samedi 30 janvier 2010

Rencontre avec Loïc Corbery, pensionnaire au Français

Ce qui frappe de prime abord chez Loïc Corbery, 34 ans au compteur, devenu depuis le 1er janvier sociétaire de la Comédie Française où il est entré en 2004, est son air épanoui. Lequel rassure les metteurs en scène qui furent toujours nombreux à l'engager sans se douter qu'il est, comme la plupart des comédiens que leur métier passionne, dévoré par un feu intérieur. Ce qui n'a pas échappé à Jacques Lassalle qu'il eut comme professeur au conservatoire et sous la direction de qui il joua moultes fois notamment des personnages susceptibles de partir en vrille.

"On dit à propos de Lassalle les choses les plus contradictoires. Il est vrai qu'il peut se mettre dans des états de douleur extrêmes qui contaminent les acteurs. Mais avec le temps il assume de plus en plus cet aspect épidermique parfois violent au travail. Il a de plus une pensée si pertinente qu'il arrive à creuser toujours davantage le propos de Figaro divorce que nous jouons depuis trois saisons. Mon grand regret est qu'il n'arrive pas à trouver les moyens pour monter "Loin de Corpus Christie" de Christophe Pellet, un auteur considérable qui jouit en Allemagne et en Angleterre d'une énorme considération mais reste ignoré en France. J'étais de la mise en espace qu'il en a fait et ai pu constater à quel point cette pièce était faite pour lui"


Natif d'Avignon, où, enfant, il allait dans la cour d'honneur, alors ouverte, à tous jouer à cache et, plus tard, déclamer des poèmes, Loïc Corbery a eu très jeune l'occasion d'assister à des spectacles. " J'avais 7 ou 8 ans quand ma mère nous a emmené mon frère et moi voir Le Mahabaratah mis en scène par Peter Brook. Je n'en garde pas d'images précises mais des sensations fortes. Je me suis réellement éveillé au théâtre vers 14 ans à cause d'une fille qui faisait partie de la compagnie Le tremplin que je me suis empressé de rejoindre. Mes éducations sentimentales et théâtrales se sont faites de concert. Quelques années plus tard j'ai eu l'occasion de voir La danse du diable de Philippe Caubère. Cette représentation à décidée de mon avenir. Alors que Je pensais vaguement faire des études commerciales, j'ai su ce soir là que je serais acteur. Mes parents qui m'avaient déjà vus sur les planches m'ont dit que j'y semblait si heureux qu'il fallait que je poursuive dans cette voie. Après le conservatoire où j'ai entre autre mis en scène Peter Pan - qui avant d'être un roman était une pièce écrite par James Mathew Barry à partir d'histoire qu'il inventait pour les enfants de ses voisins, enfants avec lesquels il avait des rapports plutôt nauséabonds - j'ai eu la chance de beaucoup naviguer à vue dans le métier sous la direction entre autres de Stuart Seide et de Jean-Pierre Miquel.

Ceux qui rentrent trop tôt au Français, par exemple en sortant du conservatoire ou d'une autre école, ont le sentiment d'avoir raté quelque chose. C'est pourquoi des jeunes aussi talentueux que Marina Hands, Mathieu Genêt ou Audrey Bonnet qui semble toucher du doigts les anges et tant d'autres en sont partis. Mais après avoir comme moi connu l'errance, rentrer dans cette maison, où pourtant toutes les aventures ne sont pas heureuses, est salutaire. Je travaille à présent parfois pour le cinéma ou la télévision. Aller de temps en temps voir ailleurs ressource et revenir dans la maison réchauffe."

