samedi 20 décembre 2008

mea culpa

Il fut un temps où l'on disait que le cinéma n'est pas seulement un art, que c'est aussi une industrie. Aujourd'hui il importe rappeler que c'est aussi un art.  La colère que suscite en moi cette dérive m'a poussé une établir une  liste trop restreinte des films qui depuis le début de la saison ont pu marquer les esprits et les sensibilités. Il faut ajouter à ce choix Le silence de Lorna des frères Dardenne où l'on ne retrouve pas la vitalité électriques de leurs réalisations antérieures mais bien leur empathie pour les damnés de la terre. Aujourd'hui les sans papiers. L'autre film qui n'a rien d'un produit commercial porte le nom de son personnage central : Stella. Sylvie Verheyden dont les parents tenaient un bistrot où la majorité des clients faisaient montre d'une sacrée descente, y raconte les faits marquants de l'année où elle est rentrée dans une école pour rejetons de la bourgeoisie. Enfants et adultes rivalisent de justesse dans cette reconstitution du début des années 70, période encore trop proche que pour être souvent traitée à l'écran. Ce blog   reprendra début janvier, mois  riche en spectacles nouveaux. Le premier sur lequel on se penchera est Edourd II de Marlowe que monte un surdoué de la scène encore peu connu qui a pour nom Cédric Gourmelon. Les représentations auront lieu à partir du 5 janvier au Paris-Villette.  

lundi 15 décembre 2008

cinéma : Mascarades de Lyes Salem

Les films un tantinet singuliers sont devenus une denrée si rare que lorsque l'un d'entre eux trouve une sortie on est titillé par l'envie de le défendre. Cette saison seuls se sont détachés du lot de médiocrités dont on nous abreuve Two lovers de James Gray, Home de de Ursula Meier, Hunger de Steve McQueen et Quatre nuits avec Anna de Jerzy Skolimowski, authentique merveille dont le passage en salles fut si furtif qu'il passa inaperçu du public. Pour le reste walloo, qui peut se traduire par rien ou que dalle. Cette semaine sort heureusement Mascarades de Lyes Salem qui dépeint sur le mode ludique la vie d'une famille sans le sou d'une bourgade algérienne.

Marié à une femme accueillante et perspicace et père d'un garçon d'environ dix ans, Mounir (qu'incarne avec juste ce qu'il faut d'humour le cinéaste par ailleurs comédien issu du Conservatoire de Paris) a la malchance d'avoir une soeur jolie comme un coeur qui à tous instants sombre dans le sommeil. Ce qui lui vaut dans le village à l'atmosphère étouffante et bouffonne, où fusent quolibets et médisances, la réputation d'être folle. Ce qui n'empêche pas la jeune fille d'avoir un soupirant en la personne du seul ami de son frère hélas, fauché comme les blés. Les deux jeunes gens ont l'art lorsqu'ils se chuchotent leur amour de faire chanter les mots.

Mounir rêve pour sa frangine d'un parti plus prestigieux et annonce sur la place centrale du village lors d'une nuit où il a bu plus que de raison qu'un riche étranger à jeté son dévolu sur sa gracieuse parente. C'est évidement pure invention que la jeune fille, qui confond ses rêves et la réalité, va confirmer. Du coup Mounir jusque là méprisé par une raclure mieux nantie que lui va faire figure de héros et être l'objet de toutes les attentions et en particulier de celles du richard corrompu jusqu'à l'os. Ce qui n'est pas pour déplaire au frimeur qui sommeille en lui.

Lyes Salem, qui se sent à l'évidence proche de ce petit monde, a un sens du trait qui fait songer à la férocité mêlée de tendresse avec laquelle les maîtres de la comédie italienne (Risi, Comencini, Scolla....) décrivaient dans les années 70 les préjugés, petitesses et accès de vanités de leurs compatriotes. On songe également à Goldoni qui avait le chic pour décrire en les raillant des petites communautés d'individus.

Lyes Salem a réalisé avec Mascarades un premier long métrage qui, pétri d'humanité et d'effronterie, défie toute classification.

