mardi 23 décembre 2014

La chair de l'homme de Valère Novarina

Ses écrits, affirme volontiers Valère Novarina, se sont faits tout seuls. Ont jaillis de sa plume ou plutôt des souterrains de son être. Il se situe, ce disant, dans la lignée des surréalistes qui, dans ce qu'ils appelaient des cadavres exquis, laissaient les phrases s'emboiter à leur guise. La différence de taille est que l'oeuvre de Novarina est celle d'un écrivain féru de théologie. Ses connaissances de l'Ancien et du Nouveau testaments imprègnent les innombrables éructations, allitérations et mots inventés qui se déversent de la bouche de Marc Henri Lamande. Vêtu d'un vêtement noir qui lui colle à la peau et ressemble à un habits de plongée, le visage plâtré à la manière d'un Pierrot, ce comédien sans pareils balance ou chante un texte où voisinent monologues et dialogues. Comment il arrive à mémoriser une telle quantité de tronçons de phrases et de listes de noms relève du mystère. Entouré d'une violoncelliste et d'un champion du numérique, l'acteur semble emporté par la spirale de termes qui disent une solitude sans recours et les transports de l'âme. Les amateurs d'aventures artistiques qui ouvrent des horizons insoupçonnés ne peuvent qu'être sensibles à l'amplitude poétique de cette représentation. Jusqu'au 28 février Théâtre Reine Blanche tel 01 40 05 06 96

lundi 8 décembre 2014

La pensée de Leonid Andréev

Nouvelle vie pour ce spectacle créé avec succès en février dernier. Sur scène un médecin passe en jugement parce qu'il a fracassé, sous les yeux de celle qui partageait sa vie, le crâne de son meilleur ami, un écrivain dont il jugeait le talent plutôt mince. Il ne cache pas qu'il n'était pas insensible au charme de la femme de sa victime. Il est toutefois rapidement clair que ce n'est pas la jalousie qui lui a fait commettre l'irréparable.Son récit des événements le rend étrangement volubile. Mais plus cet homme tente de maîtriser ses arguments moins il convainc. Peut être l'horreur des faits entrave-t-elle sa pensée. Il semblerait qu'il tente à travers les mots qui lui échappent de saisir les raisons qui le poussèrent au crime. Léonid Andréev (1871 - 1919)fut chroniqueur judiciaire. Il est vraisemblable qu'il s'inspira pour écrire ce texte d'une puissance échevelée d'un cas qui lui fut soumis. L'interprétation d'Olivier Werner qui a mis en scène cette apostrophe à soi même et traduit la nouvelle du russe est celle d'un comédien au talent bien trempé. L'espace dans lequel il se meut est réalisé par Jean Creuzet, lui aussi dans la plénitude de son savoir-faire. Les 11, 12, 13, 15 décembre La Fabrique Montreuil tel 01 74 21 74 22. Le 6 février Festival Seul en scène : Théâtre de Cachan tel 01 45 47 72 41 Du 17 février au 7 mars Théâtre de Poche à Bruxelles tel 00322 649 17 27

samedi 6 décembre 2014

Nuits blanches de Haruki Murakami

Une femme, la trentaine, ne ferme plus l'oeil depuis dix-sept nuits. Elle a jusqu'alors goûté la sécurité anesthésiante que procure les habitudes. Au fil des jours, au cours desquels elle n'éprouve aucune fatigue, grandit en elle le sentiment que sa vie manque de relief. Son mari, est un dentiste à la clientèle fournie, qu'elle aime mais,qui ne lui plaît pas. Il lui apparaît peu à peu qu'elle entretient avec lui, depuis qu'ils ne font plus l'amour en début d'après-midi, des relations ténues. Elle discerne dans la physionomie de son fils, encore un enfant, des traits qui lui rappelle ceux sans attrait de son époux et de sa belle-mère. Débordante d'une énergie qu'elle ne se connaissait pas, elle nage abondamment et se plonge dans la lecture d'Anna Karénine puis des romans de Dostoïevsky,explorateur passionné des souterrains de l'être. Maitre en écriture, Haruki Murakami a l'art de décrire les moments où la réalité perd de sa vraisemblance et où des forces vives ou obscures nous assaillent.Hervé Fallous qui a eu la riche idée d'adapter (avec le concours de Corinne Atlan) et de mettre en scène sa nouvelle "Sommeil" (1) fait preuve d'une sureté exceptionnelle dans la direction de Nathalie Richard. Une comédienne (qui évoque par son mélange de grâce et de mystère Brigitte Helm à qui Fritz Lang confia la rôle clé de Métropolis) qu'on aimerait voir plus souvent tant son jeu subjugue. Le crédit de la réussite de cet envoûtant monologue revient aussi Philippe Sazerat dont les éclairages délicats font merveille. Jusqu'au 25 janvier l'Oeuvre tel 01 44 53 88 88 (1) Sommeil de Murakami chez Belfond.

jeudi 4 décembre 2014

La Double Inconstance de Marivaux

Comme elle l'a prouvée avec ses mises en scène de "Trois hommes dans un salon" et "Des fleurs pour Agernon" de Daniel Keyes, Anne Kessler est loin d'être manchote. On ne peut pourtant, cette fois, que déplorer combien le spectacle qu'elle a tiré de La Double inconstance de Marivaux manque d'unité. Pourquoi plutôt que de rendre à cette pièce ses brillances a -t-elle procédé à des mises en abimes qui l'affaiblissent. Aucun auteur n'a avec un esprit aussi aiguisé que cet auteur su souligner que l'amour est un sentiment vibrionnant. Il ne fallait donc surtout pas en rajouter. Ce que font pourtant, sans doute mal conseillés, de jeunes comédiens qui jouent avec insistance les naïves ou les farauds. Si le spectacle ne manque néanmoins pas de séduction c'est que Loïc Corbery et Florence Viala sont, eux à leur meilleur. Qu'ils mettent de délicieuse façon en valeur la vivacité des dialogues du roué Marivaux. Il en va de même pour Eric Génovése qui incarne un confident payé pour savoir combien le désir est incertain. Il suffit à ces trois interprètes d'apparaître pour que l'on déguste une langue qui en dit long sur les fluctuations du coeur et de la pensée. En alternance jusqu'au 1er mars Comédie - Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

lundi 1 décembre 2014

La ville de Martin Crimp

"La ville" commence comme le plus conventionnel des face à face d'un homme et d'une femme qui tentent de se confier. Elle est traductrice et a rencontré dans des circonstances étranges un écrivain connu. Lui devine qu'il va sous peu perdre son travail. Aucun ne semble accorder beaucoup d'importance à ce qui lui dit l'autre. Surgit une voisine dont le mari est parti à la guerre et dont la présence engendre un malaise durable. Elle se plaint du raffut que font les enfants du couple. Enfants qui semblent s'être cloitrés dans une chambre. Les comportements des personnages sont de plus en plus déconcertants. Au fil de la représentation l'homme devient un autre... La femme a,pour sa part, des bouffées d'excitation. L'écrivain anglais Martin Crimp montre à travers ces situations mouvantes combien la réalité lui semble incertaine.Seul provoque une émotion tenace un morceau de Franz Schubert pour piano. Alors que Marcial Di Fonzo Bo a récemment mis en scène à sa manière superbement baroque une autre pièce de Crimp "Dans la République du bonheur", le jeune Rémy Barcher se passe de décor et nous plonge, lui, avec une sobriété exemplaire dans un univers où la propension psychotique de chacun finit par apparaître. On ne saurait assez louer les interprétations d'une singularité résolue de Marion Barché, Louise Dupuis et Alexandre Pallu. Des comédiens à ne pas perdre de vue. Jusqu'au 10 janvier La Colline - théâtre national tel 01 44 62 52 52

lundi 24 novembre 2014

Dans la République du bonheur de Martin Crimp

Le spectacle s'ouvre sur une réunion familiale le soir de Noël. Les échange sont délicieusement houleux. Une des filles se réjouit de sa grossesse imprévue et irréfléchie. La grand mère rappelle de sa voix aux accents modulés combien il fait bon être riche. Le grand père tient à ce qu'on n'oublie pas qu'il passa dix années en taule. Son fils lui fait remarquer qu'il s'agit là de pures élucubrations. La seconde fille, qui fut deux fois mal mariée, se plaint des privilèges dont jouit sa soeur. L'harmonie qui jusque là régnait est mise à mal par l'arrivée impromptue d'un oncle qui d'abord d'une amabilité débordante à l'égard de chacun devient le porte parole de Madeleine, sa femme qui, dit-il, abhorre cette famille. Trouve chacun de ses membres d'une nullité absolue.La dame si pleine de hargne ne manque évidement pas d'apparaître. La deuxième partie de la représentation est on ne peut plus différente. L'atmosphère est rutilante. On assiste à une comédie musicale où, à l'inverse de celles à l'optimisme à toute épreuve de Broadway, chacun exprime sourire aux lèvres son mal de vivre, sa peur d'une société toujours plus sécurisante, autrement dit répressive. Des tableaux se succèdent qui annoncent la venue d'un temps où l'on vivra sous haute surveillance dans la république du bonheur. On songe, me faisait remarquer à la sortie l'auteur dramatique David Lescot, à l'album des Beatles "Sergent Pepper lonely heart " Il a particulièrement raison pour ce qui est du climat échevelé de cette tranche de la soirée. Mais si le célèbre quatuor avait le don de dynamiter la société anglaise de son époque, le tout aussi british Martin Crimp dépeint, à sa manière, elle aussi, débridée, un monde, le nôtre, qui joyeusement se disloque. Un couple reste au final seul en scène. Et il nous fait voir que la sexualité a, elle aussi, maille à partir avec notre époque où toutes les luttes se sont soldées par des interrogations nouvelles. Epaulé par Elise Vigier avec laquelle il signe la mise en scène et Leslie Kaplan qui a assuré la dramaturgie, Marcial Di Fonzo Bo a réussi un spectacle qui, après un démarrage faussement traditionnel sort avec entrain des sentiers battus. L'interprétation brille, quant à elle, de mille feux. Elle comprend outre Marcial Di fonzo Bo lui- même, Frédérique Loliée, Claude Degliame, Pierre Maillet, Jean-François Perrier et les jeunes Katell Daunis, Kathleen Dol et Julie Teuf. Du beau monde accompagné par un trio de sacrés musiciens. Jusqu'au 30 novembre Théâtre National de Chaillot tel 01 53 65 30 00

