jeudi 28 novembre 2013

Le système Ribadier de Georges Feydeau

 Le système Ribadier semble être l'une des pièces de Feydeau qui se laisse le moins facilement apprivoiser. Ce qui explique pourquoi elle est rarement montée.
La machine infernale est lancée dès les premières répliques. Depuis qu'elle a mis la main sur le carnet de rendez-vous de feu son premier mari, qui collectionnait les aventures extraconjugales alors qu'elle le  croyait d'une fidélité absolue, Angèle se méfie des hommes. Et au premier chef de Ribadier , son second époux à qui elle fait à tout bout de champs des scènes.   Quand il veut endormir  la méfiance de sa chère et tendre, le bonhomme use de ses dons d'hypnotiseur.  L'arrivée impromptue de Thommereux, autrefois amoureux transi  d'Angèle, va provoquer des quiproquos de plus en plus étourdissants.
Difficile de ne pas applaudir l'habilité avec laquelle Zabou Breitman s'est sorti de l'enfilade d'imbroglios imaginé par Feydeau, esprit d'une précision qui constamment frôle l'absurde. Seuls des comédiens doués à l'extrême tels que Laurent Laffite et Laurent Stocker pouvaient interpréter ces personnages emportés  dans un tourbillon de mensonges ou d'un aveuglement phénoménal. Le reste de la distribution est au diapason.
L'humour foudroyant de Feydeau a encore frappé.
Jusqu'au 5 janvier Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 00/01

mardi 26 novembre 2013

Mettre en scène

Ses derniers jours en témoignent : la moisson de Mettre en scène, festival créé par François Le Pillouër, directeur depuis 1994 du Théâtre National de Bretagne, a, une fois encore, été revigorante. Si Passim de François Tanguy, La mouette de Tchekhov montée par Yann Joël Collin et Henry VI de Shakespeare à laquelle s'est confronté Thomas Jolly ont, au début de la manifestation, créés l'événement, la suite fut tout aussi enthousiasmante. Grâce notamment à Cédric Gourmelon qui dans Au bord du gouffre réunit plusieurs textes de David Wojnarowicz qu'il interprète avec une fureur au départ  contenue, plus tard implacable.

Mal remis d'une enfance exceptionnellement  sombre, il devint, après avoir connu le trottoir, un des artistes les plus apprécié de l'East village new yorkais des années 80. Ses oeuvres graphiques furent exposées dans des galeries tant américaines qu'européennes. Ses écrits dans lesquels il mit, avec une déchirante ferveur, le cap au pire sont d'un auteur du même bord que Herbert Selby ou Williams Burroughs La manière dont furent considérés pendant les mandats de Reagan les malades du sida (auquel il succomba lui aussi)  lui mirent les nerfs et l'écriture à vif.

Fräulein Julie librement adaptée de la pièce d'August Strinberg est mis en scène par Katie Mitchell qui, ne trouvant pas dans son Angleterre natale les financements pour ses projets - qui mêlent, depuis qu'elle collabore avec le vidéaste Leo Warner, comédiens, équipe de tournage et autres artisans de l'art, - crée dorénavant ses spectacles en Allemagne. Le récit de la funeste passion érotique qu'éprouve la fille d'un aristocrate pour un valet se déroule  ici sous le regard de Kristin, la servante. L'utilisation en direct d'une  caméra vidéo a pour effet que chaque séquence est détaillée sur grand écran. Le spectateur se trouve de ce fait au plus prés des gestes et des sensations des trois personnages. Lesquels sont joués par des membres de la troupe de la Schaubühne de Berlin. Qui ne semble être  constituée que de pointures. La cruauté du climat et des rapports n'est pas sans rappeler celle des oeuvres de Fassbinder

