jeudi 22 avril 2010

Familles (s) -Triptique

Pour ses débuts dans la mise en scène Crystal Shepherd-Cross a porté son choix sur trois courtes pièces qui s'introduisent au sein de la famille, lieu de formation, de frustrations et de contradictions qui est le support de quasi tout un chacun. Ces textes qui cognent ont été écrits par ces talentueux cambrioleurs d'intimité que sont Philippe Minyana, Carole Frechette et Noëlle Renaude.

Madame reçoit de Philippe Minyana fait ressentir le vide palpable des dimanches où les membres d'une famille se retrouvent. Comme on n'a rien à se dire mais qu'on a des griefs envers chacun on se chamaille à propos de la chaise qu'on veut occuper.L'absence du père pèse. De la même manière qu'on déplore la présence d'un des convives. Pour que cessent les conflits à propos des sièges, la mère a acheté une banquette en Skaï. Solution évidement dérisoire.

Dans La pose Carole Frechette décrit le retour de Marie -Luce pour qui toutes les occasions sont bonnes pour appareiller tandis que son frère est installé dans la paresse de la routine. Quelqu'un (on ne saura jamais qui et peu importe) a l'idée puisque voilà tout le monde réuni de faire une photo. Mais une fois encore personne ne sait où se poser ni quelle attitude adopter. De vieux antagonismes refont surface jusqu'au moment où la fille suivant la courbe de ses souvenirs évoque une photo prise sur une plage quand elle avait huit ans et qu'elle ressentait les désirs qui animaient ses parents pour des personnes rencontrées au fil de ces vacances.

Fidèle à son univers, Noëlle Renaude tricote dans Bon, Saint Cloud une intrigue où la filiation joue un rôle majeur. Le père, fumeur invétéré, finira par casser sa pipe tandis que la mère a des maux de têtes et de plus souvent des blancs. A la génération suivante c'est la fille devenue mère de jumeaux qui souffre de migraines tandis que ses enfants ne lui manifestent que de l'indifférence.

On retrouve les acteurs dont certains sont fraichement émoulus des écoles de théâtre dans des rôles on ne peut plus diversifiés où ils font preuve d'une finesse peu commune. . Leur tâche est d'autant plus ardue qu'ils leur faut dans les trois pièces dire les didascalies, tandis que sur les murs sont projetés des phrases qui en disent long sur l'état d'esprit de leurs personnages que ceux-ci ne soupçonnent pas
Bref on a compris que Crystal Shpherd - Cross a commencé a emprunter la voie royale et qu'on reparlera d'elle.

Jusqu'au 15 mai Ciné 13 Théâtre tel 01 42 54 15 12

mercredi 14 avril 2010

Passion selon Jean d'Antonio Tarantino

Deux hommes patientent pendant des heures dans une salle d'attente. L'un est un schizophrène qui comme beaucoup de personnes atteintes de cette maladie mentale ont besoin d'une prestigieuse figure historique ou religieuse pour tenter de rassembler des pulsions désordonnées. Il se prend, lui, pour le Christ. Il est accompagné d'un infirmier habitué aux phrases qui ricochent dans le vide de celui dont il a la garde.

Celui-ci parle au triple galop, se lance dans des discours d'une beauté incongrue, passe du- coq- à l'âne et ne cesse malgré l'avis d'interdiction affichée sur le mur d'allumer des cigarettes. L'infirmier a l'expérience qui lui permet d' apaiser l'homme à la fois absent à lui-même et d'une indécidable étrangeté.


Tout ensemble inquiétant et drôle, ce duo est sans doute le plus déroutant et juste qui traite de la folie. Son auteur, l'italien Antonio Tarantino a beaucoup arpenté les hôpitaux psychiatrique et est, de plus, l'un des écrivain de théâtre les plus inventifs du moments. Ce sont les deux acteurs, Olivier Cruveiller et Paul Minthe, qui parviennent par la force de leur jeu à rendre leurs personnages ébranlants, qui ont proposé à Jean-Yves Ruf de mettre cette pièce en scène. Il a été si enthousiasmé par ce texte qu'il a non seulement accepté leur proposition mais veut aussi en 2012 monter avec les mêmes interprètes deux autres pièces de Tarantino.

Jean-Yves Ruf est, comme il l' a à maintes reprises prouvé, l'un des hommes de théâtre les plus aptes à s'attaquer à des oeuvres hors du commun. Son spectacle à la justesse de ces inoubliables films sur la folie que furent Fous à délier de Marco Bellocchio et San Clemente de Raymond Depardon.

