vendredi 24 mai 2019

Cataract Valey d'après Camp Cataract de Jane Bowles

La metteuse en scène et comédienne Marie Rémond ne cesse de se réinventer. Elle a, cette fois, adapté avec Thomas Quillardet "Camp Cataract" de Jane Bowles, immense écrivaine américaine trop peu connue, dont elle tire un spectacle d'une beauté hallucinatoire. Malade des nerfs, Harriet (rôle que s'est réservée Marie Rémond) s'est, comme chaque année retirée quelques temps dans un camp de vacances situé à proximité d'une chute d'eau. Elle y séjourne dans une austère cabane en bois. Ce qui la change du confort désuet de l'appartement qu'elle partage en ville avec ses deux soeurs et le mari de l'une d'entre elle. Sadie, sa soeur célibataire l'abreuve de lettres dans lesquelles elle la prévient contre les dangers venant de l'extérieur et vante la douceur régnant dans leur foyer. On comprend à travers ces lignes qu'elle ne peut se passer de la présence de sa cadette. Il suffit, à la metteuse en scène de décrire un dîner où se trouvent réunis les membres restants de la famille pour comprendre que Sadie, personne sans âge à l'aspect bonnasse, est considérée non seulement comme la bonne à tout faire mais aussi comme une femme à l'esprit dérangé. N'y tenant plus, alors que le médecin a stipulé qu'Harriet ne doit pendant son séjour au loin ne pas recevoir la visite de ses parentes, Sadie se rend dans son havre de paix. La jeune femme qui savourait sa solitude ne sait comment faire face. Si les deux soeurs semblent exsuder le même mal de vivre, elle sont aussi les portraits inversés l'une de l'autre. Alors qu'Harriet est désordonnée et incapable de prendre une décision, Sadie vit accrochée à ses habitudes. Son intrusion dans la région à la nature bruyante où elle croise un marchand de souvenir indien, dont une main qui n'a pas été maquillée lui fait comprendre qu'il se joue des touristes, la trouble au plus profond. Comme Marie Rémond, Caroline Arrouas impose une présence d'une force peu commune. Difficile de ne pas rester admiratif devant la singularité de trait et d'inspiration de cette peinture d'une humanité mal en point. Jusqu'au 15 juin Odéon Berthier 17e tél 01 44 85 40 40

mercredi 22 mai 2019

Les Serge (Gainsbourg point barre) Adaptation et mise en scène Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux

La troupe du Français compte à présent en sont sein quelques jeunes comédiens qui sont aussi des musiciens de haut niveau. Ce que révèle le spectacle-concert à la gloire (le mot n'est pas trop fort) de Serge Gainsbourg concocté et interprété par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux. Lesquels ont trouvé en Benjamin Lavernhe, Noam Morgenstern, Yoann Gasiorowski et Rebecca Marder des complices rêvés. S'ils nous font réentendre ses chansons dont le charme ne saurait faiblir, ils ont aussi eu à coeur de ranimer ses paroles. Parvenu au faîte de la notoriété, il donna quantité d'entretiens. Si certains d'entre eux sont célèbres parce que parsemés de provocations saignantes,il se montre dans d'autres nettement moins flambard. Il ne cache pas que les gamineries dont il était coutumier l'aidait à endiguer sa mélancolie. Celle à coups sûr (le spectacle n'en fait pas mention) d'un enfant qui porta l'étoile jaune. Par ailleurs il ne cessa, sa carrière durant, d'aiguiser son art. Et l'on prend un plaisir fou à réentendre joué et chanté par les acteurs trentenaires ces pures merveilles que sont Le poinçonneur des Lilas, La javanaise, La noyée et autres compositions marquantes. Pas étonnant que quand il lui arrive de dire qu'il s'est fourvoyé dans la chanson on reste dubitatif... A travers la voix de l'un des acteurs on entend Jane Birkin, longtemps sa compagne, se rappeler combien elle aimait que celui qu'on surnommait l'homme à la tête de chou tant sa gueule était éloignée des canons de la beauté, être seule à voir combien il était séduisant. Ses conquêtes furent en réalité si nombreuses qu'on peut supposer que ses multiples qualités dont celle d'avoir l'esprit irrévérencieux, le goût de la bamboche et de ne pas se prendre au sérieux ont sacrément joué en sa faveur. Lorsque la représentation s'achève les spectateurs n'ont pas l'eau à la bouche (titre de l'un de ses premiers succés) mais le sourire aux lèvres. Jusqu'au 30 juin Studio de la Comédie-Française tél 01 44 58 15 15