jeudi 11 décembre 2008

John Gabriel Borkman

On a pu à de nombreuses reprises remarquer la propension des metteurs allemands à dépasser les bornes. Thomas Ostermeyer, leader du jeune théâtre germanique ne s'en est, au cours de ses innombrables mises en scène,  pas privé lui non plus. Mais  Ibsen, dont il avait déjà monté Nora (Maison de poupée) et Hedda Gabler  lui donne visiblement le goût de la sobriété. Il faut dire que le désordre qui ravage les territoires intérieurs des personnages ne donne pas envie d'en rajouter. En cette saison de déroute financière il ne pouvait faire meilleur choix que John Gabriel Borkman. Banquier de son état, ce fils de mineur a en effet grugé la presque totalité de ses clients ce qui lui a valu cinq ans de taule. Il est ensuite rentré chez sa femme qui l'a relégué à l'étage du haut de leur manoir tandis que leur fils était élevé par sa tante.  Les années ont passées, le fils devenu adulte est revenu vivre avec sa mère. La pièce débute au moment où Ella, la soeur jumelle de madame Borkman resurgit après plusieurs années d'absence et demande d'avoir jusqu'à sa fin qu'elle sait proche son neveux à ses côtés.  Mais le jeune homme envoie dinguer mère et tante pour partir vivre avec celle qu'il a choisi. Tout au long de la pièce, comme dans toute l'oeuvre d'Ibsen les secrets de famille, souvent crapôteux vont se dévoiler.  Comme chaque fois qu'il se mesure à l'auteur norvégien, Thomas Ostermeyer fait preuve tant sur le plan de la mise en scène que de la scénographie d'une maîtrise vertigineuse. Un verre translucide occupe le fond de scène, chaque fois que le plateau tourne jaillit une mince fumée. Les personnages d'une densité qui suscite le malaise sont défendus par des comédiens d'exception parmi lesquels le public français reconnaîtra Angela Winkler à qui l'immense Peter Zadek confia, il y a quelques années le rôle d'Hamlet et qui fut au cinéma notamment l'héroïne  du film de Volker Schlöndorff L'honneur perdu de Katarina Blum. Le prodige est que les années ne semblent pas laisser sur elle l'ombre d'une empreinte. Ce spectacle de haute tenue  est le premier à être présenté dans le cadre de Prospero, accord de coopération culturelle qui réunit les théâtres de six pays européens dont le TNB (Théâtre national de Bretagne) est l'un des membres. Le moins qu'on puisse dire est que le projet semble bien parti. (jusqu'au 13 décembre Théâtre national de Bretagne à Rennes, du 2 au 11 avril 2009 Théâtre national de l'Odéon Paris 75006)

mardi 9 décembre 2008

L'illusion comique

Pierre Romans, Giorgio Strehler, Eric Vigner et bien d'autres se sont essayer à démêler les fils de l'intrigue de L'illusion comique de Corneille. Beaucoup s'y sont cassés les dents. On n'en dira pas autant de Galin Stoev, jeune metteur en scène bulgare établi en Belgique et devenu un familier de la Comédie Française.  Même si le spectacle accuse quelques baises de rythme, que les costumes contemporains conviennent mal à cette pièce d'un temps où le tee shirt n'avait pas encore la cote et que le décor, comme toujours chez Stoev, privilégie les jeux de miroirs et les cages de verre qui doit lui rappeler l'époque où son pays natal apparaissait aux yeux de ses habitants comme une prison, la représentation a une sacrée gueule. Grâce surtout à ses interprètes.  Artiste de premier rang, Denis Podalydès fait de Matamore un lutin irrésistiblement vaniteux, Alain Lenglet compose avec sa sobriété coutumière un père psycho-rigide persuadé que son fils mène une vie déréglée, Hervé Pierre compose un magicien d'une complexité chatoyante. Quand aux jeunes Loïc Corbery et Judith Chemla ils rappellent qu'il suffit de tomber amoureux pour perdre la maîtrise de la situation.  On connaît le faste verbal de celui qu'on surnomma le vieux Corneille. Il use ici pour parler de la sensibilité qu'il prête aux femmes et de la mentalité des hommes de phrases d'une splendeur incongrue que les tourtereaux engagés dans un véritable duel verbal s'échangent avec délectation. Mais L'illusion comique est avant tout une ode au jeu théâtral. Si, en dépit de circonstances adverses, l'amour n'est ici que merveille, c'est parce qu'il est simulé, non vécu.(Comédie Française en alternance jusqu'au 21 juin 2009)

mercredi 3 décembre 2008

Ordet

On ne peut qu'approuver Arthur Nauziciel qui en ces temps de montée de despotisme religieux, s'affronte à cette pièce du pasteur et écrivain de théâtre danois Kaj Munk dont Carl Dreyer tira  en 1955 un film d'une hypnotisante beauté. Deux communautés religieuses empêtrées dans des débats sans issues vont être témoins d'un miracle. La belle-fille de Mikel Borgen meure en couche. Considéré comme dément, l'un des fils cet homme d'un rigorisme tout protestant, trouvera la parole (ordet) qui la ramènera à la vie. Alors qu'il a d'ordinaire l'art de clarifier la complexité, le metteur en scène distille, cette fois, tout du long, le doute. S'agit-il d'un miracle ou la jeune femme est-elle tombée dans un coma hystérique? Autour d'elle, le fanatisme altère les discernements. Seul celui qui a perdu la raison et qui à la manière des prophètes de l'Ancien Testament lance des mots comme on lance des pierres, se tiens à l'écart de ses querelles de dévots où les adversaires se traitent réciproquement de créatures des ténèbres.  Arthur Nauziciel qui a signé avec Marie Darieussecq l'adaptation de cette pièce, à laquelle aucun de ses collègues n'avait encore osé se mesurer,  a opté pour une scénographie aussi ascétique que le monde paysan qu'il dépeint. Les comédiens - parmi lesquels il faut en particulier mentionner Catherine Vuillez et Pascal Greggory (qui depuis Dans la solitude des champs de coton monté par Patrice Chereau qui était aussi son partenaire n'avait jamais fait montre d'une telle maîtrise) jouent avec une intensité qui laisse pantois. (jusqu'au 7 Les Gémeaux à Sceaux)