samedi 29 février 2020
Les derniers jours Texte et mise en scène Jean-Michel Rabeux
La maladie sans issue flétrit la corps et embrume l'esprit. Jean-Michel Rabeux a la rare capacité d'émailler les situations les plus désolantes de dérapages burlesques. Ce qu'il fait ici avec d'autant plus de brio que Lear, le mourant dont il reconstitue les jours ultimes, était son ami. Pour juguler l'angoisse Pénélope, la compagne et Pylade le complice de toujours le rudoient,ont lorsque la maladie dégénérative devient trop lourde à supporter, des mots furibards et le menacent même, du moins sa partenaire, de le zigouiller. C'est lorsqu'il est entraîné à la dérive que Lear, qui fut comédien, se souvient ou invente des pics de gloire. Il est des moments où ses proches incapables de ne vivre que dans l'affliction se mettent à danser et qu'une chanteuse entonne de superbes couplets. La cérémonie funèbre devient alors comme dans les dernières pièces de Copi quasi aussi attrayante qu'une comédie musicale. Le metteur en scène na jamais craint la malséance. Elle est ici une bouée de sauvetage. Ce dont les proches ont un pressant besoin. Lear, dont le discernement est toujours davantage altéré, a en effet à l'égard de Pénélope des phrases d'une crudité assassine. Si l'auteur arrive à mette de si loufoque façon à nu des situations éprouvantes, c'est qu'il est épaulé par Claude Degliame, sa comédienne fétiche, qui, comme à son habitude joue avec éclat une partie on ne peut plus ardue. Ses partenaires Olav Benestvvedt (Lear) et Yann Métivier (un Pylade qui déborde de vie) sont au diapason. L'idée de ne pas s'encombrer d'un décor et d'accessoire autres que de plumes qui s'accrochent aux cintres et s'éparpillent sous les pas des comédiens rappellent, quant à eux, que la mort si elle ne peut que triompher ne nous empêche pas de savourer l'instant. Jusqu'au 22 mars Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21
jeudi 20 février 2020
Correspondance avec La Mouette d'après Anton Tchkhov et Lika Mizinova
C'est avec plaisir que je vous ébouillanterais, le sous-titre du spectacle en dit long sur la correspondance mutine qu'ont échangé durant dix ans l'écrivain réputé Tchekhov et celle qu'il appelle Lika, une jeune femme dont la fraîcheur désarmante et la beauté l'avaient charmés. Nicolas Struve a eu l'heureuse idée de traduire cet échange de lettres et d'en mettre des extraits en scène. Ce qui est d'autant plus passionnant que les écrits de Lika Mizinova, qui inspira a l'auteur le personnage de Nina, la malheureuse héroïne de La Mouette, n'ont jamais été publiées en français. Leurs relations furent tantôt exaltantes, tantôt teintées de mélancolie. La jeune femme eût quelques amours, vécut à Paris, donna naissance à une petite fille qui mourut en bas âge. Les lettres qu'elle envoya à celui qui fut sans doute l'être qui compta le plus pour elle en disent long sur sa vitalité torturée. Les humeurs de Tchekhov varient elles aussi. Il lui arrive même d'être gagné par l'insouciance. C'est un véritable délice que d'entendre ces deux personnes que la vie séparera jongler avec les mots.Lorsqu'elle s'enflamme Lika écrit sur les murs avec de la peinture à l'eau des mots qui n'y restent qu'un bref moment. Si la représentation est d'une si admirable facture c'est que Stéphanie Schwartzbrod et David Gouhier ont plus que du savoir-faire, ils sont tous deux étrangers à tout jeu conventionnel. Le spectacle s'ouvre et se referme sur une rapide scène de La Mouette. David Struve rend avec ce spectacle un gracieux coup de châpeau à un auteur dramatique que nous sommes nombreux à vénérer. Jusqu'au 29 février Les Déchargeurs tél 01 42 36 00 50
dimanche 16 février 2020
Massacre de Lluïsa Cunillé
