dimanche 22 décembre 2019

Au café Maupassant

Portraitiste d'une incomparable  finesse, Maupassant  sut d'une plume mordante dépeindre les bourgeois, mariniers, paysans, catins, hommes entretenus  et piliers de bars qu'il côtoya.  Marie-Louise Bischoferger a eu l'heureuse idée de transformer la salle de théâtre en café où des hommes et des femmes installés au milieu du public  incarnent les personnages de quelques nouvelles laissées par l'auteur. Un homme au moral en berne  qui y passe ses jours et ses soirées  a, comme le constate un de ses amis de jeunesse qu'il avait perdu de vue, le gosier en pente. Entre deux pintes de bière, il lui raconte un souvenir de son enfance de châtelain  dont la violence l'a marqué au fer rouge.  Son interlocuteur, un écrivain,  y va, à son tour, d'un récit stupéfiant de dureté. Les personnages en sont des pêcheurs en mer.  Le propriétaire prés de ses sous d'un chalutier préfère  voir son cadet perdre un bras plutôt que de se résoudre à ce que son bien soit endommagé. D'autres scènes sont, elles, d'une cocasserie achevée.  Une femme que son mari a abondamment trompé a pour elle un retour de flamme. Fine mouche, la dame consent à lui céder mais cela au même tarif que celui qu'il versait à ses cocotes. L'époux qui trouve la demande de sa légitime inconvenante finit par lui céder d'autant qu'il est émoustillé par la découverte  que celle dont il partageait quelque peu la vie est une redoutable manoeuvrière qui pourrait en remontrer à ses maîtresses. Ce spectacle qui change sans cesse  de cap est joué de façon éblouissante par Hélène Alexandridis, Dominic Gould et Charlie Nelson qu'entourent un pianiste et deux comédiens qui défendent avec humour des rôles de second plan. Jusqu'au 12 janvier Les vendredis, samedis et dimanche Théâtre de Poche Montparnasse tél 01 45 44 50 21

samedi 14 décembre 2019

Une femme se déplace. de David Lescot

Assurément le plus prolifique des auteurs et metteurs en scènes de théâtre  français et ennemi déclaré du divertissement bourgeois, David Lescot ne cesse d'élargir son registre. Il a, cette fois échafauder une comédie musicale crépitante d'inventions. Le spectacle regorge d'emblée de surprenantes trouvailles. Telle celle de l'ouverture où Georgia (la sublime comédienne-chanteuse Ludmilla Dabo),  déjeune avec une amie dans un restaurant à concept. Ce qui signifie que la nourriture y est insipide mais vantée par des serveurs qui se déplacent en chaloupant.  Une fois que Georgia, prof de littérature à l'université, mariée à un homme tout ce qu'il y a d'enviable, mère de deux enfants aura dit sa conviction  d'être née sous une bonne étoile, le ciel lui tombe sur la tête. Une série de coups de téléphone l'avertissent de catastrophes de plus en plus insoutenables. Perdant les pédales, elle branche son téléphone sur le brusimateur de table et se retrouve voguant dans le temps. Elle se retrouve ensuite dans le restaurant du début et est abordée par une femme qui soutient avoir eu une expérience semblable à la sienne. Georgia accepte de retenter l'expérience et découvre des moments de sa vie qu'elle ne soupçonnait pas. Pour la plupart  plus hasardeux que ceux qu'elle a vécu. L'écriture tourbillonnante de David Lescot entraîne le spectateur dans des situations d'une totale incongruité. C'est ainsi que la fille, encore gamine,  de Georgia surgit recouverte de pied en cap d'un voile noir. Ce retour de la religion dans une époque qui en est menacée en dit long sur les temps de confusion dans lesquels on baigne; Mais l'auteur se délecte à opérer des glissements. A des scènes glaçantes succèdent des danses échevelées et  des chants où à travers des gospels et des morceaux de jazz,  nous entraînant dans son sillage Georgia retrouve son tonus. Ce qui lui apparaissait comme d'irrémédiables désastres deviennent des incident sans grande importance. Menée avec un enthousiasme communicatif, la troupe mérite un coup de chapeau collectif. David Lescot a aussi repris "Portrait de Ludmila en Nina Simone" avec lequel il rencontra la saison dernière un beau succès. Née dans une famille dans le besoin de Caroline du Nord, la chanteuse  à l'abatage vocal éblouissant  devint, bien que noire, une star. Plus tard elle fut une figure de la lutte des droits civique. David Lescot s'entretient avec Ludmila Dabo  qui constate, sans qu'on s'en étonne, que le racisme est inéluctablement renaissant.  Peu à peu nous avons à travers elle le sentiment que c'est Nina Simone qui s'exprime. Jusqu'au 21 décembre Théâtre de la Ville - Les Abbesses tél 01 42 74 22 77