Jusqu'au 16 avril Théâtre 71 Malakoff tel 01 55 48 91 00 MC de Grenoble du 27 au 30 avril

vendredi 9 avril 2010

Richard II de William Shakespeare

Connu surtout pour avoir été le metteur en scène attitré de Thomas Berhardt qu'il montait au Burg theater de Vienne, le public ne pardonna jamais à Claus Peymann sa connivence avec cet écrivain qui jusqu'à son dernier souffle dépeignit l'Autriche comme un repaire de nazis. A la tête aujourd'hui du Berliner Ensemble il a porté son choix sur Shakespeare qui question monstres en connaissant lui-aussi un bout.


Comme les personnages dont on va suivre la trajectoire le décor semble légèrement bancal. Un cousin du jeune roi cherche l'embrouille en dénonçant les agissements d'un courtisan. Les deux hommes seront bannis pour quelques années du royaume. Aussi dénué de scrupules que les autres souverains dont le destin inspira Shakespeare , Richard II s'empare à sa mort des biens de son oncle, père du cousin qu'il a éloigné. Le prince spolié fera connaître son désaccord avec une rudesse. qui poussera son parent à lui donner sa couronne. C'est là une des scène les plus marquantes de ce spectacle dont le début avec ses personnages vêtus tout de blanc ou de noir évoque le cinéma expressionniste. La deuxième partie est quant à elle carrément trash où l'ex roi désormais hors jeux est victime d'un peuple qui le couvre de détritus et de merde.

Cette pièce sur la Comédie du pouvoir n'est pas de celles qui sont le plus souvent représentées. Pourtant avec plus de finesse que d'autres plus connues, elle dénonce les noces de la politique et du crime. Ce faisant elle arpente simultanément l'Histoire et le présent. La traduction qu'en a réalisée l'auteur Thomas Brasch (1945 -1991) est d'une poésie aussi abrupte que les écrits de Verlaine (non, non, je n'ai pas bu un coup de trop!) Si les acteurs sont tous, sans exceptions, remarquables, on ne peut que rester scotché devant les prestations éblouissantes de Michael Maertens (Richard II) qui lorsqu'il est à bout de déchéance fait songer à un enfant maltraité et de Veit Schubert (le cousin qui le dépose). Claus Peymann a, c'est l'évidence, le don pour trouver le point de jonction entre un comédien et un rôle. C'est une des nombreuses raisons pour laquelle son spectacle est l'un des plus percutant qu'il nous a été donné de voir.

Jusqu'au 11 avril Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

vendredi 2 avril 2010

Quai Ouest de Bernard-Marie Koltès

Vieillir c'est interdit est-il écrit dans le Talmud. Bernard-Marie Koltès illustre on ne peut mieux ce précepte, lui dont l'oeuvre conserve une inaltérable jeunesse. Ainsi ce Quai Ouest qui débute par l'arrivée dans un quartier dont les habitants "vivent comme des pauvres chiens oubliés dans le noir" d'un homme qui cherche à se faire dézinguer. Il s'est fait conduire en voiture par une harpie qui n'hésite pas à dire que pour faire disparaître cette enclave du quart monde, il suffit de pousser les propriétaires à hausser les loyers.


Koltès avait une prédilection pour les individus qui ont divorcés du corps social. S'ils n'entretiennent entre eux que des relations conflictuelle, ils semblent tous être aussi aptes à semer le chaos. Peut être, comme l'écrit l'auteur à sa façon drue et poétique, pour la bonne raison qu'ils n'ont pas le moindre rêve. Il fallait après Patrice Chereau qui a monté cette pièce avec le bonheur que l'on sait, trouvé un nouvel angle d'attaque. Ce qu'a réussi le jeune Rachid Zanouda dont notamment deux scènes resteront à jamais ancrées dans les mémoires, l'une où une femme chante dans sa langue amerindienne natale une mélopée qui retourne les sangs , l'autre où deux des acteurs principaux dansent jusqu'à l'épuisement sur une musique qui semble venue du fond des âges. Le metteur en scène a trouvé avec Marie Payen, Jean Sukama-Bamba , Vincent Guédon (d'un talent décidément affolant) et leurs partenaires, qui aucun ne démerite, des interprètes qui n'ont aucun mal à faire croire qu'ils vivent dans des galetas.

Une fois de plus le Théâtre National de Bretagne apporte la preuve que l'audace paye. La salle est comble et enthousiaste alors que le spectacle ne s'attache qu'à des personnages partis à la dérive.

Jusqu'au 8 avril Théâtre National de Bretagne tel 02 99 31 12 31
Comédie de Caen les 20 et 21 octobre