lundi 26 mars 2012

Vaterland : le pays de nos pères de jean-Paul Wenzel

Au début des années 80 Jean-Paul Wenzel, un des auteurs dramatiques les plus innovants de sa génération - connu surtout pour avoir débuté avec Loin d'Hagondange, pièce que s'arrachent des metteurs en scène des quatre coins de la planète - part avec Bernard Bloch, qui parle la langue du pays, en Allemagne. Pays dont est originaire son père qui fut durant les années vert de gris soldat de la Wehrmacht à Saint Etienne. Ville où vivait une jeune fille avec laquelle il eut un fils. Lequel devenu adulte voulut rencontrer cet homme dont personne n'avait conservé la trace. De retour en France il écrivit, avec la collaboration de son compagnon de voyage, Vaterland, récit mi- fictionnel,- mi-réel de l'odyssée de son père. Le spectacle qu'il en tira fut d'une intensité peu commune Tout comme celui que met aujourd'hui en scène Cécile Backès.

La pièce mêle deux enquêtes : celle que poursuit en 1982 un musicien rock pour retrouver son père et celle d'un ancien prisonnier de guerre qui, en 1946, part à la recherche de celui qui a pris l'identité de son frère après, croit-il, l'avoir assassiné. Il se fait que l'homme est victime plutôt que responsable de son acte. Avec ses descriptions d'un pays qui n'est plus que décombres où errent des silhouettes faméliques, où chacun vit dans la peur de se faire détrousser,le spectacle fait remonter des bouffées de souvenirs de films de l'importance de La belle ensorceleuse de Billy Wilder et d'Allemagne année zéro de Roberto Rosselini.

Peu d'effets, mais un décor qui avec ses rideaux qui s'ouvrent et se referment rappellera aux vieux de la vieille ceux des créations de Roger Planchon. Les quatre poignants interprètes, une femme et trois hommes, jouent débout. Sans jamais s'interpeller. Une vidéo où défilent des paysages font partager le sentiment d'inquiétante familiarité éprouvé par celui qui poursuit peut-être une chimère.
Une preuve de plus que l'on connaît sur le plan théâtral une saison particulièrement faste.

Jusqu'au 1er avril Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint Denis tel 01 48 13 70 00

jeudi 22 mars 2012

Hiver de Jon Fosse

Il est d'innombrables façons de mettre en scène les pièces écrites dans une langue résolument dépouillée, répétitive, dénuée de ponctuation de l'écrivain et auteur dramatique norvégien Jon Fosse. Claude Régy en a inventé une lorsqu'il monta "Quelqu'un va venir", Patrice Chereau une autre pour les besoins de "Rêve d'automne". La presque nouvelle venue Emilie - Anna Maillet a trouvé un moyen inédit de mettre en valeur la stylisation minimaliste de cet auteur dont la réputation va grandissant.

Elle et lui (les personnages de Jon Fosse ne portent pas de nom) se croisent dans la rue. Elle, Violaine de Carné, est agitée crie qu'elle est sa nana. Lui, Airy Routier, porte des lunettes, semble errer dans une ville qui n'est pas la sienne, où il a un rendez-vous de travail. Il l'invite dans l'hôtel où il loge. Quand plus tard il lui apporte vêtements, boissons et aliments elle ne semble pas le reconnaître. Ils décident de se retrouver dans un bistrot. Elle ne vient pas. Il la retrouve quelques jours plus tard et lui propose, lui l'homme marié à l'allure pondérée, père de deux enfants, de partir avec lui.

Autour de ces deux êtres dont les phrases restent en suspens passent sans cesse des personnages virtuels, des hologrammes. Ceux qui sont familiers de l'univers de l'auteur savent que les hommes et les femmes qui le peuplent sont confrontés à une solitude sans appel et entourés de fantômes. Nés de leur imagination ou de leur mémoire, peu importe. Emilie-Anna Maillet a résolu la question en créant un théâtre en trois dimensions. Force est de reconnaître que cette trouvaille - qui provoque des moments hilarants notamment lorsque la jeune femme est dupliquée à l'identique en plusieurs exemplaires... - donne au spectacle une amplitude poétique inattendue. Les amateurs d'hallucinations comme les fervents de nos temps numérique ne devraient pas le manquer.
Jusqu'au 14 avril L'Etoile du Nord tel 01 42 26 47 47

lundi 19 mars 2012

Home de David Storey

Lorsqu'à la fin des années 60 David Storey écrivit Home l'hôpital psychiatrique apparaissait comme un miroir où se réfracte la société. Que Sarkozy puisse criminaliser la folie sans que cela provoque des montées de colère prouve que l'aspiration à une pseudo normalité l'a emportée. On en sait d'autant plus gré à Chantal Morel d'avoir pris l'initiative de remonter cette pièce dont elle s'était déjà emparée à deux reprises dans les années 80. Elle fait évidement partie de ceux qui, comme le disait le psychiatre Lucien Bonnaffé, juge une société sur la manière dont elle traite ses fous.

