mercredi 30 octobre 2019

Un amour de résistance de Gilles Rozier

La démarche de Gilles Rozier est inhabituelle puisqu'il fait jouer le personnage unique de sa pièce lors de certaines représentations par un homme ((Xavier Béja) d'autres fois par une femme (Chantal Petillot). Lors de la représentation à laquelle j'ai assisté c'est le narrateur qui était en scène. Ce personnage au départ d'une innocence carabinée se trouve pris dans les soubresauts de l'Histoire puisque la pièce débute alors que les nazis deviennent maître du pays. Traducteur d'allemand et épris de littérature germanique, le timide provincial est mis au service du chef de la Gestapo. Ce qui lui offre l'occasion de croiser un jeune juif qu'il réussit à faire s'évader. S'il sauve ce garçon d'une mort certaine c'est moins par courage qu'à cause de l'attrait qu'exerce sur lui le fugitif qu'il cache dans la cave de la maison où il vit avec sa mère et sa soeur. Laquelle s'est enamourée d'un SS. Les deux hommes que rapproche l'amour de Goethe, des frères Mann et d'autres génies de langue allemande, deviennent amants. Un événement gravissime va pousser celui que sa vie de reclus insupportait toujours davantage à prendre le large. Resté seul après la guerre, celui qui tolérait mal l'attiédissement de son partenaire, aura désormais une vie affective et sexuelle désertique. Il finira plongé dans la déréliction. Metteur en scène ingénieux, Gabriel Debray rend ce monologue aussi pognant que prenant. Du 15 au 18 puis du 22 au 24 novembre et une intégrale au cours de laquelle les deux comédiens se succèdent le 25 novembre.Le Local 18, rue de l'Orillon 75011

mercredi 16 octobre 2019

Maldoror d'après Les chants de Maldoror du comte de Lautréamont.

Peu d'écrivains sont, comme Isidore Ducasse dit le comte de Lautréamont, allés jusqu'aux confins de leur personne. En portant à la scène, son oeuvre, Les chants de Maldoror, le metteur en scène et comédien Benjamin Lazar réussit un stupéfiant geste artistique. Mort à 24 ans en 1870, Lautréamont n'a pas attendu Freud pour être averti que nul n'est coupable de ses pensées. C'est d'une plume saignante qu'il dévoile les visions malfaisantes qui lui traversent l'esprit. Sa férocité est par endroit d'une telle allégresse qu'elle en devient cocasse. On sourit moins quand ses hallucinations prennent le dessus. S'il arrache a ses ténèbres des pages somptueuses c'est que, lointain parent de Baudelaire, il a, comme le faisait remarquer un ami, l'écriture à la fois obscure et étincelante. Comparant la mer et le coeur de l'homme, il écrit que ce dernier est plus profond et insondable. On comprend que les surréalistes eurent pour ce poète une admiration éperdue. La réussite du spectacle tient aussi aux créations sonores prodigieusement singulières de Pedro Garcia-Velasquez et d'Augustin Muller qui jamais noient les mots jaillis de la bouche de l'interprète. Les deux films projetés au cours de la représentation en disent, eux aussi, long sur l'état d'égarement de l'auteur. Si le premier embrasse des paysages du Paris que connut Lautréamont, le second s'attarde sur une nature plus onirique que réelle. Lazar nous fait, comme il en a le talent, entrer dans un monde où la raison s'est éclipsée. Jusqu'au 19 octobre Athénée-Théâtre Louis Jouvet tél 01 53 05 19 19

vendredi 11 octobre 2019

Stalonne d'après la nouvelle d'Emanuelle Bernheim

L'écrivaine et scénariste Emmanuèle Bernheim (1955-2017) avait le don d'écrire des oeuvres brèves mais d'une densité considérable. Stalonne en est un parfait exemple qui décrit comment la découverte de Rocky, un homme à qui la défaite donne des forces nouvelles, qu'interprète Sylvester Stalonne provoque chez Lise, secrétaire médicale de 25 ans, le désir de changer le cours de son existence. L'ardeur à vivre qu'elle se découvre la pousse à reprendre des études de médecine, à prendre ses distances avec ses parents et surtout à s'entraîner à la boxe. Ses décisions sont aussi abruptes que vitales. Un nouvel et bel amour puis la naissance d'un puis de deux enfants ne lui font pas oublier la dette qu'elle a contractée envers Stalonne dont elle va voir tous les films dans lesquels il se déploie. Lorsqu'il connaît un passage à vide et qu'elle le surprend le visage convulsé et déprimé, elle prend la décision de lui léguer une partie de ses revenus. Peu après elle a la joie de constater qu'il a remonté la pente. Le quotidien de Lise devenu si attrayant va, lui, subir de graves revers. Adapté pour la scène par Fabien Gorgeart, cinéaste dont ce sont les débuts au théâtre, ce récit d'un surprenant transfert amoureux est d'une grâce absolue. Comédienne lumineuse, Clothilde Hesme fait de Lise un personnage tout de poésie. On ne saurait oublier ces moments où ses cours de boxe se transforment en numéros de claquettes. Elle s'est trouvé en la personne du pianiste Pascal Sangla un partenaire à sa mesure. Attaché à sa boîte à rythme, il incarne, en créant des musiques, toutes les figures masculines mais aussi féminines qui entourent la jeune femme. Un spectacle qui, à l'image de la rencontre que fait Lise avec la vedette la plus populaire des années 70, met le coeur au galop. Jusqu'au 26 octobre Dans le cadre du festival d'automne Cent Quatre Paris tél 01 53 35 50 00

jeudi 3 octobre 2019

Madame Zola d'Annick Le Goff

A son arrivée chez elle, après la cérémonie - qui se déroula en 1908 c'est-dire six ans après sa mort - au cours de laquelle les cendres d'Emile Zola ont été transférées au Panthéon, Alexandrine, sa femme, prise d'une méchante toux appelle Fleury, son apothicaire. Cet homme est réputé pour les recettes dont il est l'inventeur. Même si elle se montre parfois d'une humeur de dogue, Alexandrine peu à peu, se confie à celui qu'elle considère avec une sympathie qui va en s'accentuant. Alors qu'elle parle, allongée sur un divan, il a, lui, pris l'habitude de s'asseoir derrière elle, comme le font à cette époque les apprentis psychanalystes. Mine de rien, Fleury pousse madame Zola à aller au fond des méandres de sa mémoire. Et de se souvenir qu'au yeux de la mère de l'écrivain, elle n'était pas d'assez haute condition. Elle en arrivera à se délester d'inavouables secrets. Et l'on en apprend de belles. De là à se demander si elle n'inspira pas le personnage de Nana... Il apparaît petit à petit qu'Alexandrine et Fleury (dont elle tient à ce qu'il jette, lui aussi le masque) ont en partage d'avoir connu une vie conjugale mouvementée. Haï par les nationalistes parce qu'il avait fini par prendre fait et cause pour Dreyfus, Zola fut l'objet de menaces et même de tentatives de meurtre.Elle n'en mena, elle-même, pas large. Si le spectacle de bout en bout accroche c'est que l'écriture d'Annick Le Goff est d'une clarté et d'une saveur peu courantes. Anouche Setbon, la metteuse en scène a de plus trouvée en Catherine Arditi, tantôt franche du collier, tantôt toute de sensibilité une Alexandrine (Coco dans les moments d'intimité avec celui qui deviendra son mari) attachante au possible. Face à elle Pierre Forest compose avec un talent aussi discret qu'éprouvé un homme dont les remarques avivent ou apaisent des tensions qui font échos aux siennes. Petit Montparnasse tél 01 43 22 77 74