mercredi 23 décembre 2009

Entretien avec Hervé Pierre pensionnaire du Français

A l'inverse d'un grand nombre de comédiens Hervé Pierre, engagé l'année dernière à la Comédie Française, n'a pas l'égo flamboyant. Un visage mal taillé pour l'adversité, une voix à l'envol mélodique et une capacité à jouer les personnages les plus variés en ont fait l'un des interprètes les plus renversants de sa génération, celle des quadras. Muriel Mayette,, administratrice de la Maison de Molière, a donc eu la main heureuse en lui demandant de rejoindre sa troupe.

"Marcel Bozonnet qui l'a précédé m'avait déjà fait cette même proposition mais ce n'était pas le bon moment. Aujourd'hui j'ai non seulement eu le bonheur de jouer Molière et Corneille que je n'avais jamais abordé mais je me suis surtout pour la première fois frotté à Claudel dans Le partage de midi où j'incarne Amalric. Une autre joie a été de camper l'un des personnages de La grande magie d'Edouardo de Filippo que j'ai proposé à Dan Jemet avec lequel j'avais déjà travaillé - je crois que Denis Podalydès avait songé à cette pièce longtemps avant moi - et à présent d'être de Mystero bouffo de Dario Fo, cet homme à la parole politique si joyeuse. Je crois qu'avec cette pièce il entre au répertoire du Français. Un autre mérite de cette maison est qu'on y rencontre des personnalité humaine et artistique de premier plan.Ce qui ne veut évidement pas dire que tous le soient... "

Quand on lui parle de ce sujet épineux qu'est la mise à l'écart de certains sociétaires par un comité élu par l'ensemble de la troupe, il répond à sa façon tempérée que chacun est au fait depuis ses débuts de la présence d'une telle menace . Il ajoute qu'il est vital que la troupe régulièrement se renouvelle en embauchant de nouveaux talents. S'il fait remarquer que dans cette illustre maison, comme dans chaque troupe, la sclérose guette un certain nombre d'acteurs il est aussi partisan qu'une autre commission discute avec le comité de la justesse de décisions jugées souvent brutales. . En ce qui le concerne il ne peut que déplorer que s'il a la chance, grâce à la politique de l'alternance, d'être fréquemment employé dans trois spectacles, il le paie en laissant sa femme (la si douée et singulière Clothilde Mollet) et ses deux enfants célébrer des fêtes de fin d'année où il brillera par son absence.

Il fut, lui un enfant d'ouvriers qui avaient pour passion le théâtre amateur. Ce qui sans doute le décida à embrasser le métier de comédien est l'émerveillement qu'il surprit dans les regards de ceux qui venaient voir ses parents et leurs amis jouer des mélodrames ou des comédies. "Je suis aussi, dit-il, venu au théâtre par la télévision ou plus exactement par l'émission Au théâtre ce soir où je savourais les interprétations de Michel Serrault, Francis Blanche, Jacqueline Maillan et de tant d'autres"

Parmi les rôles qui l'ont le plus marqué il y a bien sûr le monologue de Jean-Luc Lagarce, Le voyage à La Haye. "Nous nous étions Jean-Luc et moi connu lors d'un stage qu'il organisa alors qu'il n'avait que 18 ans. Nous venions du même monde de prolétaires établis près de la frontière suisse. Nous nous sommes ensuite perdus de vue. En interprétant ce texte j'ai eu le sentiment d'une rencontre post mortem."

dimanche 20 décembre 2009

Raoul de James Thierrée

James Thierrée découvert en 2003 avec la Symphonie du hanneton déroge, cette fois à ses habitudes. Lui qui s'entourait de partenaires aux aptitudes acrobatiques et poétiques presque aussi stupéfiantes que les siennes se jette cette fois dans un combat singulier avec lui-même. Ne s'effrayant pas comme Pascal des espaces infinis, il les affronte avec une grâce qui rappelle - et cette comparaison ne peut que le réjouir - celle de son grand-père, Charlie Chaplin.
Ce personnage ostensiblement solitaire est poursuivi au début de la représentation par un double. Ce seront ensuite des créatures nées de ses mauvais rêves tel un immense poisson aux nageoires gourmandes ou un insecte à l'aspect peu affriolant (monstres cocasses conçus par sa mère la circasienne de haute tenue Victoria Chaplin) qui font obstacle à sa quête d'identité. Mais James Thierré n'est pas homme à se laisser impressionner. Il se sort des dangers qui le menacent en dansant et en se laissant bercer par des morceaux de Schubert et des musiques russes d'une splendeur chavirante
En mettant à jour les racines intimes de son arsenal, il réussit un spectacle dont le fantastique et les inventions à foison nous transporte. Artiste d'une hardiesse enchanteresse, il fait ses adieux en s'envolant au- dessus de son public d'indéfectibles à qui ce dernier salut procure une si intense délectation qu'il se lève comme un seul homme pour le remercier de lui avoir offert une heure et demie de magie.
Jusqu'au 5 janvier Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

dimanche 13 décembre 2009

Je ne sais quoi de Nathalie Joly d'après Yvette Guilbert

L'irremplaçable Yvette Guilbert, à laquelle Nathalie Joly, chanteuse dont la voix comme la diction au phrasé acidulé est un pur ravissement était aussi un une personne rayonnante d'intelligence. Ce qui lui valut d'entretenir avec Freud une longue et impulsive amitié. Celui-ci demanda d'ailleurs à la revoir lorsque fuyant la machine de terreur nazie, il fut hébergé à Paris par Marie Bonaparte qui avait été sa patiente.
Dans ce spectacle mijoté avec soin par Jacques Verzier la chanteuse alterne des chansons souvent coquines aux textes volcaniques avec des extraits de lettres qu'elle échangea avec le découvreur de l'inconscient. Accompagnée au piano par l'espiègle Jean Pierre Gesbert, l'interprète fait preuve d'un gai savoir mais aussi d'une fausse innocence enjouée qui nous laissent comme l'inventeur de la psychanalyse sous le charme.
du 17 au 31 décembre Théâtre de la Vieille Grille tel 01 47 07 22 11
le 26 janvier Antony Firmin Gémier

vendredi 11 décembre 2009

Fortunio d'André Messager

Talentueux touche à tout, Denis Podalydès manie aussi bien la mise en scène d'opéra -qu'il aborde pour la première fois - que celles de pièces de théâtre. Inspiré par Le chandelier de Musset (dont Flers et Cavaillet ont tiré l'un de leur meilleur livret) il était, c'est indéniable, avec Fortunio en terrain connu puisqu'il monta la saison dernière à la Comédie Française Fantasio du même Musset. La surprise est que la musique d'André Messager (1853 - 1929) - qui fut aussi un chef d'orchestre inspiré notamment de Pelléas et Mélisande de Debussy dont on retouve ici des accents - ajoute un climat dramatique au propos de l'écrivain Grâce en grande partie à la direction musicale de Louis Langrée
Le thème, on ne peut plus classique n'est guère éloigné de celui du film de René Clair "Les grandes manoeuvres." Un officier décide de séduire l'avenante épouse d'un vieux notaire qui sous ses dehors liants se révèle un bonhomme compulsif et rongé de jalousie. Le gradé, véritable artiste en fourberie, conseille à sa maîtresse, afin de diriger la vindicte du mari sur un autre, de prendre un chandelier, c'est à dire un homme à priori inoffensif sur lequel se porteront les soupçons du conjoint berné. Mais le brave Fortunio, fils un peu empoté d'une famille paysanne (Joseph Kaiser plus que convaincant) est éperdument épris de la belle jeune femme qui ne tarde pas à être sensible à cette passion. Le lieutenant ne songe plus qu'à se venger. Mais on ne marivaude pas impunément au-dessus du volcan. La fin de cet imbroglio n'est guère croquignolesque.
La force de persuasion du metteur en scène et une musique qui apparaît comme le bruit assourdissant des émotions font de ce Fortunio un spectacle on ne peut plus charmant.
Les 12, 14, 16, 18, 20 décembre Opéra Comique tel 08 25 01 01 25

dimanche 6 décembre 2009

Le dragon bleu de Marie Michaud et Robert Lepage

Le canadien Robert Lepage renoue avec Pierre Lamontagne qui fut déjà l'un des protagonistes de la Trilogie des dragons qui lui a valu de faire partie de la poignée de metteurs en scène dont la réputation a franchi les frontières. Son personnage est à présent installé en Chine où il anime une galerie dans laquelle il fait découvrir de jeunes talents comme Xiao Ling avec laquelle il a noué une relation amoureuse. La pièce démarre dans l'aéroport de Shanghaï où il attend l'arrivée de Claire Forêt qui fut jadis sa femme, est devenue au Québèc une publiciste à succès et est venue dans le pays de son ex pour y adopter un enfant qui, l'espère t-elle secrètement, donnera un sens à sa vie.
A la nouvelle compagne de Pierre dont elle a fait connaissance, elle confie qu'elle était raide dingue de celui qu'elle avait épousée et qui avait à l'époque pour but de devenir lui-même un créateur. Mais trouvant cet amour aliénant, Pierre l'a quitté et s'en est allé aux confins du monde.
Comme toujours chez Robert Lepage, la trame de sa pièce évoque un roman-photo. En réalité il n'écrit ses intrigues que pour révéler la violence des aléas de la vie et pour mettre en avant le mystère irréductible des êtres qui nous sont le plus proches. Aucun des membre du trio ne réagit de la façon dont les autres l'attendait. On retrouve aussi sa vision désenchantée du monde lorsque Pierre fait remarquer à Claire, revenue un an plus tard, que depuis que l'économie de marché a pris ses aises au pays de Mao, il sent bien que les chinois n'en ont plus rien à secouer de gens de son espèce.
Mais les spectacles de Lepage valent surtout pour leurs envolées plastiques. Véritable magicien pour ce qui est des décors, qui s'emboîtent avec une souplesse saisissante, et des éclairages, son dernier opus, ponctué par d'amusants solos dansés et par des caractères chinois calligraphiés sur un écran vidéo, est d'une séduction infinie.
Jusqu'au 15 décembre Théâtre National de Chaillot tel 01 53 65 31 22

jeudi 3 décembre 2009

Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst

Auteur le plus joué dans le monde germanique, Tankred Dorst est surtout connu en France grâce à Patrice Chereau qui, alors qu'il était tout jeunot, monta un inoubliable Toller. Pour le reste on connaît surtout de son oeuvre immense ( que Peter Zadek, qui fut l'un des phares du théâtre allemand, mis quasi intégralement en scène) La grande imprécation devant les murs de la ville et ce Merlin, sans doute son ouvrage canonique, auquel s'affronte avec bonheur Rodolphe Dana. Cette interprétation très personnelle de la légende des Chevalier de la table ronde et de la quète du graal débute dans un climat bouffon où une sorte de batteur d'estrade présente les personnages, qui apparaissent tous comme de gais lurons, dont on va suivre le cheminement.
Compagnons du roi Arthur, qui alors qu'il avait 14 ans réussit sans mal aucun à retirer l'épée Excalibur d'une pierre et a fait construire une table ronde pour réunir l'élite de ses sujets, les chevaliers, qui tous portent une jupette et se sont donnés pour mission de partir à la recherche du graal.
La plupart connaîtront de sévères déculottées. Alors que l'un cède aux tentations dyonisiaques, un autre, Mordret, fils d'Arthur, fait preuve d'un redoutable génie manoeuvrier.Il est vrai que apprenant par le magicien Merlin qu'un jour il détruira son royaume son père tenta alors, qu'il était nourrisson, de le noyer...
Quand au fidèle Lancelot il a le malheur de s'éprendre de Guenièvre, épouse de son roi. La pièce avance à coup de violents coups de vents narratifs. Commencée de façon on ne peut plus ludique, elle se termine dans une démesure tragique qui évoque Shakespeare.
Il règne dans le collectif Les possédés créé par Rodolphe Dana un esprit de troupe devenu, hélas exceptionnel; Ce qui a pour effet que les comédiens jouent tous à merveille cette oeuvre proteïforme scandée de mots d'une salubre salacité. Méditation sur l'échec des utopies, Merlin dure environ quatre heures qui passent à toute berzingue.
Jusqu'au 19 décembre Théâtre National de La Colline tel 01 44 62 52 52 En tournée Théätre Firmin-Gémier - La Piscine Chatenay -Malabry le 8 janvier, La Rose des Vents Villeneuve d'Ascq du 12 au 15 janvier, La Bateau Feu Dunkerke du 21 au 23 janvier, Nouveau Théâtre d'Angersdu 27 janvier au 3 février ...