Dans ce huis clos admirablement adapté par Marguerite Duras (pour Claude Régy qui est le premier en France à l'avoir mise en scène) ils sont cinq pensionnaires, deux hommes d'âge mûr, deux femmes de la même génération mais au parler beaucoup plus crû et Alfred, un jeune à qui, à en croire les deux fortes en gueules, on a enlevé un bout de cervelle. Il est, lui, chargé de rentrer le soir les chaises sur lesquelles ses ainés passent tour à tour leur temps Si chez les hommes, dont les conversation manquent de suivi, l'émotion est palpable (ils ont même souvent les yeux embués de larmes), les deux femmes, certainement dépositaires d'aussi lourdes souffrances, apparaissent sacrément plus vindicatives et pleines de vie.

David Storey - connu notamment pour avoir écrit le roman This sporting life qui fut adapté au cinéma par Lindsay Anderson et sorti en France sous le titre "Le prix d'un homme" - sait pertinemment que les psychotiques vivent dans la peur. Si les hommes ont tout au long de leurs conversations des moments de terreur silencieuses, les femmes chassent leurs démons à coups de rires gras ou de jets d'injures. Tous parlent de leur île qui est à la fois l'Angleterre et le lieu où ils végètent.

A la création par Régy les personnages étaient interprétés par des acteurs aussi fameux que Michael Lonsdale, Gérard Depardieu, Tatiana Moukhine... Ce sont aujourd'hui les moins connus mais aussi talentueux Marilyne Even, Jean-Jacques Le Vessier, Nicolas Cartier, Line Wiblé et Rémi Rauzier qui ont pris la relève. Forts des indications dune metteuse en scène osons le mot d'élite, ils projettent cette pièce indémodable à une altitude exceptionnelle.

Jusqu'au 8 avril Théâtre Nanterre-Amandier tel 01 46 14 70 00

samedi 17 mars 2012

Contes africains d'après Shakespeare

Figure de pointe de la scène contemporaine, le metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski creuse à chacune de ses création avec une vigueur nouvelle son propre style. Il s'est cette fois emparé de trois pièces de Shakespeare (Le roi Lear, Le marchand de Venise et Othello) dont il ne retient que des scènes où le héros pète les plombs.Il tombera à l'issue de cet accès de fureur ou d'entêtement dans des gouffres abyssaux.

Sachant pertinemment que nous sommes multiples dans le carcan d'un seul corps, Warlikowski a soin de souligner que les agissements et les paroles de ceux qui entourent le personnage central n'ont rien d'innocent. L'amoureux de Portia, la fille de Shylock entretient une relation érotique avec un homme tandis que Iago, expert en coups tordus, ne débine Desdémone auprès de son époux à la peau noire que parce qu'il a jeté son dévolu sur un favori de la jeune épouse qui, via Othello, tente de favoriser sa carrière.

Les femmes chez Shakespeare sont toujours (lady Macbeth exceptée) des victimes. Le metteur en scène a eu l'heureuse idée de demander à Wajdi Mouawad de leur écrire des monologues éperdus où elles évoquent leur vie mutilée, leurs colères.Dans la troisième et dernière partie du spectacle c'est à l'auteur sud-africain J.M. Coetzee que Warlikowsky sollicite la parole. Le personnage central des 3 pièces du dramaturge anglais est à présent un homme âgé qui atteint d'un cancer n'a plus accès aux mots. Ce sont les femmes qui ont partagé sa vie dont qui se laissent aller à leurs ruminations vengeresses ou à des sentiments plus tendres. Le spectacle se clôt sur un divertissent dansé. Et on le quitte la tête remplie d'un air de salsa...

Si Warlikowski semble, comme chaque fois!, avoir atteint la plénitude de son originalité c'est qu'il sait comme personne marier enchantement visuel et sonore, qu'il est à la tête d'une troupe d'acteurs au jeu d'une haute précision et qu'il est épaulé depuis des lustres par une scénographe de génie (le mot n'est pas exagéré) qui a pour nom Malgorzata Szczesnski.

