Une toute jeune fille tente sans succès de changer l'image d'accueil de son portable. Celle d'un phare qui ressemble à s'y méprendre à un mirador. Lequel fait - puisqu'on est en Allemagne - immanquablement songer aux camps d'extermination. Auteur dramatique prolifique, Roland Schimmelpfennig avait à peine vingt ans lors de la chute du mur en 1989. Il n'exige donc pas de ses ainés comme le faisait par exemple Fassbinder, qu'ils avouent avoir été complices de l'abomination que l'on sait. Il est, en revanche, convaincu que l'air restera à jamais irrespirable. Si un canard sauvage abattu par un personnage de la pièce risque d'être porteur de la grippe aviaire il s'agit bien sûr d'un clin d'oeil à nos temps pollués mais aussi du rappel que la nature autrefois tant exaltée empeste la mort.
La vaste propriété qu'on devine décatie, où une violence d'abord sourde finit par jaillir, est d'ailleurs surnommée par un membre du groupe "le caveau de famille". Un garçon de 20 ans à l'esprit à l'évidence irrespectueux y fait irruption. Il serait le fils venu du lointain à pied du seul mâle de la maison. Sa présence va mettre le feu aux poudres. Mais la psychologie est fort heureusement la grande absente des féroces joutes orales et physiques qui se déroulent sous nos yeux. Les personnages sont tous nimbés de mystère. Seule une amie venue en visite, visiblement originaire de la partie du pays qui fit partie du bloc communiste, dévide des souvenirs qui en disent long.
La haine que voue le "père" à l'ancienne puissance dominante se traduit par un rejet souvent cocasse de la littérature russe. Ce qui est d'autant plus ironique que cet homme, qui se montre tantôt fragile, d'autres fois, quand il met en acte son angoisse, d'une menaçante véhémence, semble droit sorti d'une oeuvre de Tchekhov. Comme lui chacun des comédiens bénéficie d'une partition nuancée à l'extrême. Dirigés avec une intelligence peu commune par le jeune metteur en scène Adrien Béal, ils composent des personnages nimbés d'un fascinant mystère. L'écrivain émérite qu'est Schimmelpfennig a eu la superbe idée de faire dialoguer chacun tantôt avec un partenaire, tantôt avec lui même.
Etrenné au théâtre de Vanves et aujourd'hui à l'Echangeur de Bagnolet (il s'agit des deux salles de la région parisienne dont la programmation est la plus sûre) cette Visite au père mérite largement d'être poursuivie.
Jusqu'au 10 mars L'ECHANGEUR à Bagnolet (métro Gallieni) tel 01 43 62 71 20
mardi 26 février 2013
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