vendredi 30 novembre 2018

Mémoire de fille d'Annie Ernaux. Mise en scène Cécile Backès

En 1958 alors qu'elle avait 18 ans Annie Ernaux trouva un job de monitrice dans une colonie de vacances. Elle garde de ce séjour un souvenir si cuisant qu'elle a attendu pour s'en délivrer d'être gagnée par l'âge et devenue une femme écrivain renommée. Quand elle rejoint les jeunes gens qui vont devenir ses collègues, elle se décrit comme une oie blanche. Elle tombe dans les bras d'un garçon qui s'en vante auprès des autres moniteurs. Il n'en faut pas plus pour que la jeune Annie subisse, des filles comme des garçons des paroles rapetissantes.Et de se trouver traitée de "putain sur les bords". LE récit des humiliations de cette jeune fille issue d'un milieu de condition sociale modestes, elle le fait dans Mémoires de filles qu'a ingénieusement adapté pour la scène Cécile Backès. Une des forces du spectacle réside dans le fait que la quasi encore adolescente est interprétée par Pauline Belle alors que Judith Henry se fait la narratrice de ces événements traumatisants. Jules Churin, Simon Pineau et Adeline Vesse retrouvent , quant à eux, l l'esprit étriqué et les comportements triomphalement vachards des jeunes gens des années cinquante. La metteuse en scène qui a l'art de bien s'entourer a trouvé dans le scénographe Raymond Sarti et le compositeur Joachim Latarjet des complices de qualité. Depuis quelques années et de plus en plus fréquemment les romans et récits écrits sans fioritures d'Annie Ernaux sont mis en scène au théâtre pour lequel elle n'a jamais écrit. Ce qui s'explique par sa faculté à descendre dans les grands fonds des femmes auxquelles elle s'attache. Ce qui est pour des comédiennes exigeantes chose rarissime. Les 4 et 5 décembre Théâtre de Sartrouville et des Yvelines. Tél 0130867779

mercredi 28 novembre 2018

Festval TNB Théâtre National de Bretagne

Directeur général du TNB, Arthur Nauziciel a brillamment pris la relève de François Le Pilouer qui fut longtemps aux commandes du lieu et initia un festival qu'il rendit prestigieux. Nous n'avons pu assister qu'au dernier et plus que convaincant week-end de la manifestation. Elle s'ouvrit avec "Les idoles" où les fantômes chers à Christophe Honoré viennent à notre rencontre. L'écrivain-cinéaste- metteur en scène de théâtre est trop jeune pour avoir connu Jacques Demy, Serge Daney, Jean-Luc Lagarce, Bernard-Marie Koltès et Cyrille Collard; tous emportés par le sida dans les années 80. Mais il a pour eux une si fervente admiration qu'il réussit le prodige de leur redonner vie. Ces artistes si tôt soustrait de la communauté des vivants occupent le plateau et balancent des mots qu'ils auraient pu dire et que parfois ils ont écrits. Christophe Honoré a d'ailleurs magistralement intégré à des phrases qu'il a le sentiment qu'ils auraient pu prononcer à celles nées de leur plumes. Si l'influence de Demy sur ses films est nette, on ne saurait dire pareil pour les oeuvres des autres créateurs qu'il a convoqué.L'univers de Cyrille Collard, dont le film, les Nuits fauves tiré du livre qu'il écrivit peu avant, est celui d'un être tendre emporté par le goût de l'aventure apparaît bien éloigné du sien. Comme l'est celui de Jean-Luc Lagarce qui s'était notamment fait, et avec quel talent!, le chroniqueur de son quotidien. Si Bernard-Marie Koltès savait par le truchement de son écriture d'une puissance foudroyante nous entraîner au coeur des ténèbres, c'est qu'il était attiré par les enclaves de nuit et peut être les situations périlleuses dans lesquelles cet homme au physique dévastateur s'exposait. Peut-être- et c'est là la seule réserve que peut susciter le spectacle- Serge Daney dont l'intelligence lumineuse et la plume affutée faisait le bonheur de ses lecteurs est le moins bien loti. La raison pourrait en être que Christophe Honoré ne partage que peu son goût pour la spéculation intellectuelle. Il est frappant que cet auteur n'est jamais autant à son affaire que quand il cède à la nostalgie d'une époque dont il n'a pas connu la grandeur et les trépidations. Ceux qui ont vu le spectacle "Nouveau roman", où il évoque les auteurs publiés autrefois aux Editions de minuit en gardent un souvenir enthousiaste. Un mot enfin pour les comédiens qui de Marlène Saldana(Demy) à Youssouf Abi Ayad (Koltès), Julien Honoré (Lagarce),Marina Foïs (Guibert) et Harrisson Arévalo (Collard) sont tous d'une présence sidérants. Autre (re)découverte celle du metteur en scène iranien Amir Reza Koohestani qui dans Summerland nous introduit dans la cour d'une école de village où un peintre, une surveillante avec laquelle il a vécu et la mère d'une élève s'attardent chaque jour une heure avant la sortie des cours. La petite fille s'est amourachée de l'homme ce qui provoque une situation intenable. On pense évidement aux films d'Abbas Kiarostami. Mais la difficulté des rapports hommes-femmes est ici davantage dévoilée. La journée s'est achevée en beauté. Le chorégraphe Boris Charmatz et l'historien Patrick Boucheron se sont concertés pour relater à travers des performances de comédiens et de danseurs une histoire de France qui mène de la grotte Chauvet aux événements de 2015. Le spectateur chaloupe, passionné, entre les époques en passant d'un coin du théâtre à l'autre. Né de l'ouvrage collectif "Histoire mondiale de la France" cette randonnée est le clou et le point final d'un festival qui aurait pu s'intituler celui du gai savoir.