Comme les autres comédiens engagés au Français que nous avons rencontrés, Loïc Corbery le défend bec et ongles. Lorsqu'on lui fait remarquer qu'avec le départ de Catherine Hiegel, Pierre Vial et Michel Robin, la maison de Molière apparaît de plus en plus comme un repaire de jeunes, il fait remarquer qu'il est de fait important de mélanger les générations et que Muriel Mayette, l'administratrice, s'y emploie en allant régulièrement puiser dans ce vivier de talents qu'est la troupe des sociétaires honoraires. Comme parler de théâtre visiblement l'exalte, je lui demande s'il est d'autres arts ou activités qui ont suscités en lui autant d'emballement. "Pendant longtemps je pratiquais l'escrime car j'adorais les films de cape et d'épée. Fanfan la Tulipe reste mon film de chevet. J'ai aussi adoré jouer du violon. J'avais une prof fabuleuse. Quand elle a disparue j'ai tenté de continuer avec d'autres. Mais ce ne fut pas concluant. J'ai laissé mon violon dans un coin. Quand il m'arrive de vouloir le reprendre, instrument exigent, il se venge d'avoir été délaissé. Une fille que j'aimais était, elle, une excellente violoniste. J'ai donc pendant quelque temps voulu devenir luthier afin de pouvoir prendre soin de son violon". Décrit par certains comme doué d'une nature romantique, il admet que Musset trouve en lui beaucoup d'échos. Tout comme Maeterlinck dont il aime l'onirisme et le mystère et Ibsen qui ne peut que séduire ceux qui se reconnaissent dans ses personnages aux secrets tourments.

Une dernière question concerne ses engagements politiques. "Contrairement à la génération précédente qui vivait dans un monde en ébullition, les trentenaires, dont je suis, ont longtemps vécu dans un climat d'insouciance. Mais les années passant nous sommes de plus en plus inquiets de voir le corset qu'on noue autour de la France et conscients qu'il serait indécent de traverser la vie avec des oeillères. Ce qui me donne un peu d'espoir est de constater que les test ADN voulus par le gouvernement ou le renvoi dans leur pays d'afghans qui y risquent leur vie provoquent des explosions de paroles indignées.


Le voilà à présent prêt à s'attaquer avec voracité aux Oiseaux d'Aristophane auquel se mesurera Alfredo Garcia. Ce sera ensuite La critique de l'école des femmes, première mise en scène de Clément Hervieu-Léger qu'il appelle "mon frère de scène"

jeudi 28 janvier 2010

Cercles/Fictions Texte et mise en scène Joël Pommerat

Pour la première fois Joël Pommerat, l'une des plus grandes pointures de la scène française, révèle les tréfonds de son inspiration. Dans le dossier de presse il déclare sans ambages que tous les personnages, à l'exception d'un seul, sont vrais. Il s'agit, ajoute t-il "d'êtres vivants ou de fantômes de mon histoire, histoire la plus lointaine parfois dont les actions m'ont hanté ou impressionné" On ne sera donc pas étonné que le spectacle se déroule , comme souvent chez lui, dans un climat incertain.

Via de brèves scènes on passe constamment d'une époque ou d'un univers à l'autre. A la vision d'un campement guerrier succède celle d'un chevalier d'un autre temps juché sur un cheval, des scènes qui réunissent patrons et domestiques sont suivies par les visites que fait à des individus esseulés le membre probable d'une secte en quête de nouveaux membres. Plus qu'à l'ordinaire le metteur en scène laisse la part belle à l'ironie. Le propriétaire d'une opulente demeure dit tout de go à son valet, son envie de coucher avec lui. Plus tard il offrira à l'épouse de cet homme, qui pourtant se refuse à lui, une somme rondelette pour qu'elle décampe. Dans une autre saynète c'est la maîtresse de céans qui, sous prétexte de transformer les relations entre les patrons et le personnel, demande à une employée de maison de troquer sa tenue contre ses propres vêtements et qu'elles soient désormais à tu et à toi.

Conscient que nous vivons une époque où la société voit s'écrouler ses conquêtes sociales et où les personnes réduites au chômage se font de plus en plus nombreuses, Pommerat nous entraîne parmi quelques demandeurs d'emplois où un gars insupportablement sûr de lui expose sa philosophie managériale. Quelques séquences plus tard le même insupportable bonhomme, dont le fils risque de mourir, va rejoindre des sans abris et offre une quantité astronomique d'argent à celui d'entre eux qui céderait un organe susceptible de sauver la vie de son fils.

Une fois de plus Joël Pommerat légitime par l'art de la scène des conduites invraisemblables Tranchant avec les habitudes prises au Théâtre des Bouffes du Nord les spectateurs sont assis tout autour du plateau. Ils forment ainsi un cercle complet au milieu duquel se déroule des événements d'autant plus déroutants que comme dit au début ils se sont réellement produits
Les huit comédiens, qui tous jouent plusieurs rôles, sont mieux qu'aucun commentaire ne saurait l'exprimer.