A l'issue de la représentation Warlikowski ressemble à une pelote de nerfs C'est me dit-il que c'est la première fois que nous jouons dans ce lieu mythique créé par jean Vilar et aujourd'hui consacré à la danse. Nous sommes les premiers à refaire ici du théâtre.Cette responsabilité me terrifie.

Jusqu'au 23 mars Théâtre National de chaillot tel 01 53 65 3O OO

jeudi 15 mars 2012

Erzuli Dahomey, déesse de l'amour de Jean-René Lemoine

La folie ordinaire des familles s'étale dès les premières scènes.Victoire qui a foiré sa carrière de comédienne est une devenue une bourgeoise survoltée qui vit entourée de sa fille et de son fils, des jumeaux épris l'un de l'autre, leur précepteur et Fanta, la bonne à tout faire. La pièce démarre avec l'annonce du décès au Mexique de Tristan, le fils ainé parti chercher son orient en s'éloignant le plus loin qu'il pouvait de sa génitrice. Après son inhumation dans le caveau familial surgit Félicité, une sénégalaise à l'allure et au comportement saugrenus, venue chercher la dépouille du sien de fils. Victoire la prend évidement pour une folle. Mais le fantôme d'un jeune africain rôde dans la maison. Ses apparitions ont sur ses habitants des effets disons contrastés.

Auteur dramatique d'origine haïtienne, Jean-René Lemoine - qui d'ordinaire met ses pièces lui-même en scène - a écrit une oeuvre qui emprunte à plusieurs registres : le vaudeville (dont il dézingue les codes), le mélo et le fantastique. Pas dissimulateur pour un sou, il laisse allègrement percer l'influence qu'ont eu sur lui Almodovar et le Pasolini de Théorême. Le spectre (auquel Nâzim Boudjenah prête avec élégance sa nudité recouverte de peinture noire)apportera à chacun des protagonistes la clé de son accomplissement.

Eric Genovèse a monté ce texte si riche d'incongruités avec une audace qui laisse coi. Le seul reproche qu'on lui adressera est d'avoir cédé - mais pas à profusion - à la mode de la vidéo en fond de scène. La surexcellence des comédiens Claude Mathieu, Serge Bagdassarian et Bakary Sangaré et de Françoise Gillard et Pierre Niney dont les moments dansés apparaissent comme des pieds de nez à l'adversité est évidement pour beaucoup dans la réussite de cette création si peu conforme à celles dont nous a habituée la maison de Molière.

Jusqu'au 15avril Théâtre du Vieux-Colombier tel 01 44 39 87 00

samedi 10 mars 2012

Se trouver de Luigi Pirandello

Mariée à une comédienne, Marta Abba, avec laquelle il eut une relation remuante on pourrait même dire dévastatrice, Pirandello considérait qu'il ne connaissait rien à ce que le dramaturge Louis Calaferte appellera "la mécanique des femmes". Plusieurs de ses pièces tournent autour de personnages féminins qui apparaissent comme la proie de forces souterraines. Ce qui est le cas de Donata Genzi ( Emmanuelle Béart), une actrice de théâtre qui se donne totalement à son art. D'un tempérament sensuel et terrien et manifestement fragilisée par sa présence sur une scène dans un rôle écrasant, la vedette du grand écran qu'est celle qui fut Manon des Sources apporte à l'univers cérébral de l'écrivain une touchante humanité.

Venue se réfugier chez une amie qui appartient à une société d'aristocrates qu'elle jugera avec raison toxique, elle préfèrera, plutôt que de passer une soirée en cette compagnie, partir affronter une mer déchaînée avec Eli, un jeune peintre amoureux du danger, qu'elle voit pour la première fois. Ce garçon qui a tout du chien fou la sauvera de la noyade. Commence en sa compagnie une vie nouvelle. Mais l'amour ne pourra pas plus que la scène l'aider à se trouver comme le dit le titre de la pièce.

On connaît la puissance de pensée de l'auteur sicilien. Stanislas Nordey qui en inventant un style qui tient souvent du récitatif s'interroge comme lui sur la relation d'une infinie complexité que le théâtre entretient avec la réalité. Le langage sinueux que tiennent les personnages de la pièce ne pouvait que nourrir sa réflexion. Si quelques uns de ses interprètes ont la parole et la gestuelle trop apprêtée, on ne peut qu'être subjugué par le talent dont fait preuve Vincent Dissez (Eli) et se réjouir de découvrir en Marina Keitchewsky une jeune pousse qui pourrait monter haut.

Le metteur en scène tire habilement parti des vastes dimensions du plateau. Le choix des costumes est, lui, discutable. Mais on a compris que malgré ses imperfections le spectacle est de ceux qui méritent d'être découvert.