dimanche 19 mai 2019

Opening night d'après le scénario de John Cassavetes

Il est aujourd'hui fréquent de porter à la scène des oeuvres cinématographiques majeures. Le résultat est rarement au niveau du film. Il en va autrement ici. Le metteur en scène Cyril Teste ne s'est attaché qu'à quelques scènes cruciales. On n'assiste pas à celle en extérieur où une une jeune fan s'adresse avec une enthousiasme excessif à Myrtle Gordon, l'actrice de théâtre qu'elle révère. Peu après l'adolescente est fauchée par une voiture. Si à cette nouvelle la comédienne est plongée dans une mélancolie ravageuse c'est qu'elle a le sentiment que c'est sa propre jeunesse qui a été fracassée. Ce que fait superbement ressentir Isabelle Adjani, actrice qui sait mieux que personne jouer la vulnérabilité. Comme elle saura tout au long du spectacle exprimer son inextinguible besoin d'amour. Myrtle ne semble avoir accepté son rôle que dans le but que son partenaire(Frédéric Pierrot), l'homme qu'elle n'a cessé de chérir, soit remis en selle. Ce que celui-ci lui fait payer cher. Ce personnage d'une femme qui n'a avec elle - même que des liens fantomatiques, Cyril Teste l'emmène à des hauteurs vertigineuses. Vidéaste aussi inventif qu'inspiré, il traque ses comédiens (dont Morgan Lloyd à qui échoit le rôle du metteur en scène) à la fois sur l'écran et sur le plateau. Le résultat est à la hauteur de notre désir de revoir Adjani dans un personnage aussi puissant que ceux qui ont jadis fait sa renommée. Jusqu'au 26 mai Théâtre des Bouffes du Nord tél 01 46 07 34 50

mercredi 15 mai 2019

Vols en piqué d'après Karl Valentin

Comédien aux aptitudes exceptionnelles, Patrick Pineau s'est aussi depuis quelques années révélé excellent metteur en scène. Ce qui se confirme avec Vol en piqué de Karl Valentin dont Jean Joudheuil et Jean-Louis Besson ont traduit le texte savoureusement déjanté. Bertold Brecht qui l'admirait avait écrit à son intention Noces chez les petits bourgeois. Plus attiré par le cabaret que par le théâtre, Valentin déclina son offre. Dans le spectacle, dont Sylvie Orcier est la co-créatrice (et l'une des interprètes), les personnages sont plongés tout crus dans des situations extravagantes. Les Marx Brothers se profilent dans ces ces dix pièces irrévérencieuses qui joyeusement s'emboitent. Ecrites en Allemagne dans les années 1910-1920, avant que cela ne sente le roussi, l'auteur décrit une humanité dépareillée admirablement reproduite par une troupe composée de femmes et d'hommes orchestre. Tous ont l'oreille musicienne, certains sont danseurs, d'autres acrobates. Valentin tenait à ce que tous, acteurs comme régisseurs, soient sur scène. On assiste au spectacle, aujourd'hui bien rare d'une famille de saltimbanque dont les innombrables facéties nous mettent en joie. Si la représentation patine un peu au début elle ne tarde par à prendre un délicieux envol. Jusqu'au 9 juin Théâtre de la Tempête - Cartoucherie tél 01 43 28 36 36

