mardi 20 septembre 2016

Dom Juan de Molière

Lorsqu'il s'empare d'une pièce de Molière Jean-François Sivadier a le chic pour la dépoussiérer. Avec Dom Juan il y arrive mieux encore que d'ordinaire. Sans doute parce que ce personnage de libre penseur suscite en ces temps menacés par des vagues obscurantistes une vive sympathie. Et parce que la virtuosité de Nicolas Bouchaud, l'interprète du rôle, n'a jamais - du moins dans les mises en scène de son vieux comparse Sivadier - été aussi bien employée. D'autant qu'à ses côtés Vincent Guédon impose un Sganarelle qui n'est pas seulement un savoureux lèche botte mais aussi sous ses airs de bonne pâte un sacré vaurien. Le couple maître - valet fonctionne de ce fait à merveille. La mise en scène est à l'unisson du foutoir que l'hédoniste Don Juan met dans la vie de ceux qui croisent sa route. Cet homme à la libido on ne peut plus affirmée dirige à l'évidence sa vie à rebours de celle de sa noble âme de père. Lequel aussi naïf que les paysannes qu'aguiche son fils le croit sur parole quand il dit regretter son inconduite. C'est que Don Juan a un tel culot qu'il en arrive à tutoyer les ombres. Il semble en effet n'avoir pour religion que celle des faits. C'est de ce climat mi réaliste - mi fantastique que le spectacle tire sa force et sa singularité. Et aussi du fait que les nombreux autres rôles sont joués par seulement trois comédiens. Evidemment chauffés à blanc. Jusqu'au 4 novembre Odéon Théâtre de l'Europe tél 01 44 85 40 40

dimanche 18 septembre 2016

Interlope. (Cabaret) Conception et mise en scène Serge Bagdassarian.

Disons le d'emblée: cette reconstitution des coulisses et de la scène d'un cabaret d'avant-guerre qui se nomme L'interlope, dont les vedettes sont ce qu'on appelle aujourd'hui des transgenres, est un pur délice. La chanteuse maîtresse du lieu puis les trois homosexuels transformistes appartenant à des générations différentes évoquent les turbulences de leur vie et entonnent avec un humour canaille des chansons pour la plupart d'une indéniable qualité poétique. Si ces airs du répertoire en disent long sur l'homophobie ambiante, ils n'en sont pas moins chantés avec panache. Vêtues de robes froufroutantes (dont beaucoup appartiennent aux collections du Moulin rouge) les artistes ont le franc parler de ceux qui ont su se ménager un espace de liberté. La loge est le lieu où, sous l'oeil averti de la patronne, ils se pomponnent, oeuvrent à leur prestance et s'envoient des piques. Serge Bagdassarian qui met ce réjouissant spectacle en scène s'est entouré de Véronique Vella, Michel Favory et Benjamin Lavernhe, des comédiens et chanteurs aussi magnétiques que lui. A une époque où l'on assiste à la montée des intolérances, un spectacle à l'atmosphère aussi scintillante et confiante que celui-ci fait un bien fou. Jusqu'au 30 octobre. Comédie-Française- Studio Théâtre tél 01 44 58 15 15

jeudi 15 septembre 2016

La version Browning de Terence Rattignan

Comme grand nombre d'anciens élèves des écoles privées et des prestigieuses universités anglaises, le dramaturge et scénariste Terrence Rattignan ( 1911-1977) était hanté par les souvenirs cuisants qu'il en avait conservés. La version Browning, l'une de ses pièces les plus renommées, a pour personnage principal un professeur de lettres classiques au robuste savoir, à la santé défaillante et au tempérament atrabilaire. Il n'est aimé ni de la plupart de ses élèves, ni de ses collègues, ni surtout de sa femme. Celle-ci cache sous des sourires radieux des monceaux de ressentiments et de frustrations. La veille de son départ le directeur de l'école annonce avec une courtoisie pleine de fiel à l'enseignant qu'il sait impopulaire des nouvelles qui ne peuvent que l'accabler. Ce que cet homme ainsi humilié se garde bien de laisser paraître. Intraitable, il enverra, au contraire, aux pelotes celui qui lui manifestera de la sympathie. La mise en scène au cordeau de Patrice Kerbrat fait oublier combien les dimensions du plateau sont réduites. Mais si le spectacle rencontre un franc succès c'est surtout qu'il a fait appel à des comédiens de première force. Jean-Pierre Bouvier compose avec un métier infaillible un érudit pour qui il est honteux de céder à ses émotions. Face à lui Benjamin Boyer, l'amant de sa femme, apporte une touche d'humanité dans un monde qui en semble singulièrement dépourvu. Marie Bunel, quant à elle, relève le défi de rendre presque touchante une femme que le fiasco de sa vie amoureuse et de ses ambitions sociales ont rendus d'une implacable dureté. Théâtre de Poche Montparnasse tél 01 45 44 50 21

lundi 12 septembre 2016

2666 d'après Robeto Bolano

Après s'être avec succès attaqué aux Particules élémentaires de Michel Houllebecq, le jeune metteur en scène Julien Gosselin se mesure à 2666, roman fleuve et inachevé de Roberto Bolano (1953-2003), auteur chilien exilé à Barcelone après l'avoir été au Mexique. De cette oeuvre profuse le téméraire homme de théâtre a tiré un spectacle de 12 heures dont trois d'entracte. La première partie dépeint la rencontre de quatre universitaires qui partagent la même passion pour Benno de Archimboldi, un écrivain allemand que personne ne semble avoir rencontré et dont ils vont tenter de retrouver la trace. Ce qui va les entraîner au loin. Des nappes de musique jouée à plein volume rendent ce début narratif parfois difficile à saisir. Comme l'oeuvre littéraire le spectacle est ensuite construit par fragments. Beaucoup d'une prodigieuse intensité. On peut toutefois regretter l'utilisation abusive de la vidéo. L'imaginaire débridé de l'écrivain n'avait nul besoin qu'on en rajoute avec un si grand nombre de séquences filmées. D'autant que le jeu des comédiens est on ne peut plus probant et que la déferlante d'images les font souvent passer au second plan. Entrelaçant des événements fictifs à d'autres qui eurent lieu dans l'Allemagne de la seconde guerre mondiale et dans le Mexique d'aujourd'hui le récit dépeint à sa façon sinueuse un monde livré à la violence. C'est ainsi que dans la quatrième partie sont projetés des textes qui décrivent le martyre subi par des jeunes femmes et des petites filles à Santa Téresa, bourgade miséreuse du nord du Mexique.Soupçonné de ces assassinats un parent de Benno de Archimbaldo croupit dans la prison de cette localité. Après avoir constamment bifurqué le récit trouve sa cohérence dans la dernière partie de la représentation dont le classicisme fait merveille. Il est notamment un moment qui restera ancré dans les mémoire. Un fonctionnaire nazi détaille longuement en allemand le travail que, obéissant aux ordres et sans l'ombre d'un remords, il exécuta. Un dernier mot pour dire combien donne de l'ampleur au spectacle la scénographie signée Hubert Colas. Jusqu'au 16 octobre Odéon- Ateliers Berthier - 17e tél 01 44 85 40 40 Du 26 novembre au 8 décembre Théâtre national de Toulouse.