Jusqu'au 14 avril La Colline - Théâtre national tel 01 44 62 52 52

jeudi 8 mars 2012

La Rimb d'après Xavier Grall

Vitalie Rimbaud portait un nom qui lui convenait à merveille. Figure maternelle majuscule, la mère d'Arthur était une paysanne ardennaise à la vitalité furieuse. Xavier Grall (1930 - 1981), auteur de la pièce radiophonique mise en scène par Jean-Noël Dahan, la surprend au soir de sa vie alors que vieille femme au corps déformé par la sciatique elle se laisse envahir par ses souvenirs. Ecrit d'une plume rutilante ce déchiffrage obsessionnel du passé prend à la gorge.

Assise sur un fauteuil, le pied gauche posé dans une bassine d'eau puis marchant en s'appuyant sur une canne, Vitalie fulmine, en veut à ces "pommadés" parisiens qui ne veulent voir en son fils qu'un génie illuminé alors qu'elle réprouve la vie de dévergondage (c'est son mot) qu'il mena avec Verlaine. Lequel elle voue évidement aux gémonies. Elle préfère voir en Arthur le négociant avisé qu'il fut dans la dernière partie de sa courte vie.

Elle se remémore pourtant que dès son plus jeune âge il "fallait qu'il fiche son camp". Elle en a dit des neuvaines pour qu'il revienne... Mais lorsqu'il finit par le faire il était "souillé de pied en cape". Les certitudes de cette femme saturée de moralisme et de religion - qui s'est toujours considérée comme un roc au milieu d'une mer en furie - par instants vacillent. Ne seraient-ce pas sa sécheresse de coeur et son autorité tatillonne qui ont fait fuir son fils?

Il a rarement été dit avec une telle justesse combien le passé des morts pèse sur la tête des vivants et combien il rendent confus nos propres sentiments. Martine Vandeville joue cette apocalypse intime avec la belle âpreté des vraies tragédiennes. Qu'elle ne soit pas davantage sollicitée est un mystère.

Jusqu'au 21 avril Théâtre du Lucernaire tel 01 45 48 91 10

jeudi 1 mars 2012

Tartuffe de Molière

Tartuffe a été monté d'innombrable fois. Mais dans ces temps qui stagnent où les sectes pullulent et où les fanatiques animés d'aussi peu de scrupules que de sens du sacré tentent d'imposer leurs diktats, elle apparaît d'une vibrante actualité. Laurent Delvert qui la met en scène a eu la perspicacité de la faire débuter au sein d'une famille qui ressemble à nombre de celles d'aujourd'hui où les jeunes dansent - certains diraient gesticulent - sur des airs à la mode. Arrive Orgon, le maître de maison joué d'admirable façon par Vincent Schmidt. Et chacun de rentrer dans ses petits souliers.

Bien que marié en deuxième noce à Elmire, une attrayante jeune personne, le maître de céans ne révère que Tartuffe, un dévot démuni qu'il a recueilli.On pourrait même dire qu'il a pour cet homme, que les autres membres de la maisonnée exècrent, les yeux de Chimène. Perdant tout bon sens, il s'est mis en tête d'en faire son gendre. Mais pris au piège par les proches de son bienfaiteur, Tartuffe montre son vrai visage. Celui d'une fripouille qui va mettre celui qui s'était montré si généreux à son égard dans de beaux draps.

Les dialogues fringants de Molière font de véritables miracles. Créé au théâtre du Beauvaisis (scène nationale de l'Oise) devant un public composé en majorité de très jeunes gens, le spectacle a rencontré un triomphe. Une spectatrice d'environ 15 ans confia à une amie "je n'ai pas compris chaque mot mais qu'est -ce que je me suis amusée..."

On se souvient que la pièce se termine sur une scène où, par l'entremise de l'un de ses représentants, le souverain pardonne dans sa grande magnanimité à Orgon de ne pas avoir dénoncé un adversaire de la couronne. Comme dans beaucoup de ses pièces Molière, qu'une grande partie de l'entourage de Louis XIV détestait, agit à la fois en artiste et en politique. C'est évidement son génie que Laurent Delvert met avec superbe en valeur. Franche révélation ce Tartuffe mérite d'être vue par le plus grand nombre.

Les 13,14,15,16 et 17 mars
Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
Grand Théâtre
L-2525 Luxembourg
Tel 352 47 96 39 00

Les 19 et 20 mars
Théâtre d'Esch L-4010 Esch-sur-Alzette
352 54 03 87 ou 352 54 09 16