samedi 22 novembre 2014

Troyennes d'après Euripide

Avec cette première mise en scène d'une nouvelle et limpide traduction (signée Kevin Keiss) de la tragédie d'Euripide, Laëtitia Guédon se place parmi ceux avec lesquels le théâtre - que les pouvoirs publics voudraient faire croire mourant- de demain pourra compter. C'est avec un budget incroyablement modeste mais une passion démesurée et une équipe complice qu'elle est arrivée à mettre sur pied un des spectacles les plus chavirant de la saison. Poseïdon (incarné avec puissance par le slameur Blade Mc Ali M'Baye) ouvre le bal des damnées en décrivant la chute de Troie après dix ans de guerre et la rage de meurtre des conquérants grecs. Lui disparu, c'est Hécube (Marie Payen dont l'étoffe est celle d'une tragédienne), il y a peu reine de la cité, qui ployée sous un incommensurable désespoir prend la parole. Surgissent ensuite les autres femmes illustres de la cité écrasée (Lou Wenzel, Mounya Boudiaf, Valentine Vittoz)promises comme épouse ou esclaves des vainqueurs et dont le deuil jamais ne pourra se faire. Vient un instant de répit où cigarette aux lèvres et épaule contre épaule, Hécube et Andromaque, sa belle fille, se consolent l'une, l'autre. A une époque telle que celle que nous vivons où dans tant de régions de la planète des hommes peuvent libérer leurs pulsions meurtrières, la pièce d'Euripide résonne avec une force qui laisse anéantis. Mais subjugués par la beauté de la représentation. Jusqu'au 14 décembre Théâtre 13/Seine tel 01 45 88 62 22

jeudi 20 novembre 2014

George Dandin de Molière.

Roger Planchon qui au début de sa carrière mit en scène cette courte et cruelle pièce de Molière considérait qu'elle avait pour objet la lutte des castes. Il n'avait pas tort. Le riche paysan George Dandin a pris pour épouse, Angélique, fille d'un couple d'aristocrates ruinés. Il payera cher cette "mésalliance". Les Sotenville, ses beaux parents se goinfrent à ses frais et n'ont de cesse de l'humilier. Pourvu sur le plan des biens, il ne l'est ni sur celui du langage, ne sur celui des manières. Au cours d'une scène de repas particulièrement réussie, son manque de tenue donne l'occasion au couple de parasites à particules de lui faire entendre combien il leur est inférieur.Angelique, elle, se laisse conter fleurette par un "homme de qualité". Dandin s'emploiera, mais en vain à confondre sa jeune épouse qui douée d'une stupéfiante énergie verbale saura se tirer d'affaire. Elle se fait d'autant plus facilement passer pour une oie blanche aux yeux de ses parents que ceux-ci ne tiennent pas à ce qu'elle se sépare d'un mari aussi fortuné que Dandin. Celui-ci, victime d'un véritable trouble de la personnalité se verra contraint de présenter des excuses à celle qui l'a bafoué. Personne dans cette pièce, qui sous couvert de farce décrit la tragédie d'un homme qui croyait s'élever dans la hiérarchie sociale en liant sa vie à celle d'une jeune noble - n'est sympathique. Les discours que tient Angelique (qui peuvent sembler féministes avant la lettre) ne sont balancés que pour duper son époux. Le spectacle un peu trop sage bénéficie d'une scénographie (conçue par Eric Ruf) au départ surprenante et qui se révèle d'une belle efficacité. On retiendra aussi un final déchirant au cours duquel Simon Eine apparaît comme un double du vieux serviteur Firs que les habitants de la Cerisaie de Tchekhov ont oublié dans la demeure abandonnée. Jusqu'au 1er janvier Théâtre du vieux Colombier tel 01 44 39 87 00

dimanche 16 novembre 2014

La mission de Heiner Müller

A une époque où les illusions révolutionnaires étaient amplement partagées, les pièces d'Heiner Müller étaient fréquemment montées. Ce qui à présent qu'elles sont en déroute n'est évidement plus le cas. Peut être le sentiment qu'éprouvent aujourd'hui tant d'hommes et de femmes d'être réduits en esclavage par l'entreprise dans laquelle ils bossent ou tout simplement par le régime néo-libéral lequel considère les individus comme du menu fretin provoque-t-il un regain d'intérêt pour cet auteur majeur. La Mission s'ouvre sur le spectacle d'un homme (Debuisson)à l'élocution pâteuse. Il fut autrefois avec deux autres citoyens envoyés par la Convention en Matinique pour y faire disparaître l'esclavage. Que Napoléon a rétabli quelques années plus tard. Ses compagnons tués, Debuisson dialogue avec leurs ombres. Et avec un ange paré de la beauté d'une apparition. Les morts n'ont pas dit leurs derniers mots. L'un, descendant de déportés africains, en est arrivé à considérer que la "patrie des esclaves est le soulèvement", l'autre donne libre cours à sa rancoeur. On est propulsé dans un rêve lequel n'a que faire de la chronologie. Comme grand nombre de metteurs en scène allemands,Michael Thalheimer a une prédilection pour le grotesque inquiétant. Son spectacle est zébré de séquences burlesques. Ainsi celle où s'affrontent les chefs de file portant perruque extravagante de la révolution française.Un régal mais auquel certains trouveront à redire tant le texte est dense. Heiner Müller écrit par fragments ce qui fait la richesse de son propos mais le rend parfois obscur. Un décor signé Olaf Altman et le jeu d'une qualité hors pairs de Charlie Nelson, Jean-Baptiste Anoumon, Claude Duparfait, Noémie Develay-Ressiguier et Stefan Konarske contribuent à ce que ce spectacle d'accès peu aisé reste dans le souvenir. Jusqu'au 30 novembre La colline-théâtre national tel 01 42 62 52 52

jeudi 13 novembre 2014

Novocento d'Alessandro Baricco

André Dussollier passe dans le domaine du jeu pour orfèvre Mais après avoir des années durant obtenu (dans des films de l'importance de Mélo et On connaît la chanson d'Alain Resnais, Le beau mariage d'Eric Rohmer, Border Line de Daniele Dubroux ou Pour un oui ou pour un non de Jacques Doillon) des rôles dans lesquels il pouvait donner la mesure de son savoir-faire, il participe aujourd'hui à des longs métrages pour la plupart sans grande consistance. L'enregistrement d'un Amour de Swann comme plusieurs rôles au théâtre rappellent à ceux qui l'auraient oublié qu'il est un acteur majeur de sa génération. Il a, cette foi, eu l'heureuse idée de mettre en scène et d'interpréter Novocento de l'écrivain et musicologue italien Alessandro Baricco. Le personnage dont il raconte le parcours est né sur un bateau où il fut abandonné, à sa naissance par des parents sans doute démunis, dans une caisse posée sur un piano à queue. Au lieu d'être adopté par une famille fortunée, comme l'espéraient sans doute ses géniteurs, il grandit au milieu de l'équipage du bâtiment et devint pianiste. L'un des plus talentueux qui se puisse imaginer. Il navigua ainsi durant 32 ans sans jamais mettre pied à terre. Le monde des années 20 et 3O, durant lesquelles il était devenu adulte, lui faisait à juste titre peur. Le monde d'aujourd'hui lui, inspirerait, c'est sûr, de pareilles terreurs... Il accompagna ou plutôt stimula durant ces nombreuses années les musiciens chargés de distraire les passagers logés en première classe et qui ne se firent pas faute d'aller aussi agrémenter le voyage des moins favorisés de la fortune. Galvanisés par la présence du pianiste, ils excellaient dans tous les registres passant de Jean-Sébastien Bach au rag time.Leurs concerts se terminaient dans une apothéose d'applaudissements. Puis vint le temps où le paquebot parti à la ferraille. On doit à André Dussollier et aux quatre musiciens qui l'entourent un spectacle populaire dans le sens noble et hélas perdu du terme. Jusqu'au 6 décembre Théâtre du Rond - Point tel 01 44 95 98 21

lundi 10 novembre 2014

Trente - six nulles de salon de Daniel Cabanis

Le fou de mots qu'est Jacques Bonnaffé forme, cette fois, tandem avec Olivier Saladin. Et l'on assiste à un ping-pong verbal où les deux comparses font leur miel de rumeurs. Remâcher des histoires de voisinage ne leur suffit pourtant pas. Comme ils possèdent tous deux l'esprit de répartie ils s'envoient avec délice des piques. Une phrase de l'un met l'autre à cran. Jamais en manque de vannes, ils font preuve pour mettre l'autre K.O. d'un imaginaire débridé. Leurs acrimonies, ils les ressassent en transformant constamment un décor étrangement enrubanné. Le spectacle, vu à la première représentation parisienne, nécessite encore quelques réglages. Il est fort à parier qu'il sera sous peu délectable. Jusqu'au 6 décembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

mercredi 5 novembre 2014

By heart Performance de Tiago Rodrigues

A une époque où les richesses se concentrent chez une minorité et où par, voie de conséquences, les budgets accordés à la culture diminuent de façon drastique de jeunes artistes portugais inventent des outils de création inédits. Ainsi Tiago Rodrigues qui à 37 ans vient d'être nommé directeur du Théâtre national de Lisbonne. D'abord seul en scène cet auteur et metteur en scène, à propos duquel on ose parler d'engagement poétique, se retrouve, par une astuce qu'on ne dévoilera pas, entouré de dix comparses. Et le spectateur de (re)découvrir la splendeur des sonnets de Shakespeare, ou des vers de Mandelstam Point du tout effrayé par la mauvaise réputation qu'a aujourd'hui la pensée, il se réfère à celle si percutante de l'essayiste de la littérature George Steiner. Et, raconte entre autres histoires, celles bien réelles mais qui frôlent avec l'indicible de Nadejda Mandelstam ou de sa propre grand mère qui, comme le fit l'écrivain Ray Bradburry dans "Farenheit 451", trouvèrent le moyen d'empêcher que disparaissent par le feu ou de leur mémoire des écrits qu'ils chérissent. Et sur lesquels on a, à l'issue de la représentation, l'envie irrépressible de se précipiter; Jusqu'au 14 novembre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14