vendredi 27 novembre 2009

Le Loup

Une baraque percluse imaginée par Eric Ruf. Delphine et Marinette, deux soeur encore toute jeunette y vivent dans une atmosphère de rigueur avec des parents qui tentent de leur foutre les foies en leur évoquant le grand méchant loup qui rôde dans la forêt environnante et ne fera d'elles qu'une bouchée si, durant leur absence, elles les laissaient rentrer dans la maison. A peine leurs géniteurs partis pour la journée, les deux petites voient surgir à l'unique fenêtre du logis celui qu'on leur a décrit comme une bête féroce (Michel Villermoz bluffant en loup bien décidé à combattre ses instincts carnivores)
C'est qu'au contact des deux si adorables fillettes (Florence Viala et Elsa Lepoivre comme il se doit à croquer) l'animal est tout attendri. Lorsque mises en confiance, elles lui demandent pourquoi il a dévoré le petit chaperon rouge, il leur répond que c'était là un péché de jeunesse. L'après-midi les verra jouer tous trois avec un telle ardeur que rendez-vous est pris pour le jeudi suivant. Une semaine d'absence avait rendue leur amitié impatiente et lorsqu'elles lui proposent de jouer au loup, il ne se fait pas prier et les déguste avec appétit.
Véronique Vella qui assure la mise en scène a eu l'astucieuse idée de demander aux parents (Sylvia Berger et Jérôme Pouly) d'être les conteurs de cette fable née de la plume caustique de Marcel Aymé. Ponctuée de chansons délicieuses composées par Vincent Leterme qu' interprétent avec talent les deux comédiennes qui jouent avec une grâce juvénile les deux soeurs cloîtrées, ce spectacle qui s'adresse autant aux petits qu'aux adultes est l'une des pépites de la saison.
Jusqu'au 17 janvier Studio-Théâtre de la comédie Française tel 01 44 58 98 58

dimanche 22 novembre 2009

Festival "mettre en scène" à Rennes

Ce qui nous a le plus comblé est que ce festival créé il y a 13 ans par François Le Pilouër attire un public si nombreux composé essentiellement de jeunes que les salles étaient remplies à ras bord ce qui va à rebours du discours des officiels qui prétendent que les théâtres sont vides. Nous n'avons, et c'est navrant, pu voir que quelques spectacles. Parmi lesquels deux créations d'une éberluante beauté. L'un Do you remeber no I don't a été monté avec la collaboration de Sylvie Blum par François Verret, chorégraphe dont la renommée est assurée par de nombreuses réussites. Emaillé de détails amoureusement élus tels que la présence d'une chanteuse afro-américaine dont la voix nous fait chavirer on retrouve aussi dans ce dernier opus son goût pour les textes fondateurs, sa fureur poétique et son inspiration mélancolique. Comme dans Ice, son précédent spectacle, il s'emploie par ailleurs à dénoncer de façon radicale un ordre qui nous broie.
Autre choc : Will you ever be happy again qui voit s'affronter une jeune serbe (Sanja Mitrovic qui a conçu ce duo) naturalisée hollandaise et un allemand appartenant à la même tranche d'âge et qui, ironique, montre un certificat d'aryanisation qui prouve la pureté de la race de ses aïeux depuis le 18e siècle.
Les deux jeunes gens ont en commun d'appartenir à des nations qui furent mises au ban du monde civilisé. Il n'est en outre pas banal que l'intrigue soit basée sur l'expérience réelle des deux interprètes (Sanja Mitrovic comme on l'a écrit plus haut et Jochen Stechmann) qui avec le même entrain jouent, chantent et dansent. A travers les jeux qu'ils inventent c'est l'histoire de leur pays respectif qu'ils passent en revue. L'année 1989, qui fut celle de la réunification de l'Allemagne et le point de départ de l'éclatement de la Yougoslavie, hante l'histoire de ces trentenaires qui ont grandi dans le vent des ouragans.
TNB 02 99 31 12 31 Si Do you remember no I don't va être cette saison repris à Grenoble et à Chambery nous ne connaissons pour l'instant aucune salle qui aurait la riche idée de programmer Will you ever be happy again?

vendredi 20 novembre 2009

Premier amour de Samuel Beckett

Comme tous les personnages nés sous la plume de Beckett le narrateur de Premier amour semble lové dans les profondeurs de son être. Il y a peu il a perdu son père et a trouvé ses affaires empilés devant sa porte par les habitants de son ancien logement. Lors de ses visites au cimetière où il se promène volontiers il a pris l'habitude de manger sur une tombe et découvre sur certains caveaux des inscription d'une telle drôlerie, que secoué de rire, il est obligé de s'accrocher à une croix.
Assis sur un banc il fait connaissance d'une certaine Lulu qui lui demande où il en est de ses projets. La demoiselle est tenace et bien qu'il lui demande pourquoi elle vient l'importuner tous les soirs elle arrive à ses fins, c'est-à-dire à l'installer dans son deux pièces-cuisine. Bien qu'il ne soit en rien épris de cette fille au visage suspendu entre la fraîcheur et le flétrissement, elle se retrouve, prétend-elle enceinte de ses oeuvres.
Alors que le bonhomme est ostensiblement solitaire, il a la conscience jacassière. Le texte admirablement servi par Alain Macé donne à la réalité une texture faite d'humour et de cruauté. Sans effet de style ou d'imagination et par l'extrême retenue de son jeu, il réussit un geste d'artiste saisissant. Sami Frey, comédien dont on n' a plus à vanter les mérites, joue actuellement sur une autre scène parisienne la même partition. Il ne fait pas de doute que moins renommé Alain Macé l'égale en talent
Jusqu'au 19 décembre Les dechargeurs tel 08 92 70 12 28

jeudi 19 novembre 2009

Les affaires sont les affaires d'Octave Mirbeau

On pouvait s'interroger sur la nécessité de monter aujourd'hui cette pièce sentant la naphtaline écrite à la croisée des 19e et 20e siècle par Octave Mirbeau. On ne tarde pas à être édifié. Isidore Lechat, puissant patron de presse devant lequel ses "associés" affectent une attitude révérencieuse est, comme les princes qui aujourd'hui nous gouvernent, partisan d'une modernisation forcenée de la société. Quitte à laisser un nombre croisant de citoyens sur le carreau. Mais cet homme gonflé d'assurance et blindé de thunes qui se vante, comme l'insinuent certains de nos hommes politiques, de n'avoir jamais ouvert un livre, sera terrassé par la mort inopinée du seul être qui lui était cher.
Le couple qu'il forme avec sa femme (Claude Mathieu impeccable) n'est que la juxtaposition de deux solitudes tandis qu'il n'a jamais prêté la moindre attention à sa fille qui, comme la Nora de La maison de poupée d'Ibsen, n'aura d'autre choix, pour sauver sa peau, que de se rebeller et de devenir ainsi un exemple d'émancipation féminine.
Un peu empesé dans la première partie, la mise en scène de Marc Paquien acquiert au fil de l'action de plus en plus de tonus. Une scène est même un pur joyau qui voit s'affronter un Lechat, amateur féroce de manipulations à un marquis désargenté qui défend les valeurs devenues obsolètes du monde duquel il est issu. Parce que ce spectacle nous tend un miroir peu reluisant de la société qu'est devenue la nôtre et que le décor en dit long sur les goûts des nouveaux riches, cette plongée dans un monde sans pitié ne manque pas d'intérêt. Même si l'on préfére voir Marc Paquien s'affronter à des auteurs à l'univers plus singuliers tels que Witkiewicz ou Martin Crimp.
Jusqu'au 3 janvier Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 00

jeudi 29 octobre 2009

Hiver de Jon Fosse

Un homme qui, on l'apprendra, a pris ses distances avec compagne et enfants se retrouve sur le banc d'un parc où une femme manifestement égarée l'apostrophe. Au lieu de prendre la fuite il l'emmène dans sa chambre d'hôtel et lui achète des vêtements. La pièce du norvégien Jon Fosse, portraitiste éclairé des énigmes de l'âme, décrit trois rencontres des ces deux individus apparemment à la ramasse. Les informations qu'il nous laisse récolter sur la femme sont si discrètement distillées que l'appréhension qu'on a d'elle constamment évolue.
L'auteur écrit ses pièces dans la novlangue apparue dans son pays après la guerre durant laquelle gouvernement et population pactisèrent avec l'occupant. Un des traits les plus marquants de cette langue et du style de Jon Fosse est que vocabulaire et syntaxe sont dénudés, vierges de tout colifichet. Ce qui rend le jeu des acteurs singulièrement ardu.
Pascal Bongard, décidément l'un des plus grands comédiens de sa génération, défriche sans mal ce monde opaque. Nathalie Baye apparaît plus inégale. Mal à l'aise dans la première scène où elle joue ou fait mine de jouer les démentes ou les alcooliques, elle se glisse avec une aisance de plus en plus grande dans cet univers miniaturiste.
Même si la mise en scène parfois hésite entre austérité et boulevard, l'auteur s'impose, lui, à l'aune du théâtre contemporain comme un innovateur, on pourrait même écrire comme un maître.
Atelier tel 01 46 06 49 24

dimanche 25 octobre 2009

Douze hommes en colère de Reginald Rose

Au départ Douze hommes en colère était le scénario du premier film réalisé par Sidney Lumet. Grâce au triomphe de cette subtile dénonciation des procès expéditifs et de la peine de mort elle devint une pièce à succès dans tous les pays où elle fut montée. Adroitement retraduite par le metteur en scène Stephan Meldegg et Attica Guedj elle arrive à point nommé en ces temps où notre gouvernement pousse la surenchère pénale et a tendance à considérer comme gibier de prison l'ensemble des jeunes des quartiers défavorisés.
L'un de ces ados est accusé d'avoir poignardé son père. Les jurés délibèrent. Comme pour eux la culpabilité du jeune homme ne fait pas un plis, ils n'ont pas l'intention de s'attarder. Or pour envoyer quiconque à la chaise électrique il faut l'unanimité. Un homme, un seul, émet des doutes quand à la culpabilité de ce gamin de seize ans. Il arrivera, en accumulant des argument de poids, à saper les certitudes de quelques autres membres du jury.
Plusieurs d'entre eux se prennent de bec. En état de constante ébullition l'un de ces bons citoyens finira par faire entrevoir pourquoi il est un partisan si acharné de la condamnation de celui qu'il considère comme un parricide. Un autre, le visage échauffé, crie sa haine "des étrangers qui nous envahissent". Joué à la perfection par les douze comédiens (parmi lesquels on a le bonheur de retrouver André Thorent,l'un des vétéran de la scène hexagonale) ce spectacle inteligement populaire fait salle comble. Ce qui est justice.
Théâtre de Paris tel 01 48 74 25 37

vendredi 23 octobre 2009

Misérables d'après Victor Hugo

En environ 1 heure vingt trois comédiens , deux hommes et une femme, racontent et commentent la vie en vrille de Jean Valjean. Si les cycles de l'infortune pour lui jamais ne s'enrayent, il arrive à mettre du baume au coeur de quelques uns des personnages qui croisent sa route. Ainsi Cosette élevée à la brutale par les odieux Thénardier à qui il la "rachète". Il aura aussi arraché aux mains d'une justice sans pitié pour les miséreux, Fantine, héroïne emblématique des romans naturalistes et fait découvrir sa part d'humanité à l'impitoyable Javert, policier de son état.
Si le roman d'Hugo qu'a très librement adapté Philippe Honoré (comme il le fit il n'y a guère avec l'oeuvre de Proust) est une épopée mélodramatique, le spectacle de Philippe Person tient du cabaret. Bourré d'inventions visuelles et joué avec entrain notamment par Anne Priol qui prouve une fois de plus la diversité de son savoir faire, ce joyeux condensé d'un livre qui n'a cessé de connaître une extraordinaire fortune ne peut qu'épater un large public.
La fracture sociale étant, comme au temps de Victor Hugo, intégrée comme une donnée incontournable, Misérables a aussi le mérite de relier, sans avoir l'air d'y toucher, le passé à notre si peu reluisant présent.
Lucernaire tel 01 45 44 57 34

mercredi 21 octobre 2009

J'existe (foutez moi la paix) de Pierre Notte

Flanqué de Marie Notte, sa soeur qui n' a jamais pris un cours de chant mais possède une voix irrésistible et de Paul-Marie Barbier qui caracole d'un instrument à l'autre et dont la musique exalte de rudes vérités, Pierre Notte, l'un de nos plus originaux jeunes auteurs dramatiques, rend hommage au cabaret de bas étage. Ce qui en d'autres termes signifie qu'il paie son écot au roman populaire.
Comme dans les chansons d'avant-guerre une fille qui répond au nom qu'elle refuse de Geneviève songe d'abord à se jeter par la fenêtre puis devient une fleur de pavé rebaptisée comme la Marlène Dietrich de L'ange bleu, Lola Lola. A 50 ans après avoir attrapée plus de morpions que de clients la voilà toute flétrie. Pierre Notte dont l'amour pour sa soeurette est infini lui donne, comme Ernst Lubitsch dans Le ciel peut attendre, une seconde chance. Et ce sera la rencontre avec les écrits, les films ou la bargerie de Rilke, de Duras, de Sartre, de Visconti et d'une palanquée d'autres talents. Ce qui ne suffira pas au bonheur de celle qui accepte enfin le nom de Geneviève.
Pierre Notte présent sur scène durant toute la représentation adore les écarts de langage et les situations gênantes. Mais doué d'une classe folle, il arrive à ce que jamais le public ne se sente dans ses petits souliers. Malgré sa sourde mélancolie le spectacle, produit par le théâtre des Déchargeurs et le Théâtre du Rond-Point, est l'un des plus réjouissants du moment.
Jusqu'au 21 novembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

