jeudi 19 avril 2018

L'éveil du printemps de Frank Wedekind

Pas étonnant que "L'éveil du printemps" dont Frank Wedekind (1864-1918) acheva l'écriture à la fin du 19e siècle fut longtemps considérée comme une pièce mal famée. La sexualité des jeunes y est, de fait, abordée de front. Ce qui à une époque où les mères racontaient à leurs filles quasi pubères que les nourrissons étaient déposés dans les familles par des cigognes ne pouvait que scandaliser. Wendla, Moritz et Melchior, les personnages principaux de l'oeuvre ont l'âge où l'on change de carapace. Au cours de ce passage de l'enfance à l'âge adulte ils sont d'une fragilité dont ils n'ont pas conscience. Melchior manifeste un goût, dont il rend compte dans son journal, pour les mystères de l'organisme. Bien qu'il garde des airs de petit garçon, Moritz est troublé au plus profond par les découvertes que fait son ami. Plus soumise à la morale ambiante, Wendla joue ingénument avec le feu. Décidé à pourfendre une armature puritaine qui lui faisait horreur, Wedekind s'en prend à tous les tabous. Scènes de masochisme, de masturbation, d'homosexualité et d'avortement se succèdent. L'écrivain pointe face à ces jeunes gens les comportements de leurs parents et professeurs. Aux yeux d'un aréopage d'enseignants et de son père, Melchior apparaît comme un prédateur sexuel. Clément Hervieu-Léger, dont les mises en scène de Molière et de Marivaux avaient révélées un talent d'une indéniable singularité, montre ici avec une véritable maestria combien le passionne les souterrains des êtres.Il a eu l'excellente idée de confier la scénographie à Richard Peduzzi qui a inventé des cubes qui lorsqu'ils se déplacent nous introduisent tour à tour dans une chambre, le bureau du chef d'un établissement scolaire ou un cimetière. Jeunes comédiens doués à l'extrême, Georgia Scalliet, Christophe Montenez et Sébastien Pouderoux se coulent avec ardeur dans la peau de jeunes gens en butte à la fausse maturité de leurs aînés. Quelques scènes suffisent à Cécile Brune, Clothilde de Bayser et Eric Genovèse pour montrer combien ils sont passés maître de leur art. Jusqu'au 8 juillet (en alternance) Comédie-Française Richelieu tél 01 44 58 15 15

vendredi 6 avril 2018

Viens mon coeur, c'est un bon coeur Poèmes de femmes américaines.

Conçu par la comédienne Anne Alvaro, le chorégraphe et danseur Thierry Thieû Niang et le musicien Nicolas Daussy le spectacle prouve nous seulement que nombre d'amer-indien n'ont pas été réduits au silence mais surtout que leur littérature constitue un pan certes ignoré mais fondamental de la littérature américaine. A preuve les poèmes de femmes qu'a recueilli et nous fait découvrir de sa voix tantôt âpres, tantôt mélodieuse Anne Alvaro. Ces femmes ont toutes des écritures bien à elles. L'une fait un sort aux idées toutes faites qu'entretiennent quasi tous à propos des habitudes de ces cultures minoritaires.Les artistes sont issues de différentes tribus. Certains poèmes célèbrent une nature avec laquelle l'auteure se sent en symbiose. D'autres dénoncent les règlements iniques auxquels ils leur faut se plier. Est évoquée aussi une poète lesbienne dont l'écriture ardente et le destin funeste a de quoi nous laissé ébranlés. Qu'une multitude des leurs vivent amollis par l'alcool n'est pas passé sous silence. L'harmonieuse présence de Thierry Thieû Niang, dont les danses aériennes lui ont été enseignées par les vieux des tribus, donnent, quant à elles une touche de douceur à la représentation. En passant d'un instrument à l'autre Nicolas Daussy contribue lui aussi à nous plongé dans un univers où, parmi les plus réceptifs, il en est qui ont le sentiment que des forces ancestrales sont à l'oeuvre. Jusqu'au 8 avril TGP Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint- Denis Tél 01 48 13 70 00

jeudi 5 avril 2018

La petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel

En adaptant pour la scène un texte de Philippe Claudel, Guy Cassiers se montre, une fois de plus, à la hauteur de sa prodigieuse réputation. Il a eu la bonne intuition de demander à Jérôme Kircher qui - depuis qu'il a laissé au vestiaire quelques insistants effets vocaux - est à juste titre considéré comme l'un des comédiens les plus doués de sa génération, d'interprété Monsieur Linh. Celui-ci est un réfugié vieillissant d'un pays en guerre où les siens ont tous perdus la vie. Il a recueilli une toute petite fille sur laquelle il veille avec adoration. Dans le pays de l'exil il vit, avec d'autres rescapés de mondes qui ont été disloqués, dans un foyer où tous l'ignorent. Son sentiment de n'être plus cher à personne (sauf au nourrisson qu'il a pris sous son aile) s'éloigne lorsqu'il rencontre sur un banc Monsieur Bark, un veuf qui bien qu'il sache que Monsieur Linh ne comprend pas un traitre mot de sa langue, parle d'abondance. Le solo harmonieux auquel on assistait jusqu'alors est transformé par la présence sur une vidéo d'un hologramme. On sait Guy Cassiers féru de technologies de pointe. Le recours qu'il fait ici de la vidéo est d'une ingéniosité et d'une beauté sans pareilles. Lorsque pour soi disant améliorer son sort Monsieur Linh et l'enfant sont conduit dans une sorte de foyer pour vieillards, il refuse de se laisser encagé. Il ne songe plus qu'à rejoindre l'homme avec lequel il a noué une si étrange et profonde amitié. En cours de route le vieil homme se prend à rêver. Et le metteur en scène de réaliser le prodige de nous plonger à l'intérieur du songe. En faisant ressentir la perplexité puis les élans d'un homme contraint de fuir son pays, Guy Cassiers nous offre un spectacle d'une amplitude poétique rarement égalée. Jusqu'au 7 avril MC93 Bobigny tél O1 41 60 72 72 - du 10 au 14 avril à La Rose des vents, Villeneuve d'Ascq

lundi 2 avril 2018

Les os noirs Idée et mise en scène Phia Ménard

Tour à tour ou simultanément jongleuse, comédienne, mime, danseuse, Phia Ménard conçoit et met en scènes des spectacles au registre plastique dissemblable. Le début des Os noirs émerveille. Sur un mer démontée une femme agrippée à une frêle embarcation lutte contre les flots qui finissent par l'engloutir. On assiste ensuite à un cortège de métamorphoses qui sont autant de cauchemars. Même si la créatrice de cette suite de performances sait gouverner ses effets, force est de reconnaître que la plupart n'ont pas la grâce de celle qui ouvrit la représentation. Toutes dépeignent les derniers souffles d'une femme (Chloée Sanchez). Phia Ménard ne craint pas le tragique de répétition. Son tempérament inventif et ses connaissances éclectiques nous font basculer de l'univers de Munch à celui de Baudelaire en faisant une halte chez le Caravage. Les sensations que produisent ces tableaux seraient plus électrisantes encore si la bande musicale qui les accompagnent n'apparaissait pas aussi datée et, contrairement à l'ensemble du projet, peu surprenante. Les mots sont tout du long absents. Sauf à l'ouverture de l'objet insolite que l'on va découvrir. Et aussi en fin de parcours ou Phia Ménard enfonce élégamment le clou en faisant résonner les vers de Cesare Pavese "La mort viendra, elle aura tes yeux". Jusqu'au 14 avril Le Montfot théâtre (Théâtre de la ville hors les murs) tél 01 56 08 33 88