mercredi 29 octobre 2014

La dispute.com d'après Marivaux

De la détermination, Serge Sandor en a à revendre. Voilà des années qu'il met en scène des spectacles avec des détenus, des habitants de bidonvilles ou, comme c'est le cas cette fois-ci, avec des jeunes placés sur décision judiciaire dans des foyers parce qu'ils ont des parents défaillants, parfois maltraitants. L'idée de s'attaquer avec eux - qui ont grandi dans des familles ou des institutions où l'on se rentre constamment dans le chou - à la pièce de Marivaux qui a pour titre "La dispute" était particulièrement judicieuse. Assaisonné de phrases écrites par ces pré-ados qui souffrent pour la plupart de troubles du comportement le texte devient vibrant de sincérité. Il détaille, on s'en souvient peut être, la découverte du sentiment amoureux de quatre enfants, deux filles et deux garçons, qui n'ont à l'exception de ceux qui les nourrissent jamais croisé âme qui vive. Il leur suffit d'être soudain mis en présence d'un môme de leur âge pour s'emballer... Le spectateur est, lui, touché au vif quand l'un ou l'autre des participants de l'aventure artistique vient lire ou chanter un poème par lui écrit. Ce qui est notamment vrai avec le gosse qui lit face public un texte destiné à sa mère qui se termine par "Avec le temps et le vent de la vie, je me suis mis à courir après ton sourire". La vertu primordiale de ce spectacle est évidement de permettre à de très jeunes gens dont la vie a jusque'à présent été pour le moins rugueuse de se sentir valorisé. Il faut à une époque où les budgets fondent empêcher comme le font Serge Sandor et ceux, nombreux, qui lui prêtent main forte, qu'ils aillent grossir les rangs déjà si encombrés des exclus. Jusqu'au 31 octobre Théâtre de la tempête tel 01 43 28 36 36 Les 14 et 15 novembre au Marché couvert d'Avallon le 5 décembre Maison de la Culture de Nevers.

jeudi 16 octobre 2014

Notre Faust

Quand Méphisto, dont l'allure ne fait en rien songer à celle d'un agent des ténèbres, propose à Faust, un trentenaire bien d'aujourd'hui, de faire affaire avec lui, ce dernier ne se fait pas longtemps prier. Et ses désirs les plus légitimes comme les plus inavouables d'être comblés. Partant du conte populaire germanique auxquels Marlowe et Goethe ont donné des lettres de noblesse, quelques artistes (notamment Noelle Renaude, Liliane Giraudon, Nicolas Doutey, Stephane Bouquet), réunis autour du metteur en scène Robert Cantarella, ont laissé leur imagination se déployer. Le résultat est une série en cinq épisodes dont chacun peut être vu séparément. Disons le d'emblée : le spectacle qui oscille entre théâtre, projection, acrobatie, concert..., est d'une fraîcheur enivrante.Cela grâce à un texte qui abonde en digressions, est en perpétuel mouvement (il se transforme au cours des répétitions) et offre une vision de la société et en particulier de la famille qui bat en brèche les idées courantes. Théâtre Ouvert ne pouvait mieux choisir pour débuter sa nouvelle vie (il a changé de direction) que ce feuilleton à plusieurs mains mis en chantier par un homme aussi adepte d'écritures nouvelles et du mélange des genres que Cantarella. A une époque où les "brûlots" de Vincent Macaigne (ses audaces consistent à dynamiter des textes d'un force torrentielle) apparaissent aux yeux de beaucoup comme des blocs de modernité, découvrir une création telle que Notre Faust permet de se dire que tout n'est pas perdu. Jusqu'au 25 Octobre Théâtre Ouvert tel 01 42 55 55 50

dimanche 12 octobre 2014

Les particules élémentaires de Michel Houellebecq

Michel Houellebecq est en pétard avec son temps. Plus que dans ses autres romans il se livre dans "Les particules élémentaires" à un diagnostic sévère sur un monde qui court à sa perte. A travers les parcours de deux demi frères,un jouisseur et un homme de sciences, il martèle combien l'époque est anxiogène et la chair triste. Enthousiasmé par ce roman rapidement devenu phare, le jeune Julien Gosselin y va de tout son talent de metteur en scène et le fait raconter par une troupe de comédiens qu'il dirige à merveille. Munis d'un micro qui rend souvent leur voix tonnantes, ces jeunes acteurs - soutenus par des musiciens qui jouent en live - décrivent des personnages aux vies vouées à l'échec. Dans le dossier de presse Julien Gosselin insiste sur l'ironie qui caractérise les écrits de Houellebecq. On peut aussi y discerner beaucoup de complaisance. Notamment lorsqu'il décrit de manière appuyée des vacances qui ressemblent à celles des Bronzés ou quand il évoque le tourisme sexuel. Si rire il y'a, celui-ci a tôt fait de virer jaune. Comme les interprètes s'adressent au public celui-ci a le sentiment d'être le miroir des hommes et femmes croqués par l'écrivain. Situation qu'on peut ne pas trouver à son goût... D'autant que les anciens soixante-huitards, qui ont mal vécu la déroute des idées révolutionnaires comme leurs contemporains surnommés les babas, sont caricaturés jusqu'au ridicule. La mesure n'a, il est vrai, jamais été le fort de cet auteur. Là où on ne ne peut que saluer l'esprit aiguisé de Houellebecq est lorsqu'il souligne que le sentiment tragique de la mort est aujourd'hui remplacé par celui plus flasque du vieillissement. Pour ce qui est de Julien Gosselin, devenu son porte voix, il ne semble pas faire un doute qu'il a le talent si solide qu'il peut à présent se mesurer à des oeuvres romancées d'une singularité plus époustouflante que celle de notre actuelle gloire nationale. Dans le cadre du festival d'automne Jusqu'au 14 novembre Odéon-Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

dimanche 5 octobre 2014

Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz

Grand pourfendeur du confort moral, Witold Gombrowicz n'ignorait rien de ses pulsions les moins avouables. Et s'attacha, tout au long de son oeuvre romanesque et théâtrale, à des personnages qui regardent les autres non comme des semblables mais avec la curiosité de l'entomologiste. Yvonne, princesse de Bourgogne débute dans le climat onctueux d'une cour royale composée du roi Ignace, de la reine Marguerite et du prince Philippe . Les hommes ont chacun une âme damnée, complice de leurs méfaits alors que la reine plus solitaire a pour tout entourage des suivantes dont les rires n'arrêtent de fuser. Histoire de tromper son ennui, le prince jette son dévolu sur Yvonne, un laideron apathique à qui il dit tout de go "Quand on vous voit, il vous vient des envies de se servir de vous, de vous tenir en laisse et de vous botter le train..." C'est cette femme on ne peut plus disgracieuse qu'il annonce avoir choisi pour épouse à ses illustres parents. Découvrant le sentiment euphorisant qu'avec une personne aussi démunie qu'Yvonne tout est permis, le prince donne libre cours à son sadisme. La reine - qui épanche son mal être en écrivant dans ses carnets intimes des poèmes débordant d'auto-apitoiement - a le sentiment que la future de son fils exhibe par sa seule présence le ridicule de ces écrits. Il devient bientôt pour tous clair qu'il faut au plus vite machiner un mauvais coups qui permettra de se débarrasser d'Yvonne, reflet d'une société défaillante. Yvonne, princesse de Bourgogne n'a jamais été montée en France que sous le ton d'une farce. Il n'en va pas de même avec la mise en scène de Jacques Vincey dont le spectacle est tour à tour glaçant et d'un burlesque échevelé.Comme on a déjà pu le remarquer quand il s'attaqua au Belvédère de von Horvath, aux Bonnes de Genêt ou à Madame de Sade de Mishima, ce metteur en scène - à qui Aurélie Filipeti à eu l'heureuse idée de confier le sort du Centre dramatique régional de Tours - sait traduire, comme peu y parviennent, le sentiment d'enfermement dans leurs misérables tas de névroses qui est le propre des personnages nés sous la plume de la plupart des authentiques auteurs du XXe siècle. Une distribution particulièrement bien choisie (qui comprend Hélène Alexandridis, Alain Fromager, Jacques Verzier et les jeunes Thomas Gonzalez et Marie Rémond) font de de ce spectacle le plus réjouissant de la rentrée. Jusqu'au 11 octobre Théâtre Olympia Centre dramatique régional de Tours tel 02 47 64 50 50 les 15 et 16 oct CDN Thionville-Lorraine tel 03 82 82 14 92 4 au 7 nov Nouveau Théâtre d'Angers tel 02 44 01 22 44 12 au 14 nov Comédie de Béthune 03 21 63 29 19 Du 18 au 30 nov Théâtre 71 Scéne Nationale - Malakoff 01 55 48 91 00 du 3 au 7 déc Théâtre National de Bordeaux 05 56 33 36 80

dimanche 28 septembre 2014

Les égarés du Chaco d'après Adolfo Costa del Rels

Ecrivain et homme politique bolivien, Adolfo Costa del Reis (1891-1980) dépeignit à travers quelques récits les épreuves que traversa son peuple. Epreuves dont il fut le témoin. L'une d'elles fut la guerre sans merci qui, manigancée par des puissances coloniales, opposèrent (de 1932 à 1935) son pays au Paraguay. Egarés sans boussole dans le Chaco, région désertique où steppes et forêts se côtoient, cinq soldats tentent de trouver une lagune qui leur permettrait de se désaltérer.L'un est pris d'une flambée délirante.un autre s'en remet au ciel, un troisième montre très vite le peu de cas qu'il fait du sort de ses compagnons. Comme dans nombre de romans sud américains le merveilleux souvent affleure. L'un des hommes semble être l'objet d'un charme maléfique qui prend la forme d'une femme aux apparitions fugaces. Caressante autant que molestante, elle ressurgit constamment des ténèbres.Ceux-ci semblent aussi habités par des fauves et des esprits malins dont certains croient voir les yeux qui scintillent. Seul s'en sortira celui qui trouve le moyen au cours de cette traversée de l'enfer de modeler une oeuvre. L'allégorie peut sembler un peu naïve. La riche traduction d'Arlette Namiand et le jeu tout en ardeur des comédiens de l'Ecole Nationale de Théâtre de Bolivie dirigés avec doigté par Jean-Paul Wenzel permettent d'en être moins agacé qu'ému. Jusqu'au 19 octobre Théâtre de l'Epée de Bois tel 01 48 08 39 74