lundi 19 octobre 2009

Une iliade de René Zahnd d'après Homère

Fils du grand (dans tous les sens du terme) Sotigui Kouaté, Hassane Kassi Kouyaté sait faire de pauvreté vertu. Son spectacle écrit par René Zahnd d'après le grand oeuvre d'Homère se donne, en effet, dans une scénographie on ne peut plus épurée, sous un chapiteau. Il est joué, chanté et dansé par des acteurs venus d'horizons variés ( Maghreb, Cuba, Afrique de l'Ouest, Europe...) On s'en souvient sans doute, l'Iliade raconte les débuts de la campagne punitive menée contre Troie par les grecs.
Deux passions amoureuses ont provoqués et attisés le conflit celui de Paris, prince de Troie pour Hélène, la femme de Ménelas qu'il a - avec son consentement - enlevée et celui d'Achille que la mort de son bien aimé Patrocle par Hector le second fils de Priam, roi de Troie, a rendu fou de douleur et de haine. Seules les voix des femmes - qui seront les infortunées héroïnes des Troyennes - prônent la paix. Les hommes ont, eux, le goût des joutes argumentées. Mais leur éloquence de feu n'a d'autre but que de pousser au combat.
La transaction qui aura lieu entre Achille et Priam qui veut récupérer le corps d'Hector apparaît dans ce contexte d'autant plus surprenante. Mais la complexité haletante du récit vaut surtout par les chants sublimes qui la ponctue. La seule réserve que suscite cette galerie de personnages au coeur en sang est que la plupart des interprètes campent plusieurs rôles. Ce qui n'aide pas à la compréhension de cette reconstitution d'un conflit qui au cours de l'Histoire n'aura cessé de se répéter.
Jusqu'au 31 octobre au chapiteau d'Adrienne 62, rue René -Binet Paris 75018

vendredi 16 octobre 2009

Sextet de Remi De Vos

Comédie aussi disjonctée que celles de Copi, Sextet a pour personnage central Simon qui bosse dans une entreprise de produits agro-alimentaires et revient, après avoir appris la mort de sa mère, dans la maison de son enfance accompagné d'une de ses collègues. Celle-ci se révèle d'une nature goulue. Tout comme ses deux voisines qui débarquent sans crier gare et qui pour le consoler et s'excuser des dégâts provoqués par leur chien dans le jardin de sa mère lui chantent des lieds de Schubert ou une chant portugais de toute beauté. Contrairement à une idée reçue, comme l'écrit Remi De Vos dans le dossier de presse, la musique n'adoucit pas toujours les moeurs. Elles provoquerait plutôt ici une allégresse forniquante...
Arrive ensuite une sorte de poupée barbie à la libido toute aussi forcenée. Ce sera enfin le chien, en fait une chienne, qui, affamée, surgira. Affronté au monde du désir, Simon dont l'inconsistance intérieure sautait aux yeux, se transforme.
Grâce à ses expériences nouvelles, il en apprendra de belles sur ses géniteurs et surtout sur la pluralité des êtres. On l'a compris soutenu par la mise en scène d'Eric Vigner, Remi De Vos a plus que jamais faussé compagnie à la raison. Emaillée de propos épicés, sa pièce qui se déroule dans un magnifique décor tout en longueur conçu par le metteur en scène, plaira à un public amateur d'audaces de style.
Réunies autour de Micha Lescot dont le jeu, comme à son habitude, évoque celui d'un contorsionniste, Maria de Medeiros et Jutta Johanna Weiss campent des voisines follement envahissantes. Le clou du spectacle on le doit à Johanna Nizard qui joue à la perfection de sa voix et de son accoutrement dont on vous laisse la surprise et qui, divin instant, entonne tout à coup une chanson en arabe.
Jusqu'au 14 novembre Théâtredu Rond-Point tel 01 44 95 98 21

samedi 10 octobre 2009

Au hasard des oiseaux Textes de Jacques Prévert

Quel précieux bonheur que de retrouver Prévert d'autant que ses textes (certains nous sont familiers, d'autres moins) sont interprétés par Antoine Régent, un comédien peu connu mais qui mérite grandement de l'être, dont le grain de voix soyeux convient à merveille à l'écrivain. De ce dernier on connaît surtout la fantaisie primesautière et le solide mépris des opinions communes. On découvre que plus proche des surréalistes qu'on l'imaginait, la poésie de l'invraisemblable ne lui est pas étrangère.
Le seul reproche qu'on fera à l'acteur est d'avoir laissé son pianiste et son contrebassiste (par ailleurs irréprochables) parfois noyer ces mots d'une vivacité saisissante mais aussi d'une virulence fulgurante dans une tempête de musique.
Le spectacle ne dure qu'une heure. Il est, en dépit de la mince réserve qu'on vient de formuler, d'un charme déroutant.
Jusqu'au 19 décembre Les vendredis et samedis 20h Les Dechargeurs tel 08 92 70 12 28

vendredi 9 octobre 2009

Le démon d'Hannah d'Antoine Rault

Il y en a qui ne manquent pas d'air. Ainsi Antoine Rault dont la pièce Le démon d'Hannah est pure falsification historique. On pourrait même dire foutage de gueule. Il prétend en effet qu'après la guerre Hannah Arendt retourna en Allemagne et revit une unique fois Martin Heideger avec qui, après s'être livré à quelques galipettes, elle reprocha son adhésion au national socialisme, son refus de venir en aide à ses amis et collaborateurs juifs et son silence face à l'extermination de ses coreligionnaires.
La vérité, comme le prouve la correspondance nourrie qu'échangèrent Harendt et Heideger (et qui fut publiée il y a quelques années), est toute autre. Non seulement elle n'eut plus de relation sexuelle avec celui qui fut son amant quand elle avait 18 ans et qu'elle admirait éperdument mais elle continua des années durant à lui rendre visite et à tout tenter pour que son oeuvre soit à nouveau reconnue comme un joyau de la philosophie. Contrairement à ce que prétend l'auteur dramatique jamais elle ne lui fit grief de son silence alors qu'il ne pouvait ignorer qu'une section d'humanité était vouée à l'élimination.
L'aspect incongru de ces échanges est qu'alors que Heideger se contente de décrire la splendeur des paysages allemands et, sans jamais s'en plaindre, l'aspect terne de son quotidien, Arendt tente d'élever le niveau de leurs échanges. En vain.
Dirigés de façon on ne peut plus sommaire par Michel Fagadau, les acteurs, c'est le moins qu'on puisse dire, ne font pas d'étincelles. Seule Josiane Stoleru qui interprète la femme du grand homme et se lamente sur la chute du Reich révélant dans la foulée un antisémitisme coriace fait, comme toujours, preuve d'un solide métier.
Comédie des Champs-Elysees tel 01 53 23 99 19

jeudi 8 octobre 2009

La séparation des songes de Jean Delabroy

Crève, ordure, sois maudit. C'est par ses mots de rage que débute la pièce de Jean Delabroy qui relate l'histoire d'une enfant qu'un homme a enlevée, attirée dans ses ténèbres. Quelques années plus tard, après s'être sauvée, elle est bien sûr poursuivie par les souvenirs de sa captivité mais aussi en butte aux rumeurs confuses du drame dont elle fut l'objet et bien obligée de considérer son retour aussi douloureux que libérateur.
Elle ne va dès lors plus cesser de ruminer des pensées nouvelles et de laisser filer sa mémoire. Après s'être rappelée à quel point était grande son inexistence et faire remonter des grands fonds le souvenir des débuts de sa séquestration dans une cave où elle s'écorchait les mains sur les murs pour sentir quelque chose, des pensées plus douces la submerge. Et de se remémorer les élans de compréhension qui les liaient l'homme et elle. Leur communication certes retrécie était néanmoins forte.
Dévoilant de la sorte les liens qui s'étaient établis entre son ravisseur et elle, elle s'avoue la peur qu'elle éprouva quand, fantasme ou réalité, elle se persuada qu'une autre était devenue l'élue de celui qui l'avait soustrait à son quotidien. Mais les moments les plus intenses du texte sont ceux où elle, dont l'enfance si formatrice fut sacrifiée, tente de cerner la frontière derrière laquelle se forme le moi.
Dirigée surtout dans la dernière partie du spectacle avec une magnifique sobriété par Michel Didym, Julie-Marie Parmentier confirme un talent d'une poignante fraîcheur. Elle est accompagnée tout au long de son monologue par une musicienne aussi douée qu'elle : Charlotte Castellat
Jusqu'au 17 octobre Théâtre Ouvert tel 01 42 55 55 50

vendredi 2 octobre 2009

Sous le volcan d'après Malcolm Lowry

Le metteur en scène flamand Guy Cassiers a la particularité de ne pas s'effacer devant les grands auteurs. On peut même dire qu'ils lui donnent des ailes. Avec la complicité de Josse De Pauw il a adapté le roman de Malcolm Lowry qui relate le dernier jour de la vie d'un ex -consul américain qui cogite éperdument et qui, malgré le retour d'Yvonne, la femme qu'il aime, se suicide au mescal.
Tout au long du spectacle qui se déroule le 2 novembre 1939, (cette date, le jour des morts, est au Mexique l'occasion d'une grande célébration macabre), il cuve son amertume qui est d'autant plus violente que la nuit noire qui est déjà en passe de recouvrir l'Europe tente de s'étendre jusqu'au Mexique où les nazis et leurs soutiers sont en nombre.
Une bande vidéo occupe le fond de scène. Des visions aussi différentes que celles d'une forêt tropicale, d'un bas de visage dissimulée par de la mousse laquelle est soigneusement rasée et d'images qui laissent entrevoir l'état d'esprit de celui qui sait déjà avoir la mort sur l'épaule se succèdent. Comme il privilégie également les gros plan, on ne s'étonnera pas d'apprendre sous peu que Cassiers sacrifie le théâtre au cinéma.
Ce spectacle qui saisit un homme en sa misère psychique (Josse De Pauw exceptionnel) et baigne dans une lumière de cendres est d'une splendeur dévastatrice. Il ne reste , hélas que peu de temps à l'affiche. C'est le seul regret qu'il inspire.
Jusqu'au 9 octobre tel 01 42 74 22 77

vendredi 25 septembre 2009

La serva amorosa de Carlo Goldoni

Un vieillard cacochyme mais plein aux as a pris pour seconde épouse une harpie d'une cupidité sans bornes. Son plus ignoble exploit est d'avoir réussi à faire chasser de la maison de son mari son fils légitime lequel est accompagné dans son exil par une servante aussi dévouée que finaude.
Commence entre les deux femmes un combat aussi discret qu'inexpiable.
Comédien des sommets, Robert Hirsch fait, comme on pouvait s'y attendre, une composition réjouissante de vieillard sous la coupe de sa femme. Celle-ci interprètée par Claire Nadeau se hisse à son niveau. L'un des meilleurs moments du spectacle est celui de la partie de cartes que jouent les tendres époux pendant laquelle madame pense à haute voix -mais hélas sans s'adresser au public - tout le dégoût que lui inspire son si vieux mari. Une des autres scènes qui restera dans les mémoires est celle où le notaire convoque pour témoins des figures de cire.
Engluée dans ses mensonges, l'épouse qui sans cesse dégorge colères et perfidies finira par perdre la partie. Belle joueuse, Coraline, la servante, à qui le fils de la maison avait promis le mariage, poussera celui-ci dans les bras d'une fille de son rang dont il s'est épris.
Même si le jeu de quelques uns des comédiens est plutôt défaillant et que la mise en scène de Christophe Lidon ne fait pas oublier celle, admirable, conçue, il y a quelques années par Jacques Lasalle à la Comédie -Française, cette représentation ne peut que mettre du baume au coeur des spectateurs au moral fléchissant.
Hebertot tel 01 43 87 23 2"

jeudi 24 septembre 2009

Quatre pièces de Feydeau

Il n'y a guère que deux raisons d'aller découvrir ce spectacle dans lequel le metteur en scène Gian Manuel Rau enfile quatre courtes pièces de Feydeau, cet ancètre du théâtre de l'absurde. La première de ces raisons est que Feu la mère de madame qui clôt la représentation et qui seule est connue du public reste un des chef d'oeuvre de son auteur. Elle est défendue avec une fantaisie décapante par Anne Kessler, Laurent Stocker et Christian Hecq, dont le tempérament comique est carrément irrésistible mais pourrait lui jouer des tours s'il ne change pas de temps à autre de registre. Les trois autres pièces ne sont pas restées dans les tiroirs par pure négligence. Elles n'évitent pas les poncifs d'un genre éprouvé. L'autre motif de se rendre au théâtre du Vieux Colombier est que Léonie Simaga distribuée dans des rôles d'un piètre intérêt possède ce qu'on appelle une voix d'or. Qu'on espère avoir bientôt à nouveau l'occasion d'apprécier.
Jusqu'au 25 octobre Comédie -Française Théâtre du Vieux - Colombier tel 01 44 39 87 18