La relève de ces comédiens de première force semble d'ores et déjà assurée par les élèves de l'école  Ernst Busch de Berlin, fondée en 1905 et qui  n'a rien perdu de son prestige. Dirigés par Peter Kleinert huit acteurs novices mais au métier déjà sûr jouent une foule de rôles dans Sainte Jeanne des Abattoirs où Bertold Brecht décrit l'irrésistible ascension puis la chute de Pierpont Mauler, le magnat des abattoirs. Ce spectacle choral a pour cadre  une Amérique à la dérive qui ressemble comme deux gouttes d'eau à l'Allemagne de Weimar.  Nombreux sont ceux qui ont dévalé l'échelle sociale. L'homme d'affaire voit dans ce périlleux contexte  l'occasion de faire fortune. Les chapeaux noirs, une armée de personnes charitables, celle de semer la bonne parole. Jeanne, l'une des leurs saisit combien leur action est trompeuse. Et de se sacrifier à la cause des  miséreux. Le constat que fait Brecht est, on le voit, d'une actualité désespérante... Le public ne s'y est pas trompé qui a fait à ce travail d'école un accueil triomphal.

Mettre en scène tel 02 99 31 12 31
Au bord du gouffre pourra être vu les 4 et 5 avril 2014 à la Manufacture  Atlantique (Bordeaux)


vendredi 22 novembre 2013

Yerma de Federico Garcia Lorca

L'homosexualité de Federico Garcia Lorca était un secret de polychinelle. Ce qui lui valut d'innombrables affronts et le rendit, à coup sûr, particulièrement sensible au sort des femmes de son pays considérées, elles aussi, sans égards. Pas surprenant que ses pièces les plus réputées (Les noces de sang, La maison de Bernarda et Yerma que met aujourd'hui en scène Daniel San Pedro) glorifient des filles issues de milieux traditionnels qui endurent des vies sans espoir.

Jeunes éleveurs mariés depuis deux ans, Jean et Yerma n'ont pas d'enfants. Ce qui semble le laisser, lui, étrangement indifférent mais la fait, elle, intensément souffrir. Le passage des années lui donne le sentiment de vivre sur un tapis d'épines. Cette femme qui n'a peur de rien pas même des rumeurs qui dans le village vont bon train, va chercher des moyens de se ranimer de l'intérieur. Ses convictions morales l'empêchent toutefois de céder à son ami de jeunesse visiblement attaché à elle.

Revisitée par  Daniel San Pedro, Yerma apparaît comme une tragédie hors du temps. La magnifique adaptation de ce texte phosphorescent réalisée par  le metteur en scène lui-même est une merveille dont chaque phrase porte un coup  au coeur. Grâce à des comédiens aussi convaincants que Audrey Bonnet, Claire Wauthion, Daniel San Pedro, Juliette Léger, Hélène Alexandridis, Stéphane Facco et leurs partenaires qui jamais ne déméritent,  à une scénographie qui transforment  les murs de la maison en prison  et aux lumières de Bertrand Couderc qui projettent sur ces mêmes façades des images de paysages arides et plus tard donnent à une  scène de  pèlerinage des allures de cérémonie païenne, la pièce prend un reflet de plus en plus  brutal.

A la sortie un jeune spectateur faisait remarquer combien ce monument du répertoire qu'est Yerma parle aux gens de sa génération, qui effrayés par l'hostilité du monde,  sont souvent tentés de rester sans enfants....

Jusqu'au 24 nov TOP Théâtre de l'Ouest Parisien tel 01 46 03 60 44 puis en tournée notamment au Théâtre des Célestins à Lyon


dimanche 17 novembre 2013

Le tigre bleu de l'Euphrate de Laurent Gaudé

Directeur depuis 9 ans de la Comédie de Béthune, Thierry Roisin y a créé des spectacles d'une bluffante qualité. Lesquels ont été peu vus car à l'inverse de beaucoup de ses confrères il a refusé de programmer des spectacles d'autres artistes à la tête d'une institution afin d'être à son tour reçu dans leurs murs... Avant de céder la place à Cécile Bakès il signe la mise en scène d'un monologue écrit  par un Laurent Gaudé particulièrement inspiré.