vendredi 26 septembre 2014

Yerma de Federico Garcia Lorca

Mariés depuis peu, Yerma et Jean - jeune éleveur accaparé par les soins qu'exige la terre et le troupeau - semblent promis à mener une vie sans aspérités. Les années passent sans que s'annonce une naissance. Ce qui suscite dans le monde paysan des commentaires peu amènes. La jeune femme sent grandir en elle une insondable tristesse. Une villageoise plus âgée au parler sans détours lui permet de saisir qu'elle n'a jamais éprouvé le sentiment que son corps s'émerveille. Confrontée à l'absence de désir de son mari, elle sent son être irrévocablement à l'abandon. Daniel San Pedro, dont c'est la première mise en scène, s'est bien gardé de situer la pièce de Garcia Lorca dans une Espagne étouffée par les traditions. Avec ses femmes et ses hommes prisonniers, comme on l'est plus que jamais, des préjugés de leur milieu, le cadre dans lequel il la place ne nous est en rien étranger. Et l'on découvre que le théâtre du poète assassiné par les franquistes, que nous avons tant aimé mais que l'on pensait périmé, nous fait toujours vibrer. Le public ne s'y trompe pas que l'on devine, tout au long de la représentation, en alerte. Des comédiens d'une belle fraîcheur, une scénographie aussi élégante que finaude (des panneaux circulaires nous font passer d'une cour de ferme à des lieux de pratiques occultes) et une adaptation signée par le metteur en scène qui nous rend proche le verbe luxuriant de Garcia Lorca explique aisément le succès que rencontre le spectacle. Jusqu'au 5 octobre Théâtre 13/Seine Tel 01 45 88 62 22

mardi 16 septembre 2014

Cet enfant de Joël Pommerat

Dans ce spectacle qu'il créa en 2003 et qu'il remet fréquemment sur le métier, Joël Pommerat arpente avec acharnement  le terrain poisseux des relations familiales. Ce lieu du crime. En une succession de saynètes implacables, l'auteur-metteur en scène surprend des enfants ou un parent qui essuie des paroles mortifiantes.  Afin qu'il reste à ses côtés une mère aux nerfs en déroute emploie les moyens les plus indignes pour empêcher son fils d'aller en classe. Un adulte balance ses quatre vérités   à son paternel dont il a dû pour la énième fois écouter les conseils exténuants.

Ces parents d'une exigence intraitable - qui déversent leur mal être sur des enfants assujettis devenus parfois des hommes ou des femmes qui tentent de reconstruire une identité malmenée - sont interprétés par des comédiens dont l'âge n'a aucun lien avec le rôle qu'ils affrontent. Chacun campe au cours d'une séquence un môme, au cours d'une autre  un géniteur. Les noirs qui, comme habituellement chez Pommerat, hachurent le spectacle rendent ces changements de peau particulièrement aisés.

La représentation se clôt avec la comptine d'Henri Salvador "Une chanson douce que me chantait ma maman...". La preuve peut être que le maître d'oeuvre a remporté le combat contre la dépression.

Jusqu'au 27 septembre Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50

vendredi 12 septembre 2014

Le capital et son singe à partir du texte le Capital de Karl Marx

Deux gradins de spectateurs se font face. Le plateau est occupé par une longue table autour de laquelle des hommes, dont certains  aux noms restés fameux (Auguste Blanqui, Freud, Lacan, Brecht...) vont débattre et parfois s'empoigner. L'essentiel de la représentation se situe en mai 1848 qui marqua la fin de la royauté et suscita entre les insurgés des brouilles inexpiables. Certains d'entre eux  se montrèrent sans concessions, d'autres furent très vite tentés par l'affairisme.

Sylvain Creuzevault qui assure la mise en scène parsemée d'improvisations (qui donnent parfois le sentiment d'avoir été trop vite expédiées) aime visiblement rentrer dans le vif de l'Histoire mais ne s'y attarde pas. Le spectacle ricoche d'une période à l'autre. Et le spectateur de se retrouver soudain confronté à la révolution spartakiste qui se conclut par les assassinats de ses "meneurs" , Rosa Luxembourg et Liebknecht. Le point commun de cet écheveau de récits est que leurs lendemains furent immanquablement désenchantés.

Si on peut reprocher à Creuzevault d'exhiber trop volontiers son érudition, il faut aussi - surtout - lui reconnaître une extraordinaire maîtrise pour ce qui est de la direction d'acteurs. Il est des moments, tel une noce pleine de voltes faces, qui sont pure jubilation. Si l'aspect verbeux de cette production richement pourvue exaspère, son abord bande dessinée politique met en joie. Est-il besoin d'ajouter que les climats sociaux au bord de l'embrasement qu'il décrit ressemblent  à s'y méprendre à celui que nous traversons?

Dans le cadre du Festival d'Automne.
Jusqu'au 12octobre La Colline -théâtre national tel 01 44 62 52 52

samedi 21 juin 2014

Perdues dans Stockholm de Pierre Notte

Dans le but de se faire du pognon un jeune gars qui rêve de virer nana - et se pavane en robe moulante -   enlève une star. Il s'avère rapidement qu'il y eu erreur sur la personne, que la séquestrée doit, elle aussi, coûte que coûte se tirer de l'ornière financière. Se pointe dans le mobil home témoin où est détenue la pseudo célébrité,  la piaffante tata du kidnappeur, une donzelle plus toute jeunette qui n'a pas baissé pavillon,  perd régulièrement son maigre avoir au jeu et rêve de devenir geisha.

La mesure n'a jamais été le fort de Pierre Notte. Les phrases déconnantes   pleuvent, cette fois fichtrement drues.Des mots tels que Japon ou trapèze en font jaillir une foultitude d'autres. Les comportement des trois "dames"est de plus en plus débridés. On les retrouve tantôt tentant de rejoindre l'Angleterre en pédalo, tantôt disputant un concours de golf miniature ou alors s'essayant à la chansonnette ou esquissant quelques pas de danse.

Comme dans "Moi aussi je suis Catherine Deneuve"", son premier succès, l'auteur révèle ici son amour immodéré des stars. Un amour dont il n'est pas dupe. Une des trois grâces se targue d'avoir croisé Gérard Depardieu dans un ascenseur...

Un spectacle à l'image d'une époque qui se vide de sens où les trois comédiens, Juliette Coulon, Brice Hillairit et Silvie Laguna forcent allègrement la note.

Jusqu'au 29 juin Théâtre du Rond -Point tel 01 44 95 98 21


vendredi 30 mai 2014

Le square et Savannah Bay de Marguerite Duras.

En s'attachant à deux pièces de Marguerite Duras écrites à quelques années de distance, Didier Bezace prend  un sacré risque. Celui de permettre d'évaluer un auteur qui connut autrefois une exceptionnelle  fortune littéraire. Ses textes eurent longtemps la réputation d'être hypnotiques. Il n'est pas certains qu'ils apparaissent encore tels aujourd'hui.

Si Le square qui détaille la rencontre d'une bonne à tout faire et d'un voyageur de commerce, tous deux sérieusement ébréchés, tient toujours la route, il n'en va pas de même de Savannah Bay. Une femme à la mémoire en déclin est poussée par une proche, plus jeune qu'elle, à se rappeler le temps d'autrefois. Temps où elle était une comédienne de théâtre extrêmement prisée.  Temps de sa jeunesse marqué par l'irruption dans sa vie d' un amant magnifique dont la disparition la laissa inconsolée. L'émotion que provoque la présence de cette comédienne inclassable qu'est Emmanuelle Riva est indéniable. Le jeu tout en finesse d'Anne Consigny pourrait ajouter à notre ravissement. Mais  ce serait oublier  les trop longs silences qui ponctuent la représentation et la lassitude que provoque un thème que Duras a trop souvent rebattu.

Les personnage du Square n'ont, en revanche, rien de caricaturaux. L'homme qui mène une existence on ne peut plus chiche en vient à évoquer un court voyage qui chassa son mal être. La femme, elle, triture au plus profond de ses sentiments et en vient à parler des envies de meurtre que fait naître en elle une vieillarde obèse et gâteuse dont il lui faut s'occuper. Difficile de ne pas songer à cette pièce magistrale de l'auteur qu'est Une journée entière dans les arbres ou une autre "héroïne" durassienne trucide sa cousine débile. Et surtout à sa malheureuse phrase à propos de l'affaire Guillemin où elle considérait la mère de l'enfant assassiné "coupable, forcément coupable"...

Didier Bezace, qui ne se contente pas d'être à la manoeuvre, apporte une fois de plus la preuve qu'il a du métier à revendre. Sa partenaire, Clothilde Mollet, dont l'interprétation est riche de rebonds, apparaît, c'est une habitude, comme une surdouée de la scène.

Jusqu'au 5 juillet Atelier tel 01 46 06 49 24

mercredi 28 mai 2014

Une faille. Les lumières de la ville - Feuilleton théâtral

Initié par Mathieu Bauer, directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil et écrit par Sophie Maurer, le feuilleton théâtral  qui a pour titre  "Une faille" se clôt sur un épisode que met en scène Pauline Bureau. Il va sans dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir assisté aux précédentes étapes pour être séduit  par la  générosité et l'ingéniosité de celle-ci.

Plusieurs destins s'entrechoquent. Ceux d'hommes et de femmes qui appartiennent à des sphères culturelles différentes mais ont en partage d'être des habitants de Montreuil. Les principaux acteurs de cette chronique d'une cité s'emploient avec des moyens dérisoires à résister à la brutalité du contexte social. Une juge, alcoolique repentie, une femme médecin émue par la passion qu'éprouve pour elle un cinéaste nettement plus jeune qu'elle, un homme qui, enfoncé dans les ténèbres de la dépression, ne sort pas de chez lui,  un autre qui a été sans ménagement jeté à la rue et veux intenter un procès au policier qui l'a gravement molesté... sont quelques uns des personnages clés  de ce spectacle alimenté à l'évidence par des informations de première main.

Une fois n'est pas coutume: le mariage du théâtre, de la musique et de la vidéo est on ne peux plus heureux. Quand apparaît sur l'écran le père (joué par Lounès Tazaïr)  du jeune cinéaste qui, comme les grands traumatisés, avait gardé enfoui au profond de lui, ses souvenirs des violences inouïes commises contre des maghrébins qui lors d'une manifestation pensaient trouver refuge dans les couloirs du métro Charonne, les spectateurs restent médusés.

Il n'es pas pour autant question que d'un passé honteux ou de la mouise ambiante. Certaines séquences sont même franchement réjouissantes. Ainsi la magistrate qui croyait son boulot inutile arrivera-t-elle au moins une fois à ce que justice soit faite...