dimanche 12 mai 2019

Un ennemi du peuple d'Henrik Ibsen

Le talentueux Jean-Francois Sivadier a une fois encore choisi de monter une pièce du répertoire. Mais bien qu'écrite il y a quelque cent trente ans, Un ennemi du peuple a des résonances on ne peut plus actuelles. Devenu depuis peu docteur dans une station thermale, Thomas Stockmann découvre que les eaux y sont insalubres. Ce dont il veut avertir la population. Il a l'appui pour dénoncer la situation du directeur du journal local rangé à gauche et du représentant de la petite bourgeoisie locale. Leur ardeur combattante faiblira lorsque le préfet, qui n'est autre que le frère du médecin, s'en mêlera. Défenseur des intérêts des nantis, le politicien prétend que les recherches faites par son scientifique de frère sont erronées. La vie du médecin, lanceur d'alerte en est bousculée. D'autant que ceux qui le soutenaient ne se contentent pas de faire machine arrière mais le prennent ouvertement à partie. L'argent a - comme on le constate aujourd'hui - pris les commandes. Le docteur, un dur à cuire, n'entend pas céder. Son discours devient de plus en plus virulent. Ce qui peut susciter le haro d'une partie du public. C'est ainsi qu'à la représentation à laquelle j'ai assisté une spectatrice a pris à parti le détracteur de la corruption (que joue Nicolas Bouchaud avec une fougue qui rappelle le Michel Piccoli des grands jours) parce qu'il avait eu le front de parler des flash balls. Terme qui n'est évidement pas dans le texte d'Ibsen auxquel le metteur en scène a ajouté quelques phrases qui font allusion à la situation présente. Si le spectacle, qui se termine alors que la population en ébullition a saccagé la demeure de l'homme désormais à abattre, est d'une force terrassante c'est aussi grâce aux comédiens qui tous composent des personnages sidérants de puissance. Vincent Guédon (le préfet d'un froid cynisme) confirme qu'il est, tout autant que Nicolas Bouchaud, dévoré de talent. Ils ont trouvés en Stephen Butel, Agnès Sourdillon, Jeanne Lepers et Sharif Andoura des partenaires à leur mesure. Jusqu'au 15 juin Odéon Théâtre de l'Europe tél 01 44 85 40 40

mercredi 1 mai 2019

Electre/Oreste d'Euripide

Figure de pointe du théâtre contemporain, le metteur en scène Ivo van Hove n'a de cesse de prospecter des terrains nouveaux. Il a cette fois jeté son dévolu sur deux épisodes des Atrides, Electre et Oreste qu'avec sa confondante virtuosité il associe. Bien que de haute lignée, Electre (Suliane Brahim, comédienne d'un gabarit exceptionnel) a été mariée à un paysan et vit dans des conditions misérables. La tête rasée comme celle d'une esclave, elle a l'esprit en ébullition. L'arrivée d'Oreste, son frère, dont elle ignorait le sort, lui offre l'occasion de se venger de Clytemestre, sa mère et d'Egyste, son amant qui après avoir assassiné Agamemnon, leur père, règnent sur le royaume dont ils l'ont ostracisée. Avec l'aide de son ami Pylade, Oreste occis l'usurpateur. Avec des mots qui ont le tranchant d'une lame, Electre le convainc d'à présent tuer celle qui leur a donné le jour. Le matricide commis, Oreste se trouve plongé dans un désespoir infini. Ses meurtres ont sur sur son âme comme sur la population des effets dévastateurs. L'arrivée de Menélas et d'Hélène ramenée de Troye ne sont pas faits pour calmer le jeu. Celle de Tyndare, père de Clytemnstre et d'Hélène encore moins qui, lui, désire qu'Oreste et sa soeur soient châtiés. Le cycle des violences semble ne jamais pouvoir prendre fin. C'est sans compter sur l'intervention des dieux de l'Olympe, en particulier d'Apollon. Ivo van Hove aime mélanger les registres. Son spectacle n'est pas sans faire songer à une bande dessinée. Il a de plus eu l'excellente idée de demander au chorégraphe Wim Vandekeybus de diriger les danses des érinyes qui apparaissent de ce fait issues de rîtes païens. Si l'on regrette que les micros dont sont munis les acteurs les mettent trop à distance, on ne peut que louer leur jeu. En particulier ceux de Didier Sandre (Tyndare) de Loïc Corbery (Pylade)et de Christophe Montenez (ardent Oreste). Gageons que le spectacle trouvera son amplitude lorsqu'il se jouera fin juillet à ciel ouvert dans le théâtre antique d'Epidaure. Jusqu'au 3 juillet Comédie-Française Salle Richelieu tél 01 44 58 15 15