Jusqu'au 6 mars Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50

mercredi 27 janvier 2010

La pierre

Après quarante ans d'absence et de socialisme une vieille femme, sa fille et sa petite file retrouvent la maison qu'ils ont quitté en 1953. La plus jeune s'y sent d'emblée mal, sa grand-mère se cache sous la table et apparaît au départ comme la folle du logis. Il n'en est rien. Les raisons de son comportement trouvent leur origine dans la présence d'un fantôme. Celui de Mizzy, la femme juive qui vécut avec son mari dans ces lieux. Ce couple dit le mythe familial,auquel la jeune fille croit dur comme fer, pu se sauver et gagner l'Amérique grâce à la générosité du grand père tué en 1945 par une balle russe.

Arrive une jeune femme qui vécut là elle aussi mais à l'époque où la maison se trouvait en RDA. A elle également fut conté un récit édifiant et caché la sordide réalité. Mais la présence d'une âme morte pollue l'air que respire ces représentantes de la nouvelle génération. La grand- mère (Edith Scob au sommet de son art) finira, après avoir soixante ans durant menti à ses descendantes, par se laisser prendre les pieds dans ses souvenirs. Une des forces de ce spectacle est que les hallucinations auxquelles l'aïeule est en proie se matérialisent sur le plateau.

Jeune auteur dramatique allemand, d'un talent comparable à ceux des français Bernard-Marie Koltès ou Jean-Luc Lagarce, Marius von Mayenburg n'hésite pas, comme le montre son théâtre, à mettre les mains dans le cambouis familial. Grâce à quoi les deux plus jeunes personnages échapperont aux troubles psychiques que provoquent les légendes dorées. Comme il appartient à la même génération née longtemps après la défaite du national socialisme et a de plus traduit Hamlet, il connaît l'usage qu'on peut faire, et sur scène et dans sa propre vie, des fantômes.


Sobel, on le sait, n'est pas la moitié d'un bon metteur en scène. Sa dernière création pour laquelle il fut remarquablement épaulé par le scénographe Lucio Fanti est une réussite majeure. Un mot enfin sur le titre. La pierre est évidement la clé de voûte de la maison autour de laquelle tourne la pièce mais aussi l'objet que les juifs posent sur les tombes afin que les morts sachent qu'on ne les oublie pas. L'auteur a par le biais de ce poème, comme l'appelle Sobel, posé une pierre pour que l'on se souvienne de tous ceux qui, comme les premiers propriétaires de l'édifice, disparurent dans les ténèbres de la déportation.

Jusqu'au 17 février La Colline tel 01 44 62 52 52

mardi 26 janvier 2010

Et hommes et pas d'après Elio Vittorini

Figure de proue de la littérature transalpine, Elio Vittorini rejoignit le maquis. Dans son roman Uomini e no, qu'ont adaptés Benedicte Le Lamer et Pascal Kirsch (par ailleurs metteur en scène de ce spectacle hors normes), il décrit la vie de partisan qui fut la sienne. Au début surtout la musique est très présente. Un chanteur dont la voix n'est pas sans évoquer celle de Paolo Conte s'élève. C'est un des moments les plus émouvants de cette peinture d'un groupe de résistants dont le but n'est à l'évidence pas de nous embrumer le regard... Des musiciens de haut niveau improvisent aussi à différent instants de l'action une volée de notes.

Pascal Kirsch aime mélanger les genres antagonistes. A une scène qui détaille les revirements amoureux d'un couple et où l'homme ne semble avoir d'autre dessein que d'être heureux en succède d'autres qui nous plongent dans l'horreur guerrière. Il en est une particulièrement éprouvante où un officier de la wehrmacht punit avec une sévérité sadique un homme jeune qui a eu le front de tuer un de ses chiens. Malheureusement les éclairages sont presque tout du long si chiches qu'ils permettent à peine de discerner le moment où le destin de ce garçon de 27 ans est plié. Pascal Kirsch qui a été l'assistant de Claude Régy laisse, comme le fait parfois ce dernier, à peine entrevoir ce qui se déroule sur le plateau.