Comédiennes de premier rang, Christine Pignet et Christine Gagneux ont un jeu d'une saveur extrême. Bien que moins aguerris, leurs partenaires leur tiennent, pour la plupart, vigoureusement tête. Avec Pauline Bureau à la manoeuvre et un texte aussi foisonnant le théâtre redevient enfin une chambre d'écho du monde.

Jusqu'au 7 juin Nouveau Théâtre de Montreuil tel 01 48 70 48 90

dimanche 25 mai 2014

Azimut. Conception et mise en scène Aurélien Bory

Fructueuse rencontre que celle d'Aurélien Bory, qui en montant  des spectacles à cheval sur le théâtre et le cirque se plaît à provoquer des électrochocs visuels et les artistes du groupe acrobatique de Tanger.  Lesquels  sont appelés "Les enfants de Sidi Ahmed Ou Moussa".  Celui-ci était un sage soufi du XVIe siècle dont le tombeau continue à être un lieu de culte et qui est considéré comme le père de l'acrobatie marocaine. Acrobatie dont l'objectif est de se hisser vers le ciel. Un chemin qui n' a rien de rectiligne...

Ils sont douze, deux femmes et dix hommes, pour la plupart issus de familles qui pratiquent cet art depuis des générations. Il ne s'agit pas pour eux d'en jeter plein la vue mais de prendre leur envol, de retrouver terre, de faire partager le plaisir qu'ils prennent à composer des pyramides humaine ou à s'agglutiner.  La représentation fréquemment prend une dimension farcesque. L'extrême rigueur graphique de la mise en scène et les interventions du musicien Raïs Mohand contribuent largement au bonheur que procure cette vision d'un monde qui à la fois tient de rîtes ancestraux et rappelle la bande  de jeunes portoricains de West side story. Le public ne s'y trompe pas qui réserve à la troupe une ovation.

Jusqu'au 29 juin Théâtre du Rond-Point Tel 01 44 95 98 21


lundi 19 mai 2014

Passion simple de Annie Ernaux

Ecrivain contemporain majeur, Annie Ernaux se raconte avec des mots d'une parfaite précision. Jamais elle ne surenchérit ou ne se laisse tenter par la joliesse d'une formule.  La porosité entre sa vie et ses oeuvres a ouvert une voie dans laquelle  s'est entre autres engouffrée Christine Angot. Mais contrairement à  sa véhémente consoeur, Ernaux jamais ne laisse place à du ressentiment. Elle fait dans "Une passion simple" le récit  de sa liaison avec un homme venu de l'Est.

N'attendant que le moment où son amant allait réapparaître, ses repères se brouillèrent. Elle devint associale. Prit en dégoût son travail d'enseignante contrainte de corriger les travaux de ses élèves. Se mit à dépenser sans compter afin d'apparaître dans une tenue différente à chacune des retrouvailles avec l'homme  Ce qui, reconnaît-elle, était d'autant plus absurde qu'ils cédaient à l'ivresse des sens dès son arrivée. Elle sait aussi  que celui qui la hante ne s'intéresse aucunement à la vie artistique ou intellectuelle.

Il est d'une difficulté inouïe d'interpréter une femme qui sait son attente démesurée, le constate mais ne se le reproche pas. Marie Matheron joue de manière on ne peut plus gracieuse cet être emporté par la passion. Jeanne Champagne qui la dirige avec tact a eu en la choisissant  la main sacrément heureuse.

Jusqu'au 7 juin Lucernaire tel 01 45 44 57 34

samedi 10 mai 2014

Mes prix littéraires de Thomas Bernhard

Les écrits de l'écrivain autrichien Thomas Bernhard furent couronnés  de nombreux prix. Mais que valent ces récompenses si elles sont attribuées  par des jurés pour lesquels l'élu n'avait que mépris? Le miroir que tout au long de son oeuvre il tendit à ses compatriotes n'était pas exactement flatteur. L'attribution de ces prix fut pour cet homme qui ne s'en laissait pas conter l'occasion de se livrer à des ahurissants déchainements verbaux. A travers lesquels se dessine une personnalité qui  touche au tragique et  nous déride.

Quand âgé d'une trentaine d'années il se trouve  acculé pour des  raisons financières à accepter le petit prix d'Etat autrichien de littérature il ne décolère évidement pas.  Ce prix a, en effet, toujours été donné à des débutants de piètre envergure.... Olivier Martinaud, qui a pris l'initiative de mettre ces textes en scène, nous fait à travers son  jeu fougueux découvrir un Thomas Bernhardt qui voit encore rouge.  Claude Aufaure  prête, lui,  sa voix faussement onctueuse à l'écrivain tel qu'on l'imagine trois  décennies plus tard c'est-à dire tout en haine amusée. Le découvrir, l'air de ne pas y toucher, enfoncer des clous sur le monde de minables qui l'entoure est pure jubilation.

Tout au long du mois de juin le comédien Laurent Sauvage prendra le relais et interprètera d'autres écrits, paraît-il  plus vachards encore du plus considérable auteur de l'Autriche d'après-guerre.

Jusqu'au 31 mai  Lucernaire tel 01 45 44 57 34

vendredi 2 mai 2014

The valley of astonishment Recherche théâtrale de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Dans "L"Homme qui" d'après l'ouvrage du neurologue  Olivier Sachs "L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau" Peter Brook se passionnait déjà pour le cerveau humain, cette machine dont les rouages nous sont inconnus. Dans ce nouveau spectacle il se place face à des personnes dont les images et la mémoire leur font vivre des expériences sans équivalents.

Ainsi une jeune femme, secrétaire dans un bureau qui jamais ne prend de note. Mais retient toutes les remarques et demandes qui lui ont été faites, Ce qui stupéfie ses employeurs qui l'envoient chez d'éminents scientifiques qui, après lui avoir fait passer une série de test et de scanners, constatent qu'elle possède des aptitudes hors normes. La jugeant  trop douée pour l'emploi qu'elle occupe ses patrons la virent. Force lui est de demander aux savants qui l'ont auscultée de lui  trouver un emploi. Lequel sera dans un cabaret où elle jouera les assistantes d'un magicien. Fonction qui ne la satisfait pas. 

Apôtre du dépouillement, Peter Brook a monté un spectacle joué par trois comédiens et deux musiciens . Si les lumières sont chiches et les numéros de cabaret guère enchanteurs, les examens auxquels sont soumis la femme hypermnésique sont, eux, ahurissants. D'autant que la comédienne Kathryn Hunter est douée d'une présence qui laisse pantois.

En marchant, comme ils aiment le faire, dans l'inconnu de notre condition, Peter Brook et Marie- Hélène Estienne portent, une fois encore, l'exigence artistique a des hauteurs vertigineuses.

Jusqu'au 31 mai Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50

mercredi 2 avril 2014

Au bord de Claudine Galea

En mai 2004 parut dans Le Washington Post la photo d'une soldate américaine qui tient en laisse un prisonnier irakien dans la prison d'Abou Gharib. Ce cliché qu'elle avait punaisé à un mur contribua à faire dériver les pensées de Claudine Galea. La jeune femme surprise dans cette attitude sur laquelle tout jugement est superflu, a les attaches fines, les traits séduisants. Elle évoque à l'auteur sa mère, morte quelques années plus tôt,  qui, à sa manière, la tenait en laisse. L'humiliait,  L'avait, alors qu'elle était enfant, frappée cul nu devant  ses copines de classe. Cette femme hystériquement maternelle  se plaisait à rappeler à sa fille  que celle-ci n'avait qu'elle au monde.

Les rencontres avec d'autres femmes lui permirent d'apprendre que son corps puisse être désirable. Ces amantes aujourd'hui également emportées par la maladie l'ont sauvées du désastre, dela haine d'elle même. Sous la soucieuse férule de Jean-Michel Rabeux, Claude Degliame interprète avec sa voix qui semble venue des profondeurs de son être, le double de Claudine Galea dont la pensée fut stimulée par l'horreur des fait qu'elle a vécu. Le texte nous entraîne dans des territoires si intimes que peu d'écrivains (à l'exception notable de Jean Genêt) avaient osé s'y aventurés.

Le spectacle navigue entre les aveux de celle qui découvre la photo et les peintures créées  sous nos yeux par Bérengère Vallet qui tend à reproduire les univers mentaux de la tortionnaire et de celle que la découverte de ce cliché tant remua.

On quitte la  représentation qui développe peu à peu toute sa puissance passablement estourbi. Et un peu plus  éclairé sur nos propres  énigmes.

Jusqu'au 15 avril MC93 Bobigny  tel 01 41 60 72 72

samedi 29 mars 2014

La vipère de Lillian Hellman

Lillian Hellman (1905 -1984) nous entraîne avec cette pièce au sein d'une famille en état de décomposition avancée. Les dents bien aiguisées une femme, prénommée Régina et ses deux frères sont sur le point de signer avec un industriel un accord  qui accroîtrerais considérablement leur fortune.  Ils ont besoin pour ce faire que le mari de Regina investisse de l'argent. Mais cet homme qui souffre d'une affection cardiaque est, depuis quelques mois en traitement dans un hôpital. L'épouse s'emploie à le faire revenir au foyer. Seules dans cet univers d'affairisme féroce, la fille des maîtres de maison et Birdy, la femme de l'un des frères, ont gardé intacte leur humanité. Bien souvent pompette, cette dernière, maltraitée par son conjoint, n' a de cesse de ruminer son douillet passé.

Thomas Ostermeyer donne une fois de plus la mesure de son savoir faire. S'il mène sa troupe d'une main sûre, il laisse aussi à chacun des acteurs la liberté de donner chair à son personnage. Les frères et leur soeur qui cherchent constamment à se damer le pion rappellent les canailles distinguées qui peuplent les films de Fassbinder. Le metteur en scène a eu l'excellente idée de transposer le drame imaginé par l'écrivain engagé qu'était Lillian Helman dans l'Allemagne d'aujourd'hui. Ce qui n'empêche Régina, dont les transports de haine atteignent des degrés ahurissants, d'avoir des allures d'héroïne hitchcockienne. 

Si l'on peut déplorer que Ostermeyer cède à quelques habitudes trop prévisibles - comme de faire à de nombreuses reprises tourner le plateau - et d'avoir porté son choix sur une pièce disons moyennes, on ne peut que reconnaître que son spectacle, joué à la perfection,  nous tient de bout en bout en haleine.

