lundi 29 mars 2010

Invasion de Jonas Hassen Khemri

De nombreuses années durant, Michel Didym fut, notamment, au festival de Pont à Mousson dont il est le principal fondateur, un découvreur de textes de théâtre issus des divers coins du monde. Son défaut majeur est que, esprit pressé, ces textes, il les mettait en place ou en scène sans guère en approfondir le contenu. Ce qui, aujourd'hui, n'est plus le cas. Il s'affronte cette fois à la première pièce de Jonas Hassen Khemri, jeune auteur dramatique né d'une mère suédoise et d'un père immigré tunisien. Et en tire un spectacle aussi déjanté que propre à foutre les foies.


Après un démarrage fébrile dont on vous laisse la surprise quatre comédiens qui interprètent seize personnages s'accrochent au nom d'Abulkasem qui cristallise toutes les peurs, malentendus et préjugés de notre époque aussi bien que de celles qui l'ont précédée. Les changements accélérés du capitalisme mondial et ses funestes conséquences n'ont fait qu'amplifier le besoin d'un bouc émissaire. Le nom d'Abulkasem qui peut faire songer à celui d'Ousama Ben Laden lui convient on ne peut mieux. Totalement déstructurée, la pièce échappe à toutes définitions étriquées. D'autant qu'elle est traversée de fulgurances loufoques et que son intrigue flottante en dit long sur l'absence de points de repère qui caractérisent notre époque.

Enfin de mettre l'accent sur les mensonges qui entravent les relations entre les différentes communautés, l'auteur a eu l'idée ô combien ingénieuse de faire interviewer un sans papier d'origine perse par une traductrice qui fait croire qu'il tient non seulement des propos belliqueux et racistes mais ne rêve que d'occire le maximum de juifs. La force de cette oeuvre protubérante - mais pas longue pour autant - qui dénonce une politique où l'étranger est porteur de tous les maux est qu'à l'exception de la scène qu'on vient de décrire, elle provoque presque constamment le rire.

Michel Didym l'a non seulement montée avec une irrésistible fantaisie, il a aussi choisi avec Quentin Baillot, Luc- Antoine Diquéro et Léna Bréban (qui remplace le temps de quelques représentations Julie Pilod) des comédiens capables de tous les excès. Dommage cependant qu'il n'ait pas préféré pour incarner l'un des personnages un acteur d'origine turque, iranienne ou maghrébinne, ce qui aurait donné davantage d'authenticité à cette Invasion. On ne peut en revanche que le féliciter pour la présence sur une montagne de journaux de deux musiciens aussi talentueux que Flavien Gaudon et Philippe Thibault

Jusqu'au 17 avril Théâtre Nanterre Amandier tel 01 46 14 70 00

vendredi 19 mars 2010

Exctinction de Thomas Bernhard

Authentique légende de la scène, Serge Merlin évoque avec fureur mais aussi malice les souvenirs poisseux que Thomas Benhard rassembla dans Extiction, sa dernière oeuvre, qui dure environ trois heures et qu'il a réduit, sans en enlever le sel, à quatre-vingt minutes. Le texte commence lorsque son personnage qui a fui Wolfsegg (qui pourrait se traduire par le coin au loup) pour se fixer à Rome, reçoit la nouvelle de la mort dans un accident de voiture de ses parents et de son frère. Loin de le chagriner ce drame redonne force à la haine qui lui inspiraient les disparus.


Dernier de la fratrie , il ne fut jamais considéré que comme un erzats, un menteur né aux dires de sa mère. Et le voilà, livré à son habituelle incontinence verbale, tirant des salves contre les siens. Seul échappe à son juste courroux un oncle qui lui aussi alla s'installer au soleil et laissa, à la fureur des autres membres de la famille, son immense fortune à son intendant. Il se montre nettement moins tendre avec ses soeurs qui passaient leur temps à tricoter des pulls d'un goût immonde et à mettre dans des bocaux des aliments qui lui soulevaient le coeur.


