lundi 30 septembre 2019

Jules César de Shakespeare

Fondateur du collectif "Les possédés" et aujourd'hui à la tête du Centre dramatique de Bretagne à Lorient, Rodolphe Dana (dont plusieurs des mises en scènes sont mémorables) se confronte aujourd'hui a Jules César,une des pièces de Shakespeare aussi célèbre (notamment grâce au film qu'en a tiré Joseph Mankiewicz) que peu jouée. Un groupe de sénateurs dont l'éloquence n'a d'autre but que de pousser au meurtre de Jules César persuadent leurs pairs que le vainqueur des Gaulles veut instaurer la plus liberticide des tyrannies. Après avoir été convaincu par sa femme qui, sensible aux augures, l'avait implorée ne pas se rendre à la célébration organisée en son honneur, César baisse la garde. Mal lui en prend. Les patriciens aux haines recuites le lardent de coups de couteaux. La scène où chaque blessure fait jaillir son sang est de celles qui ne se peuvent oublier. Le dernier à le transpercer de sa lame est Brutus pour qui il nourrissait une profonde tendresse. Si le favori aimait, lui aussi, le général, son coeur, dit-il, penchait davantage encore pour Rome. Au forum Marc Antoine que cet assassinat à éprouvé au plus profond a une tirade d'une majesté qui soulève les foules. L'armée dirigée par Brutus et Cassius, son âme damnée, s'affronte à celle de Marc Antoine soutenu par Octave, le fils adoptif de César. Constatant combien les femmes jouent aujourd'hui en politique un rôle déterminant, celui de César a été attribué a Martine Chevalier tandis que Georgia Scalliet assure celui de Marc Antoine. Toutes deux, comme Nazim Boudjenah à qui échoit le rôle de Brutus, sont grandioses. Un spectacle au dispositif bi-frontal qu'apprécieront autant les jeunes que les moins jeunes spectateurs. Jusqu'au 3 novembre Comédie-Française Vieux-Colombier tél 01 44 58 15 15

samedi 28 septembre 2019

L'île des esclaves de Marivaux

Jacques Vincey a confié à cinq comédiens qui font leurs premières armes professionnelles les rôles de L'île des esclaves, une pièce en un acte dans laquelle Marivaux, dont on connaît l'hyper-acuité intellectuelle, en dit long sur ce que lui inspire les liens de classe. Un homme et une femme de haute extraction, tous deux dans la fleur de l'âge, échouent dans une île en compagnie de leur serviteur. Magistrat du lieu doué de dons magiques, Trivelin transforme les maîtres en esclaves et ces derniers en puissants. L'âge tendre pouvant être coriace, les anciens esclaves commencent par se venger de belle manière de ceux dont ils ont subis le joug et les caprices. L'ex gentilhomme se verra même poussé à se livrer à quelques arlequinades. Après avoir plastronner, Arlequin se lasse de la situation inusitée qui lui est échue. Cléanthis, l'esclave d'Euphrosine dont la fierté en a pris un coup, fera de même. Les jeux de miroirs dans lesquels Marivaux était passé maître s'ébrèchent. Le premier revirement, celui d'Arlequin, pourrait être comparé à ces illuminations dont Claudel se fera plus tard une spécialité. Tout se joli monde retourne à Athènes dont ils sont partis. Rien ne dit que les prises de conscience des maîtres ne vont pas s'y volatiliser. Merveilleusement accompli, le spectacle se termine par un épilogue où le metteur en scène a confié à ses jeunes interprètes le soin de livrer leur vision du monde dans lequel il leur faut vivre. Si une des actrices loue la puissance nouvelle des femmes, un de ses partenaires, qui se dit épris de sciences et de logique, ne cache pas son pessimisme sur le devenir de l'humanité. Le sentiment général est qu'on est aussi peu tiré d'affaire qu'il y a 300 ans...Jusqu'au 5 octobre Théâtre Olympia Tours Tél 02 47 64 50 50 Ensuite tournée dont les premières dates sont les 17 et 18 octobre à Amboise, du 5 au 9 novembre à au Préau-Centre dramatique national de Normandie -Vire, les 13 et 14 nov à L'avant-Seine-Théâtre de Colombes, le 19 nov à Ma scène nationale-Pays de Montbeliard.