C'est là le principal reproche qu'on fera à cette représentation magnifiquement interprétée par Vincent Guédon et Loïc Le Roux qui, comme Rome, ville ouverte et Les évadés de la nuit de Roberto Rosselini, nous entraîne dans les plus terrifiants tumultes de l'Histoire italienne.

Jusqu'au 6 février Théâtre l'Echangeur tel 01 43 62 71 20

dimanche 24 janvier 2010

David et Edward de Lionel Goldstein

Deux hommes se rencontrent pour la première fois sur la tombe d'une femme qui fut l'épouse de l'un et le grand amour de l'autre qui la rencontra deux ans avant son mariage et devint son amant. Dans les cinquante ans qui suivirent ils se virent trois fois par an mais, comme on dit pompeusement, en tout bien tout honneur. Mais les souvenirs d'Edward, qui se fait le gardien scrupuleux de la mémoire de la disparue, met le légitime en pétard. S'ils n'étaient devenus des vieillards, les deux hommes en viendraient plusieurs fois aux mains. Il apparaît petit à petit que si la regrettée Florence et Edward ( qui est issu d'un milieu catholique intransigeant qui s'opposa à sa relation avec une jeune juive) se prisaient fort et ne cessèrent d'échanger leurs points de vue sur la politique et sur l'art, il en allait tout autrement entre la morte et celui avec qui elle se maria à la synagogue.


David était persuadé qu'elle ne portait pas le moindre intérêt à ce qui n'était pas d'ordre purement domestique. Ils ne tardèrent d'ailleurs pas, lui et celle qu'il appelait Flo, à former un ménage un peu délabré.Il en arrive même à évoquer une autre femme avec laquelle il la trompa et qu'il ne put jamais oublier .C' 'est cette fois Edward, qui, lorsque David lui fourgue les souvenirs de cette passion, a le plus grand mal à contenir sa rage...

Ce sont deux véritables bêtes de scène, Michel Aumont et Michel Duchaussoy, qui chacun fut longtemps à la Comédie française dont ils sont sociétaires honoraires, qui interprètent sous la férule avertie de Marcel Bluwal ces deux hommes si dissemblables qui finiront par "copiner"

Amateurs de superbes numéros d'acteurs et d'un théâtre de textes si apprécié dans les pays anglo-saxons, ce duel verbal né sous la plume de Lionel Goldstein, est pour vous.

Théâtre de l'Oeuvre tel 01 44 53 88 88

samedi 23 janvier 2010

Tous les algériens sont des mécaniciens de Fellag

Après une longue et triomphale tournée Fellag est de retour avec ce spectacle qu'il joue avec sa compagne Marianne Epin. Le début est irrésistible où il décrit ses compatriotes qui dès qu'une voiture tombe en panne ont tous une solution infaillible pour la faire redémarrer et s'emploient à la mettre en pratique. C'est d'autant plus cocasse que pour le reste ils se montrent , contrairement aux chinois si travailleurs et de plus en plus nombreux dans le pays, totalement insoucieux de lendemain. Le but de 50% d'entre eux est de rejoindre la France écrit un quotidien. Apprenant cette nouvelle Fellag fait remarquer que le journaliste à certainement négligé d'interroger les autres 50% de la population.


A travers les vicissitudes que connaît un couple installé dans un bidonville avec sa nombreuse progéniture et une une foule de parents venus de la campagne qui n'ont pas trouvé un toit, il décrit, mais toujours par le biais d'anecdotes croustillante, une société tout en déséquilibre. Avec un allant infatiguable il dépeint la vie oisive mais riche d'excentricités de ses voisins et autres connaissances.

On peut évidement regretter le temps où les récits qu'il emboîtait étaient davantage ceux d'un conteur d'une rafraîchissante poésie et où il touchait avec une sidérante impertinence aux tabous sociaux. Il s'est aujourd'hui assagi, ne porte plus ses attaques contre la corruptions des élites politiques de son pays et des religieux qui jouent aux commissaires politiques. Mais sa popularité est restée aussi forte que par le passé.