mardi 22 septembre 2009

L'avare de Molière

Après Michel Aumont qui durant vingt ans campa à la Comédie Française le rôle d'Harpagon, c'est à Denis Podalydès qu'échoit aujourd'hui le personnage le plus près de ses sous du répertoire. Il donne à cet individu à la sensibilité de bûche une dimension burlesque qui a pour effet que la plupart de ses apparitions font se tordre le public. C'est que la passion de l'argent non seulement lui fait prendre des mesures mortifiantes à l'égard de ses proches mais lui a visiblement corrodé l'esprit.
Catherine Hiegel qui assure la mise en scène l'a sacrément gâté en demandant à Goury d'imaginer le décor lequel est une merveille et en confiant à cet homme au goût sûr qu'est Christian Gasc la création des costumes. Il est de plus entouré de comédiens d'envergure tels que Dominique Constanza, Jérôme Pouly, Benjamin Jungers et d'une nouvelle venue qui d'emblée éblouit : Suliane Brahim.
Le spectacle est on ne peut plus classique et fera le bonheur des spectateurs amoureux de la belle ouvrage mais dans une société comme la nôtre soumise au dieu de l'argent il arrive à point nommé.
En alternance jusqu'au 21 février Comédie- Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

lundi 21 septembre 2009

L'européenne de David Lescot

Auteur inclassable mais d'un talent certain, David Lescot nous régale cette fois d'une épopée dans laquelle il fait le pari que l'Europe est un levier pour la paix. Il faut pour cela que le Sud s'organise et dénonce les vices innombrables de l'Union européenne qui n'a que trop tendance à le dépouiller. Une douzaine de comédiens et de musiciens occupent le plateau. Des phrases dites en différentes langues (italien, français, slovaque, portugais...) se télescopent. David Lescot qui a l'écriture tourbillonnante mêle rêves et réel, drôlerie et mélancolie, scènes parlées et intervalles mélodiques (les acteurs ont des voix qui prennent aux tripes)
Le passé dont on ne peut faire table rase si l'on tente de changer le cours de ces temps impitoyables se rappelle à notre souvenir par à la présence sur son lit de mort d'une vieille femme, juive polonaise arrivée en France dans les années vingt. On comprend sans peine que cette aïeule est la grand mère de l'écrivain-metteur en scène. Ceux qui s'élèvent contre les musiciens qui jouent de la musique klezmer n'ont rien compris au film dont ils sont les acteurs.
Grâce à la présence d'interprètes dont la présence en impose et d'une suite de scènes qui se déroulent simultanément et parfois derrière un rideau où ne se meuvent que des ombres, ce spectacle avec ses scènes désaccordées se termine sur un bal d'une poésie infinie qu'il n'est pas interdit de voir comme un ferment de l'avenir.
A partir du 22 septembre Jusqu'au 7 octobre Aux Abbesses tel 01 42 74 22 77
11-14 nov Théâtre national de Bordeaux

vendredi 18 septembre 2009

Le cauchemar de Jean-Michel Rabeux

Metteur en scène résolument hors-chapelle, Jean-Michel Rabeux ne s'est jamais autant livré que dans cette pièce née, dit-il d'un cauchemar. Comme pour Sade la nature est pour lui indissociable d'un désir de destruction. Un juge qui, comme les sages orientaux sait que la réponse est dans la question, interroge une femme accusée de parricide, de matricide, d'inceste et peut être d'infanticide. La femme (Claude Degliame) répond de sa voix à la fois grave et pulpeuse des phrases qui laissent planer le doute. Mais soucieux de forer au plus profond, son interlocuteur ne lâche pas prise.
Ce sera ensuite avec sa fille (Vimala Pons, une découverte dont la beauté androgyne a une parenté avec celle de Claude Degliame) qu'il engage le fer. Ses souvenirs la traversent peu à peu comme un trait de feu.
Le metteur en scène nous plonge au coeur d'un procès qui évoque ceux des mythes antiques. Peut être, car il perdit sa mère alors qu'il avait cinq ans, sait-il aux tréfonds de lui-même ce qu'est la tragédie. Si le spectacle a des parfums chimériques c'est que pour s'accorder au réel il dût souvent laisser les rêves et l'imagination prendre le dessus.
La pièce rappelle que si nul n'est innocent (comment le serait-on alors que les débordements de nos corps nous font envisager les accouplements les plus baroques) nul non plus n'est coupable de ses pensées et de ses appétits.
Rabeux, une fois de plus ne fait pas dans la demi- mesure, c'est pourquoi sa présence dans le théâtre français devenu à l'image de la société, si pudique et bien pensant, est indispensable.
Jusqu'au 17 octobre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14

samedi 12 septembre 2009

Parole et guérison de Christopher Hampton

Devenu célèbre grâce à son adaptation théâtrale du roman épistolaire de Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses, Christopher Hampton nous entraîne aujourd'hui à Zurich où le jeune Carl Gustav Jung tente de mettre en pratique les théories du génie précurseur viennois Sigmund Freud. Metteur en scène en plein élan, Didier Long est à la manoeuvre.
La pièce tourne autour des liens qui vont unir des années durant Jung à sa première patiente Sabina Spielrein, une jeune juive russe au pédigree familial chargé dont les flambées de testostérone ont poussé ses parents à la placer dans l'hôpital où officie celui que Freud considère encore comme son disciple le plus prometteur. Il apparaît vite que lorsque sa psyché n'est pas en effervescence, l'intelligence est le fort de sa patiente. Bientôt elle prend feu dès qu'elle le voit. Bien que père d'une ribambelle de plus en plus nombreuse d'enfants, Jung ne résiste pas longtemps à ses attraits.
Freud qui n'est guère partisan des liens trop intimes entre les psychanalystes et les sinistrés de l'âme qui sont venus les consulter ne semble pas disposé à favoriser cette liaison. Affirmant la raison contre la religion, il apprécie aussi très peu le goût de la spiritualité mais aussi les penchants antisémites qu'il devine chez Jung. A la grande déception de son amant Sabrina se rendra à Vienne pour poursuivre son analyse à la Burgstrasse. Consciente qu'il n'y a pas d'autres mémoires que celles des blessures (comme l'écrit Milosz), elle deviendra elle-même analyste.
Barbara Schulz compose surtout , lorsqu'elle n'exprime pas de façon un peu trop prévisible la douleur tapie dans son coeur, une inoubliable Sabina Spielrein, Bruno Abraham-Kremer peaufine un Freud inattendu, étincelant d'humour. Léna Bréban fait, quant à elle, de madame Jung un être d'une chaleureuse humanité. On notera parmi les scènes les plus réussies, celles, hélas trop brèves, où Otto Gross, qu'interprète Alexandre Zambeaux, fait l'éloge de l'intempérance. La force de ses arguments laisse son thérapeute séduit et sans voix.
Théâtre Montparnasse tel 01 43 22 77 74

jeudi 3 septembre 2009

Suzanne une femme remarquable,

Comme elle l'avait fait avec Quartiers et la Goutte d'or, Laurence Février a bâti son spectacle à partir de sa rencontre avec une personne réelle. Suzanne est une juriste engagée qui fut durant vingt ans membre du parti communiste et fut même dans sa jeunesse lié au réseau Jeanson. Bien qu'elle sache pertinemment que le prolétariat est en train de rendre son dernier souffle, elle reste persuadée que le lion populaire sait encore montrer les dents.
Tout au long de la représentation (laquelle ne dure qu'une heure) elle porte frontalement une parole politique et analyse avec sagacité la place réduite des femmes dans la vie sociale. Elle se souvient que même au P.C. sévissait un sexisme à toute épreuve. Laissant déborder son ressentiment, elle raconte que ses camarades se faisaient avorter à l'insu de leur mari. Pas naïve pour autant, elle constate que les actuelles femmes de pouvoir (on en connaît tous) sont obligées de s'identifier à une identité masculine, ce qui a notamment pour effet qu'elles déploient toute leur energie pour que leur consoeurs ne montent pas en grade.
D'origine corse, elle sait aussi que les lois diffèrent selon les régions où elles sont appliquées et rappelle que le droit coutumier est toujours en vigueur dans son île natale. Elle ouvre ainsi tout du long de belles pistes de réflexion. On appréciera enfin ses vertes critiques à l'égard de notre époque où la réussite et la concurrence ont remplacé la solidarité qui réunissait les gens de sa génération.
Irradiant l'esprit qui habite cette personne qu'on sent toujours aussi éprise de l'avenir,Laurence Février est une grandiose Suzanne.
Jusqu'au 18 octobre Théâtre Le Lucernaire tel 01 45 44 57 34 Du mercredi 9 au samedi 12 décembre Théâtre de La Verrière Lille

mercredi 26 août 2009

Les couteaux dans le dos de Pierre Notte

L'habitude est prise de considérer que depuis les disparitions de Bernard-Marie Koltès et de Jean-Luc Lagarce, il n'y a plus en France d'auteurs dramatiques dignes de ce nom. Deux écrivains de théâtre sont heureusement apparus ces dernières années qui détonnent dans la si conventionnelle production actuelle : David Lescot et Pierre Notte dont "Les couteaux dans le dos" ouvrent avec brio la saison.
Comme d'ordinaire cet écrivain brasse les tourments d'une histoire familiale. Les parents forment un couple en voie de dissolution tandis que leur fille a horreur qu'on la touche. Tous ces personnages sont bien entendus montés sur ressort. La jeune fille qui veut se faire gardienne de péage sur une autoroute prendra le chemin de la Norvège où elle se liera avec un gardien de phare qui s'est brûlé une main car il ne savait qu'en faire. Comme elle a pris la fâcheuse habitude de se taillader, ils ne vont pas tarder à pactiser.
Tout ensemble metteur en scène, compositeur de musique et dramaturge, Pierre Notte rend hommage à quelques grands noms de la littérature, en particulier à Ibsen. Mais bien que tous les personnages laissent perler leur amertume et et ploient sous un lourd stock de traumas, ses dialogues sont - au contraire de ceux de l'auteur de La maison de poupées - saturés d'humour.
Bien que les jeunes dont il est ici question finissent par dire adieux à ce monde pour lequel ils se sentent si peu faits, le spectacle dégage un charme enveloppant.
Jusqu'au 10 octobre Les déchargeurs tel 08 92 70 12 28

jeudi 16 juillet 2009

livre :J'y arriverai un jour

Parce qu'il décrit dans son théâtre, ses opéras et ses films la violence destructrice du désir les créations de Patrice Chéreau agissent sur les spectateurs comme des directs au coeur. Dans l'entretien qu'il a accordé à Georges Banu, ce metteur en scène au faîte de la réussite reconnaît sans mal que s'il a, à certains moments, cesser de monter des pièces et des opéras c'est qu'il était arrivé à une sorte de d'habileté qui lui faisait utiliser des recettes. Pas tendre avec lui-même, il reconnaît aussi que ses débuts au cinéma étaient très mauvais mais que maintenant c'est un peu mieux...
Pour notre part on place L'homme blessé et Intimité qu'il tourna à Londres, ville qui lui était étrangère, nettement au dessus du lot. On avoue aussi notre attachement à Hôtel de France, adaptation de Ce fou de Platonov de Tchekhov joué à l'économie par les élèves de Nanterre. En revanche la passion, la sienne comme celle de ses interprètes incendiait le film.
Lorsque Banu lui fait remarquer que depuis Nanterre il s'est davantage concentré sur les écritures contemporaines, il reconnaît son besoin tardif de travailler avec des écrivains de sa génération. En tête évidement Bernard-Marie Koltès qui, affirme t-il sans détour, était quelqu'un de plus rebelle que lui. Cette période où il collabora avec cet homme si familier des univers en marge fut, dit-il, comme un âge d'or. Ce dont on ne doute pas. Sa mort a d'ailleurs, avoue-t-il, eu un effet immédiat sur son éloignement relatif du théâtre.
Aujourd'hui, pour reprendre les paroles de Banu il a opéré un déplacement visible en passant d'une théâtralisation extrême avec tous ses sortilèges vers une concentration vers l'acteur et le jeu. C'est sans doute pourquoi il lit à l'heure actuelle, seul ou accompagné, des pages déflagrantes puisées chez Dostoïewsky, Guyotat ou Duras.
Le seul de ses propos avec lequel nous sommes en désaccord est qu'il affirme qu'il ne peut travailler qu'avec des comédiens qui lui tiennent tête. Ce qui est loin d'être le cas. Le livre se clôt sur des déclarations d'amitié et des proclamations d'admirations d'acteurs totalement à sa dévotion. Le portrait qu'en eut tracé Gérard Desarthe, si merveilleusement possédé par la puissance du verbe quand il fut sous sa direction Peer Gynt ou Hamlet, Laurence Bourdil ou tant d'autres a la personnalité remuante aurait été infiniment plus complexe et gorgé de vie. On retiendra cependant parmi les interviews marquantes celle de François Regnault et surtout celle de son complice de toujours Richard Peduzzi qui a, à son sujet, cette phrase grandiose : "son savoir et ses émotions nous font entrevoir les traits de l'immense face cachée de l'univers"
Chéreau confie, quant à lui, que s'il est aujourd'hui tant maître de son geste il le doit pour une large part aux fantômes qui l'accompagnent : Bernard-Marie Koltès bien sûr, mais aussi Maria Casarès, Pierre Romans, Hervé Guybert, Daniel Delannoy et autres complices de la même envergure. Acte Sud 22E