Jusqu'au 6 avril les Gémeaux 92 Sceaux tel 01 46 60 05 64

mercredi 26 mars 2014

Phèdre de Jean Racine

Mise en confiance par  OEnone, sa nourrice, Phèdre lui fait de sulfureuses révélations : elle aime Hippolyte, le fils de Thésée, son mari. Cachant la passion qu'elle éprouve pour Phèdre, la confidente lui donne des conseils qu'elle aurait été avisée de ne pas suivre. De son côté Hippolyte voue à Aricie, fille et soeur des ennemis jurés de son père, une passion inextinguible. Ces amours éperdus seront tous funestes.

Il n'est pas d'écrivains qui sache mieux que Racine  trouvé les mots dictés par le vertige amoureux. Ces mots, Cécile Garcia Fogel (Phèdre) et Nada Strancar (OEnone) s'en emparent avec délice. Christophe Rauck, étonnement à son  affaire dans le registre tragique, a avec Nada Strancar (qui à la fin des années 70 incarna Phèdre sous la houlette d'Antoine Vitez), une carte de choix dans sa manche. Voix charbonneuse, silhouette que la détresse fait vaciller et port de reine  (qui évoque celui de Barbara dont on entend le timbre  chavirant), Cécile Garcia Fogel semble avoir trouvé avec le rôle de la fille de Minos et de Parsiphaë l'accomplissement de ses désirs. Leurs partenaires en rien  ne déméritent. Camille Gobi qui compose une Aricie toute de douceur et  de discernement  semble en particulier apte à avoir de beaux jours devant elle. Le seul bémol qu'inspire ce spectacle mené de main de maître est que Thésée accoutré à l'excès évoque un peu trop l'héroic fantaisie...

Alors que les tragédies du grand  siècle ne nous laissent souvent qu'admiratif de la langue de leur auteur, le spectateur se sent ici concerné. C'est dire s'il faut s'y précipiter.

Jusqu'au 6 avril Théâtre Gérard Philipe tel 01 48 13 70 00

jeudi 20 mars 2014

A portée de crachat de Taher Najib

Pas commode quand on est muni d'un  passeport israélien et né au sein d'une famille palestinienne de se pointer à l'aéroport Charles de Gaule afin de prendre un avion pour Tel Aviv.  C'est ce qui est, à l'évidence, arrivé à Taher Najib, metteur en scène né dans un village arabe de Galilée et devenu l'un des metteurs en scène et acteurs les plus apprécié de l'Etat hebreux. Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre ses activités en Cisjordanie. A portée de crachat, sa première pièce, est un monologue au cours duquel l'interprète  s'adresse a plusieurs reprises au public. 
Plutôt que de partir en vrille quand on refuse qu'il embarque, le jeune comédien repart avec un large sourire pour Paris où il retrouve sa belle. Lorsqu'il retente le lendemain (un 11 septembre!)  l'aventure, son parcours est à nouveau semé d'embûches ou plutôt de longues attentes. Mais l'indétermination de son sort ne l'inquiète guère. Il réclame des boissons à ceux qui le font languir et les obtient. Pas question d'apparaître à ceux qui l'enquiquinent et à ses propres yeux comme un paria.
Judicieusement dirigé par Laurent Fréchuret, Mounir Margoum endosse avec un fol entrain ce rôle d'un gars qui a l'art de dédramatiser les situations les plus tendues. On ne peut plus revigorant en ces temps d'une actualité désespérante.

Jusqu'au 12 avril Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21
 15 - 17 avril TAPS Strasbourg
22 et 23 avril Théâtre de Villefranche, Villefranche-sur-Saône
25 avril TEC Saint-Maurice-l'Exil
6 mai L'Atelier à spectacles, Vernouillet  

samedi 15 mars 2014

Le fantôme de Benjamin Fondane

On ne saurait trop approuver l'acteur et metteur en scène Jacques Kraemer d'avoir sorti de l'oubli Benjamin Fondane qui fut tout à la fois poète, essayiste, réalisateur de films expérimentaux critique littéraire et polémiste. Né en 1998 au sein d' une famille juive échouée en Roumanie, il rejoignit Paris où il adhéra au mouvent surréaliste. Esprit on ne peut moins dogmatique, il se lia aussi à des penseurs qui encouragèrent ses multiples talents.
La découverte de Rimbaud et de Baudelaire (dont Jacques Kraemer fait résonner le génie) lui permirent  de céder à ses propres inspirations. On reconnaît les chefs d'oeuvre à ce qu'ils arrivent tôt ou tard à nous aller droit au coeur. Ce qui est le cas pour les écrits de Fondane lequel apparaît aujourd'hui comme un auteur discrètement majeur.
L'obsession du désastre qui jamais  ne le quitta prit des proportions gigantesques lorsque la nuit tomba sur l'Europe. Nombre de ses élégies évoquent les temps des pogroms qui, sous les tsars, jetaient sur les routes vieillards et enfants juifs. C'était à présent à à ceux qui avaient trouvé refuge  dans l'Hexagone qu'était nié le droit à la dignité humaine. Fondane fut arrêté en 1944 par la police française. Puis envoyé à Auschwitz d'où il écrivit à sa femme une lettre qui se voulait rassurante, apaisée. Ce fut là son dernier commerce avec le monde.
Jacques Kraemer nous offre une  représentation durant laquelle le temps semble suspendu
Jusqu'au 30 mars Théâtre de la Vieille Grille tel 01 47 07 22 11

jeudi 13 mars 2014

L'île des esclaves de Marivaux

Victimes d'un naufrage, Iphicrate (Stephane Varupenne) et Euphrosine (Catherine Sauval) accompagnés de leurs esclaves Arlequin (Jérémy Lopez) et Cléanthis (Jennifer Decker) trouvent refuge sur une île où les rapports de classe sont inversés. Surgi Trivelin (Nazim Boudjenah), le maître des lieux et habile manoeuvrier qui leur ordonne d'échanger leurs statuts, leurs noms et leurs habits. N'étant plus sous la coupe de son  maître, Arlequin se gausse de lui et lui rappelle combien souvent il le roua de coups. Véritable boule de ressentiments, Cléanthis s'exprime plus rondement encore. Alors que Iphicrate semble accepter son sort, Euphrosine ne cache pas qu'elle l'a mauvaise.

Appartenant désormais à la race des seigneurs, les deux affranchis ont les chevilles qui enflent. Ils ne tardent pas à singer l'allure altière de leurs anciens maîtres. Mais reconnaissent rapidement que les voilà "aussi bouffons que nos patrons". Ils savent par ailleurs que Trivelin n'apprécierait pas qu'ils abusent de leur nouvelles prérogatives. Dans cette pièce en un acte à l'écriture ciselée, Marivaux fait valoir qu'il n'y a pas de méchants nantis d'une part et d'inoffensifs serviteurs de l'autre. Chacun est capable de se conduire en despote. Esprit d'une exceptionnelle subtilité, l'écrivain fait découvrir les fêlures insoupçonnables de tous les personnages de sa pièce.

Benjamin Jungers, jeune pensionnaire du Français remarqué dans de nombreux rôles, signe ici sa première mise en scène. Sa grande sureté dans la direction des acteurs impressionne. La Comédie Française s'est  montrée ces dernières saisons chiche en bonnes surprises. En voilà une. Faite pour séduire petits et grands.
Jusqu'au 13 avril Studio-Théâtre tel 01 44 58 98 58

mercredi 5 mars 2014

Médée Poème enragé de Jean-René Lemoine

Avec cette  témérité qui lui a permis il y a  deux ans de jouer seul en scène "Face à la mer" où il racontait une tragédie intime  l'acteur, auteur et metteur en scène Jean-René Lemoine  se glisse dans la peau et les nerfs de Médée. Laquelle bat le rappel de ses souvenirs. Lui revient en mémoire la relation charnelle qu'elle eut avec son jeune frère puis la passion trop enflammée qu'elle éprouva pour Jason avec qui elle fuia sa Colchide natale après avoir  tué et dépècé son frère  afin que, trop abattu, son père ne les  pourchasse pas.
Médée devint l'épouse de Jason à qui elle donna deux fils. Après quelques sanglantes péripéties la famille trouva refuge à Corinthe. L'atmosphère y était éruptive. Avec des mots d'une d'une crudité toute contemporaine Médée relate la vie sexuelle débridée que Jason poussa Médée à mener. Lorsque après avoir encaissé toutes les humiliations, puis  été mise au rencart, elle apprend que Jason qui l'a répudiée  va épouser la fille de roi Créon âgée quinze ans, elle rumine de se venger. Ce qu'elle fera de la plus démoniaque façon.
Revenue sur les lieux de son enfance, elle accompagne l'agonie de son père. qui n'a pas un regard pour elle.  Les fantômes de Jason et de ses enfants surgissent au loin l'invitant peut être à les rejoindre.
Ce qu'on est vraiment, on ne le découvre qu'au moment de n'être plus. Les dernières paroles de Médée sont de la barbare qui exprime son inadéquation profonde au monde qui l'entoure et a décidé de retrouver sa peau foncée, de ne plus cacher ses scarifications, de ne plus se maquiller à la grecque... Le texte d'une richesse de palettes stupéfiante est celle d'un écrivain accompli
Ajoutons que le spectacle est bercé par la musique et les sons conçus par Romain Kronenberg et que le costume dont le haut est féminin le bas masculin que porte Jean-René Lemoine est né de l'imagination de Bouchra Jarrar. Une telle associations de talents  donne un spectacle dont on sort envoûté.

Jusqu'au 23 mars MC93 Bobigny tel O1 41 60 72 72 

mercredi 26 février 2014

Clôture de l'amour de Pascal Rambert

Voilà trois ans que Stan annonce à Audrey qu'il la quitte. Puis que celle-ci lui rétorque sans mâcher ses mots.
"Clôture de l'amour", spectacle écrit par  Pascal Rambert,  qui mélange avec panache des mots de tous les jours  à des anglicismes utilisés par les ados et à des citations savantes, est depuis trois ans fréquemment remonté. Avec le même succès.
Après avoir rappelé à Audrey combien sa poitrine, ses attaches,  son cerveau l'avaient émerveillés, Stan, enivré par son propre et plantureux monologue  en arrive à dire que l'amour est une secte dont il sort. On sait combien est grande la virtuosité de Stanislas Nordey quand il est, comme ici, porté par un texte puissant. Mais c'est lorsqu'il fait sentir qu'il ne croit qu'à moitié à ses diatribes qu'il  nous fait chavirer.
Face à lui la tête de plus en plus basse, Audrey semble anéantie. Puis s'empare de la parole. Et accule son ex dans les cordes. Les attaques dont elle a été la cible libèrent des paroles longtemps enfouies. C'est lui qui, à présent, s'effondre. On n'imagine pas en découvrant  sur un plateau la silhouette aigüe d'Audrey Bonnet qu'elle peut n'être que feu et flammes. Il ne fait pas de doutes qu'elle compte parmi les plus grandes de sa génération.
On ne s'étonnera pas d'apprendre que ce spectacle reste dans les mémoires de ceux qui l'ont découvert sur d'autres scènes comme un pincement au coeur.

