jeudi 24 janvier 2019

Insoutenables longues étreintes de Ivan Viripaev

Ils sont quatre trentenaires new-yorkais. Trois d'entre eux sont venus d'Europe de l'Est. Chacun se raconte abondamment. Alors qu'ils cèdent tous à la recherche immodérée du plaisir et partent en quête de sens dans le sexe comme dans le véganisme, ils en arrivent à avoir le sentiment que leur vie est obstruée. Chacun se trouvera confronté à des épreuves qui lui feront connaître des expériences sensorielles ignorées dont un inextinguible besoin d'amour. Partis ou revenus à Berlin, ils y découvrent les moyens de résister aux affres de l'époque et des modes. En mettant en scène cette pièce de l'auteur russe Ivan Viripaev, Galin Stoev redécouvre le pouvoir sacramental du théâtre. Difficile de ne pas penser au cinéaste Tarkovsky qui imaginait, lui aussi, des voies de sorties d'un monde où seule est respectée la vie matérielle Il semble qu'il n'est que les artistes slaves à avoir conservé l'audace de prétendre, comme Arthur Rimbaud, que la vie est ailleurs. D'origine bulgare, Galin Stoev qui a fait ses études en Russie, a lui-même traduit la pièce. Il restitues ce faisant une langue dont le souffle poétique nous enchante. Il avait aussi avec les jeunes comédiens Pauline Desmet, Sébastien Eveno, Nicolas Gonzalès et Marie Kauffmann de précieuses cartes dans sa manche. Si l'on ajoute qu'ils ont parfois travaillé sous la férule d'un chaman arménien établi en Bulgarie on prendra conscience que ce spectacle est aussi éloigné que ce peut de tout ce qui fait l'ordinaire du théâtre. Jusqu'au 10 février La Colline Théâtre National tél 01 44 62 52 52

jeudi 17 janvier 2019

Retour à Reims de Didier Eribon

Metteur en scène d'envergure qu'aucun registre ne paraît effrayer, Thomas Ostermeyer s'est emparé du récit autobiographique de Didier Eribon où celui-ci décrit la société stratifiée qu'il connut enfant. Sa famille appartenait à ce qu'on appelait la classe laborieuse et vivait dans des quartiers qui furent ensuite habités par de nouveaux arrivants venus d'horizons souvent lointains. Ce qui apparaît d'emblée est le peu d'amour que l'auteur portait à son père, homophobe affirmé et client régulier des bars de soiffards. Avant d'octroyer leurs votes au parti d'extrême droite la société dont il était issu votait massivement communiste. Des vidéos font redécouvrir la foule des années d'après-guerre entonnant avec ferveur l'internationale. On repère aussi dans ces images combien les corps et les attitudes de ceux qui avaient peine à nouer les deux bouts étaient éloignés des ceux qui vivaient disons bourgeoisement. Si l'un de ses deux frères se trouva rapidement en décrochage scolaire et devint apprentis boucher alors qu'il avait lui l'ambition de poursuivre des études, les liens avec les siens se sont promptement effilochés. Cela d'autant qu'il trouva dans le milieu homosexuel un sas de liberté. Ce n'est qu'à la mort de son père qu'il reprit contact avec sa mère avec laquelle il établit une tardive mais affectueuse complicité. Dans la seconde partie du spectacle, le propos de Thomas Ostermeieyer devient plus général. Il est clair que la manière dont Bertold Brecht évoquait le contexte politico-social appartient à un âge défunt. L'imprévisible éruption sociale dont nous sommes les témoins ou les acteurs montre on ne peut mieux l'aspiration du plus grand nombre à davantage de justice sociale. Ce qui ne va, hélas, pas sans crispation nationaliste. Le spectacle d'Ostermeyer est on ne peut plus alarmiste. Il nous met en face d'une réalité que nous ne pouvons plus faire mine d'ignorer. Le spectacle est joué on ne peut mieux par Irène Jacob, Cédric Eeckhout et Blade MC Alimbaye. Jusqu'au 16 février Théâtre de la Ville actuellement à l'Espace Cardin, 1, Avenue Gabriel tél 01 42 74 22 77

samedi 12 janvier 2019

Charlotte d'après Vie? ou Théâtre?

Devenue un peintre réputé, Charlotte Salomon vécut ses premières années dans une famille juive berlinoise de la grande bourgeoisie. Elle n'en mena pas moins du début (en 1917) jusqu'à la fin (à Auschwitz en 1944) une vie intenable.Sa mère, comme une importante brochette de ses parents, se jetèrent dans le vide. Ce qu'elle apprit sur le tard.Elle eût toutefois la chance de connaître deux personnes sidérantes de magnétisme : sa belle mère, la cantatrice Paula Lindberg et le professeur de musique de cette dernière Amadeus Daberlohn. Ce sont eux, somptueusement joués par Nathalie Richard et Jean-Christophe Laurier, qui contribuèrent à la sortir des habitudes du temps d'avant et surtout lui donnèrent confiance en son talent qui se révéla exceptionnel. Muriel Coulin qui jusqu'à présent réalisa avec sa soeur Delphine des films infiniment estimables se lance pour la première seule dans l'aventure théâtrale. Elle a eu le nez en confiant le rôle de Charlotte au départ atrocement peu sûre d'elle puis se consacrant nuit et jour à un art qu'elle réinventa à Mélodie Richard.L'oeuvre de l'artiste est faite de gouaches dans la plupart desquelles surgissent des coulées d'écriture. Sa peinture comme ses écrits dénoncent frontalement les difficultés sans nombre qu'elle eût à traverser. Lorsque réfugiée dans le midi de la France où elle était allée rejoindre ses grands parents et où elle eût la douleur de voir sa grand-mère mettre, elle aussi, fin à ses jours, elle prit la décision pour ne pas devenir folle de défier le sort. Elle s'enferma durant plus d'un an dans une chambre minuscule où en chantonnant elle créa une oeuvre riche de plus d'une centaine d'oeuvres. Sue le point d'être déportée, elle les confia à un ami qui après la guerre les remit à son père et à la femme de celui-ci qui contribua tant à l'aider à planer au dessus des contingences. Parsemée de quelques phrases de David Foenkinos qui consacra un livre à succès à Charlotte Salomon et s'inspirant surtout de sa propre oeuvre "Vie? ou Théâtre?" est malgré une fin bâclée un spectacle où la tristesse comme la force de vie abonde. Jusqu'au 3 février Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21

dimanche 6 janvier 2019