lundi 13 juillet 2009

Blanche-neige de Robert Walser

Considéré comme un forcené de la cervelle, l'écrivain helvétique Robert Walser qui passa une large partie de sa vie en hôpital psychiatrique, arracha à ses ténèbres des pages somptueuses. Ce qui est le cas de cette Blanche-neige qui monte Sylvie Reteuna. Revisitant le conte des frères Grimm il décrit une reine que la jeunesse éclatante de sa fille ou de sa belle fille (ce qui n'est pas spécifié) rend chèvre. Elle prend visiblement un malin plaisir à lui éreinter les nerfs. Sa voix parfois prend des expression cajoleuses alors qu'à d'autres instants elle la menace de terrifiants sévices.
Le reste de l'entourage de la jeune fille n'est guère moins inquiétant qui réunit un chasseur qui est aussi le narrateur et l'amant de la première dame du royaume et un prince filiforme à chaussures vertes à hauts talons. Une vidéo aux images aussi fluctuantes que faites pour alimenter notre potentiel onirique occupe le fond de scène.
La metteuse en scène a par ailleurs tiré un superbe parti de l'hétérogénéité de sa distribution. Elle comprend outre Claude Degliame dont l'éloge n'est plus à faire, de jeunes comédiens plein de ressources mais qui ne se sont pas encore faits un nom. Ce spectacle qui ne s'intègre à aucun courant est l'une des plus heureuses surprises de l'été. Seuls les spectateurs qui veulent du bien normé risquent de quitter la salle furax.
du 15 au 26 juillet Théâtre de l'Etoile du Nord Paris 75018

mardi 30 juin 2009

Les nuits de Fourvière

Les amateurs des arts de la scène auront rarement été aussi gâtés. Ce festival (du 5 juin au 1er août) réunit aussi bien des opéras (tel que Le flûte enchantée de Mozart dirigé  par Mario Tronco (qu'on verra la saison prochaine à la MC93 de Bobigny) que la tragédie musicale West side story (produit et mis en scène par Jérôme Robbins) d'un dynamisme enchanteur, qu'un cabaret Brecht à la manoeuvre duquel se trouvaient Carmen-Maja Antoni et Manfed Kargue, l'opéra de Purcell Didon et Enée dont s'est emparée la chorégraphe Sasha  Waltz et j'en passe (comme La traviata monté par ce génie qu'était Gruber et qui sera, sans que le public ait à déverser un centime, projeté sur grand écran) 
Nous avons eu le privilège d'assister à une représentation  de Mère courage et ses enfants de Bertold Brecht par la troupe de Berliner Ensemble qui depuis des décennies n'avait plus mis à son répertoire cette pièce jouée un nombre incalculable de fois par frau Brecht : Helen Weigel. C'est cette fois Carmen Maja  Antonis qui incarne avec une vitalité sidérante la commerçante désespérément battante et obsédée par le gain.  Mais alors que d'ordinaire son combat se situe pendant la guerre de 30 ans, Claus Peymann la fait rimer avec le présent. Ce qui dans notre monde sans pitié et devenu un grandissant champs de bataille se justifie amplement; 
Se déplaçant avec ses trois enfants dans une carriole, elle y a entassé  des marchandises qu'elle vend d'autant plus facilement que la guerre sévit. Ainsi sa hantise est que celle-ci prenne fin. En revanche elle n''a pas prévu que son aîné sera engagé comme conscrit. Il vivra, comme tous les soudards de rapines mais lorsque la paix sera déclarée il se fera poisser et exécuter pour s'être comporté comme par le passé. 
Au fil des événements Mère courage qui semble avoir bouffé du lion perdra aussi ses deux autres enfants dont une fille muette et d'une vaillance insoupçonnée. Un homme d'église un poil chafouin et et un cuisinier soiffard et sans scrupules l'accompagneront quelques temps dans ses pérégrinations. Electrisé par le jeu de Carmen -Maja Antoni et de ses partenaires, dont Manfred Kargue qui hérite du rôle du cuisinier, ce spectacle est de ceux qui ne s'oublient pas.
Même si mis en scène dans le somptueux site gallo-romain de Fourvière, il connaît quelques ratées. Résultat : on aurait le plus vif plaisir à revoir ce spectacle  d'une si haute tenue où Brecht dépeint avec une tant de  force des personnages soumis à la pression de l'Histoire avec une grande hache (comme aurait dit George Perec) dans un cadre plus attendu moins stupéfiant de beauté.
Fait notable et vraisemblablement inédit : cette manifestation a été financée à hauteur de 44% par le Conseil Général 
Jusqu'au 1er août Les nuits de Fourvière 04 72 32 OO OO  

mercredi 17 juin 2009

Festival Trans 09

Après d'innombrables déconvenues propres aux fins de saison  sur lesquelles il est inutile de s'attarder le festival Trans initié par Jean-Michel Rabeux favorise les jeunes pousses désireuses de changer les codes de la représentation.  Ainsi Sylvie Reteuna qui a l'audace de s'attaquer à Blanche-Neige de Robert Walser, écrivain suisse qui passa la majeure partie de sa vie en hôpital psychiatrique où il arracha a ses ténèbres  des oeuvres qu'on pourrait, si l'on était lyrique, comparer à des poussières d'étoiles. Ainsi cette pièce où il revisite  le conte des frères Grimm en l'enrichissant d'un  bouillonnement poétique  proprement suffoquant. La fébrilité inquiète de  Blanche-Neige est sans cesse avivée par la reine qui ne supporte pas qu'une princesse dans tout l'éclat de sa jeunesse  puisse  rivaliser avec sa beauté dédaigneuse. Le comportement  de cette somptueuse teigne est fait de mots apaisants et de gestes meurtriers. 
Le reste de l'entourage de la jeune fille n'est guère plus rassurant puisqu'il se compose d'un chasseur (qui est aussi le narrateur), amant de la souveraine et d'un prince malingre qui porte des chaussures vertes à hauts talons. Tous lui apparaissent  par instants comme ses tourmenteurs. Une vidéo aux images aussi changeantes que faites pour alimenter nos facultés oniriques occupe le fond de scène. La distribution est quant à elle un régal qui réunit Claude Degliame (sublime en reine  toute d' ambivalence), Aurelia Arto, Marc Mérigot et Eram Sobhani
Autre spectacle d'une splendeur aussi dévastatrice donné au cours de la même soirée : Strptease  mis en scène et écrit (en s'inspirant de Valère Novarina et Pascal Quignard, deux écrivains qui ne comptent pas parmi les moindres) par Cédric Orain. Une seule comédienne, mais d'un talent et d'une malice difficilement comparables occupe le plateau : Céline Milliat -Baumgartner . Sa performance aussi culottée que gracieuse et d'une folle ironie donne l'envie d'avoir rapidement le précieux bonheur de la retrouver.
Ces deux spectacles qui font un si joli pied de nez au conformisme ambiant  seront, pour notre plus grande délectation, à l'affiche la saison prochaine.
Blanche-Neige et Striptease jusqu'au 18 juin Théâtre de la Bastille Le festival se poursuit jusqu'au 28 juin avec des créations qu'on nous promet aussi inusuelles  

jeudi 4 juin 2009

Blanche-Neige de Robert Walser

Considéré comme un fondu de la cervelle, l'écrivain suisse Robert Walser, qui passa une part importante de son existence en hôpital psychiatrique, arracha à ses ténèbres des pages somptueuses. Ce qui est le cas de cette Blanche-Neige que monte Sylvie Reteuna. Réexplorant le conte des frères Grimm, la reine jalouse de la beauté de sa fille ou de sa belle-fille (ce n'est pas ici spécifié) semble prendre un malin plaisir à lui éreinter les nerfs.  Sa voix, parfois prend des inflexions cajoleuses alors qu'à d'autres instants elle la menace de terribles sévices. 
Le reste de l'entourage de la jeune fille n'est guère moins inquiétant qui réunit un chasseur qui est aussi le narrateur et l'amant de la première dame du royaume et et d'un prince filiforme qui porte des chaussures vertes à hauts talons.
Une vidéo aux images aussi fluctuantes que faites pour alimenter notre potentiel onirique occupe le fond de scène. Sylvie Reteuna a par ailleurs tirer un magnifique parti de l'hétérogénéité de sa distribution dans laquelle on retrouve Claude Degliame et des jeunes comédiens plein de ressources mais qui ne se sont pas encore fait un nom.Ce spectacle qui ne s'intègre à aucun courant est l'une des meilleures surprises de l'été. Seul les spectateurs qui veulent du bien normé risquent de quitter la salle furax...
Du 15 au 26 juillet Théâtre de l'Etoile du nord Paris 75018

 

La Estupidez (La Connerie) de Rafael Spregelburd

Electron on ne peut plus libre, Rafael Spregelburd a ouvert une brèche dans le conformisme de notre temps. Se référant autant au cinéma qu'aux sitcoms, il a écrit une pièce saturée d'intrigues où les acteurs ne cessent de se transformer, de troquer un personnage pour un autre, de changer de dégaine, de coiffure comme de perruques. On comprend donc que les deux metteurs en scène (Marcial Di Fonzo Bo et Elise Vigier) aient un eu un coup de coeur pour cette oeuvre au climat hystérique qui couple situations alambiquées en diable et violence déréalisée. 
Marcial Di Fonzo Bo, qui joue lui-même un des cinq rôles, a trouvé en Karin Viard, Marina Foïs, Grégoire OEstermann et Pierre Maillet les compagnons idéaux de cette aventure artistique. Si l'interprétation comme la scénographie laissent admiratifs, le spectacle est par instants encombré par ses trouvailles. Il aurait du coup gagné à être réduit. (Il dure plus de trois et demie) On le dit avec d'autant plus de scrupules que l'argentin Rafael Spregelburd est sans conteste un écrivain. Et des meilleurs. 
Jusqu'au 14 juin Théâtre National de Chaillot  

vendredi 29 mai 2009

Fragments de Samuel Beckett

Jamais au grand jamais, l'enjouement sombre de Beckett n' a été aussi bien restitué que dans ces Fragments mis en scène par Peter Brook. La première partie décrit la rencontre d'un aveugle et d'un estropié dont la relation tourne tantôt à l'intimité (l'un d'eux en arrivera même à toucher les parties génitales de l'autre), tantôt au conflit. Dans une autre de ces pièces à la longueur réduite une femme d'une solitude inextricable est à l'affût, à sa fenêtre au store levé, d'une autre fenêtre dont le store se levant apporterait la preuve qu'il est dans ce monde une autre âme vivante.
Bien qu'il décrive constamment des personnages qui ne sont pas à la noce, l'écrivain  imprime dans ces oeuvres courtes mais pas le moins du monde mineure un juste équilibre entre cocasserie et tragique. Si les dialogues sont voués à l'essentiel, il est même une des oeuvres où pas un mot n'est échangé. Hayley Carmichael, MarcelloMagni et Khalifa Natour étrennent leurs nombreux rôles avec un bluffant savoir-faire. Le spectacle se clôt sur la vision du plus subtil comique de la comédienne et de ses deux partenaires vêtues de robes à l'élégance flétrie assises sur un banc. Dès que l'une s'éloigne les deux autres se chuchotent à l'oreille des informations certainement peu amènes sur son compte. 
Revenant incessamment aux mêmes motifs Beckett décrit comme dans ces pièces les plus jouées des êtres vivant dans les marges les plus extrêmes de la société ou condamnés à l'isolement. Joué en anglais sur-titré, ce spectacle aurait sans doute aucun reçu l'assentiment de son pointilleux auteur.
Jusqu'au 20 juin Théâtre des Bouffes du Nord  

jeudi 28 mai 2009

Les précieuses ridicules

Metteur en scène de toutes les audaces, Dan Jemmett (qui a récemment magistralement mis en scène La grande magie d'Eduardo de Filippo,  salle Richelieu) n'est pas du genre à monté Molière de façon ronronnante. Proche de l'univers d'Austin Power et des Monty Pyton, son goût immodéré pour les personnages déjantés lui a fait choisir pour incarner les deux pimbêches qui ne songent qu'à être en rutilante compagnie deux comédiennes, Catherine Hiegel et Catherine Ferran, qui si elles n'ont plus l'âge des rôles ont l'art de reproduire l'extravagance des jeunes filles à marier dans la peau desquelles elles se sont glissées. Leurs interprétations est de celles qui ne se laissent pas oublier. Face à elles, Andrzej Sewerin et Laurent Stocker font, eux  aussi, des composition d'un grotesque démesuré. Méprisés par les deux provinciales qui leur reprochent  leurs tenues trop strictes et le manque de brillant de leur conversation, ils  se vengeront de belle façon. Et nos deux précieuses (doubles de nos actuelles bobos) de se retrouver le bec enfariné. 
Pour Dan Jemmett cette pièce en un acte de Molière, où il mélange les modes vestimentaires, maquille les demoiselles comme leurs prétendants  de manière outrancière et s'amuse à parer personnages et décor des couleurs les plus criardes est l'occasion d'épingler la pub et le marketing qui donnent des besoins qu'on n'éprouvent pas. La grande force de ce court spectacle est qu'il parle à la fois du siècle du Roi Soleil et d'aujourd'hui. Pour rappeler évidement que ces périodes pâtissent des mêmes défauts.
Jusqu'au 28 juin Théâtre du Vieux-Colombier       