Sur le point de rendre son dernier souffle, Alexandre le Grand s'adresse à une ombre. Et celui qui construisit un empire qui s'étendit de la Macédoine aux confins des Indes d'accomplir un voyage au bout de lui-même.  Visage aussi impassible que celui d'un maître Zen, Frédéric Leidgens impose un Alexandre fascinant. Il ne quitte son masque placide que lorsqu'il imite les traits hideux de deux hommes à qui il fit payer cher leur odieuse conduite. Son parcours fut parcouru d'élans de violence. Le moment est venu de soulager sa mémoire, de se souvenir de la répression sans quartier qu'il exerça sur les habitants des villes qui résistaient à ses armées. Il se remémore aussi avoir fait fuir Darius qui régnait sur Babylone et qu'une fois installé dans son palais, dont le raffinement le subjugua, s'être surpris à considéré le vaincu comme son jumeau. A maintes reprises, Alexandre voit surgir un tigre bleu dont il tente de suivre la trace. C'est cette chimère qui l'incite à toujours aller de l'avant.

Laurent Gaudé voit visiblement en Alexandre un conquérant qui fit se rencontrer les cultures grecques et perses. C'est pour cette raison qu'il peut dire au dieu des morts dont il tente de discerner la physionomie : je n'ai pas besoin de toi pour être immortel, je me suis occupé de cela....
Cette adresse à l'insaisissable a pour cadre un espace lumineux (conçu avec une élégance extrême par Olga Karpinsky)  qui évoque certaines scènes orientales. Une façon de poursuivre le croisement des civilisations qui est aux antipodes de ce nivellement qu'on appelle la mondialisation.

Jusqu'au 23 novembre Comédie de Béthune tel 03 21 63 29 19
Les 18 et 19 décembre Théâtre d'Arras 

lundi 11 novembre 2013

Chapitre de la chute de Stefano Massini

Les mises en scène d'Arnaud Meunier, nommé depuis deux ans à la tête de la Comédie de Saint-Etienne, ont une force de percussion qui va en s'accentuant. Il s'est, cette fois, emparé d'une pièce du jeune auteur italien Stefano Massini, qui, comme Pasolini, son aîné vénéré,  se montre décidé à en découdre avec la marche inacceptable du monde. Il relate, pour ce faire, une saga familiale exemplaire : celle des frères Lehman, nés en Bavière dans une famille juive et qui, dans les années 1840 ont jeté l'ancre en Alabama où ils ont fait prospéré un commerce de vêtements. D'heureuses occurrences leur permettent de changer d'activités et de faire, peu à peu,  fortune.

Le flux serré de la narration de cette succes story qui est aussi une marche vers la notabilité  tient trois heures durant autant en haleine qu'un polar. Les frères Lehman, leurs fils et petits fils se boostent tous à l'activité. Alors que l'un devient un financier perspicace qui ne cédant pas à la panique provoquée par le krach de 1929 accroît sa richesse, l'un de ses cousins endosse la fonction de maire de New York. D'un tempérament déterminé, ces messieurs font souvent des mariages de raison. Il faudra attendre l'époque où les divorces hollywoodiens faisaient  la une des journaux, pour que l'un des Lehman - qui finança plusieurs films - épouse successivement trois croqueuses de diamant dont le départ ne l'affecta en rien...

 Les premiers Lehman arrivés aux Etats Unis étaient des juifs observants qui à la disparition de l'un d'eux faisaient Shiva, ne quittaient pas le lieu familial  pendant une semaine, déchiraient un de leur vêtement, disaient la prière du Kaddish matin et soir. Leurs enfants firent encore de même. Leurs descendants, happés par l'intérêt qu'ils portaient au cours de la bourse, abandonnèrent  ces traditions ancestrales. En 1984 l'entreprise familiale fut vendue à des traders. Certains des Lehman faisaient des rêves peuplés de dangers. Ce qui témoigne des émotions qui les habitaient. Le capitalisme à visage, cette fois  brutalement inhumain occupe, dès lors, la place.Et fera les ravages que l'on sait.