Mais ce sont surtout ses parents qui sont l'objets de ses plus haineuses ruminations. Les amis de son père qu'il revoit à l'enterrement familial sont d'anciens gauleiter et autres SS suivis de bons citoyens qui adhérèrent sans états d'âme au national socialisme. Il se souvient même avec horreur qu'alors que ses géniteurs bambochaient après la défaire d'Hitler avec des huiles de l'armée américaine, ils avaient planqué cent mètres plus loin, dans une de leurs maisons, des assassins décorés de l'ordre du sang. Ces canailles mènent aujourd'hui une paisible et confortable vieillesse.

Thomas Bernhard pousse son art de l'exagération jusqu'à des limites qu'il est le seul a atteindre. Il a trouvé en Serge Merlin un interprète qui traduit sa vindicte sans jamais en faire trop. Il a, il est vrai, eu la chance que des metteurs en scène de la qualité d'Alain Françon et de Blandine Masson, lui aient donnés des points d'appui pour la lecture de ce texte d'une lumineuse paranoîa.


Jusqu'au 18 avril Théâtre de Madeleine tel 01 42 65 07 09

dimanche 14 mars 2010

Une maison de poupée d'Henrik Ibsen

Cette pièce est si fréquemment à l'affiche que tous les amateurs de théâtre en connaissent le déroulement. Mais plutôt que d'en faire un pamphlet féministe, ce qui est par trop attendu, Jean-Louis Martinelli en charge de la mise en scène, met l'accent, lorque Nora quitte le foyer conjugal, sur la pensée bien actuelle que le salut se trouve dans l'initiative individuelle. Ce qui est d'autant plus gonflé qu'à la création Ibsen fut contraint de renoncer à ce départ au cours duquel elle abandonne non seulement l'homme au coeur inattentif qu'est son époux mais aussi ses enfants.Ce comportement était, en effet, particulièrement choquant pour ses contemporains.

Mais si cette peinture des moeurs d'un autre temps retrouve un second souffle c'est aussi parce qu'il a eu l'idée brillante de confier le rôle de celle que son mari ne veut voir que comme une femme-enfant à Marina Foïs. L'éventail de rôles qu'elle peut assumer est si large qu'elle arrive à ombrer, dès le départ, d'une sourde inquiétude l'insouciance de la jeune femme du futur responsable de la banque locale. Lorsqu'il apprend qu'elle a commis un acte que la loi juge délictueux et qu'il se montrera sous son vrai jour, celui d'un individu tout de mesquinerie, elle jettera, elle aussi, le masque de la femme soumise jusqu'à l'absurde à l'autorité maritale. Elle ne sera dorénavant plus jamais subjuguée par l'émail clinquant de ses paroles.

On sait également gré au maître d'oeuvre d'avoir choisi pour incarner le docteur Rank, adorateur muet de Nora jusqu'au jour où il sait de source sûre qu'il est perdu, le si subtil Grégoire Oesterman. L'autre trouvaille de génie est d'avoir dégotté pour interpréter Krogstadt, le faux mauvais sujet, Laurent Grévill sur lequel Patrice Chereau et Pierre Romans qui dirigeaient l'école de Théâtre de Nanterre fondaient les plus grands espoirs et qu'on n'a pas vu sur une scène -à l'exception d'un modeste spectacle sur Anaïs Ninn - depuis 7 ans...

Cette pièce aux si nombreux virages au noir dont on pensait avoir épuisé les charmes a décidément, pour peu qu'elle soit jouée par des acteurs de cet acabit, de beaux jours devant elle.

