jeudi 29 octobre 2009

Hiver de Jon Fosse

Un homme qui, on l'apprendra, a pris ses distances avec compagne et enfants se retrouve sur le banc d'un parc où une femme manifestement égarée l'apostrophe. Au lieu de prendre la fuite il l'emmène dans sa chambre d'hôtel et lui achète des vêtements. La pièce du norvégien Jon Fosse, portraitiste éclairé des énigmes de l'âme, décrit trois rencontres des ces deux individus apparemment à la ramasse. Les informations qu'il nous laisse récolter sur la femme sont si discrètement distillées que l'appréhension qu'on a d'elle constamment évolue.
L'auteur écrit ses pièces dans la novlangue apparue dans son pays après la guerre durant laquelle gouvernement et population pactisèrent avec l'occupant. Un des traits les plus marquants de cette langue et du style de Jon Fosse est que vocabulaire et syntaxe sont dénudés, vierges de tout colifichet. Ce qui rend le jeu des acteurs singulièrement ardu.
Pascal Bongard, décidément l'un des plus grands comédiens de sa génération, défriche sans mal ce monde opaque. Nathalie Baye apparaît plus inégale. Mal à l'aise dans la première scène où elle joue ou fait mine de jouer les démentes ou les alcooliques, elle se glisse avec une aisance de plus en plus grande dans cet univers miniaturiste.
Même si la mise en scène parfois hésite entre austérité et boulevard, l'auteur s'impose, lui, à l'aune du théâtre contemporain comme un innovateur, on pourrait même écrire comme un maître.
Atelier tel 01 46 06 49 24

dimanche 25 octobre 2009

Douze hommes en colère de Reginald Rose

Au départ Douze hommes en colère était le scénario du premier film réalisé par Sidney Lumet. Grâce au triomphe de cette subtile dénonciation des procès expéditifs et de la peine de mort elle devint une pièce à succès dans tous les pays où elle fut montée. Adroitement retraduite par le metteur en scène Stephan Meldegg et Attica Guedj elle arrive à point nommé en ces temps où notre gouvernement pousse la surenchère pénale et a tendance à considérer comme gibier de prison l'ensemble des jeunes des quartiers défavorisés.
L'un de ces ados est accusé d'avoir poignardé son père. Les jurés délibèrent. Comme pour eux la culpabilité du jeune homme ne fait pas un plis, ils n'ont pas l'intention de s'attarder. Or pour envoyer quiconque à la chaise électrique il faut l'unanimité. Un homme, un seul, émet des doutes quand à la culpabilité de ce gamin de seize ans. Il arrivera, en accumulant des argument de poids, à saper les certitudes de quelques autres membres du jury.
Plusieurs d'entre eux se prennent de bec. En état de constante ébullition l'un de ces bons citoyens finira par faire entrevoir pourquoi il est un partisan si acharné de la condamnation de celui qu'il considère comme un parricide. Un autre, le visage échauffé, crie sa haine "des étrangers qui nous envahissent". Joué à la perfection par les douze comédiens (parmi lesquels on a le bonheur de retrouver André Thorent,l'un des vétéran de la scène hexagonale) ce spectacle inteligement populaire fait salle comble. Ce qui est justice.
Théâtre de Paris tel 01 48 74 25 37

vendredi 23 octobre 2009

Misérables d'après Victor Hugo

En environ 1 heure vingt trois comédiens , deux hommes et une femme, racontent et commentent la vie en vrille de Jean Valjean. Si les cycles de l'infortune pour lui jamais ne s'enrayent, il arrive à mettre du baume au coeur de quelques uns des personnages qui croisent sa route. Ainsi Cosette élevée à la brutale par les odieux Thénardier à qui il la "rachète". Il aura aussi arraché aux mains d'une justice sans pitié pour les miséreux, Fantine, héroïne emblématique des romans naturalistes et fait découvrir sa part d'humanité à l'impitoyable Javert, policier de son état.
Si le roman d'Hugo qu'a très librement adapté Philippe Honoré (comme il le fit il n'y a guère avec l'oeuvre de Proust) est une épopée mélodramatique, le spectacle de Philippe Person tient du cabaret. Bourré d'inventions visuelles et joué avec entrain notamment par Anne Priol qui prouve une fois de plus la diversité de son savoir faire, ce joyeux condensé d'un livre qui n'a cessé de connaître une extraordinaire fortune ne peut qu'épater un large public.
La fracture sociale étant, comme au temps de Victor Hugo, intégrée comme une donnée incontournable, Misérables a aussi le mérite de relier, sans avoir l'air d'y toucher, le passé à notre si peu reluisant présent.
Lucernaire tel 01 45 44 57 34