Jusqu'au 2 mars Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

vendredi 14 février 2014

Femme non - rééducable de Stefano Massini

Il fut un temps où les pièces qui combattaient l'injustice et les dérives des hommes de pouvoir  avaient la cote. L'inhumanité des temps semble avoir découragés les écrivains que la politique paraissait brûler vif. Mais pas Stefano Massini, dramaturge italien de 35 ans dont on découvrit il y a peu "Chapitres de la chute", triptyque sur les Lehman Brothers dont Arnaud Meunier lui commanda l'écriture et qu'il mit en scène. Il s'est cette fois emparé de la première pièce de cet auteur, laquelle a pour personnage central la journaliste russe Anna Politkovskaïa.Ses articles rendaient compte de manière factuelle de la mise au pas par les forces armées russes des populations tchétchènes. Ses articles qui décrivaient des soldats - souvent anciens détenus de droit commun - capables de tout, surtout du pire, ne plurent évidement pas en haut lieu.

Son observation clinique de cette abjecte réalité la poussa aussi à décrire les comportement de violents  groupuscules  locaux rassemblés dans des quartiers  en ruine de Grozny. Et la représentation de rappeler des événements tels que la prise d'otage d'enfants à Beslan ou celle des centaines de spectateurs dans un théâtre moscovite, que l'on semble avoir été conditionné à oublier.

Comme l'écriture de Massini, la mise en scène est sans ornements. Mais le musicien  Régis Huby  crée un environnement sonore envoûtant. Anna Alvaro, dont on connait les ressources, jamais ne force la note. Mais le moindre de ses gestes noue les tripes.

Un moment de théâtre qui, formons en l'espoir, permettra à quelques fabricants de désastres de ne pas échapper au tribunal de l'Histoire.

 Théâtre de l'Atelier 01 46 06 49 24

jeudi 13 février 2014

Des fleurs pour Algernon d'après l'oeuvre de Daniel Keyes Adaptation Gérald Sibleyras

L'intelligence de Charlie Gordon est si bancale qu'il en est réduit pour gagner quelques sous à nettoyer des chiottes. Il suit néanmoins des cours de lecture et d'écriture à l'université où il s'est épris  de son professeur , Miss Kinian.
Ayant constaté qu'une intervention chirurgicale avait eu des effets bénéfiques  sur le comportement d' une souris de laboratoire dénommée Algernon, deux hommes de science persuadent Charlie de se soumettre lui aussi à une opération du cerveau qui devrait lui permettre de tripler ses facultés mentales. Le résultat dépasse les prévisions les plus optimistes. Devenu un toxico du savoir, Charlie en arrive non seulement à discuter de leurs théories avec les deux savants, à apprendre de nombreuses langues étrangères  mais aussi à composer une oeuvre musicale. Il tient par ailleurs un journal intime dans lequel il tente de démêler les noeuds qui avaient rendus sa pensée si chétive. Le seul hic mais d'importance est que ses anciens copains l'ont rejeté et qu'il se sent incapable de sceller des  amitiés nouvelles. En revanche, Miss Kinian, à qui il croyait être indifférent, se révèle sensible à sa personne.

Lorsque la souris Algernon commence a manifester des signes de dégénérescence et finit par mourir, Charlie comprend que son esprit va lui-aussi  rétrograder. Il tente de reprendre les travaux des scientifiques pour voir s'ils ont commis quelque erreur. Mais  les ténèbres ne vont pas tarder à le réenvelopper. Ses copains d'antan à nouveau l'entourent et le protègent. Son seul soucis à présent est de couvrir de fleurs la tombe d'Algernon, la souris blanche. 

On sort évidement de la représentation le coeur sur le carreau. Mais aussi avec le sentiment de bonheur que procure l'interprétation d'un acteur aussi rare que Gregory Gadebois. Dirigé avec délicatesse par Anne Kessler, avec laquelle il fut membre de la troupe de la Comédie française, il a su faire du récit de science -fiction écrit par Daniel Keyes un spectacle qui touche au plus profond.

Hébertot tel 01 43 87 23 23

jeudi 6 février 2014

Mademoiselle Else d'Arthur Schnitzler

Pas une année sans que la troupe née en Belgique tg STAN ne vienne faire un tour - souvent avec plusieurs spectacles - au Théâtre de la Bastille. Les comédiens réussissent habituellement  la gageure de faire rire avec des textes qui n'ont à priori rien de désopilant. Ce qui n'est pas le cas avec Mademoiselle Else, une nouvelle de l'écrivain viennois Arthur Schnitzler (1862 -1931) fréquemment adaptée au théâtre.

Alors qu'elle est l'invitée d'une parente dans un lieu de villégiature, Else, une jeune fille issue d'une bourgeoisie prétendument aisée reçoit une lettre de sa mère la priant de se montrer sous son jour le plus charmant avec un ami de la famille excessivement fortuné et à peine plus âgé qu'elle d'une trentaine d'années. C'est que le père d'Else est menacé de prison pour dettes et qu'une aide financière le sortirait sans peine d'affaires.

Ses babillages internes aident l'adolescente à maîtriser ses émois. Ses tractations avec l'ami de la famille sont d'une exquise hypocrisie. Else arrive à merveille à masquer son dégoût. En peu de temps elle a appris que l'humanité (ou du moins les gens de son milieu) ne gagne pas à être fréquentée de trop près.
Schnitzler avait la réputation de pousser ses portraits au noir. Ce qu'il réussit ici parfaitement et  lui valu la renommée- surtout après l'écriture de La ronde, son oeuvre la plus célèbre - d'être un écrivain subversif. Freud, qui fut son contemporain, évita de le rencontrer car, disait-il, nous avons une vision  trop semblable du genre humain…

Alma Palacios qui incarne Else a le port d'une danseuse et la fragilité d'une enfant qui doit, jusqu'à ce que les événements la broient, se maintenir à flot. Frank Vercruysen, sans doute l'un des fondateurs de la troupe joue plusieurs rôles y compris celui d'une servante. Comme la majorité des créations du tg STAN, Mademoiselle Else fait de belles audiences. Ce qui est justice. Il ne reste malheureusement que peu de temps à l'affiche mais sera succédé par  Scènes de la vie conjugale d'Ingmar Bergman dont on peut sans craindre s'attendre à ce qu'elles soient d'une force égale.

Jusqu'au 8 février Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14

dimanche 2 février 2014

La pensée de Leonid Andreïev

Un médecin qui a fracassé, sous les yeux de celle qui partageait sa vie,  le crâne de son meilleur ami, un écrivain qu'il jugeait d'un talent plutôt mince,  passe en jugement. Refusant l'appui d'un avocat il s'adresse directement aux experts en charge de son dossier. Il ne cache pas qu'il n'était pas insensible au charme de la femme de celui  qu'il a assassiné. Mais il est bientôt clair que ce n'est pas la jalousie qui lui a fait commettre l'irréparable.Lorsqu'il recompose le passé, sa langue va bon train. Mais ne convainc nullement. Ses pensées souvent s'égaillent. Apparemment le  remord jamais ne lui taraude la conscience.

Plus l'homme tente de maîtriser ses arguments plus il apparaît qu'il est la proie de forces souterraines. Ses propos  apparaissent de plus en plus fréquemment comme des flambées délirantes. Peut-être l'horreur des faits entrave-t-elle sa pensée. Il semble aussi qu'il s'essaie par moments   à élucider les raisons qui le poussèrent à se livrer à de  telles extrèmités . Il devient de la sorte à la fois bourreau et victime de son geste.
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Leonid Andréiev (1871-1919) fut chroniqueur judiciaire; Il est plus que vraisemblable qu'il écrivit ce texte en se penchant sur un cas qui lui a été soumis.

L'interprétation d'Olivier Werner qui a conçu le spectacle et traduit la nouvelle du russe  est, on ne mâchera pas ses mots, plus que parfaite. L'espace dans lequel il se meut est signé Jan Crouzet. Qui est, lui aussi, un artiste aux ressources rares.

Jusqu'au 15 février TGP Théâtre Gérard Philipe de Saint- Denis tel 01 48 13 70 00


jeudi 30 janvier 2014

Un ennemi du peuple de Henrik Ibsen

Ibsen a tout au long de son oeuvre pris parti pour les individus qui ne se conforment pas à la norme. Le personnage central est ici Thomas Stockman, médecin d'un établissement de cure thermale d'une petite ville de Norvège. Il découvre que les eaux administrées aux curistes sont polluées et vont avoir sur leur santé des effets désastreux. Il propose aussitôt à ceux qui exercent un mandat public et au premier chef à son frère, qui se trouve à la direction du lieu incriminé des travaux d'assainissement. Mais si les bains ferment ceux qui y travaillent n'auront plus d'emploi. La station est également une source de gain pour le reste de la population locale. Esprit intransigeant, déterminé à ne pas distordre la réalité comme le conseille  son frère et autres briscards de la politique, Stockman reste sur ses positions.

Il ne va tarder à devenir l'ennemi à combattre et sera même la cible d'agressions. Bien que lâché par ceux dont il croyait pouvoir guigner de l'aide, cet homme inapte à toute forme de bassesses ne cède pas. C'est ici que  Thomas Ostermeier, metteur en scène allemand d'une puissance indéniable, se montre un adepte convaincu de Bertold Brecht. Il fait intervenir les spectateurs qui soit prennent fait et cause pour celui qui se refuse à faire des compromis soit abondent dans le même sens que ses adversaires. On assiste là à des discussions qui en disent long sur le monde d'aujourd'hui.

Le public  est de bout en bout tenu en alerte.  D'autant que le spectacle démarre en fanfare avec les interprêtes qui chantant des airs de rock donnent le sentiment que les lendemain ne sont pas prêts de déchanter....