Jusqu'au 17 avril Théâtre Nanterre Amandiers tel 01 44 14 70 00

vendredi 12 mars 2010

Ciels de Wajdi Mouawad

Accueilli sans enthousiasme lors de sa présentation à Avignon, cette dernière création du Wajdi Mouawad a droit quelques mois plus tard à un concert d'éloges. C'est que l'auteur, qui dans ses pièces précédentes : Littoral, Incendies, Forêts et quelques autres, évoquaient des faits d'une horreur indicible qui s'étaient déroulés dans son Liban natal saccagé par les guerres, apparaît pour la première fois comme un refondateur de la grammaire théâtrale. Non seulement parce qu'avec l'appui de sa dramaturge, Charlotte Farcet, il a créé un espace scénique inédit mais aussi parce que sa quête ne le conduit plus vers le passé mais s'ancre dans un présent aussi périlleux que les époques où il menait des enquêtes aux conclusions désespérantes.

Cinq chercheurs au service de l'Etat sont enfermés dans un lieu clos. Munis des technologies les plus avancées ils écoutent , afin de prévenir les dangers qui guettent la planète, des conversations téléphoniques échangées aussi bien en polonais qu'en arabe, en japonais ou dans d'autres langues connues des seuls ressortissants des pays qui les utilisent. Ces cinq personnes (une femme et quatre hommes), dont l'une vient pour des raisons énigmatiques, de s'ôter la vie, cherchent la trace d'un groupe d'extrémistes, évidement soupçonnés d'être des adeptes de la charia, qui veulent mettre le monde à feu et à sang. Arrive, pour remplacer celui qui s'est suicidé, un de ses amis qui va tenter de découvrir pour quelle raison il en est arrivé à ce geste extrême.

Il professe une opinion radicalement différente de celle du responsable du groupe. D'abord silencieux, il se révèle un véritable athlète de la parole et en arrivera à convaincre plusieurs membres de l'équipe de la justesse de ses arguments qui au départ apparaissaient totalement farfelus. C'est que grâce à sa connaissance des ordinateurs mais aussi à la mentalité du disparu, il a trouvé une réponse qui tient autant de la poésie que des enjeux politiques. Son argumentation met les neurones des membres de l'équipe en ébullition.

Stanislas Nordey qui sait aussi bien semblé se laisser glisser dans l'absence qu'être embrassé par un courroux olympien est décidément un acteur de première force. Il ne fait pas de doute que l'amitié qu'il a noué depuis dix ans avec Wajdi Mouawad est pour beaucoup dans la passion qui l'anime dans ce spectacle, où les inventions acoustiques et les projections vidéos sont innombrables.

Jusqu'au 10 avril Théâtre de l'Odéon -Atelier Berthier tel 0 44 85 40 40

vendredi 5 mars 2010

Les justes d'Albert Camus

Stanislas Nordey a la passion des textes. Beaucoup de ses spectacles adoptent d'ailleurs la forme d'adresse au public ou d'oratorio. Sa rencontre avec Albert Camus dont les oeuvres reflètent les débats moraux qui le taraudaient ne pouvait que grandement lui convenir. Nombreux sont ceux qui se souviennent de la trame des Justes qu'il écrivit en 1949 : une groupe de terroristes dans la Russie d'un tsar qui a tout du despote peu éclairé ne trouve pas d'autre alternative pour contrer l'appareil répressif que d'assassiner le grand duc, suppôt du totalitarisme.


Ivan Kaliayev, qui affirme haut et fort qu'il est un justicier non un criminel, est désigné pour commettre l'attentat. Au moment où il allait passer à l'action il en est empêché par la présence dans la calèche de deux enfants, les neveux de celui qu'il devait faire disparaître. Trois jours plus tard il arrive à ses fins et est arrêté en sachant pertinemment que son sort est scellé. Peu de temps plus tard il reçoit dans sa cellule la visite de la veuve du grand duc, qui lui propose de demander sa grâce contre le pardon du Tout Puissant. Kaliayev refuse catégoriquement ce marché et sera exécuté. Ce face-à-face, d'une exceptionnelle intensité dramatique contraste avec la sobriété qui imprègne le reste de représentation.