mercredi 21 octobre 2009

J'existe (foutez moi la paix) de Pierre Notte

Flanqué de Marie Notte, sa soeur qui n' a jamais pris un cours de chant mais possède une voix irrésistible et de Paul-Marie Barbier qui caracole d'un instrument à l'autre et dont la musique exalte de rudes vérités, Pierre Notte, l'un de nos plus originaux jeunes auteurs dramatiques, rend hommage au cabaret de bas étage. Ce qui en d'autres termes signifie qu'il paie son écot au roman populaire.
Comme dans les chansons d'avant-guerre une fille qui répond au nom qu'elle refuse de Geneviève songe d'abord à se jeter par la fenêtre puis devient une fleur de pavé rebaptisée comme la Marlène Dietrich de L'ange bleu, Lola Lola. A 50 ans après avoir attrapée plus de morpions que de clients la voilà toute flétrie. Pierre Notte dont l'amour pour sa soeurette est infini lui donne, comme Ernst Lubitsch dans Le ciel peut attendre, une seconde chance. Et ce sera la rencontre avec les écrits, les films ou la bargerie de Rilke, de Duras, de Sartre, de Visconti et d'une palanquée d'autres talents. Ce qui ne suffira pas au bonheur de celle qui accepte enfin le nom de Geneviève.
Pierre Notte présent sur scène durant toute la représentation adore les écarts de langage et les situations gênantes. Mais doué d'une classe folle, il arrive à ce que jamais le public ne se sente dans ses petits souliers. Malgré sa sourde mélancolie le spectacle, produit par le théâtre des Déchargeurs et le Théâtre du Rond-Point, est l'un des plus réjouissants du moment.
Jusqu'au 21 novembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21

lundi 19 octobre 2009

Une iliade de René Zahnd d'après Homère

Fils du grand (dans tous les sens du terme) Sotigui Kouaté, Hassane Kassi Kouyaté sait faire de pauvreté vertu. Son spectacle écrit par René Zahnd d'après le grand oeuvre d'Homère se donne, en effet, dans une scénographie on ne peut plus épurée, sous un chapiteau. Il est joué, chanté et dansé par des acteurs venus d'horizons variés ( Maghreb, Cuba, Afrique de l'Ouest, Europe...) On s'en souvient sans doute, l'Iliade raconte les débuts de la campagne punitive menée contre Troie par les grecs.
Deux passions amoureuses ont provoqués et attisés le conflit celui de Paris, prince de Troie pour Hélène, la femme de Ménelas qu'il a - avec son consentement - enlevée et celui d'Achille que la mort de son bien aimé Patrocle par Hector le second fils de Priam, roi de Troie, a rendu fou de douleur et de haine. Seules les voix des femmes - qui seront les infortunées héroïnes des Troyennes - prônent la paix. Les hommes ont, eux, le goût des joutes argumentées. Mais leur éloquence de feu n'a d'autre but que de pousser au combat.
La transaction qui aura lieu entre Achille et Priam qui veut récupérer le corps d'Hector apparaît dans ce contexte d'autant plus surprenante. Mais la complexité haletante du récit vaut surtout par les chants sublimes qui la ponctue. La seule réserve que suscite cette galerie de personnages au coeur en sang est que la plupart des interprètes campent plusieurs rôles. Ce qui n'aide pas à la compréhension de cette reconstitution d'un conflit qui au cours de l'Histoire n'aura cessé de se répéter.
Jusqu'au 31 octobre au chapiteau d'Adrienne 62, rue René -Binet Paris 75018