Alors qu'elle est l'auteur de prés d'une cinquantaine de piéces en catalan et en castillan, la dramaturge Lluïsa Cunillé est restée ignorée en France. Négligence réparée par le jeune metteur en scène Tommy Milliot qui monte Massacre après avoir fait connaître les travaux de plusieurs auteurs dramatiques d'origines diverses dont l'écriture sort des sentiers battus. Le cadre dans lequel se déroule ce qui est d'abord un tête à tête est une auberge de montagne où est venue se réfugier, après que son ménage se soit délabré, une femme entre deux âges. Tous les soirs la maîtresse du lieu la rejoint dans le salon où leurs conversations sont d'une telle banalité et si dénuées d'émotions qu'elles frisent l'insolite. L'hôtesse qui a décidé de mettre la clé sous la porte afin de commencer une nouvelle vie conseille à sa cliente de s'installer dans un autre hôtel de la région. Ce que son interlocutrice fermement refuse. Surgit un automobiliste qui prétend avoir écrasé un cerf et veut coûte que coûte l'achever. L'homme qui sort d'un hôpital psychiatrique se met, à la moindre contrariété, à tonner. La maîtresse du lieu perd la maîtrise de la situation. Maîtrise qu'elle retrouvera en utilisant les grands moyens. Si le spectacle de bout en bout captive c'est que Laurent Gallardo, son traducteur, qui a publié un important essai sur le thèâtre catalan, sait que chez cette écrivaine le poids des silences est aussi important que celui des mots. Sylvia Berger, Clothilde de Bayser et Nâzim Boudjenah ont tous trois un jeu si infaillible qu'ils sont longuement ovationné. Jusqu'au 8 mars Comédie - Française Studio tél 01 44 58 15 15
jeudi 13 février 2020
Evguénie Sokolov de Serge Gainsbourg
Pour la première fois les ayant droits de Serge Gainsbourg (dont évidement Charlotte Gainsbourg) autorisent que ce texte aux excès dont raffolait l'artiste soit mis en scène. Il y raconte que dès son plus jeunes âges ses flatulences faisait fuir ses gouvernantes. Grâce )à cette accumulation de gaz qui jamais ne le quitta, il devint un peintre à succès. On sait que Gainsbourg y aspira toute sa vie. Avec la ferveur insolente qu'il met dans tous ses rôles et la direction avisée de Charlotte-Lévy-Markovitch, Jean-Quentin Châtelain, une fois de plus, nous bluffe. Sans aucun support décoratif, il relate, seul en scène, ce destin hors norme au cours duquel il déverse sa bile contre le marché de l'art, n'hésite jamais à évoquer les pets qu'il sème à tous vents et son amour battant pour une jeune sourde muette. Epuisé par lui-même, il songe à en finir. C'est sans compter sur ceux qui ont intérêt à ce qu'il connaisse l'apothéose. On pense souvent à Gogol dont les personnages étaient eux aussi entraînés, à leur corps défendant, dans des situations tragi-burlesques. Un spectacle fait pour ceux que la malséance met en joie.Jusqu'au 22 févier Théâtre de Petit St Martin. tél 01 42 08 00 32
samedi 8 février 2020
Histoire de la violence d'Edouard Louis
Après Retour à Reims dans lequel Didier Eribon fait le récit de ses retrouvailles avec les membres de sa famille perdue de vue depuis des années, Thomas Ostermeyer adapte à nouveau, pour le théâtre à sa façon d'une invention sans égale l'aventure qui a mal tournée que raconte dans Histoire de la violence Edouard Louis.Une nuit de Noël il rencontre dans la rue un garçon à la mine engageante qui répond au nom de Réda.Celui-ci, comme il le dit à Edouard, est d'origine kabyle. Ludique, leur nuit d'amour cesse de l'être au réveil. Alors que Edouard est sous la douche, son amant lui barbote son portable. Lorsqu'il est devenu clair qu'il est introuvable, Reda devient agressif, reproche à son compagnon d'insulter sa mère, l'injurie le menace d'un flingue, le viole. Son humeur est changeante. De brutal, il redevient tendre puis pique une nouvelle colère. Restée seule la victime qui est aussi le narrateur est en proie à un effondrement intérieur. Après être resté longtemps prostré, il se décide de se rendre à la police et à un service médical. Ceux qui le reçoivent ne cachent pas le mépris que leur inspire "les arabes". Il se bute aux mêmes préjugés, mais plus dissimulés, chez sa soeur et son mec auprès desquels il a, comme il le dit, l'erreur d'aller se réfugier. Chez eux il retrouve, comme chez les autres membres de sa famille avec lesquels il a pris ses distances, l'étau de l'homophobie. Il est ainsi question tout du long des préjugés et de la maltraitance dont sont la proie ceux qui par leur appartenance