Si cette pièce qu'on considérait vieillie nous touche tant c'est que sa scénographie est d'une splendeur sans apprêt, que les comédiens notamment Vincent Dissez, dont la jeunesse à bout de souffle nous remue au plus profond, Emmanuelle Béart qui apporte au rôle de Dora une indescriptible gravité et Véronique Nordey qui donne une grandeur émouvante au personnage de la grande duchesse dont les convictions pourtant ne nous touchent guère. Plus connu pour son théâtre épico-historique, Wajdi Mouawad incarne avec une force qui n'attire pas nécessairement la sympathie Stepan Fedorov, dont le fanatisme a eu les effets que l'on sait. Mais si cette peinture d'un groupe de nihilistes inspirée de personnages qui ont existé nous semble aujourd'hui tellement connecté à l'actualité c'est que le terrorisme a de nos jours reprit du poil de la bête et que l'ultra-libéralisme qui met tant de gens sur la paille pourrait bientôt provoquer des comportements proches de celui des insurgés dont la pièce de Camus explique le jusqu'auboutisme.

Jusqu'au 13 mars Théâtre National de Bretagne tel 02 99 31 12 31
Du 10 mars au 23 avril La Colline - Théâtre National Paris tel 01 44 62 52 52

lundi 1 mars 2010

Kichinev 1903 de Zohar Wexler

Zohar Wexler est un descendant d'une famille de Kichinev ,capitale de Bessarabie ( l'actuelle Moldavie) où en 1903 une émeute antisémite qui dura trois jours et deux nuits, tua une cinquantaines de membres de la communauté juive et en blessa plusieurs centaines d'autres. Les viols commis au cours de ce pogrom, tout au long duquel les autorités restèrent passives (ce qui laisse supposer qu'il fut orchestré en haut lieu), furent eux -aussi innombrables. Comme il est de coutumes les rouleaux profanés de la thora furent enterrés dans le cimetière de ceux contre lesquels se déchaîna le judéocide. Carnet de notes à la main, Zohar Wexler se rendit à Kichinev où si les mémoires sont paralysées, les traces du déchaînement des fauves à têtes d'hommes sont, à sa grande surprise, toujours visibles.

Alors qu'il extirpe des souvenirs de ce carnage des photos du Kichinev de l'époque et de la ville sous son aspect présent comme du Tel Aviv de 2010 sont projetés sur les murs. Après le récit qu'il fait lui-même de ces événements il passe la parole au poète Haïm Nahman Bialik. Envoyé d'Odessa pour recueillir les témoignages des survivants de cet embrasement des bonnes gens de Kichinev, il écrivit "Dans la ville du massacre" qui est, à l'exemple du Talmud, un long poème existentiel mais aussi antireligieux. S'il donne aux mots une incomparable portée dramatique, Il insiste sur le fait que si la présence divine rougit de honte et de douleur, elle n'en a pas moins abandonnée les victimes à leur sort. Cet homme qui s'installera quelques années plus tard en Palestine exhorte ses coreligionnaires à réagir. Il y réussit si bien qu'entre 1903 et 1920, un million d'entre eux quittèrent le pays

C'est en hébreux que celui qui devint plus tard une sorte de totem intouchable rédigea son incantation lyrique .Elle fut plus tard traduite en yiddish mais mécontent du résultat il revit lui-même la copie. La pesanteur tragique de ces événements, l'acteur-metteur en scène la ponctue de phrases en hébreux et cette langue qui apparaît parfois si âpre à cette fois des sons qui semblent surgir de l'âme. Ce qui n'est pas franchement étonnant puisque c'est dans cet idiome que Wexler a grandi. Un des rares moments où domine la douceur est celui où il entonne une chanson dans le language de son enfance.

Jusqu'au 21 mars Maison de la Poésie tel 01 44 54 53 00