mercredi 21 novembre 2018

La réunification des deux Corées. Mise en scène Jacques Vincey

Comme me le faisait remarquer une amie à la sortie du spectacle : quel Challenge!Jacques Vincey a, en effet, repris les mots et les situations de la pièce de Joël Pommerat qu'il fait jouer par des comédiens de Singapour. Une femme s'avance sur la scène et dit haut et fort qu'à présent que ses enfants sont adultes elle quitte son mari, un homme estimable pour qui elle n'éprouva jamais plus d'amour qu'il n'en ressentait pour elle. Chacun de ceux qui défilent sont loin d'être en mal d'amour. Une jeune femme annonce à celui qui partage sa vie qu'elle se sépare de lui car l'amour excepté rien ne les lie. D'autres épisodes sont plus troublants encore tel celui où des parents de retour chez eux demandent comment se portent leurs enfants à la baby sitter. Celle-ci, embarrassée, leur répond qu'elle n'a vue aucun enfant. On ne saura pas si les petits sont nés au plus épais de l'imagination du couple ou si celle qui en avait la charge ment. Encore que sachant combien la réalité est insensible au désir l'on n'a quelques idées sur la question. Il est plus difficile de se faire une opinion sur le conflit qui naît et gonfle entre de jeunes parents et un professeur qui aurait eu avec leur fils des relations trop étroites. Un des moments le plus poignant de cette série de conjonctures perturbantes est celle où un homme rend visite a une femme dont la mémoire s'est désagrégée. Jour après jour se répètent les mêmes questions et gestes. La manière dont les nombreux personnages se trouvent face à des difficultés peu courantes et dont ils tentent de s'en sortir pourraient faire croire que leur habitudes d'esprit sont éloignées des nôtres. Ce qui n'est évidement pas le cas puisque la pièce et ses innombrables épisodes dont la fin restent pour la plupart irrésolus sont nés de l'imagination de Joël Pommerat. Lequel ne manque pas d'un humour distancié qui, à en croire les acteurs de Singapour plus accoutumés à un jeu naturaliste, ne leur est pas familier. Epaulé par cette magicienne de la lumière qu'est Marie-Christine Soma ainsi que par la musique et les sont créés par Bani Hayka, Jacques Vincey a réalisé une mise en scène qui suscite l'emballement. Qu'on ait vu ou pas La réunification des deux Corées à sa création par Joêl Pommerat, on serait bien avisé d'aller découvrir celle-ci. Elle ne reste malheureusement que peu de temps dans nos parages Du 28 novembre au 1er décembre MC93 Maison de la Culture Bobigny. tél OI 41 60 72 72 et jusqu'au 24 novembre Théâtre Olympia Tours tél 02 47 64 50 50

