne marchent pas au pas, hors de l'humanité.On peut plus qu'on ne l'a jamais fait parler de déraison d'état.

La mise en scène réalisée par les deux comédiennes étincelantes de fantaisie n'est que fulgurantes inventions. Le décor conçu par Yves Bernard, au début d'une somptueuse sobriété n'arrête, pour notre plus grand bonheur, de se transformer. Si son contenu est justement alarmiste, le texte de Leslie Kaplan est souvent d'une décapante drôlerie. "Une femme n'est pas grand chose" écrit-elle "la preuve c'est que dieu n'est pas marié" ou tombe malicieusement sous le sens: " toute cette civilisation, tous ces siècles et ces siècles de civilisation pour en arriver là."

Avec les créations de "Ma chambre froide de Joël Pommerat et Louise , elle est folle de Leslie Kaplan, ce début du mois de mars fournit la preuve que le théâtre, que tant - nos gouvernants en tête - veulent croire moribond, a sacrément repris du poil de la bête.

Jusqu'au 27 mars Maison de la Poésie tel 01 44 54 53 00

samedi 12 mars 2011

Ma chambre froide de Joël Pommerat

Joël Pommerat, on le sait, ne s'intègre à aucun courant. Il franchi de plus avec "Ma chambre froide" un palier nouveau. Estelle, le personnage central d'une humilité et d'une gentillesse exaspérantes fait songer à ces monstres de vertu que sont L'idiot de Dostoïevski et l'héroïne de La bonne âme de Tse Chouan de Brecht. Elle trime dans un magasin où ses collègues l'exploitent et dont le patron est un sagouin de la pire espèce.Ce dernier est atteint d'un mal qui ne lui laisse aucune chance de s'en tirer. Il lègue ses multiples affaires à ses employés mais cela à des conditions plus que contraignantes. L'une d'elles est l'obligations pour ses légataires de monter un spectacle qui relate sa vie.

Et c'est Estelle, celle que tous bafouaient, qui en est la créatrice. Esprit un poil égaré, elle tente de faire reproduire les images qui ont surgies dans son sommeil. Ses confrères commencent par se rebiffer puis, lorsque surgit un frère de leur souffre douleur, individu d'une violence pathologique, acceptent ses instructions même celle de se déguiser en animaux révélant par là la bestialité qui est au coeur de l'espèce humaine. L'argent peu à peu les transforme. Ils font bientôt leur l'arbitraire cupide du dirigeant unanimement haï mais ne tarderont pas à récolter les fruits amers de cette trahison de leur classe.

Assaisonnée de scènes burlesques telles celle où un collègue chinois d'Estelle s'exprime dans un français incompréhensible mais dont elle fait une traduction en décalé et d'autres où des acteurs belges assènent des paroles d'un écoeurant bon sens avec un accent à couper au couteau, la représentation frappe autant par la justesse saignante de son discours social que par ses épisodes oniriques d'une sidérante splendeur.

Avec son décor en forme d'arène, ses jaillissements de musique de boîte de nuit, son écriture d'une beauté qui laisse coi et ses interprètes aux physique étonnement insignifiants mais au talent prodigieux, ce spectacle est à la mesure du chaos du monde.
La dernière phrase qui décrit Estelle comme "une sainte amoureuse du mal" en dit long sur la connaissance qu'a Joël Pommerat de l'architecture mentale de de ses " frères humains".


Jusqu'au 27 mars Odéon Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40