Jusqu'au 2 février Théâtre de la Ville tel O1 42 74 22 77

mardi 28 janvier 2014

Les aveugles de Maurice Maetelinck

Avec Daniel Jeanneteau, scénographe d'un talent sidérant tenté depuis quelques années par la mise  en scène, le théâtre sort de ses limites. Les spectateurs débouchent dans un lieu envahi par le brouillard et se perdent dans un dédale de chaises. Ils ne tardent pas à se rendre compte qu'ils se trouvent  parmi un groupe d'aveugles partis en balade avec un vieux curé qui semble s'être volatilisé. Ces promeneurs n'en mènent pas large. Ces non voyants (pour employer une formule aujourd'hui ridiculement en vogue) qui tentent sans succès de retrouver  le chemin de leur foyer,  font-ils autre chose que de chercher leur salut? Grand investigateur de l'invisible, Maeterlinck a écrit avec Les aveugles une fable sur  les humains perdus dans le cosmos. Et donc à jamais inapaisés.

Si l'on admire l'agencement du spectacle, force nous est aussi de remarquer que la distribution est quelque peu claudiquante. Elle est composée de quatre acteurs professionnels et de huit comédiens amateurs . Si Jean -Louis Couloch (qui a collaboré à la mise en oeuvre)  se montre, comme  il le fit notamment dans les créations du Radeau de François Tanguy et dans le film de  Pascale Ferran, Lady Chaterley, foudroyant d'inquiétante douceur et si Benoît Résillot apparaît d'une éblouissante  précision on ne peut pas dire que les autres interprètes semblent avoir, comme eux, la révélation du gouffre.

Il n'en reste pas moins que Daniel Jeanneteau ouvre une voie  qui rappelle avec autant de conviction que Claude Régy, avec lequel il a des années durant collaboré, que nous ne sommes guère que des funambules en équilibre précaire sur leur fil.

Jusqu'au 3 février Studio- Théâtre de Vitry tel 01 46 81 75 50
DU 8 au 16 février CentQuatre Paris tel 01 53 35 50 00
Les 14 et 15 mars La Scéne Watteau Nogent-sur -Marne tel 01 48 72 94 94
Les 11 et 12 avril Théâtre Jean- Vilar de Vitry -sur-Seine tel 01 55 5310 60

dimanche 26 janvier 2014

La mort d'un commis voyageur d'Arthur Miller

Arthur Miller (1915-2005) écrivit cette oeuvre d'inspiration à l'évidence autobiographique à une époque (1949) où le mythe d'une Amérique où chacun pouvait s'en sortir  était mis à mal. Le voyageur de commerce, Willy Lohman qui , la silhouette en déroute, rentre dans son foyer new-yorkais après avoir sillonné, sans grand résultats, l'Est du pays n'est pas franchement un exemple de réussite. Les conseils patients de Linda, sa femme, ne l'apaisent pas le moins du monde. Et l'annonce du  retour inopiné de son fils, Biff, pour lequel il fomentait des projets chimériques accentue son malaise. Il ne peut s'empêcher, dès l'instant où il réapparaît de lui adresser des reproches. Ce qu'il ne fait pas avec Happy, son second fils, sur lequel il ne fondait aucun espoir.

On apprend petit à petit que le passé est demeuré pour le père et son aîné un plaie ouverte. A maintes reprises l'auteur met le cap sur les années de jeunesse des fils. Lesquels vivaient dans une bulle protectrice dont les entouraient leur paternel. Dont à présent ils n'arrivent, pas plus que leur mère, à enrayer la chute . On pourrait même dire qu'inconsciemment ils la précipitent. Willy Lohman n'habite plus le présent. Il n' a de cesse de remâcher ses rêves d'autrefois et refuse d'entendre qu'ils sont sans lien avec la réalité présente.

Claudia Stavisky, dont la mise en scène démontre que cette pièce qu'on aurait pu croire datée alors qu'elle cristallise avec brio les angoisses de son temps (et faut-il l'ajouter du nôtre?), s'est entourée de comédiens - François Marthouret, Hélène Alexandridis, Alexandre Zambeaux et  Jules Sagot - qui injectent à la représentation une violente émotion et donnent l'illusion d'être mus par une étrange empathie avec leurs personnages
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Du 27 au 29 janvier Theâtre du Vellein Villefontaine
Du 5 au 8 février Théâtre des Treize vents  Montpellier
Du Du 12 au 14 février Nouveau Théâtre d'Angers
Du 19 au 21 février  La Coursive La Rochelle
Du 12 au 15 mars Théâtre National de Nice
Les 20 et 21 mars L'Espace des Arts Chalon -sur- Saône
Les 27 et 28 mars Théâtre André Malraux  Rueil Malmaison
Les 17 et 18 mai Grand Théâtre d'Albi

mercredi 15 janvier 2014

Henry VI de William Shakespeare

Le premier épisode de cette oeuvre du productif Shakespeare aurait été écrite à plusieurs mains. Dans la mise en scène du jeune et surdoué Thomas Jolly la farce constamment tutoie l'épique. La fougue sanglante de l'âge élisabéthain  est bien présente mais allégée par une foule de  gags. Ainsi Jeanne la pucelle a t-elle le crâne surmonté  d'une perruque bleue. Lorsqu'elle tombe aux mains des anglais, elle prétend  être enceinte et  désigne successivement pour père du fruit de ses incartades des personnages illustres....
Le spectacle démarre avec l'enterrement d'Henri V alors que son fils n'est âgé que de quelques mois. Les pairs du royaume mettent cette situation à profit pour tenter de s'emparer du pouvoir. Les voir s'empailler est pur plaisir. Quelques années plus tard le souverain s'efforcera de calmer le jeu. Il a, il est vrai, d'autres chats à fouetter puisque débute et la guerre de cent ans et celle des deux roses.
La servilité à l'égard des maîtres du jour est de mise depuis la nuit des temps. On ne s'étonnera donc pas de voir   ces messieurs macérer dans leur haine, changer de camps,  trahir celui qu'on suppose le plus vulnérable. On retrouve là la connaissance des arcanes du pouvoir dont  Shakespeare est le maître absolu.
Les lumières signées Thomas Jolly et Léry Chedemal  ajoutent  au plaisir que l'on prend à la vue de cette fresque foisonnante qui, c'est certain, fera date. Ses deux premières parties tournent depuis deux ans, avec un succès jamais démenti, dans diverses régions du pays. L'intégrale de la pièce pourra être découverte au festival d'Avignon.
Jusqu'au mercredi 22 janvier Les deux épisodes peuvent être vus en alternance. Intégrale dimanche 15h Les Gémeaux 92330 Sceaux. Tel 01 46 61 36 67

dimanche 12 janvier 2014

Platonov d'Anton Tchekhov

Le monologue éperdu de Platonov par lequel débute le spectacle en dit long sur cet homme de moins de 30 ans qui ne pouvait souffrir son père "une canaille finie" et aura toujours le sentiment d'être fait de la même pâte. Les hommes de la pièce ont d'ailleurs en partage d'avoir un père qu'ouvertement ils méprisent. Lorsque Claire Lasnes mis, il y a quelques années, en scène cette pièce écrite à 2O ans par Tchkhov, elle lui donna pour titre "Etre sans père", entendez  sans repère.

Dès qu'il surgit avec sa jeune et sage épouse dans le jardin d'une famille amie, Platonov fait montre de son art d'envenimer les situations. Ce qui n'empêche les femmes présentes de se sentir irrésistiblement attirées par lui, autant par son visible mal être que par sa féroce clairvoyance. Et Platonov de se retrouver au centre d'invraisemblables imbroglios. Ce qui séduit dans la première partie de la représentation et qui explique sans doute pourquoi le spectacle rencontra à sa création,  la saison dernière  à Vanves,  un si vif succès est que Benjamin Porée, le maître d'oeuvre, a su restitué un climat  de décomposition qui a, avec celui que nous subissons aujourd'hui, d'évidentes résonances. Quelle merveille que la fête funèbre  qui apparaît comme un moment où les passions et les conflits s'apaisent. Mais il apparaît bien vite que - comme dans tous les écrits de cet auteur - personne n'échappe aux impasses de la nostalgie. Bien que les comédiens aient, cette fois, ce qui n'est pas coutume, l'âge des personnages qu'ils incarnent ils ont déjà le sentiment de mener une vie rétrécie.

Le deuxième partie est clairement moins réussie. Les coups de théâtre mélodramatiques y abondent. Le metteur en scène a tenu a monter la pièce dans son intégralité. Ce qui était visiblement une erreur. Si certaines scénes étaient, du moins dans les versions françaises, jamais jouées c'est qu'elles alourdissent le propos. Et l'exécution de ce fait patine. Ce qui est d'autant plus navrant que les lumières de Marie - Christine Soma sont d'une authentique artiste et que les phrases vives et claires de l'adaptation réalisée par Françoise Morvan et André Markowicz nous resteront longtemps en mémoire. (éditions Les Solitaires Intempestifs)

Jusqu'au 1er février Odéon - Ateliers Berthier tel 01 44 85 40 40

samedi 4 janvier 2014

Une vie de rêves Concert Théâtral

Ce spectacle imaginé et mis en scène par Bruno Boulzaguet et Jean-Christophe Felhandler s'inspire avec une réjouissante liberté de pensée de l'autobiographie de Carl Gustav Jung : "Ma vie". Explorateur  infatigable des couches de son être, il a recueilli tout au long de ses quatre-vingt trois ans des bribes de rêves. Lesquels  le mènent parfois  au milieu d'une forêt où il découvre un étang  au milieu duquel croupit un animal tentaculaire. D'autre  fois le rêveur se trouve dans une maison inconnue dont il n' a jamais visité le rez de chaussée. Il y découvre des vestiges de civilisations préhistoriques. Ses songes, semblent, comme on le voit, tous, surgis d'une glaise ancestrale.

Si les écrits de Jung ne sont pas dénués d'un copieux symbolisme, la représentation apparaît, elle on ne peut plus facétieuse. Les deux comédiens, le truculent John Arnold et Bruno Boulzaguet  sont tout du long accompagnés par la contrebassiste Anne Gourand (dont la voix est un enchantement) et le percussionniste Jean-Christophe  Feldhandler. L'équilibre entre les paroles et l'écriture musicale est si parfait et inattendu qu'on sort de la représentation les yeux écarquillés.Avec le sentiment, que n'aurait pas désapprouvé Jung, d'avoir accompli un voyage interstellaire.

Jusqu'au 13 janvier Théâtre de l'Atalante tel 01 46 06 11 90