La preuve : quand à la fin de la représentation il danse sur une musique de mariage aux inflexions mélodiques, il n'est pas un spectateur qui ne tape dans ses mains.

Bouffes Parisiens tel 01 42 92 42

mardi 19 janvier 2010

Boris Vian/ Juste le temps de vivre

Que la maison Gallimard soit ici remerciée. Si ce spectacle au vivifiant climat libertaire existe c'est un peu grâce à elle qui refusa de publier des romans de Boris Vian. Dépité celui-ci se lança dans l'écriture de textes courts et incisifs, souvent sulfureux, parfois imbibés de rêves de révolte. Des compositeurs de l'envergure de Marguerite Monnot, Henri Savador ou Jimmy Walter en firent des chansons. François Bourgeat et Jean-Louis Jacopin (qui assure aussi la mise en scène) ont conçu à partir de ces textes mis ou pas en musique un montage aussi ébouriffant que l'était l'esprit de cet auteur mort en 1959 à 39 ans.

Sur scène deux femmes (Gabrielle Godart et Susanne Schmidt ) et un homme (Arnaud Laurens), qui sont à la fois acteurs, chanteurs et jouent d'une foule d'instruments, font revivre l'univers de cet éternel jeune homme qui a la pub en grippe et s'en moque joyeusement, adore le jazz et le cinéma avec ses cow boy sans foi ni loi et ses acteurs mythiques que sont alors Gary Cooper, Martine Carol ou Fernandel. Peu enclin à souscrire à l'idéologie d'un Sarkozy qui un demi siècle plus tard proposera aux français de "travailler plus pour gagner plus" il a lui le culot de dire que l'opium du peuple est l'idée qu'on lui donne du travail...

Fait de bric et de broc, de malice et de talents, ce spectacle nous donne enfin l'occasion de réentendre ces merveilles que sont "Fais moi mal Johnny, J'suis snob, La java des bombes atomiques.." et d'en découvrir d'autres qui, bien que tout aussi réussies, n'ont pas eu la même fortune. Mais la meilleure idée des deux maîtres d'oeuvre est d'avoir parsemé d'extraits du quasi inconnu "Traité de civisme" ces retrouvailles avec un écrivain dont l'oeuvre placée sous le signe de l'hédonisme sexuel et du refus du consensus concerne autant notre époque que les rugueuses années cinquantes.
La représentation à laquelle nous avons assisté était dédiée à Ursula Kübler, seconde femme de Boris Vian, dont on venait d'apprendre la disparition.
Jusqu'au 28 février Lucernaire tel 01 45 44 57 34

samedi 16 janvier 2010

Entretien avec Elsa Lepoivre, sociétaire du Français

Qu'elle interprète dans Le mariage de Figaro une fière aristocrate qui forme avec son page un capiteux tandem, qu'on la retrouve dans Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce en prolétaire pleine de bon sens ou dans Loup d'après Marcel Aymé en petite fille s'ennuyant avec sa soeur dans une bicoque au bois dormant, Elsa Lepoivre fait manifestement partie de ces jeunes sociétaires grâce auxquels le prestige de la Comédie française reste inentamé. Avant de rejoindre la prestigieuse maison, cette comédienne, originaire d'un bourg près de Caen dont les parents étaient enseignants, voleta d'un théâtre à l'autre.


Sa rencontre la plus décisive fut à cette époque celle qu'elle fit avec Pierre Debauche qui lui offrit le rôle de Nina dans La mouette. Parmi les autres spectacles qui lui ont donné la passion de la scène, elle cite Peine d'amour perdu de Shakespeare qui marquèrent les débuts d'Emmanuel Demarcy- Mota, Les fausses confidences de Marivaux auxquelles s'affronta Alain Milianti et Portrait d'une femme de Vinaver qui le confia à Claude Yersin mais qui, pour des raisons mystérieuses ne voulut jamais qu'il soit représenté à Paris.