vendredi 16 octobre 2009

Sextet de Remi De Vos

Comédie aussi disjonctée que celles de Copi, Sextet a pour personnage central Simon qui bosse dans une entreprise de produits agro-alimentaires et revient, après avoir appris la mort de sa mère, dans la maison de son enfance accompagné d'une de ses collègues. Celle-ci se révèle d'une nature goulue. Tout comme ses deux voisines qui débarquent sans crier gare et qui pour le consoler et s'excuser des dégâts provoqués par leur chien dans le jardin de sa mère lui chantent des lieds de Schubert ou une chant portugais de toute beauté. Contrairement à une idée reçue, comme l'écrit Remi De Vos dans le dossier de presse, la musique n'adoucit pas toujours les moeurs. Elles provoquerait plutôt ici une allégresse forniquante...
Arrive ensuite une sorte de poupée barbie à la libido toute aussi forcenée. Ce sera enfin le chien, en fait une chienne, qui, affamée, surgira. Affronté au monde du désir, Simon dont l'inconsistance intérieure sautait aux yeux, se transforme.
Grâce à ses expériences nouvelles, il en apprendra de belles sur ses géniteurs et surtout sur la pluralité des êtres. On l'a compris soutenu par la mise en scène d'Eric Vigner, Remi De Vos a plus que jamais faussé compagnie à la raison. Emaillée de propos épicés, sa pièce qui se déroule dans un magnifique décor tout en longueur conçu par le metteur en scène, plaira à un public amateur d'audaces de style.
Réunies autour de Micha Lescot dont le jeu, comme à son habitude, évoque celui d'un contorsionniste, Maria de Medeiros et Jutta Johanna Weiss campent des voisines follement envahissantes. Le clou du spectacle on le doit à Johanna Nizard qui joue à la perfection de sa voix et de son accoutrement dont on vous laisse la surprise et qui, divin instant, entonne tout à coup une chanson en arabe.
Jusqu'au 14 novembre Théâtredu Rond-Point tel 01 44 95 98 21

samedi 10 octobre 2009

Au hasard des oiseaux Textes de Jacques Prévert

Quel précieux bonheur que de retrouver Prévert d'autant que ses textes (certains nous sont familiers, d'autres moins) sont interprétés par Antoine Régent, un comédien peu connu mais qui mérite grandement de l'être, dont le grain de voix soyeux convient à merveille à l'écrivain. De ce dernier on connaît surtout la fantaisie primesautière et le solide mépris des opinions communes. On découvre que plus proche des surréalistes qu'on l'imaginait, la poésie de l'invraisemblable ne lui est pas étrangère.
Le seul reproche qu'on fera à l'acteur est d'avoir laissé son pianiste et son contrebassiste (par ailleurs irréprochables) parfois noyer ces mots d'une vivacité saisissante mais aussi d'une virulence fulgurante dans une tempête de musique.
Le spectacle ne dure qu'une heure. Il est, en dépit de la mince réserve qu'on vient de formuler, d'un charme déroutant.
Jusqu'au 19 décembre Les vendredis et samedis 20h Les Dechargeurs tel 08 92 70 12 28

vendredi 9 octobre 2009

Le démon d'Hannah d'Antoine Rault

Il y en a qui ne manquent pas d'air. Ainsi Antoine Rault dont la pièce Le démon d'Hannah est pure falsification historique. On pourrait même dire foutage de gueule. Il prétend en effet qu'après la guerre Hannah Arendt retourna en Allemagne et revit une unique fois Martin Heideger avec qui, après s'être livré à quelques galipettes, elle reprocha son adhésion au national socialisme, son refus de venir en aide à ses amis et collaborateurs juifs et son silence face à l'extermination de ses coreligionnaires.
La vérité, comme le prouve la correspondance nourrie qu'échangèrent Harendt et Heideger (et qui fut publiée il y a quelques années), est toute autre. Non seulement elle n'eut plus de relation sexuelle avec celui qui fut son amant quand elle avait 18 ans et qu'elle admirait éperdument mais elle continua des années durant à lui rendre visite et à tout tenter pour que son oeuvre soit à nouveau reconnue comme un joyau de la philosophie. Contrairement à ce que prétend l'auteur dramatique jamais elle ne lui fit grief de son silence alors qu'il ne pouvait ignorer qu'une section d'humanité était vouée à l'élimination.
L'aspect incongru de ces échanges est qu'alors que Heideger se contente de décrire la splendeur des paysages allemands et, sans jamais s'en plaindre, l'aspect terne de son quotidien, Arendt tente d'élever le niveau de leurs échanges. En vain.
Dirigés de façon on ne peut plus sommaire par Michel Fagadau, les acteurs, c'est le moins qu'on puisse dire, ne font pas d'étincelles. Seule Josiane Stoleru qui interprète la femme du grand homme et se lamente sur la chute du Reich révélant dans la foulée un antisémitisme coriace fait, comme toujours, preuve d'un solide métier.
Comédie des Champs-Elysees tel 01 53 23 99 19

