vendredi 29 avril 2011

Le Moche de Marius von Mayenburg

Un chercheur au savoir lumineux doit tenir une conférence sur ses dernières investigations scientifiques. Il apprend, médusé, que son assistant est chargé par la direction de faire l'exposé à sa place. Cela pour la "bonne" raison que la laideur de ses traits est telle qu'elle risque fort d'avoir un effet désastreux sur les industriels susceptibles de rentabiliser les fruits de ses travaux. Ne lui reste plus qu'à se faire refaire le visage. L'opération de chirurgie esthétique est un tel succès que notre savant, à présent beau comme un camion, devient un objet de convoitise pour toutes les femmes - et hommes- qu'il croise. Il en tire, on ne s'en étonnera pas, un énorme bénéfice narcissique. Mais il lui faudra aussi accommoder sa morale à cette nouvelle donne.

Jeune prodige du théâtre allemand, Marius von Mayenburg (dont deux pièces, "Visage de feu" excellemment monté par Sylvain Creuzevault et "La pierre" dont s'était emparé avec bonheur Bernard Sobel, ont eu en France un retentissement certain) a l'art de faire de chacun de ses écrits une métaphore de notre société accro au seul profit. Il stigmatise ici autant le diktat de l'attrait physique, que le clonage et l'exploitation par un capitalisme hors de tout contrôle du domaine de la recherche. Pas pessimiste pour autant le dramaturge semble persuadé que l'esprit néo- libéral qui aujourd'hui sévit ne peut qu'être balayé par l'héritage mythologique dont nous sommes tous dépositaires. Au cours d'une scène d'une beauté à couper le souffle deux hommes à qui un charlatan a façonné le même visage restent longuement embrassés. Le mythe de Narcisse est plus fort que le diable qui veut faire de chacun de nous un consommateur éffrené de biens matériels.

Jacques Osinski titre un formidable parti de l'hétérogénéité de son casting . Bien qu'ils jouent sur un espace ridiculement réduit, les quatre comédiens, Frédéric Cherboeuf, Jérôme Kircher, Delphine Cogniard et Alexandre Steiger sont irrésistibles d'immoralité souvent cocasse.

Du même auteur "Le chien, la nuit et le couteau" emporte nettement moins l'adhésion. Sorte de cauchemar à la Kafka, elle apparait si comateuse et répétitive qu'elle donne un sentiment d'inachevé. Cela malgré la performance de Denis Lavant qui s'y entend comme personne pour jouer les bonhommes déphasés, qui ne comprennent goutte à ce qui leur arrive.

Jusqu'au 22 mai Théâtre du Rond- Point tel O1 44 95 98 21 Les textes sont parus aux Editions de l'Arche

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Voilà qui aiguise l'appétit, merci.


Delphine Cogniard, avec un i...