vendredi 30 mai 2014

Le square et Savannah Bay de Marguerite Duras.

En s'attachant à deux pièces de Marguerite Duras écrites à quelques années de distance, Didier Bezace prend  un sacré risque. Celui de permettre d'évaluer un auteur qui connut autrefois une exceptionnelle  fortune littéraire. Ses textes eurent longtemps la réputation d'être hypnotiques. Il n'est pas certains qu'ils apparaissent encore tels aujourd'hui.

Si Le square qui détaille la rencontre d'une bonne à tout faire et d'un voyageur de commerce, tous deux sérieusement ébréchés, tient toujours la route, il n'en va pas de même de Savannah Bay. Une femme à la mémoire en déclin est poussée par une proche, plus jeune qu'elle, à se rappeler le temps d'autrefois. Temps où elle était une comédienne de théâtre extrêmement prisée.  Temps de sa jeunesse marqué par l'irruption dans sa vie d' un amant magnifique dont la disparition la laissa inconsolée. L'émotion que provoque la présence de cette comédienne inclassable qu'est Emmanuelle Riva est indéniable. Le jeu tout en finesse d'Anne Consigny pourrait ajouter à notre ravissement. Mais  ce serait oublier  les trop longs silences qui ponctuent la représentation et la lassitude que provoque un thème que Duras a trop souvent rebattu.

Les personnage du Square n'ont, en revanche, rien de caricaturaux. L'homme qui mène une existence on ne peut plus chiche en vient à évoquer un court voyage qui chassa son mal être. La femme, elle, triture au plus profond de ses sentiments et en vient à parler des envies de meurtre que fait naître en elle une vieillarde obèse et gâteuse dont il lui faut s'occuper. Difficile de ne pas songer à cette pièce magistrale de l'auteur qu'est Une journée entière dans les arbres ou une autre "héroïne" durassienne trucide sa cousine débile. Et surtout à sa malheureuse phrase à propos de l'affaire Guillemin où elle considérait la mère de l'enfant assassiné "coupable, forcément coupable"...

Didier Bezace, qui ne se contente pas d'être à la manoeuvre, apporte une fois de plus la preuve qu'il a du métier à revendre. Sa partenaire, Clothilde Mollet, dont l'interprétation est riche de rebonds, apparaît, c'est une habitude, comme une surdouée de la scène.

Jusqu'au 5 juillet Atelier tel 01 46 06 49 24

mercredi 28 mai 2014

Une faille. Les lumières de la ville - Feuilleton théâtral

Initié par Mathieu Bauer, directeur du Nouveau Théâtre de Montreuil et écrit par Sophie Maurer, le feuilleton théâtral  qui a pour titre  "Une faille" se clôt sur un épisode que met en scène Pauline Bureau. Il va sans dire qu'il n'est pas nécessaire d'avoir assisté aux précédentes étapes pour être séduit  par la  générosité et l'ingéniosité de celle-ci.

Plusieurs destins s'entrechoquent. Ceux d'hommes et de femmes qui appartiennent à des sphères culturelles différentes mais ont en partage d'être des habitants de Montreuil. Les principaux acteurs de cette chronique d'une cité s'emploient avec des moyens dérisoires à résister à la brutalité du contexte social. Une juge, alcoolique repentie, une femme médecin émue par la passion qu'éprouve pour elle un cinéaste nettement plus jeune qu'elle, un homme qui, enfoncé dans les ténèbres de la dépression, ne sort pas de chez lui,  un autre qui a été sans ménagement jeté à la rue et veux intenter un procès au policier qui l'a gravement molesté... sont quelques uns des personnages clés  de ce spectacle alimenté à l'évidence par des informations de première main.

Une fois n'est pas coutume: le mariage du théâtre, de la musique et de la vidéo est on ne peux plus heureux. Quand apparaît sur l'écran le père (joué par Lounès Tazaïr)  du jeune cinéaste qui, comme les grands traumatisés, avait gardé enfoui au profond de lui, ses souvenirs des violences inouïes commises contre des maghrébins qui lors d'une manifestation pensaient trouver refuge dans les couloirs du métro Charonne, les spectateurs restent médusés.

Il n'es pas pour autant question que d'un passé honteux ou de la mouise ambiante. Certaines séquences sont même franchement réjouissantes. Ainsi la magistrate qui croyait son boulot inutile arrivera-t-elle au moins une fois à ce que justice soit faite...

Comédiennes de premier rang, Christine Pignet et Christine Gagneux ont un jeu d'une saveur extrême. Bien que moins aguerris, leurs partenaires leur tiennent, pour la plupart, vigoureusement tête. Avec Pauline Bureau à la manoeuvre et un texte aussi foisonnant le théâtre redevient enfin une chambre d'écho du monde.

Jusqu'au 7 juin Nouveau Théâtre de Montreuil tel 01 48 70 48 90

dimanche 25 mai 2014

Azimut. Conception et mise en scène Aurélien Bory

Fructueuse rencontre que celle d'Aurélien Bory, qui en montant  des spectacles à cheval sur le théâtre et le cirque se plaît à provoquer des électrochocs visuels et les artistes du groupe acrobatique de Tanger.  Lesquels  sont appelés "Les enfants de Sidi Ahmed Ou Moussa".  Celui-ci était un sage soufi du XVIe siècle dont le tombeau continue à être un lieu de culte et qui est considéré comme le père de l'acrobatie marocaine. Acrobatie dont l'objectif est de se hisser vers le ciel. Un chemin qui n' a rien de rectiligne...