mardi 26 mai 2009

Ubu roi d'Alfred Jarry

La comédie française accumule cette saison les productions de qualité. Jean-Pierre Vincent qui n'est pas que la moitié d'un bon metteur en scène nous offre un Ubu roi d'une santé burlesque jubilante. Sorte de double de Macbeth à la surcharge pondérale impressionnante mais qui transpire non seulement la bassesse et la cruauté mais se montre aussi en toutes occasions d'une lâcheté phénoménale, il est comme l'ambitieux guerrier décrit par Shakespeare un jouet entre les  mains de sa femme qui le pousse à assassiner le roi afin d'occuper son trône.  Ce qu'il fera afin de faire main basse sur les biens des nobles, magistrats, financiers et autres paysans.
Contrairement à la pièce de celui qu'on a surnommé le grand Will, celle d'Alfred Jarry (1873 - 1907) est une comédie qui a le culot de mettre en accusation tous les tyrans enfièvrés  de convoitise et de possession.  Mais si Ubu roi a une telle renommée ce n'est pas uniquement pour des raisons politiques mais essentiellement parce que son son auteur a d'heureuses audaces stylistiques,  dont le célèbre "merdre", qui continuent à mettre en joie.
Au centre d'une distribution réjouissante,  Serge Bagdasarian compose un Ubu joyeusement cauchemardesque. Il faut revoir ou découvrir cette farce méchante, cette dénonciation de la "beauferie" émaillée de chansons.
En alternance jusqu'au 21 juillet Comédie Française 

jeudi 21 mai 2009

Stuff happens de David Hare

Héritier d'auteurs remontés contre l'english way of life tels que John Osborne et Arnold Wesker, David Hare dépeint un monde  corrompu par la soif  du pouvoir et du fric. Cette fois il décrit avec minutie les aberrations diplomatiques qui ont ont menées à la guerre en Irak. Si sont présents tous les protagonistes d'un conflit mené à partir de renseignements falsifiés à savoir Bush qui n'a de cesse de rappeler qu'il obéit aux injonctions de Dieu mais apparaît la plupart du temps encore plus désinvolte que crétin, Powell qui a conscience  que la présence des armes de destructions massives repose plus sur des allégations fantaisistes que sur des sources sûres mais se pliera néanmoins aux décisions des fauteurs de guerre, Cheney qui sait mieux que personne faire régner l'opacité mais ne songe en réalité qu'à s'en mettre plein les fouilles. Mais, en digne sujet de sa majesté, c'est à Tony Blair que David Hare porte ses coups de serpe les plus féroces. 
Seul s'en tire avec panache Dominique de Villepin qui, on s'en souvient, s'opposa avec brio, à cette campagne guerrière qui en disait long sur l'impuissance de ceux qui la déclenchait. Curieusement, l'auteur ménage aussi Condoleezza Rice dont l'attitude restera jusqu'au bout ambivalente. Dans une scène finale qui laisse la gorge nouée un jeune irakien émigré aux Etats Unis depuis la prise de pouvoir de Sadam Hussein prend la parole pour rappeler les mots d'un racisme achevé : "stuff happens", qui signifient "ces choses arrivent", qu'avaient eu  Rumsfeld lorsqu'on  lui apprit que la "croisade contre le mal" avait provoqué la mort d'un nombre incalculable de civils irakiens.
La mise en scène bi-frontale d'une remarquable limpidité de Bruno Freyssinet et de William Nadylam et l'interprétation hors pair des nombreux acteurs qui endossent les rôles de personnages pour la plupart duplices font de cette tranche d'histoire récente un spectacle à ne pas manquer.
Jusqu'au 14 juin Théâtre Nanterre-Amandiers 

dimanche 17 mai 2009

Corps étrangers "unheimlichkeit2" de Lisa Guédy

Théâtre du corps et de l'image, la dernière création de Lisa Guédy s'ouvre sur une vidéo de toute beauté où deux acteurs (Bérangère Allaux et Sylvain Jacques) vêtus dans des habits de 18e siècle jouent une scène de passion et de dépit amoureux qui pourrait avoir été écrite par un contemporain de Marivaux. A peine se termine t-elle qu'une acrobate (Caroline Siméon) occupe la scène et fait montre d'une renversante adresse physique.  C'est que dans ce spectacle de Lisa Guédy, elle même longtemps contorsionniste et performeuse, plusieurs disciplines sont sollicitées et font cause commune. 
Adorant mélanger les univers elle a bâti un texte dans lequel s'emboîtent des pans d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carol et du Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. Les interprètes viennent eux aussi des horizons  les plus divers puisque, outre Caroline Siméon, elle a réuni le comédien et chanteur Frédéric Longbois et le danseur Thierry Laurion. Ce qui provoque dans cette représentation toute d'inventions parodiques des accouplements délicieusement baroques. 
Les amateurs des projets qui forcent les habitudes du regard seront incontestablement à la fête. D'autant que l'univers acoustique créé par Sylvain Jacques participe de cette révolution scénique.
Jusqu'au 24 mai Vingtième Théâtre 

mercredi 13 mai 2009

Wittgenstein de Peter Verburgt

Pour ceux que passionnent les débats d'idées et les méditations philosophiques ce spectacle est une aubaine. Il se divise en trois parties qui chacune reproduit un cours sur la croyance donné à l'université devant une assemblée choisie par Ludwig Wittgenstein (1889 - 1951) considéré à juste titre comme l'un des penseurs majeurs du XXe siècle. Une de ses particularités est qu'il faisait davantage confiance à la parole (qui stimule l'esprit) qu'à l'écrit.  
Seul en scène, Johan Leysen, un acteur qui a le rare privilège de combiner l'intelligence et la grâce, n'incarne que par moments cet homme dénué du moindre sentiment pieux mais que ceux -ci intéressent au plus haut point. Pour le reste il décrit ses comportements, ses emportements, ses doutes et dit, comme s'il s'agissaient de dialogues, les didascalies de l'ouvrage consacré par le hollandais Peter Verburgt (nom d'emprunt d'une personnalité de la vie intellectuelle) au philosophe d'origine autrichienne (il aurait été en classe avec Hitler à qui ni son ascendance juive ni sa très vive sagacité ne devaient beaucoup plaire)
N'imaginer pas pour autant que ce spectacle, conçu il y a une  vingtaine d'années à Amsterdam par Jan Ritsema et fréquemment repris depuis, soit réservé à quelques esprits forts. D'abord parce que le jeu de Johan Leysen, qui dit pardon quand il trébuche sur un mot, est d'un naturel inédit sur une scène de théâtre ensuite parce que les questions que se posent Wittgenstein et ses interlocuteurs sont de celles qui effleurent tout un chacun : reverra t-on un jour tel défunt aimé? Y a-t-il une vie après la mort? Pourquoi ai-je, cette nuit, pensé à mon frère qui vit en Amérique? Et quantités d'autres du même acabit auxquelles seront apportées non des réponses mais des réflexions qui élargissent le débat.
Jusqu'au 30 mai Théâtre de la Cité Internationale   

mardi 12 mai 2009

Liliom de Ferenc Molnar

Comme Casimir et Caroline d'Odön von Horvath, Liliom commence à la faveur d'une kermesse peu héroïque. Mais alors que chez l'auteur des Légendes de la forêt viennoise cette fête foraine est le lieu de tous les dangers, Molnar éprouve pour le petit peuple et les ruffians qui la fréquentent un sentiment de fraternité. Julie, une fille de modeste condition, y fait la connaissance de Liliom, un bonimenteur employé  aux manèges. D'emblée son panache voyou l'ensorcelle. Epris lui aussi, il abandonne son gagne- pain et s'installe avec sa bien aimée dont les larmes et l'envahissante attention éveilleront une malheureuse fois sa brutalité. Un enfant bientôt s'annonce. Afin d'échapper à la misère, Liliom accepte de participer à un mauvais coup fomenté par un de ses amis. L'affaire tourne mal et plutôt que de subir les foudres de la loi, le mauvais garçon se suicide.
Arrivé dans l'au-delà il est pris en charge par les détectives de Dieu qui lui laissent une seconde chance laquelle il ne saura saisir. Savante alchimie de réalisme et de fantastique, cette pièce d'un écrivain né en 1878 dans une famille de la bourgeoisie juive de Budapest met le spectateur en larmes, sans doute parce qu'elle rappelle toutes les occasions manquées et qu'il est des coups qui, parce qu'ils ont été portés par quelqu'un qui vibrait d'amour mais était à cours de mots, laissent le souvenir d'une caresse. Voilà qui est politiquement bien incorrect. Comme l'est le parler rugueux des personnages.
Joué dans un espace de bric et de broc par des comédiens peu connus mais d'une fraîcheur désarmante tels que Rasha Bukvic (acteur serbe qui exerce pour la première fois sa profession en français) et Agathe Molière, ce spectacle est sans conteste la plus grande réussite du metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia qui  se retrouve depuis peu à la tête du Nouveau Théâtre d'Angers où il a eu le bon goût de créer cet inoubliable Liliom.   
Jusqu'au 18 mai Nouveau Théâtre de Montreuil

lundi 11 mai 2009

L'amante anglaise de Marguerite Duras

Pas bien terrible cette Amante anglaise revisitée par Marie-Louise Bischofberger. Son très vif intérêt pour les homicides commis au sein des asphyxiantes cellules familiales - d'où son si malencontreux "coupable forcément coupable " à propos de Christine Guillemin lors du meurtre jamais élucidé de son fils - la pousse en 1968 à s'inspirer d'un autre assassinat, celui perpétré à la fin des années 40 d'un homme sans histoire par sa femme qui lors de son procès fut considérée comme demeurée. La victime est ici une cousine sourde muette qui prenait soin de la maison où Claire Lannes, l'auteur du crime,  vivait avec son conjoint. Des morceaux de son corps  on été retrouvés éparpillés dans des wagons de marchandises. Mais non la tête. Le secret de cette disparition restera inviolé. 
Cette pièce créée par Madeleine Renaud, Michael Lonsdale et Claude Dauphin est divisée en deux parties. Dans la première un homme (double de l'auteur) interroge le mari lequel reconnaît qu'il voyait sa femme s'acheminer vers la démence. Deuxième acte : le même homme interroge la coupable jouée par Ludmila Mikaël qui, malgré un maquillage hideux souligné par de méchants éclairages, n'arrive pas à faire croire qu'elle fut femme de service mais reste une grandiose tragédienne. 
Seul sort indemne de cette mise en scène laborieuse Ariel Garcia Valdez qui interprète l'époux avec l'air de celui qui en sait plus qu'il ne veut en dire. 
Madeleine   
       

samedi 9 mai 2009

Chat en poche de Feydeau

Peintre des milieux bourgeois décadents qu'il dissèque en prenant plaisir à en  souligner les ridicules, Feydeau a décidément le vent en poupe. Après L'hôtel du libre échange dont s'est emparé Alain Françon et La dame de chez Maxim créé à Rennes par Jean-François Sivadier et qu'on verra sous peu à l'Odéon voici Chat en poche qui a la particularité d'être monté par le cinéaste des Choristes et de Faubourg 36, Christophe Barratier.  La divine surprise est que cette première tentative théâtrale se révèle aussi aboutie que les mises en scène des deux grands noms de la scène française. 
A l'exemple de monsieur Jourdain dans Le bourgeois gentilhomme, Pacarel  qui, comme il s'en targue lui même,  "s'est enrichi dans la fabrication du sucre par l'exploitation des diabétiques ",  se pique d'art. Apprenant que sa fille a composé un nouveau Faust,  il télégraphie à un ami bordelais afin qu'il lui envoie à Paris  un ténor réputé qui pourra l'interpréter sur la scène de l'opéra. 
Alors qu'il attend son arrivée, surgit, sans crier gare, le fils de l'ami en question qu'il prend pour l'illustre chanteur.  Ce qui provoque une série de plus en plus hallucinante de quiproquos. Le jeune homme qui se prend de passion pour la femme de Pacarel est bientôt aspiré par un tourbillon de malentendus lesquels sont avivés par le fait que Feydeau possède le génie des phrases à double sens et des fantaisie lexicales.  Et chacun - dont le docteur Landernau et sa femme au physique enveloppé, hôtes des Pacarel - d'être la proie de micro-délires.  
La pièce jouée à un rythme soutenu par Jean-Paul Muel, Eva Darlan, Chantal Neuwirth, Gregori Baquet et des partenaires tout aussi débridés se termine sur une chanson  a l'air entêtant composée par le metteur en scène, entonnée et dansée par toute la troupe.  Pur cristal comique, ce spectacle ne devrait surtout pas resté cantonné au seul Théâtre National de Nice où on peut l'apprécier jusqu'au 23 mai.
 