Un de ses souvenirs les plus vifs sont liés au Misanthrope que mit en scène Jacques Lassalle. "Nous avons fait avec ce spectacle une tournée inoubliable en Russie, en Italie et en Pologne. J'y avais notamment pour partenaire Andrzej Sewerin qui, le temps de jouer ce rôle, avait pris ses distances avec la Comédie française. C'est Jacques Lassalle qui me recommanda à Marcel Bozonnet, alors administrateur de la maison qui m'avait quelques années plus tôt offert le rôle d'Antigone." Le prochain spectacle dans lequel on la verra sera Les trois soeurs dont le maître d'oeuvre sera Alain Françon. Elle y incarnera Macha, un personnage dont rêve chaque actrice de théâtre. Elle aime, dit -elle, alterner grands et petits rôles, ce qui est généralement le cas lorsqu'on fait partie de cette troupe


Quand on lui demande sous la houlette de quel metteur en scène elle aimerait à présent travailler elle répond sans hésiter après avoir quand même citer cet incontestable génie qu'était Grüber : Bondy, Langhof et Sastre "dont je n'aime pas tous les spectacles mais suis charmée par certains". Pour ce qui est du cinéma elle n'a guère été choisie que par Paul Vecchiali pour son film A vot bon coeur. Ce qui est stupéfiant mais qu'elle attribue au fait qu'elle n'a pas d'agent. Ceux-ci, dit-elle, viennent rarement voir les spectacles du Français. "Ce qui ne m'empêche nullement pas d' aller le plus souvent possible dans les salles d'art et d'essai. J'ai découvert récemment Désir de Borzague et Les nuits blanches de Visconti. Le bonheur absolu. Quand on lui demande s'il est un autre métier qu'elle aurait aimer exercer elle répond que non, que même la mise en scène , pour l'instant du moins, ne l'attire pas. "Ce qui en revanche m'exalte sans doute autant que jouer c'est de diriger les acteurs,. Ce que j'ai fait avec Pierre Debauche qui m'avait demandé d'être son assistante."


Après la tempëte qui vient une fois de plus de secouer la maison de Molière avec le départ forcé de Catherine Hiégel, Isabelle Gardien, Pierre Vial et Michel Robin on est évidement tenté de lui demander si cette institution n'est pas un noeud de vipères. Elle répond qu'il s'agit plutôt d'une famille avec ses innombrables querelles attisées par le fait que ses membres ne pas issus de la même lignée. Elle insiste aussi sur le fait que contrairement à leurs aînés les jeunes acteurs se sentent proches des représentants des autres corps de métier. Lorsqu'on lui pose l'indiscrète question de savoir si elle compte faire dans la compagnie de vieux os, elle répond placidement qu'elle y restera jusqu'au jour où l'ennui pointera son vilain museau

jeudi 14 janvier 2010

La noce

Lorsqu'il l'écrivit en 1926 le jeune Brecht intitula sa pièce La noce. Il l'appela ensuite La noce chez les petits bourgeois. Considérant qu'en insistant sur le fait qu'elle se déroule dans un milieu précis et que cela la prive d'une portée universelle, le metteur en scène Patrick Pineau lui a rendu son titre d'origine. La première scène nous fait faire connaissance avec un couple au sourire engageant sur le point de convoler.

Arrivent parents et amis qui, après avoir rivalisé d'amabilités et fait honneur aux innombrables plats préparés par la mère du marié, à l'évidence une immuable maîtresse de maison, les convives commencent à s'étriper. Leur médiocrité hargneuse à laquelle s'ajoute une foule d'incidents provoqués par la piètre qualité des meubles transforment la noce en fiasco. Plus ça va, plus l'ambiance devient irascible.

Patrick Pineau qui s'est entouré d'excellents comédiens qu'il a connu, pour la plupart, alors qu'il faisait partie de la troupe de Georges Lavaudant, redonne à cette oeuvre souvent montée sa juste charge de brio et de rosserie. Chacun flirte avec un vocabulaire hautement combustible. Ainsi sa meilleure amie dévoile que la mariée est enceinte, ce qui était, à l'époque, la honte suprême.

