jeudi 26 février 2015

The servant de Robin Maughan

Il a fallu à Thierry Harcourt un sacré cran pour oser s'attaquer à "The servant" pièce dont Harold Pinter tira en 1963 un scénario à partir duquel Joseph Losey réalisa un film qui provoque à chaque vision le même émerveillement. Il lui fallait aussi faire preuve d'un immense discernement pour trouver des comédiens qui jouent les rôles que tenaient à l'écran Dirk Bogarde et James Fox. En portant son choix sur Maxime d'Aboville et Xavier Lafitte, il ne s'est pas trompé. Revenu d'un long séjour en Afrique, Tony, un jeune lord engage pour tenir sa maison un valet de chambre prénommé Barett. Celui-ci se révèle un véritable génie du foyer. L'employeur ne tarde pas à être soigné aux petits oignons par son valet. Ce qui n'est pas fait pour lui déplaire. Pas plus que l'arrivée d'une nièce de Barret dont la jeunesse et l'impertinence déchaînent ses ardeurs. Petit à petit le maitre abandonne ses prérogatives à son domestique lequel lui fait goûter des plaisirs que réprouve la bonne société à laquelle il appartenait. Sa déchéance lui permet, en réalité, d'échapper au carcan de son milieu. Son meilleur ami (Adrien Melin impeccable), qui joue les aînés et tente de le faire revenir à la raison, cache, lui, sous son aspect lisse un lot de frustrations. Robin Maughan (auteur de la pièce et neveu du célèbre écrivain Somerset Maughan), avait à l'évidence le goût de l'équivoque mais aussi la haine de l'Angleterre huppée des années cinquante où le désir sexuel était méchamment brimé. Poche Montparnasse tel 01 45 44 50 21

lundi 23 février 2015

Au monde Opéra de Philippe Boesmans sur un livret de Joël Pommerat

La pièce de Joël Pommerat - créée il y a un an au Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles - se situe au sein d'une famille de la haute bourgeoisie industrielle. Comme il se doit les secrets et les non dits y sont innombrables. La plus jeune fille dont on célèbre l'anniversaire remplace une enfant disparue du vieil industriel. Le patriarche, qui semble perdre l'esprit, a décidé de confier la conduite de ses affaires à son deuxième fils. Celui-ci, qui a opté pour une carrière militaire, surgit après s'être fait longtemps attendre. Ce fils aux comportements inexplicables ne semble guère disposé à accepter l'héritage. Lequel ne rebute pas le mari de la soeur aînée peu regardant sur les moyens de servir son ambition. Un de ses moyens est d'introduire dans la place une femme qui restera un mystère. D'autant qu'elle parle une langue que personne ne comprend... Seule, la seconde fille, une vedette de la télévision, fait entendre combien l'inquiète l'évolution des membres du clan familial. La composition musicale de Philippe Boesmans épouse avec délicatesse l'écriture à la fois précise et sous tension de Joël Pommerat. Si l'orchestration est parfaitement réussie et les chanteurs admirable (on confessera une préférence d'amateur pour Charlotte Hellekant qui prête sa voix au personnage de la fille aînée et pour Philippe Sly qui prête la sienne au fils prodige) on regrette cependant de ne pas retrouver l'émotion que suscite les créations théâtrales de Pommerat. Sans doute le passage à l'opéra rend-t'elle la pièce un peu mécanique. Reste l' étrangère à la voix proférée ou hurlée (Ruth Olaizola) dont l'allure d'un équivoque extrême apporte depuis longtemps un charme vénéneux aux productions de Pommerat et qui, ici, évoque l'étrange visiteur joué par Terrence Stamp dans Théorême de Pasolini. Les 24,26, 27 Février Opéra Comique tel 08 25 01 01 23

lundi 16 février 2015

Des gens bien de David Lindsay-Abaire

La vie de Margaret est un combat. Toujours perdu. Virée pour ses innombrables retards de son boulot de caissière, elle n'en mène pas large. Poussée par ses deux copines de toujours, elle se décide à aller demander du taf à Mike son amour de jeunesse devenu un médecin en vue. Cet ex, qui a depuis longtemps quitté le quartier déshérité où elle vivote, trouve moyennement drôle de la voir débouler dans sa confortable maison. Sa femme, une superbe noire issue d'un milieu aisé se montre nettement plus accueillante. Margaret, qui a l'habitude de s'exprimer rondement ne se prive pas du plaisir d'évoquer quelques souvenirs plutôt cuisants. Mise en scène avec une réjouissante habileté par Anne Bourgeois cette comédie sociale - qui a fait un triomphe aux Etats Unis - provoque, en dépit d'une situation plutôt affligeante, constamment le rire. Miou-Miou, comédienne aimée du public, apporte le renfort de sa célébrité. On ne voit d'ailleurs pas quelle autre "vedette" de sa génération aurait pu jouer les prolos. A ses côtés Brigitte Catillon et Isabelle de Botton font preuve d'un abattage irrésistible. Les changements d'humeur et d'attitude de Patrick Catalifo sont ceux d'un comédien aussi riche de métier que d'intuition. Hébertot tel 01 43 87 23 23