mardi 24 septembre 2019

La puce à l'oreille

De toutes les pièces de Georges Feydeau, La puce à l'oreille est, et de loin, la plus débridée. Chacun semble avoir perdu les commandes de son esprit. Tout part de la certitude qu'a soudain madame Chandebise d'être trompée par son mari. Après avoir mis sa meilleure amie dans la confidence elle lui demande s'en mêler. Ce qui va déclencher une multitude de catastrophes. D'autant que l'époux a pour sosie un soiffard qui fait office de valet dans un hôtel de passe... Il importe dans ce type de répertoire que les comédiens fassent preuve d'un bel abatage scénique. Ce qui est le cas de Thierry Hancise, Cécile Brune et Nicolas Lormeau qui, depuis longtemps engagés au Français, ont du métier à revendre. Leurs partenaires sont, pour la plupart, moins à leur affaire. Il est vraisemblable qu'au fil des représentations ils auront trouvés leurs marques. Dans le registre du théâtre de boulevard, Feydeau est sans égal. Sa machinerie est d'une précision diabolique. C'est pourquoi si peu de metteur en scène arrivent a en restituer la somptueuse démence. En alternance jusqu'au 23 février Comédie Française tél 01 44 58 15 15

dimanche 22 septembre 2019

Orlando de Virginia Woolf

A chacune de ses créations la metteuse en scène anglaise Katie Mitchell recours à quantité d'artifices techniques. Comme dans ses précédents spectacles une narratrice est présente sur le plateau où l'intrigue est filmée et projetée sur un écran qui surplombe la scène. Comme d'autres avant elle (notamment Bob Wilson) elle se mesure à Orlando,sans doute le texte le plus insituable de Virginia Woolf puisqu'il débute sous le règne d'Elisabeth 1er et s'achève en 1928, date où son écrit est publié. Homme jusqu'à 30 ans, Orlando se retrouve, après un long sommeil, dans le corps d'une femme. Si sa vie n'arrête de prendre d'aussi étranges tournures, elle reste fidèle à la poésie, sa seule véritable passion. Pour le reste elle s'adapte au rythme de ses mutations. Si elle répond aux sollicitations des femmes d'abord, des hommes ensuite, elle a fréquemment un vital besoin de solitude. Ce qui ne l'empêche pas de céder à l'attrait des banquets et autres réjouissances. En fin de parcours elle s'avoue que malgré les innombrables péripéties qui ont jalonnées sa vie, celle-ci lui a échappée. On a compris que les codes de la vraisemblance n'auront cessés de se dérober. Katie Mitchel a, cette fois, pour interprètes les comédiens de la Schaubühne berlinoise, une troupe dont la réputation n'est plus à faire. D'où vient alors un insidieux sentiment de lassitude? Sans doute d'un texte trop touffu qui aurait gagné à être allégé. Jusqu'au 29 septembre Odéon Théâtre de l'Europe tél 01 44 85 40 40

