lundi 1 février 2016
Les derniers jours de l'humanité de Karl Kraus
Journaliste qui ne mâchait pas ses phrases, Karl Kraus (1874-1936) commença l'écriture des Derniers jours de l'humanité, pièce qui comporte 209 scènes, à Vienne au début de la guerre de 14-18 qui, comme on le sait, marqua la fin de l'empire austro-hongrois. N'utilisant, à l'en croire, que des paroles entendues il en poursuivit l'écriture jusqu'en 1917. L'auteur dramatique et metteur en scène David Lescot qui s'est emparé de cette oeuvre monumentale - laquelle valut à son auteur d'être poursuivi pour défaitisme - n'en a conservé que des parties. Toutes édifiantes. A travers un montage de scènes de cabaret, d'instants de comédies acides et de projections d'archives peu exploitées,le monde d'hier tant célébré par Stefan Zweig apparaît ici bien pantelant. Le goût immodéré pour la satire de Karl Kraus est souligné dès le début de la représentation où, pris de fièvre nationaliste, de bons citoyens effacent toutes traces non germaniques des enseignes viennoises. Seules sont épargnées les inscriptions juives. Leur tour viendra. Se succèdent des bourgeois d'une étroitesse d'esprit et d'une vénalité sans limites, un homme de dieu qui pousse ses fidèles à ne pas s'encombrer de préoccupations miséricordieuses, des officiers se vantant de la cruauté dont ils ont fait preuve, une mère qui rêve de voir son fils partir au combat et y laisser sa peau. Les comédiens passent avec une délectation communicative d'un rôle à l'autre. Denis Podalydès fait montre d'un talent clownesque tel qu'on en redemanderait. Les compositions de Bruno Raffaelli sont, comme on pouvait s'y attendre, savoureuse en diable. Qu'elle joue ou chante, Sylvia Bergé, elle aussi, enchante. Quant à la jeune Pauline Clément elle montre dans une scène ou elle lit une lettre faussement affectueuse et réellement immonde qu'elle envoie à son mari encore sur le front, qu'elle a de la ressource. Maître d'oeuvre de cette véhémente dénonciation des temps obscurs que n'arrête de connaitre l'humanité, David Lescot confirme, pour sa part, qu'il est l'une des grandes pointures de la scène actuelle. Il ne serait pas surprenant que Svetlana Alexievitch, récent prix Nobel, qui dans "La fin de l'homme rouge" s'appuie sur les témoignages d'hommes et de femmes rencontrés au fil du temps, ait été marquée par la découverte des brulots de Karl Kraus. Jusqu'au 28 février Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 58 15 15
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