mercredi 11 février 2015

Les estivants de Maxime Gorki

A l'instar de Tchekhov, Gorki dépeint ici une société de gens aisés (mais parfois issus de milieux modestes) dont les paroles sortent en flot. Mais il n'est pas comme l'auteur de La mouette attendri par tous ses personnages. Il n'éprouve de sympathie que pour ceux qui jugeant leur vie insipide ont soif de changements. Ils sont une dizaine qui se réunissent chaque été dans la propriété d'un homme de loi un brin véreux. Certains, d'humeur querelleuse, s'empaillent volontiers. L'un se délecte à s'enfoncer dans un marécage d'émotions, un autre se montre d'un cynisme qui ne peut que révolter une doctoresse à laquelle importe le sort des défavorisés. Cet humanisme militant est bien sûr celui de l'auteur avant la Révolution d'Octobre. En faisant de cette femme une passionaria aux discours trop enflammés c'est, on peut le supposer, de lui même qu'il se moque. Les artistes ne sont pas mieux lotis. La poétesse vit dans un monde qui n'existe que dans son imagination aussi débordante que fleur bleue. Un écrivain vénéré par la maîtresse de maison se révèle un piètre humain. Au fil des jours des ambitions nouvelles jaillissent, des amitiés décroissent, des amours naissent peut être sans lendemains. Comédien d'immense envergure, Gérard Desarthe se veut aussi depuis quelques années metteur en scène. Si la distribution est si parfaitement à l'unisson, c'est évidement qu'il a poussé chacun à son meilleur. Ses partenaires ne nous en voudront pas si l'on met l'accent sur l'interprétation de Sylvia Berger qui a peu fréquemment eu une telle occasion de montrer la finesse de son jeu. Jusqu'au 25 mai Comédie - Française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

dimanche 8 février 2015

Ivanov d'Anton Tchekhov

Comme quasi toutes les pièces de Tchekhov "Ivanov" a pour cadre une province minée par l'ennui.Ivanov est un homme ruiné, qui n'a pour lui-même aucune considération et est marié à une femme juive pour laquelle il n'éprouve plus de sentiments et qui se meurt d'une tuberculose. Soir après soir il se rend dans un salon tenu par une femme d'une inimaginable ladrerie à laquelle il doit une importante somme de roubles. Le temps y passe au fil de futiles et souvent malveillantes conversations. La bassesse y régnerait en fait sans partage si n'y était présente Sachenka, la fille de la maison. Laquelle ne cache pas la tendresse que lui inspire son père alcoolique et l'amour que lui inspire Ivanov. Tchekhov prétendait écrire des comédies. Ce qui apparaît plus que rarement dans les mises en scène de ses pièces. Luc Bondy, cette fois à la manoeuvre, maîtrise élégamment les nombreux passages du drame au divertissement. Nombre de scènes sont assorties d'une touche d'humour. D'autres comme celle où, exaspéré par la passion que lui voue sa femme, Ivanov finit par la traiter de sale juive broient le coeur. Il sera évidement incapable de se pardonner ces mots. L'écrivain fait ressentir tout du long l'antisémitisme forcené qui régnait dans la Russie de son temps. Et qui semble-t-il n'a pas décru. Si certaines scènes comme celle où les convives se pressent dans la salle où se déroulent les noces d'Ivanov et de Sachenka prend vite l'allure d'une danse macabre d'autres sont mois réussies. La faute à quelques comédiens qui forcent la note. Micha Lescot incarne en revanche à la perfection le personnage central qui ressent si violemment le vide de son existence.Il n'est heureusement pas le seul qu'on a envie de couvrir de louanges. En priorité Marina Hands, Ariel Garcia Valdez et Laurent Grévil. Quant à la jeune Victoire Du Bois (Sachenka) sa présence est si radieuse qu'elle s'imprime d'emblée dans les mémoires. On ajoutera enfin qu'il n'est pas certains qu'en optant pour la première version (trop longue) écrite par Tchekhov Luc Bondy ait fait le bon choix. Jusqu'au 1er mars puis du 7 avril au 3 mai Odéon-Théâtre de l'Europe tel 01 44 85 40 40