Ils sont douze, deux femmes et dix hommes, pour la plupart issus de familles qui pratiquent cet art depuis des générations. Il ne s'agit pas pour eux d'en jeter plein la vue mais de prendre leur envol, de retrouver terre, de faire partager le plaisir qu'ils prennent à composer des pyramides humaine ou à s'agglutiner.  La représentation fréquemment prend une dimension farcesque. L'extrême rigueur graphique de la mise en scène et les interventions du musicien Raïs Mohand contribuent largement au bonheur que procure cette vision d'un monde qui à la fois tient de rîtes ancestraux et rappelle la bande  de jeunes portoricains de West side story. Le public ne s'y trompe pas qui réserve à la troupe une ovation.

Jusqu'au 29 juin Théâtre du Rond-Point Tel 01 44 95 98 21


lundi 19 mai 2014

Passion simple de Annie Ernaux

Ecrivain contemporain majeur, Annie Ernaux se raconte avec des mots d'une parfaite précision. Jamais elle ne surenchérit ou ne se laisse tenter par la joliesse d'une formule.  La porosité entre sa vie et ses oeuvres a ouvert une voie dans laquelle  s'est entre autres engouffrée Christine Angot. Mais contrairement à  sa véhémente consoeur, Ernaux jamais ne laisse place à du ressentiment. Elle fait dans "Une passion simple" le récit  de sa liaison avec un homme venu de l'Est.

N'attendant que le moment où son amant allait réapparaître, ses repères se brouillèrent. Elle devint associale. Prit en dégoût son travail d'enseignante contrainte de corriger les travaux de ses élèves. Se mit à dépenser sans compter afin d'apparaître dans une tenue différente à chacune des retrouvailles avec l'homme  Ce qui, reconnaît-elle, était d'autant plus absurde qu'ils cédaient à l'ivresse des sens dès son arrivée. Elle sait aussi  que celui qui la hante ne s'intéresse aucunement à la vie artistique ou intellectuelle.

Il est d'une difficulté inouïe d'interpréter une femme qui sait son attente démesurée, le constate mais ne se le reproche pas. Marie Matheron joue de manière on ne peut plus gracieuse cet être emporté par la passion. Jeanne Champagne qui la dirige avec tact a eu en la choisissant  la main sacrément heureuse.

Jusqu'au 7 juin Lucernaire tel 01 45 44 57 34

samedi 10 mai 2014

Mes prix littéraires de Thomas Bernhard

Les écrits de l'écrivain autrichien Thomas Bernhard furent couronnés  de nombreux prix. Mais que valent ces récompenses si elles sont attribuées  par des jurés pour lesquels l'élu n'avait que mépris? Le miroir que tout au long de son oeuvre il tendit à ses compatriotes n'était pas exactement flatteur. L'attribution de ces prix fut pour cet homme qui ne s'en laissait pas conter l'occasion de se livrer à des ahurissants déchainements verbaux. A travers lesquels se dessine une personnalité qui  touche au tragique et  nous déride.

Quand âgé d'une trentaine d'années il se trouve  acculé pour des  raisons financières à accepter le petit prix d'Etat autrichien de littérature il ne décolère évidement pas.  Ce prix a, en effet, toujours été donné à des débutants de piètre envergure.... Olivier Martinaud, qui a pris l'initiative de mettre ces textes en scène, nous fait à travers son  jeu fougueux découvrir un Thomas Bernhardt qui voit encore rouge.  Claude Aufaure  prête, lui,  sa voix faussement onctueuse à l'écrivain tel qu'on l'imagine trois  décennies plus tard c'est-à dire tout en haine amusée. Le découvrir, l'air de ne pas y toucher, enfoncer des clous sur le monde de minables qui l'entoure est pure jubilation.

Tout au long du mois de juin le comédien Laurent Sauvage prendra le relais et interprètera d'autres écrits, paraît-il  plus vachards encore du plus considérable auteur de l'Autriche d'après-guerre.

Jusqu'au 31 mai  Lucernaire tel 01 45 44 57 34

vendredi 2 mai 2014

The valley of astonishment Recherche théâtrale de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Dans "L"Homme qui" d'après l'ouvrage du neurologue  Olivier Sachs "L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau" Peter Brook se passionnait déjà pour le cerveau humain, cette machine dont les rouages nous sont inconnus. Dans ce nouveau spectacle il se place face à des personnes dont les images et la mémoire leur font vivre des expériences sans équivalents.

Ainsi une jeune femme, secrétaire dans un bureau qui jamais ne prend de note. Mais retient toutes les remarques et demandes qui lui ont été faites, Ce qui stupéfie ses employeurs qui l'envoient chez d'éminents scientifiques qui, après lui avoir fait passer une série de test et de scanners, constatent qu'elle possède des aptitudes hors normes. La jugeant  trop douée pour l'emploi qu'elle occupe ses patrons la virent. Force lui est de demander aux savants qui l'ont auscultée de lui  trouver un emploi. Lequel sera dans un cabaret où elle jouera les assistantes d'un magicien. Fonction qui ne la satisfait pas. 

Apôtre du dépouillement, Peter Brook a monté un spectacle joué par trois comédiens et deux musiciens . Si les lumières sont chiches et les numéros de cabaret guère enchanteurs, les examens auxquels sont soumis la femme hypermnésique sont, eux, ahurissants. D'autant que la comédienne Kathryn Hunter est douée d'une présence qui laisse pantois.

En marchant, comme ils aiment le faire, dans l'inconnu de notre condition, Peter Brook et Marie- Hélène Estienne portent, une fois encore, l'exigence artistique a des hauteurs vertigineuses.

Jusqu'au 31 mai Théâtre des Bouffes du Nord tel 01 46 07 34 50