vendredi 16 novembre 2018

Sopro de Tiago Rodrigues

Depuis trois ans à la tête du Theatro Nacional D.Maria à Lisbonne. Tiago Rodrigues a su tirer un parti prodigieux des moyens précaires dont il dispose et s'est, ce faisant, forgé une identité originale. Cristina, une femme aux portes du grand âge qui depuis des décennies occupe la fonction de souffleuse dans ce théâtre occupe au départ seule le plateau. Cinq comédiens peu à peu la rejoignent à qui elle souffle les textes qu'ils ont à interprèter. Après avoir jouer le jeu de la maladresse voire de l'amateurisme les interprètes s'emparent des extraits de quelques pièces fondatrices. S'emboitent des moments décisifs des Trois soeurs, d'Antigone, de Bérénice... A d'autres moments ils font leurs des souvenirs de Cristina. Celle-ci leur a confié comment à l'âge de cinq ans elle assista, car la directrice du lieu l'a eu d'emblée à la bonne, à son premier spectacle cachée dans le trou du souffleur. Elle devint proche de cette femme qui choisit, plutôt que de repousser une première où elle tenait le rôle principal, de remettre aux calendes grecques une délicate intervention chirurgicale. Les innombrables récits que la souffleuse a livrer aux acteurs ponctuent la représentation.Tiago Rodrigues n'est pas pour autant attaché à une époque révolue. Grand réformateur du théâtre, il résiste aux avanies de l'époque en mettant en scène des spectacles qui assène la preuve qu'en inventant des formes innovantes le théâtre restera en vie. Il en apporte la preuve à chacune de ses créations. Jusqu'au 8 décembre Théâtre de la Bastille tél 01 43 57 42 14

dimanche 11 novembre 2018

Perdu connaissance Création collective sous l'oeil d'Adrien Béal

Il s'en passe de drôles dans le logement de la gardienne d'une école primaire. Alors qu'elle faisait des emplettes dans une grande surface, elle est tombée inanimée. Tandis qu'elle tente de trouver les papiers de celle qui a perdu connaissance et est à présent hospitalisée, sa soeur est surprise par la directrice de l'école à l'esprit apparemment tatillon. D'autres hommes et femmes apparaîtront dont le mari de la directrice, le père d'un enfant à qui une institutrice a confisqué un couteau, une deuxième soeur de la gardienne qui, elle, sort de prison. Chacun tient des propos ou a des comportements qui paraissent discordants. La première soeur veut que son mari s'occupe dorénavant seul de leur fils, la seconde raconte la passion qui l'a liée à une autre détenue retournée depuis au Mexique, son pays. Ne sachant où trouver un toit, elle se cabre lorsqu'il lui est conseillé de quitter le logement qu'occupait la malade. On apprend entre autre étrangetés que la directrice et son mari n'échangent jamais un mot et que l'enfant du couple qui se défait ne supporte pas qu'on lui dise qu'on l'aime... On l'avait noté avec Le pas de Bême et Les batteurs, ses précédentes créations, Adrien Béal se démarque radicalement des productions actuelles. Non seulement car l'écriture du spectacle est collective et que chacun des six interprètes y met, de ce fait, une touche personnelle mais surtout parce que le lieu où se déroule la pièce tient à la fois de l'école, de l'hôpital et de la prison, trois lieux d'enfermement dont il est constamment question et sur le fonctionnement desquels Michel Foucault s'interrogea avec l'acuité qui était sienne. La représentation manque encore un peu de vivacité. Elle n'en est est pas moins l'une des plus délicatement saugrenue vue depuis longtemps. Jusqu'au 19 novembre T2G Théâtre de Genevilliers Tél 01 41 32 24 26