jeudi 8 octobre 2009

La séparation des songes de Jean Delabroy

Crève, ordure, sois maudit. C'est par ses mots de rage que débute la pièce de Jean Delabroy qui relate l'histoire d'une enfant qu'un homme a enlevée, attirée dans ses ténèbres. Quelques années plus tard, après s'être sauvée, elle est bien sûr poursuivie par les souvenirs de sa captivité mais aussi en butte aux rumeurs confuses du drame dont elle fut l'objet et bien obligée de considérer son retour aussi douloureux que libérateur.
Elle ne va dès lors plus cesser de ruminer des pensées nouvelles et de laisser filer sa mémoire. Après s'être rappelée à quel point était grande son inexistence et faire remonter des grands fonds le souvenir des débuts de sa séquestration dans une cave où elle s'écorchait les mains sur les murs pour sentir quelque chose, des pensées plus douces la submerge. Et de se remémorer les élans de compréhension qui les liaient l'homme et elle. Leur communication certes retrécie était néanmoins forte.
Dévoilant de la sorte les liens qui s'étaient établis entre son ravisseur et elle, elle s'avoue la peur qu'elle éprouva quand, fantasme ou réalité, elle se persuada qu'une autre était devenue l'élue de celui qui l'avait soustrait à son quotidien. Mais les moments les plus intenses du texte sont ceux où elle, dont l'enfance si formatrice fut sacrifiée, tente de cerner la frontière derrière laquelle se forme le moi.
Dirigée surtout dans la dernière partie du spectacle avec une magnifique sobriété par Michel Didym, Julie-Marie Parmentier confirme un talent d'une poignante fraîcheur. Elle est accompagnée tout au long de son monologue par une musicienne aussi douée qu'elle : Charlotte Castellat
Jusqu'au 17 octobre Théâtre Ouvert tel 01 42 55 55 50

vendredi 2 octobre 2009

Sous le volcan d'après Malcolm Lowry

Le metteur en scène flamand Guy Cassiers a la particularité de ne pas s'effacer devant les grands auteurs. On peut même dire qu'ils lui donnent des ailes. Avec la complicité de Josse De Pauw il a adapté le roman de Malcolm Lowry qui relate le dernier jour de la vie d'un ex -consul américain qui cogite éperdument et qui, malgré le retour d'Yvonne, la femme qu'il aime, se suicide au mescal.
Tout au long du spectacle qui se déroule le 2 novembre 1939, (cette date, le jour des morts, est au Mexique l'occasion d'une grande célébration macabre), il cuve son amertume qui est d'autant plus violente que la nuit noire qui est déjà en passe de recouvrir l'Europe tente de s'étendre jusqu'au Mexique où les nazis et leurs soutiers sont en nombre.
Une bande vidéo occupe le fond de scène. Des visions aussi différentes que celles d'une forêt tropicale, d'un bas de visage dissimulée par de la mousse laquelle est soigneusement rasée et d'images qui laissent entrevoir l'état d'esprit de celui qui sait déjà avoir la mort sur l'épaule se succèdent. Comme il privilégie également les gros plan, on ne s'étonnera pas d'apprendre sous peu que Cassiers sacrifie le théâtre au cinéma.
Ce spectacle qui saisit un homme en sa misère psychique (Josse De Pauw exceptionnel) et baigne dans une lumière de cendres est d'une splendeur dévastatrice. Il ne reste , hélas que peu de temps à l'affiche. C'est le seul regret qu'il inspire.
Jusqu'au 9 octobre tel 01 42 74 22 77