Voilà vingt ans que Bernard-Marie Koltès, auteur dramatique d'une grâce rimbaldienne, s'est effacé du paysage. Dans le vaste massif épistolaire aujourd'hui publié, il relate à ses proches ses expéditions dans des contrées aussi lointaines que le Nigéria, le Mexique, le Guatemala et le New-, York des années 70 et 80 qu'il chérissait, ses difficultés pécuniaires et le regard qu'il porte enfant, puis adolescent et enfin jeune homme dégagé des idées toutes faites sur l'univers qui l'environne. Ses divulgations intimes, il les réserve en priorité à sa mère, non en la rendant complice de ses frasques, comme c'est souvent le cas chez des hommes attirés par des individus de leur sexe, mais en tentant de lui faire comprendre les pulsions qui l'habitent. A la mort de son père, il lui envoie une lettre dont la clairvoyance tendre nous rend tout penaud au souvenir de la difficulté que, tous, nous éprouvons à faire part de nos sentiments à une personne anéantie par la perte d'un être cher.
Ces lettres sont adressées pour la presque totalité à des amies et à son frère François avec lesquels il pouvait, comme il il l'écrivit, dissiper les ombres de son coeur. Ce qui ne l'empêchait pas de fréquemment donner libre cours à son humour par exemple quand il décrit la mère "à la tendresse brûlante et au tonnage renversant" d'un des ses amants mexicains.
Ce n'est que dans les dernières années de sa vie qu'il noua des relation d'amitié avec des hommes, comme Michel Guy, Claude Stratz et François Regnault qui partageaient sa passion du théâtre et parfois celle des films de série B. Le récit de ses nuits désordonnées il ne les évoqua, et avec pudeur, qu' à ses copines de toujours.
A l'âge de vingt ans il fit le choix sur lequel il ne revint jamais d'écrire pour le théâtre (plus tard il s'essaya également mais là sans persévérer à devenir cinéaste) Le résultat est qu'il mangea de la vache enragée, même quand grâce à Bruno Boeglin et surtout à Patrice Chereau il devint célèbre. Mais celui qui dès le début l'accompagna de ses encouragements fut Hubert Gignoux qui fut pour lui une sorte de père spirituel.
Les seules lettres où il sortit de ses gongs sont celles qu'il adressa à son agent pour l'étranger et plus particulièrement à la directrice du Thalia théâtre à Hambourg où la mise en scène de l'une de ses pièces dénaturait son propos.
Personnage solitaire qui comprenait si parfaitement que, comme le disait l'écrivain suédois Stig Dagerman, "notre besoin de consolation est impossible à rassasier",
Bernard -Marie Koltès a laissé une place qui reste jusqu'à aujourd'hui vacante. Il ne faut à aucun prix se priver de lire cette correspondance dans laquelle l'auteur trouve les mots justes pour dire son attachement à ceux qui ont donné de la saveur à sa vie et arrive, comme il le reconnaît, à racler sa vérité.
Les Editions de Minuit 19 E