jeudi 7 mai 2009

Le cas Jekyll de Christine Montalbetti

Secondé par Emmanuel Bourdieu et Eric Ruf (auteur également d'un décor bricolé avec grand art), Denis Podalydès incarne Jekyll, homme de bien que ses visées scientifiques vont amener à créer Hyde dans lequel va éclore et bientôt dominer sa part d'ombre.  Partant du roman de Stevenson (adapté plusieurs fois à l'écran notamment par Rouben Mamoulian, Victor Fleming et plus récemment Stephen Frears), l'écrivaine Christine Montalbetti en a tiré une grisante  adaptation.
Comme sous l'effet des sortilèges de la brume de Londres, il découvre en lui lorsqu'il sort la nuit, une imagination carnassière laquelle lui fait commettre des actes meurtriers. Ainsi en buvant des potions de sa fabrication, il se retrouve de plus en plus fréquemment  dans la peau de Hyde son double maléfique. Une de ses mains puis les deux et ensuite sa poitrine vont être recouvertes d'une pilosité exubérante. Les changements de lune vont avoir sur son esprit une influence décisive. 
Lorsqu'il redevient le fréquentable mister Hyde il se transforme en une sorte de greffier de ses propres actes. Parfois il décide de mettre un terme  aux apparitions du monstre qui l'habite mais il ne reste jamais longtemps dans ces heureuses dispositions.  Il n'aura d'autre solution que d'en finir mais enregistrera avant de disparaître une confession qui en dit plus long qu'il n'a jamais été fait sur  la dualité primitive de l'homme. 
Denis Podalydès se montre dans ce monologue l'un des interprètes de sa génération les plus doués et avides d'aventures à haut risque. Comme cette belle leçon de ténèbres.
Les 12 et 13 mai Maison de la Culture d'Amiens A partir du 7 janvier Théâtre National de Chaillot

jeudi 30 avril 2009

Talking heads d'Alan Bennett

Auteur anglais discrètement majeur, Alan Bennet (né en 1934) dépeint avec un humour on ne peut plus british l'attristant quotidien de trois femmes. L'une est une consciencieuse employée de bureau dont la vie va basculer lors d'une visite médicale, la seconde, une femme au foyer devenue  dans sa sinistre banlieue témoin privilégié d'un crime dont l'auteur, une voisine, devient pour elle - dont l'affabilité distante l'a toujours privé d'un entourage chaleureux - une amie à qui elle rend tous les jours  visite dans  la prison où elle est détenue. 
La troisième, vendeuse dans un magasin, est obligée de s'occuper de son frère victime d'une commotion cérébrale; Sa rencontre avec un pédologue dont elle devient une cliente assidue provoque en elle une sorte de choc thermique et lui révèle des fantasmes - les siens comme ceux du spécialiste des pieds maltraités par des  godasses -  dont elle ignorait tout. Sa relation des événements est d'une drôlerie décapante.  
Alors que les destins que l'auteur dessine sont tous accablants, on est fréquemment pris de quintes de rire. C'est que Laurent Pelly, dont on appréciait jusqu'à présent surtout le théâtre chanté et les opéras, accorde une confiance absolue à ses comédiennes. Sous sa direction avisée Christine Brücher, Nathalie Krebs et Charlotte Clamens  incarnent idéalement ces femmes vouées à la solitude.  Comme de plus la scénographie regorge de surprenantes  trouvailles et que le sens du trait dont fait preuve dans son adaptation  Jean-Marie Besset est particulièrement délectable, ce spectacle est fait pour plaire à un large public. 
Jusqu'au 30 mai Théâtre du Rond Point Les textes sont édités aux Editions Actes Sud-Papiers 

dimanche 26 avril 2009

Identité de Gérard Watkins

A ses débuts dans la mise en scène l'acteur Gérard Watkins écrivait avec le zèle des nouveaux venus d'amples fresques dans lesquels abondaient des instants de débordements verbaux. Il a aujourd'hui changé du tout au tout puisque "Identité", sa dernière création n'est jouée que par deux acteur, il est vrai de premier rang : Fabien Orcier et Anne-Lise Heimburger qui étaient déjà de ses précédents spectacles. Comme le firent il y a quelques années les cinéastes Lars Von Trier et Thomas Vinterberg en inventant le dogme, Gérard Watkins s'est imposé de rigoureuses contraintes. Unité de lieu. Pas d'entrée ni de sorties des personnage. Pas non plus d'éléments de décor si ce n'est une moquette à poils longs. Une seule source de lumière. Pas de noirs entre les scènes. 
Digne fils de son père le réalisateur anglais Peter Watkins (à qui l'on doit notamment La bombe, Punishment park et Edward Munch, la danse de la vie), l'écrivain-metteur en scène est bien décidé à en découdre avec la marche inacceptable du monde. Ses deux personnages, Marion et André Klein, sont des déclassés. Elle a décidé de faire la grève de la faim, tandis que lui s'accroche à une chimère. Ayant découvert sur une bouteille de pinard qu'ils peuvent empocher de l'argent en répondant à une question, il ne songe qu'à tenter sa chance. . Etant chacun, par ailleurs, d'une impérieuse lucidité ils dissèquent en s'empoignant régulièrement les temps intenables qu'on vit. 
Indigné par l'amendement Mariani qui rend légales les recherches sur l'ADN imposées à certains étrangers, Gérard Watkins rappelle par l'intermédiaire de Marion les lois raciales édictées en 1940 sous Pétain. Etaient considérés comme juifs ceux qui avaient trois grands parents qui l'étaient où seulement deux grands parents si leur conjoint appartenait à la "race" honnie. Difficile de ne pas mettre faire le lien entre ces lois et certaines maladies qui sautent une génération. 
Réalisé avec une économie ascétique ce gros plans d'un couple représentatif de notre époque tantôt fait rire, tantôt noue les tripes tant sa mise en scène tient fermement le cap.
Jusqu'au 5 mai A la Comète 347, 45, rue du Faubourg du temple Paris (endroit d'un charme fou voué dans peu de temps à la destruction.) Le texte "Identité" est paru à la nouvelle maison d'édition Voix navigable 7 E

mercredi 22 avril 2009

La dame de chez Maxim de Feydeau

Voilà des années que les spectacles de Jean-François Sivadier sont produits ou coproduits par le théâtre national de Bretagne que dirige François Le Pillouër lequel lui laisse toute latitude pour choisir les oeuvres qu'il désire monter. Il ne pouvait qu'être attiré par l'absurdité désopilante du théâtre de Feydeau. Parmi les nombreuses pièces qu'il a laissées la plus délirante étant La dame de chez Maxim, il s'est évidement rué dessus.
Le docteur Petypon ramène chez lui après une nuit de beuverie une belle de nuit surnommée la Môme Crevette. A son réveil il a la stupéfaction de la trouver chez lui. L'affaire se corse quand surgit un tonton à héritage venu d'Afrique afin de marier sa filleule. Le pétulant sexagénaire prend la Môme, qu'il trouve visiblement à son goût, pour l'épouse de son neveu. Celui-ci le laisse dans l'erreur. Suivront d'innombrables quiproquos auxquelles seront mêlées la véritable madame Petytpont, une bigotte ,qui croit dur comme fer aux apparitions surnaturelles, et Mongicourt, un ami du couple que le peu courageux docteur fait passer aux yeux de son vieux parent pour le mari de sa femme.
 Si les personnages sont plutôt pathétiques, les situations sont, elles carrément bidonnantes. Comme dans Occupe toi d'Amélie c'est l'arrivée inopinée d'un oncle qui interprète mal les événements qui se déroulent sous ses yeux qui met la société d'hypocrites a laquelle il rend visite au bord de la déflagration. Le seul personnage qui a la tête sur les épaules est la Môme Crevettes qui fait croire à ces dames de la meilleure société provinciale que ses tics langagiers et ses manières de filles faciles sont du dernier chic parisien. Quel bonheur que de la voir chanter sous l'oeil ravi d'une assistance on ne peut plus bégueule  une complainte salace (composée par Colette Renard...) 
C'est pur délice que de voir des jeux si bien accordé que ceux de NorahKrief (la Môme), Nicolas Bouchaud (qui compose un monsieur Petypont au jeu très physique), Nadia Vonderheyden (une madame Petypont que beaucoup s'accordent à trouver mûre pour la cabanon) et Stephen Butel (l'ami traité par dessus la jambe). Tous ses acteurs sont, il est vrai, de vieux complices de Jean-François Sivadier qui, question atmosphère surchauffée, en connaît un rayon. 
Jusqu'au 30 avril Théâtre National de Bretagne-Rennes     
Du 20 mai au 25 juin Théâtre de l'Odéon    

mardi 21 avril 2009

Toâ de Sacha Guitry

Lorsqu'il écrit Toâ en 1949, nouvelle mouture de Florence qu'il monta dix ans plus tôt, Sacha Guitry a perdu de sa superbe. Il n'est plus le séducteur infatigable et prolixe de ses pièces d'avant-guerre. Bien qu'il n'ait jamais été en délicatesse avec l'occupant et qu'il il continua durant toute la guerre à mettre en scène pièces et films, personne n'apporta jamais la preuve qu'il collabora. Ce qui n'empêche pas qu'a la suite de dénonciations, il fit deux mois de prison à la Libération.  Aujourd'hui il connaît la solitude du créateur et, comme il l'a fait, tout au long de sa longue carrière, il transpose sa vie privée dans ses pièces et fait preuve en matière d'états d'âme de plus de sincérité. 
Alors qu'il se laisse aller à des propos pétillant d'esprit dans un salon calqué sur celui de son propre hôtel particulier une femme assise dans la salle le prend à partie. On apprend bientôt qu'il s'agit d'une de ses anciennes conquêtes avec laquelle il a arrêté tout commerce. Le voilà bien penaud. Son ex amie montera heureusement sur la plateau et  fera la paix avec celui qui fut son amant
C'est  merveille que de voir un jeune metteur en scène s'emparer d'une pièce d'un homme qu'on considérait comme un paraguon de futilité, pire : comme un champion du bon mot. Thomas Joly, qui monta la saison dernière avec les mêmes partenaires Arlequin poli par l'amour, de Marivaux  ne se contente pas de mettre en scène la pièce, sans doute l'une des meilleures des 155 écrites par son auteur, comme le faisait habituellement  le maître et mais s'attribue aussi comme  il en avait coutume  le rôle principal. Mais alors que Guitry parlait d'une voix posée et bien articulée comme il était de mise à son époque (voix que l'on entend à la fin de la représentation qui se termine par un monologue de Debureau, une autre de ses pièces les plus prestigieuses), Thomas Jolly, comme ses acolytes ont adopté le jeu vif en vigueur de nos jours. Toâ non seulement n'y perd rien mais apparaît, du coup, d'une modernité résolue.  
On ne peut que se réjouir de constater qu'Olivier Py a retenu ce spectacle parmi ceux qu'il présente sous peu dans son festival de jeunes metteurs en scène.
Bayeux Le 24 avril
Paris Théâtre de l'Odéon les 5 et 6 mai    
 

vendredi 17 avril 2009

Pur de Lars Norén

L'auteur dramatique suédois Lars Norén connaît une notoriété en irrésistible ascension. Il explore deux veines, la peinture d'une humanité dont la misère psychique et matérielle est de moins en moins marginale et celles de couples à la dérive où il apparaît fait du même bois que Strindberg et, plus prés de nous, qu'Ingmar Bergman. Pur, qu'il met lui-même en scène et où il se fait le spéléologues de nos abîmes intimes appartient à cette dernière catégorie. 
Dans l'espace confiné d'un appartement deux couples aux destins froissés se croisent. L'un quitte les lieux où il vécut de nombreuses années, l'autre y emménage. Très vite les temps se confondent. Peut être s'agit-il des mêmes personnes à une vingtaines d'années de distance. Ce qui est sûr est que tous deux ont perdu un fils et que cet intolérable passé les tire par la manche. Si les hommes parviennent à ne manifester que fugitivement  que  cette épreuve les a fait dépérir, les deux femmes ne cachent pas leur instabilité mentale.  Lorsque celle qui se sent aux abords de la vieillesse, tente de dire à la plus jeune que le temps viendra où la lumière réapparaîtra, celle-ci lui rétorque qu'elle n'a aucun désir d'aller mieux. 
Lars Norén atteint ici la plénitude de son originalité tant sur le plan de l'écriture que de la mise en scène  alors que celle de "A la mémoire d'Anna Politkovska" à laquelle il s'attella il y a quelque mois n'était guère convaincante. Comme pétrifiés les comédiens balancent un texte d'une densité intimidante. Il faut dire que l'interprétation mérite un coup de chapeau collectif. Catherine Sauval (trop rarement distribuée), Christian Cloarec, Alexandre Pavloff et Françoise Gillard acceptent notre finitude avec autant de douloureuse élégance que les créatures imaginées par Bergman. 
La dernière image réalisée en vidéo (qui pour une fois n'apparaît pas comme un gadget) est d'une puissance si tétanisante que plutôt que d'applaudir ce spectacle qui porte  haut l'exigence artistique on a envie de s'éclipser sur la pointe des pieds.
Jusqu'au 17 mai Théâtre du Vieux-Colombier   
       