Si cette pièce reste autant d'actualité c'est que notre époque est aussi vide de pensée que celle que connut à ses débuts Brecht, dont le théâtre n'était encore ni épique, ni didactique, mais où les pulsions populistes n'allaient pas tarder à triompher. Une danse et une chanson composée par Jean-Philippe François sont prétextes à de salubres audaces sexuelles. Le coup de théâtre final est, lui, d'un tel superbe culot qu'il restera inscrit dans les mémoires.
Juqu'au 2 février MC93 Bobigny tel 0141 60 72 72

vendredi 8 janvier 2010

Sous l'oeil d'Oedipe

On connaît la flamboyance verbale de Joël Jouanneau. Elle est ici, dans cette reconstitution transfigurée de la fin de la légende d'Oedipe et des choix extrêmes auxquels sont confrontés les deux jeunes hommes et les deux filles dont il est à la fois le frère et le procréateur, enrichie par des bouts de phrases empruntés à Pierre Michon, Léopardi, Yannis Ritsos et, je dirais, surtout Edmond Jabès tant sa pensée et ses mots élargissent nos horizons.

C'est donc un pièce saturée de références que joue Jacques Bonnaffé (Oedipe qui nie les racines mortifères de la tragédie en cours). Si après avoir consulté des figures du destin, il se considère innocent de la guerre fratricide qui oppose Polynice et Etéocle jadis si proches qui aujourd'hui veulent tous deux rêgner sur Thèbes, leurs deux soeurs, Antigone et Ismène, ne veulent pas les voir s'entre-tuer.Si la première est dominée par le fol amour qu'elle porte à Polynice, sa cadette fait preuve d'une lucidité perçante. Mais les deux rivaux, bien qu'au printemps de leur vie, sont incapables d'entendre raison. Ils formulent leur désaccord avec une violence volcanique. On sait que leur entêtement leur coûtera à tous deux la vie et qu'Antigone défiant les lois malfaisantes de la cité creusera une tombe pour son frère adoré, ce qui lui vaudra d'être exécutée.


Comédien étranger à tout jeu conventionnel, Jacques Bonnaffé incarne un Oedipe qui se sait irresponsable de la malédiction dont lui et les siens sont victimes. Il a trouvé en Philippe Demarle, Eric Zeff et Hédi Tillette de Clermond-Tonnerre des partenaires de choix. On regrette d'autant plus que le décor soit loin d'être une réussite et les costumes d'une rare laideur. Ce qui est surprenant de la part de Patrice Cauchetier d'ordinaire si bien inspiré.

Jusqu'au 28 janvier Théâtre de la Commune Aubervilliers tel 01 48 33 16 16

dimanche 3 janvier 2010

Le cas Jeckyll de Christine Montalbetti

Secondé par Emmanuel Bourdieu, et Eric Ruf (notamment responsable au goût sûr du décor) Denis Podalydès incarne un scientifique tout de raison stricte que ses prétentions savantes vont emmener à créer Hyde, son double maléfique. Partant du roman de Robert-Louis Stevenson adapté à l'écran par Rouben Mamoulian, Victor Fleming et plus récemment Stephen Frears, Christine Montalbetti a peaufiné une adaptation théâtrale dans laquelle l'honorable docteur devient à la tombée de la nuit, après avoir ingurgité une potion de sa composition, la proie de pulsions meurtrières. Une de ses mains, puis les deux et enfin sa poitrine sont bientôt recouvertes d'une pilosité exubérante.

Lorsqu'il redevient le fréquentable Hyde, il dresse le panorama de ses forfaits et tente d'éclaircir et de dissiper ses ténèbres intérieures. Il ne lui échappe évidement pas que l'inhumain a partie liée avec l'humain. Bien que parfois tenté de mettre fin aux apparitions du monstre qui l'habite, il ne reste jamais longtemps dans ses louables dispositions. Il n'aura donc d'autre choix pour mettre fin à cette dangereuse schizophrénie que se faire sauter le caisson. Mais il tient avant de disparaître, à enregistrer une confession qui en dit long sur la dualité abyssale des hommes.

Véritable homme orchestre (il est comédien, s'essaie à l'écriture, réalise des mises en scène de théâtre et il y a peu d'un opéra...) Denis Podalydès apporte la confirmation qu'il est l'un des interprètes les plus doués et avides d'aventures à haut risque de sa génération. La preuve : le grand méchant fou qu'il joue ici.

Du 7 au 23 janvier Théâtre National de Chaillot Salle Gémier tel 01 53 65 30 00