Le texte écrit par Stefano Massini est d'un jet, ne comporte aucune indication quand à la façon d'appréhender les rôles. Arnaud Meunier a, lui,  réunit six comédiens aguerris qui jouent chacun plusieurs personnages dont certains féminins. Si ce spectacle captive autant c'est non seulement parce qu'il est d'une splendide facture mais aussi, surtout car il se mêle de ce qui, tous, nous regarde.

Jusqu'au 30 Novembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 85 98 21

samedi 9 novembre 2013

La ronde de nuit par le théâtre Aftaab

Le théâtre Aftaab a vu le jour à Kaboul sous l'impulsion de la citoyenne du monde Ariane Mnouchkine venue avec plusieurs membres de sa troupe y organiser un stage. Il y a quelques mois "La ronde de nuit", création collective de ces comédiens débutants que pilote Hélène Cinque a été accueillie au  Théâtre du Soleil. Le succès fut au delà des espérances. Le spectacle est aujourd'hui repris et devrait bientôt entamer une tournée à travers la France.

Nader, un exilé afghan, a dégotté un boulot de gardien de nuit dans un théâtre désaffecté. Les premières heures qu'il va y passer ne seront pas de tout repos. Ce seront d'abord quelques habitués du lieu qui surgiront de l'obscurité, plus tard une horde apeurée et transie de froid de sans papiers, originaires eux aussi d'Afghanistan. Durant quelques heures ces hommes et ces femmes évoquent leurs périples semés d'embûches. Le sommeil de certains sera troublé par des apparitions de terrifiants ou affriolants fantômes. Il est clair que les interprètes ont puisés de nombreuses scènes dans des souvenirs encore brûlants. Beaucoup entonnent - et c'est là pur bonheur- des chants aux accents ancestraux. Au petit jour tous reprennent leur baluchon.

Bien que le spectacle rappelle que les démunis forment la majorité de notre humanité, les rires sont constamment de la partie. Grâce à "skype" Nader est fréquemment en contact avec ses proches restés au pays. Les scènes où bousculant sa belle-fille, la maman envahit l'écran sont du plus haut comique, cela bien qu'elles rappellent qu'on ne lésine pas avec la tradition familiale. ... Nader et sa femme sont, à l'évidence épris mais ne sentent pas pour autant autorisés à tenir à distance les parents de l'homme.

Parlé tantôt en français, tantôt en farsi (traduit en surtitres!), le spectacle est truffé de séquences où l'on repère la griffe distinctive de Mnouchkine. Comment dès lors s'étonner  qu'il engendre l'enthousiasme?

Jusqu'au 1er décembre Théâtre du Soleil tel O1 43 74 87 13

mercredi 6 novembre 2013

Orlando de Virginia Woolf

Le roman Orlando de Virginia Woolf débute au 17e siècle et s'achève en 1928. Tout du long on suit les tribulations d'un seul personnage : un homme qui à mi chemin de son parcours devient femme. Sa profusion extravagante ne destinait pas ce texte à la scène. Il a pourtant, il y a quelques années, tenté Bob Wilson et inspire aujourd'hui l'immense metteur en scène flamand Guy Cassiers. Lequel a trouvé en Katelyne Damen, une comédienne qui , sans affèteries aucune, mais avec une voix  posée ou enflammée   et une gestuelle minimaliste, nous entraîne dans le sillage d'un être que seul pouvait concevoir un esprit aussi fertile que l'auteur de Mrs. Dalloway.

Cet Orlando dont on suit autant le labyrinthe intime que les pérégrinations à travers l'Europe et les époques en arrive à constater la vanité de la passion dont il-elle  a connu les douceurs et les souffrances.  Vidéaste de première force, Fredérik Jassogne donne, à travers les images qui occupent le fond de scène, un contour au monde en perpétuelle mutation dans lequel évolue cet être dont le seul lien avec la personne qu'il fut dans son jeune âge est un poème écrit de sa main.

On aura compris que ce carrousel chatoyant de péripéties défie les classifications ordinaires et aussi que Guy Cassiers fait montre ici d'un métier qu'il ne cesse de mettre à l'épreuve. Conclusion : le bonheur que procure ce spectacle est à partager d'urgence.

Jusqu'au 10 Novembre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14