mercredi 15 avril 2009

L'antichambre de Jean-Claude Brisville

Jean-Claude Brisville est un auteur dramatique qui a la particularité de ne faire aucune concession à l'air du temps. Dans chacune de ses pièces il utilise un vocabulaire dont se serait servi les personnages fameux dont il raconte les antagonismes et dont il décrit les visions opposées qu'ils avaient de la cité. Quitte, comme ici, où il dépeint les opinions de plus en plus divergentes qui opposèrent la marquise du Deffand et sa protégée et lectrice Julie de Lespinasse. à parsemer leurs échanges de tournures qui apparaissent aujourd'hui un brin précieuses. 
Sur le point de perdre la vue, la marquise a fait venir à ses côtés la fille naturelle de son frère. D'idylliques les relations entre les deux femmes que séparent une génération deviennent de jour en jour plus tendues. C'est que l'aînée tient salon et que le cercle de fervents qui le fréquentent , parmi lesquels Turgot et D'Allembert, tombent sous le charme de l'accorte jeune fille qui partagent leurs sentiments d'injustice et leur  désir de voir l'avènement d'une société plus égalitaire. La marquise habituée à être adulée pour le brillant et la causticité de son esprit supporte mal les tendres attentions dont sa nièce est devenue  l'objet.  Se sentant délaissée par ceux qu'elle appelait ses amis,  elle ne tarde pas à donner libre cours à sa jalousie. 
Les passes d'armes entre les deux femmes deviennent bientôt meurtrières.  L'une se prétendant de plus en plus avide de bienséance sociale, tandis que l'autre se révèle partisane inconditionnelle des encyclopédistes. Sans compter que Julie Lespinasse reproche à sa parente de ne lui avoir jamais manifesté d'affection. Madame du Deffand est, elle ne s'en cache pas, une teigne. Mais les dernières phrases  qu'elles échangent prouvent que, étant allée à bonne école, la plus jeune en deviendra une elle-aussi. 
Le metteur en scène à concentré son attention sur ses interprètes. Si  Sarah Biasini et Jean-Claude Bouillon jouent  remarquablement leur partition, Daniele Lebrun est, elle, de la classe des plus grands. Sa seule présence justifie qu'on se précipite dans cette Antichambre. 
Oeuvre. Le texte de la pièce est paru dans l'Avant- Scène 12 E 

dimanche 12 avril 2009

Lettres de Bernard-Marie Koltès

Voilà vingt ans que Bernard-Marie Koltès, auteur dramatique d'une grâce rimbaldienne, s'est effacé du paysage. Dans le vaste massif épistolaire aujourd'hui publié,  il relate à ses proches ses expéditions  dans des contrées aussi lointaines que le Nigéria, le Mexique, le Guatemala et le New-, York des années 70 et 80 qu'il chérissait, ses difficultés pécuniaires et le regard qu'il porte enfant, puis adolescent et enfin jeune homme dégagé des idées toutes faites sur l'univers qui l'environne. Ses divulgations intimes, il les réserve en priorité à sa mère, non en la rendant complice de ses frasques, comme c'est souvent le cas chez des hommes attirés par des individus de leur sexe, mais en tentant de lui faire comprendre les pulsions qui l'habitent. A la mort de son père, il lui envoie une lettre dont la clairvoyance tendre  nous rend tout penaud au souvenir de la difficulté que, tous, nous éprouvons à faire part de nos sentiments à une personne anéantie par la perte d'un être cher. 
Ces lettres sont adressées pour la presque totalité à des amies et à son frère François avec lesquels il pouvait, comme il  il l'écrivit, dissiper les ombres de son coeur. Ce qui ne l'empêchait pas de fréquemment donner libre cours à son humour par exemple quand il décrit la mère  "à la tendresse brûlante et au tonnage renversant" d'un des ses amants mexicains. 
Ce n'est que dans les dernières années de sa vie qu'il noua des relation d'amitié avec des hommes, comme Michel Guy, Claude Stratz et François Regnault qui partageaient sa passion du théâtre et parfois celle des films de série B.  Le récit de ses nuits désordonnées il ne les évoqua, et avec pudeur, qu' à ses copines de toujours.
A l'âge de vingt ans il fit le choix sur lequel il ne revint jamais d'écrire pour le théâtre (plus tard il s'essaya également mais là sans persévérer à devenir cinéaste) Le résultat est qu'il mangea de la vache enragée, même quand grâce à Bruno Boeglin et surtout à Patrice Chereau il  devint célèbre.  Mais celui qui dès le début l'accompagna de ses encouragements fut Hubert Gignoux qui fut pour lui une sorte de père spirituel. 
Les seules lettres où il sortit de ses gongs sont celles qu'il adressa à son agent pour l'étranger et plus particulièrement  à la directrice du Thalia théâtre à Hambourg où la mise en scène de l'une de ses pièces dénaturait son propos. 
Personnage solitaire qui comprenait si parfaitement que, comme le disait l'écrivain suédois Stig Dagerman, "notre besoin de consolation est impossible à rassasier", 
Bernard -Marie Koltès a laissé une place qui reste jusqu'à aujourd'hui vacante. Il ne faut à aucun prix se priver de lire cette correspondance dans laquelle l'auteur trouve les mots justes pour dire son attachement à ceux qui ont donné de la saveur à sa vie et arrive, comme il le reconnaît, à racler sa vérité. 
Les Editions de Minuit 19 E

samedi 11 avril 2009

Les salades à Malek de et par Lounes Tazaïrt

Imparable amuseur, Lounes Tazaïrt est de la trempe si justement appréciée d'un  Fellag. Capable d'observations suraiguës, il dresse les portrait d'une série de personnages hauts en couleur tous d'origine maghrébinne. Se succèdent un chibani (vieil homme) dont la façon d'écorcher les mots est un régal (William Shakespeare devient dans sa bouche William j'expire tandis que l'audiovisuel se transforme en idiovisuel...), une vieille fatma qui écoute les doléances d'une cousine persuadée que son petit-fils est homosexuel lui dit, histoire de la calmer, que ce dernier est moitié bicot, moitié biquette.  
L'acteur accumule les transformations, se déguise en fille à nattes zézayante qui après être tombée raide dingue d'un africain à la recherche d'une fille avec laquelle il puisse contacter un mariage blanc afin d'obtenir des papiers, veut épouser un asiatique tout en sachant pertinemment que sa famille s'opposera à ce mariage si peu conforme aux traditions.  On le retrouve dans un sketch suivant en rocker à la ramasse convaincu que la disparition du King a été fatale à son art et qui se retrouve aujourd'hui dans la peau de ce qu'il appelle "un rocker itinérant".  Cerise sur le loukoum, pour parler à sa façon , son interprétation d'un junky qui tient  sur notre société qui enfermerait volontiers tous ceux qui ne marchent pas droit derrière les hauts murs, des paroles d'une fabuleuse acuité.  
Animé d'une ardeur qui n'est pas monnaie courante, Lounès Tazaïrt réussit le prodige de réaliser un spectacle bidonnant, crépitant d'inventions et d'une salubre clairvoyance politique. Dommage que les producteurs  ne s'y précipitent pas. Il pourrait faire un tabac. 
Tous les vendredi 21h Théâtre Darius Milhaud            

dimanche 5 avril 2009

Les soliloques de Mariette d'après Albert Cohen

Vieux loup des lettres, Albert Cohen écrivit avec Belle du seigneur son oeuvre la plus fameuse. Anne Quesemand et son interprète Anne Danais ont eu l'astucieuse idée de monter un spectacle à partir des quatre chapitres consacrés à Mariette (augmentés de quelques dialogues qu'elle échange avec sa "patronne"), la nounou d'Ariane demeurée à son service alors qu'elle est  déjà adulte. Mariette qui n'est pas sans faire songer à la Félicité d'Un coeur simple de Flaubert éprouve  pour Ariane une tendresse qui irradie à chaque phrase.  Elle déplore -et en même temps se félicite - qu'elle se soit mariée avec un homme qu'elle juge indigne d'elle.
Respectant les déformations de mots utilisées à son endroit par l'écrivain et usant d'un accent qui, dit-elle était celui de ses grands parents et qu'elle retrouve chez quelques vieux amis qu'elle a en Charente où elle vit et tient une sorte de café -théâtre, Anne Danais interprète avec une savoureuse finesse cette femme au franc parler. Son monologue, elle l'égrène de chansons populaires ou oubliées des années trente. 
L'amusement que suscite ses propos désordonnés sur les membres de sa famille, sur les maux qui l'accablent ou sur les autres personnes au service de sa tant aimée Ariane va décroître lorsque celle-ci rencontre le grand amour de sa vie. Se sentant mise sur la touche par celle dont elle se considérait comme une seconde mère et qui lui rendait bien son affection, la pauvre Mariette, comme elle s'appelle elle-même, commence à maugréer. Puis trouvant le climat de la maison où s'est installé le nouveau couple de plus en plus asphyxiant,  finira par faire ses bagages. C'est plaisir que de voir une si truculente comédienne défendre un texte aussi drôle et poignant.
Jusqu'au 19 avril Du mercredi au samedi Théâtre de la Vieille Grille Ensuite à Avignon durant toute la durée du festival    

mercredi 1 avril 2009

La grande magie d'Eduardo De Filippo

Eduardo De Filippo (1900 - 1984 ) emprunte le chemin frayé jadis par Goldoni. Il appartient, en effet, à une tradition populaire où des personnages truculents mènent la danse. Mais De Filippo, du moins dans la dernière partie de son oeuvre, quitte fréquemment la farce de ses débuts pour tendre au tragique. Il est, de plus, en osmose avec la ville de Naples. 
Cette pièce qui fut reçue avec tiédeur à sa création en 1948 mais que Giogio Strehler monta avec succès au Picolo Téâtro de Milan en 1984 puis à l'Odéon-Théâtre de l'Europe en en 1987, commence dans une station balnéaire où un maître en bizarrerie qui a évidement plus d'un tour dans son sac s'emploie à distraire les estivants. Une jeune femme excédée par  la jalousie de son mari accepte de participer à un tour de l'illusionniste pour disparaître et rejoindre son amant. 
Mais le  malheureux époux, qui s'accroche à cet amour qui est une cause perdue, cherche éperdument à la retrouver.  Le magicien, lui, prétend ne jamais l'avoir vue. Inconssolable,  sa victime refuse longtemps toute nourriture. Quand quatre ans plus tard sa femme réapparaît, il refuse de la reconnaître.
La pièce est menée tambour battant par Hervé Pierre (l'illusioniste) et Denis Podalydès (le mari abusif puis abusé). Mais la Comédie- Française est une troupe où les talents se bousculent. Dans des rôles annexes, Claude Mathieu, Alain Lenglet et leurs partenaires qui jouent souvent plusieurs rôles déploient le meilleur de leur talent. Les débuts au Français de l'anglais Dan Jemmet sont décidément délectables
En alternance jusqu'au 19 juillet Comédie -Française 
  
       

lundi 30 mars 2009

John Gabriel Borkman d'Henrik Ibsen

On a pu à de nombreuses reprises remarquer la propension des metteurs en scène allemands à dépasser les bornes. Thomas Ostermeyer ne s'en est au cours de ses nombreuses créations pas privé lui non plus. Mais Ibsen dont il avait déjà monté Nora (Maison de poupée)et Hedda Gabler lui donne visiblement le goût de la sobriété. Il faut dire que le moral ébréché des personnages ne donne pas envie d'en rajouter. En cette période victime de l'idéologie productiviste et des petites frappes de la finance, il ne pouvait faire choix plus judicieux que John Gabriel Borkman. 

Banquier de son état, ce fils de mineur a, en effet, grugé la presque totalité de ses clients ce qui lui a valu cinq ans de taule. A sa sortie, il est revenu chez sa femme qui l'a relégué à l'étage du haut de leur manoir tandis que leur fils était confié à sa tante.  Le temps s'est écoulé, le fils devenu adulte est revenu vivre avec sa mère. La pièce débute au moment où la tante, soeur jumelle de la mère, ressurgit après plusieurs années de silence. et demande d'avoir jusqu'à sa fin qu'elle sait proche, son neveu à ses côtés. Mais le jeune home envoie dinguer mère et tante pour emprunter les chemins de la liberté. 

Comme chaque fois qu'il se mesure à cet auteur qui suggère avec des mots drus le pathétique de notre condition, Thomas Ostermeyer fait preuve tant sur le plan de la mise en scène, de la scénographie que de la direction d'acteurs d'une maîtrise vertigineuse. Un verre translucide occupe le fond de la scène, lorsque le plateau tourne s'élève une mince fumée. Les personnages d'une densité qui suscite le malaise sont défendus par des comédiens d'exception parmi lesquels on reconnaîtra Angela Winkler à qui l'immense Peter Zadek confia, il y a quelques années,le rôle d'Hamlet et qui au cinéma fut, entre autres rôles marquants, l'héroïne du film de Volker Schlöndorf "L'honneur perdu de Katharina Blum". Le prodige est que les années ne semblent pas pas avoir laissé sur elle l'ombre d'une empreinte;
Du 2 au 11 avril Odeon Théâtre de l'Europe