dimanche 8 décembre 2019

Bajazet d'après Racine

Il y a un bout de temps Frank Castorf montait des spectacles d'une amplitude ahurissante. Quand on découvrit Les démons d'après Dostoïevski et Les mains sales de Sartre on était persuadé qu'il allait enrichir  l'art théâtral. Cet engouement fut de courte durée. Il s'est en effet pris de passion pour la vidéo dont ses spectacles sont abreuvés. Il n'était néanmoins jamais tombé  aussi bas qu'avec ce Bajazet où l'on cherche en vain t(sauf au cours d'une scène) trace de Racine. Il a aussi convoqué Antonin Artaud dont ne subsistent  que quelques vociférations. On  ne peut aussi que regretter que la comédienne Jeanne Balibar dont on aime (ou pas) la sophistication gravite dans ce monde où il lui faut se monter nue et  prendre des attitudes obscènes.  La  représentation n'est que criailleries, tombereau d'images vidéos et comédiens dans le plus simple appareil. Cette surenchère d'effets fait rapidement tomber le spectacle dans un rebutant grotesque.  Pas étonnant qu'à l'entracte beaucoup de spectateurs prenne leurs jambes à leur cou. Castorf n'est visiblement plus dans la course. Saura-t-il  reprendre pied? Pas sûr. Jusqu'au 10 novembre Dans le cadre du Festival d'automne MC93 Bobigny tél  01 41 60 72 72

vendredi 6 décembre 2019

La conférence des objets Texte et mise enscène Christiane Montalbetti

Quand le chat n'est pas là les souris dansent. Dans le cas présent c'est quand la maîtresse des lieux est absente que les objets se mettent à parler. Chacun de  ces objets à une histoire, un passé. Pour les imaginer Christiane Montabelti a demandé aux cinq comédiens (Hervé Pierre, Claude Mathieu, Bakary Sangaré, Pierre-Louis Calixte et Anna Cervinka),  qui se prêtent au jeu, quel est leur objet fétiche et les raisons de cette préférence.  Dès ce moment elle a écrit les monologues mais aussi les dialogues qui seront les leurs. Arès avoir songé à créer un front de liberté des objets, ils se sont calmés.  Certains reconnaissent qu'ils sont bichonnés, d'autres évoquent leur peur d'être un jour abandonnés. Il en est même un qui admet qu'il est des objets qui peuvent être meurtriers. D'aucuns rêvent d'être un  objet différent. Ainsi celle qui est une boîte à couture aurait-elle  préféré connaître le sort  d'une boîte à dessins.  Ils en arrivent  peu à peu à évoquer notre cécité les concernant. Mais quand la propriétaire du lieu apparaît chacun fait silence et se planque La mise en scène de ce spectacle qui tient du tour de force a nécessité de sérieuses compétences. C'est pourquoi Christiane Montabelti, qui est essentiellement  écrivaine,  a appelé l'excellent Gilles Kneusé  comédien et metteur en scène en renfort. Il ont trouvé dans les cinq comédiens cités plus haut les interprètes rêvés de cette si singulière aventure artistique. Jusqu'au 5 janvier Studio de la Comédie-Française tél 01 44 58 15 15

lundi 2 décembre 2019

Des Territoires (... et tout sera pardonné?)

Dans ce troisième volet de la trilogie écrite et mise en scène par Baptiste Amann, qui suit les  déboires d'une fratrie, une soeur et trois frères,  le climat est au départ tendu à l'extrême. Benjamin, comme son nom l'indique le plus jeune frère, a été, au cours d'une émeute si gravement blessé qu'il n'a aucune chance de s'en sortir. Après avoir annoncé aux membres de sa famille qu'il est en état de mort cérébrale, le médecin leur demande s'ils accepteraient que son coeur soit prélevé.  Dans une aile de l'hôpital se déroule un tournage qui évoque la guerre d'Algérie et en particulier le procès de Djamila Bouhired, figure emblématique en ces temps meurtriers du FLN. Dans ce spectacle, comme dans les précédents,  les événements de la grande Histoire se mêlent à ceux traversés par la fratrie. L'auteur a eu l'astucieuse idée de lier les deux pans de la pièce en provoquant la rencontre dans le couloir de l'hôpital de Hafiz, le frère adopté et de la comédienne qui interprète le rôle de la militante. Au cours de leurs  discussions au départ guère chaleureuse, le passé enfoui de Hafiz se rappelle à lui.  Et de se souvenir que les destins de ses  père et grand-père algériens ont été marqués au fer rouge par la guerre anti-coloniale. Colonisation, qu'au cours de sa défense de Djamila Bouhired (qui deviendra sa femme) Jacques Vergez s'emploie, avec brio et malgré l'hostilité de ses pairs, à dénoncer.  La France contemporaine, où les mots d'ordre de l'idéologie néo-libérale causent d'immenses dégâts, est, elle aussi, mise en accusation. Si le tournage d'un film se déroule dans un hôpital, où  par ailleurs le personnel est réduit et sur les rotules,  c'est qu'il faut en priorité que ces lieux soient rentables. Si malgré quelques réserves (notamment la trop longue énumération des jeunes originaires d'un pays du tiers monde tués par les forces de l'ordre) Des territoires  apparaît en si intelligente résonance avec le tumulte passé et présent du monde c'est que les comédiens (dont certains jouent plusieurs rôles), font si  incroyablement corps avec leur personnage qu'on a le sentiment certainement avéré qu'ils ont largement contribué à les façonner. Jusqu'au 7 décembre Théâtre de la Bastille tél 01 43 57 42 14