vendredi 20 septembre 2019

I am Europe

Considéré comme l'un des grands dramaturges allemands d'aujourd'hui Falk Richter dépeint à travers huit comédiens et danseurs issus de divers pays l'interminable tourbillon des malheurs qui ont et continuent à frapper l'Europe. Les interprètes parlent dans leur langue laquelle est traduite sur un écran. Force est de reconnaître le manque relatif d'originalité de l'inspiration de l'auteur. Que les actuels responsables ressemblent davantage à des chefs d'entreprise qu'à des chefs d'Etat nous l'entendons ou le lisons tous les jours dans les médias. Le massacre en 1961 par la police de Papon au bas mot de centaines d'algériens nous est hélas connu. Ce qui n'empêche pas l'auteur d'y longuement revenir. Il est vrai que les plaies provoquées chez les descendants des victimes ne se cautérisent pas et expliquent la haine de certains d'entre eux. Richter insiste également sur les dommages provoqués chez les plus démunis par l'intégrisme néo-libéral lequel provoque le succès des leaders populistes. Beaucoup plus captivants sont les récits des acteurs qui décloisonnent leur mémoire pour évoquer l'overdose de malheurs qui ont été les leurs. Etrangement c'est un comédien (Douglas Grauwels) qui, refusant de jouer le jeu, nous fait le seul récit qui met du baume au coeur. Familier de la ville de Gand, il a constaté que dans un des quartiers où vit une population miséreuse, des initiatives ont été prises qui permettent aux habitants de sortir de la mouise. Cela grâce à la création d'une monnaie locale appellée Torrekens laquelle leur permet d'initier des projets (comme la création de potagers) qui rendent leurs vies moins misérables. Sur le plateau occupé par des écrans, des cubes, une table et quelques chaises les interprètes dansent, chantent, font des prouesses physiques et se font - malgré les textes qui leur sont échus - applaudir à tout rompre. Jusqu'au 9 octobre Odéon Ateliers Berthier 17e tél 01 44 85 40 40

jeudi 5 septembre 2019

Le cours classique de Yves Ravey

Alors qu'il réalisa des années durant des spectacles marquants, Joël Jouanneau semblais avoir pris ses distances avec la scène. Il n'en est heureusement rien puisqu'il a adapté avec Sandrine Lanno, qui l'a ensuite mis en scène, le texte de Yves Ravey "Le cours classique". Conrad Bligh, professeur principal d'un collège, prend à partie une classe d'élèves qui lors d'un cours de natation ont fait boire la tasse a leur professeur d'anglais aux prouesses nautiques peu éclatantes. Alors qu'il s'apprête à reprendre son cours sur Gide surgit monsieur Saint Exupéry, le censeur des études. Pour lui il ne fait pas de doute qu'il y ait eu de la part de deux élèves tentative d'assassinat. Chez cet homme aux certitudes bétonnées la puissance des mots s'exerce à plein. On devine entre les deux hommes, celui dont la peine à vivre est plus grande et qui est de ce fait plus porté à la tolérance et son supérieur qui croit à sa mission d'autorité morale, une sourde tension. Le public apparaît tantôt comme la classe des élèves à qui il fait reproche de leur comportement, à d'autres moments comme des membres de la commission qui doit statuer sur le sort des deux jeunes gens. Si la loquacité de l'un laisse l'autre coi, ce dernier n'est pas sans réagir. A l'aide de souvenirs à priori sans lien avec les discours enflammés de son interlocuteur, il vide son sac et donne ce faisant une vision de l'enseignement on ne peut plus éloignée de celle du censeur. Il ne tombe pas pour autant dans l'évocation d'un bel autrefois où, se souvient-il, il fut envoûté par un professeur au passé trouble dont les sévices moraux n'avaient rien à envier à celles de Saint Exupéry. Il n'est certes pas nouveau que des jeunes enrégimentés favorisent la montée d'une pensée totalitaire. Le prodige est que ce spectacle alarmant fasse constamment sourire. Qu'il soit puissamment interprété par Philippe Duclos et Gréguoire Oestemann, un comédien d'un talent exceptionnel qui, après avoir été porté aux nues, semblait depuis quelques ans avoir perdu les faveurs des metteurs en scène et que l'écriture d'Eric Ravey soit surprenante de précision et de surprises ne sont évidement pas étranger à sa réussite. Jusqu'au 29 septembre Théâtre du Rond-Pont tél 01 44 95 98 21