ethnique ou leur préférence sexuelle apparaissent différents du commun des mortels. Les comédiens, à l'exception de celui qui incarne Edouard, changent fréquemment de rôle et d'identité. Tous font des étincelles Ils sont épaulés par un batteur qui ne quitté pas la scène. Si la vidéo qui accompagne la représentation apparaît au départ agaçante elle nous fait au final entrevoir davantage encore le marasme dans lequel la société qui est nôtre nous englue. Une fois encore Thomas Ostermeyer nous convie à découvrir un spectacle qui nous remue au plus profond. Ce qu'il ne fait jamais mieux que quand il dirige, comme ici, des acteurs de langue allemande. Jusqu'au 15 févier Théâtre de la Ville Les abbesses tél 01 42 74 22 71
mercredi 5 février 2020
Nous campons sur les rives de Mathieu Riboulet
Seule une poignée de lecteurs sont familiers de l'oeuvre de Mathieu Riboulet (1960-2018) et savent qu'il était l'un des écrivains décisifs de notre temps. Hubert Colas, qui a conçu la mise en scène et la scénographie, a porté son choix sur deux de ses écrits dans lesquels il apparait aussi éloigné que se peut de toutes idées préconçues.Le premier, qui lui fut sollicité par l'historien Patrick Boucheron à l'occasion du Banquet du livre de Lagrasse, est une méditation sur deux façons d'aller sa vie. L'écrivain se présente comme un homme d'ici et d'ailleurs tandis que son interlocuteur, un voisin, ne quitte pas le sol qui l'a nourri et mène une vie qu'on pourrait qualifier d'ancestrale. Celui qui dit avoir la bougeotte constate que l'homme avec lequel il converse ne s'est pas senti concerné par l'attentat du 11 septembre 2001 mais reste alarmé par la tempête qui a clos le millénaire et vraisemblablement se reproduira. Dans le texte suivant tiré d'un chapitre de son livre "Lisière" et est intitulé "Dimanche à Cologne", il raconte son passage dans un gigantesque sauna pour hommes. La libido s'y donne a coeur joie, les corps y sont ardents. Le narrateur ne retient de ceux avec lesquels il a passé un moment de plaisir que le nom qu'il note avec soin dans un carnet. Un être qui ne se déplace qu'à l'aide d'une canne et est d'une suffocante beauté attire tous les regards. Soudain il se met à la disposition de tous. Ce chapitre, où Mathieu Riboulet, comme à son habitude, ne craint pas de confier de rudes vérités, n'est qu'une des innombrables facettes de son oeuvre. Frédéric Leidgens qui joue la première partie du spectacle et Thierry Raynaud à à qui incombe de nous faire entendre l'allégresse forniquante de la deuxième sont tous deux à leur zénith. La subtilité des éclairages, plus tamisés au début, ajoute au trouble que suscite cette représentation dont le souvenir, pour beaucoup, ne saurait s'estomper. Après avoir été joué du 23 au 26 janvier le spectacle l'est à nouveau du 6 au 9 février Nanterre Amandiers tél 01 46 14 70 00 Du 27 au 29 nov à la Criée à Marseille
dimanche 2 février 2020
L'heure bleue de David Clavel
Le début du spectacle est prometteur. Rendue fébrile par l'arrivée d'un membre de la famille qui a déserté la maison depuis 20 ans, Emmanuelle Devos déverse des mots sans queue ni tête. Avec l'arrivée du fils prodigue, de sa femme et de leur nourrisson la pièce se transforme en une de ces tragédies familiale si fréquentes dans le jeune théâtre français de ces dernières années. L'imbroglio est, on le découvre petit à petit, de taille. Les secrets s'avèrent même carrément putrides.Dans la chambre du haut se meurt le patriarche. Celui-ci est joué par Denis Martin remarquable en malade que les sourires apaisants et les petits soins prodigués par les siens mettent en fureur. Les autres comédiens sont au diapason, en particulier Anne Suarez, qui tient depuis sa jeunesse la maison sur ses épaules et qui, lorsqu'elle apprend ce qui lui a toujours été caché, est prise de boisson et d'une vivifiante colère. Dommage que la pièce croule sous les dialogues pourtant bien tournés. Réduite d'un quart de sa durée, elle nous harponnerait davantage. Jusqu'au 8 février Cent Quatre Paris tél 01 53 35 50 00
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