lundi 26 décembre 2011

Un soir/une ville... de Daniel Keene

On connaît le savoir-faire d'une précision à couper le souffle du metteur en scène Didier Bezace. C'est pourquoi ses mises en scène mettent si bien en valeur l'oeuvre de l'australien Daniel Keene toute entière peuplée de personnages en profonde inadéquation avec le monde dans lequel il leur faut vivre.

Un soir/une ville est le produit du montage de trois courtes pièces qui ont en commun de dépeindre les relations de deux personnes que les liens familiaux ou le hasard ont réunis. Un père à la ramasse passe quelques heures avec son jeune fils. Son penchant pour la bouteille et ses accès d'exaspération ne suffisent pas à le rendre odieux aux yeux de l'enfant. Il en va de même pour la femme qui, venue chercher sa mère, dont la perception de la réalité s'est altérée, s'efforce de ne pas manifester son trouble face à ses humeurs et hésitations.

Le troisième volet décrit la rencontre tarifiée entre deux hommes d'âge évidement différent. Il apparaît bientôt que vivre est au delà des forces du "client" dont les intonations sont d'emblée celles d'un homme blessé. Le rideau régulièrement se ferme. Ces courts temps de latence permettent de mieux cerner le spectacle de ces amours moins désolantes qu'elles semblaient l'être au départ.

Il fallait pour incarner des personnages au départ plutôt misérables des acteurs à très forte présence. Ce qui est le cas de Geneviève Mnich comme de Patrick Catalifo, Sylvie Debrun, Daniel Delabesse et Thierry Levaret qui est le seul à n'avoir jamais joué sous la conduite avisée de Didier Bezace.

Du 4 au 29 janvier Théâtre de la Commune Centre dramatique national d'Aubervilliers tel 01 48 33 16 16

jeudi 8 décembre 2011

Coeur ténébreux d'après Joseph Conrad

Il arrive - exceptionnellement encore qu'avec plus de fréquence depuis deux mois - qu'une salle de spectacle soit la proie d'un enchantement. Dans l'adaptation de l imposant roman de Joseph Conrad qu'a réalisé Guy Cassiers, avec la complicité de l'acteur Josse De Pauw, il s'agit de magie qui tend vers le noir. Marlow, le narrateur décrit les obstacles qu'il dût franchir pour pénétrer au coeur des ténèbres.Fasciné par l'abominable il en aura son content.

Tout au long de la traversée du continent noir - devenu le champs de tir des européens qui voulaient en prendre possession - il entend parler, à bord du vapeur qui n'arrête de subir des avaries, d'un certain Kurtz qui fait commerce d'ivoire et vit au fin fond de la forêt dans une solitude indéfectible. Lorsqu'il arrivera à le rencontrer, l'homme ne lui livrera qu'un minuscule aperçu de son être profond. Il apprendra qu'il rédige un traité de civilisation pour les peuples qui l'entoure alors qu'il est, lui, toujours davantage subjugué par la sauvagerie. Devenu un tout puissant potentat, il viole toutes les règles et situe son action au delà du bien et du mal.Mi-anglais, mi-français Kurtz est un pur produit de l'Occident dont Conrad pointe les penchants criminels. Sa fin est sans doute l'un des moments les plus suffoquant qu'on ait vu sur un plateau de théâtre. Projeté sur un écran son visage s'efface, son esprit emprunte le Grand Passage

Pour raconter ce voyage au bout de l'enfer Guy Cassiers accumule les trouvailles acoustiques et visuelles. Josse De Pauw est seul sur scène mais sur l'écran il interprète les rôles de tous ceux que le narrateur croise lors de son périple. Authentique génie de la scène le maître d'oeuvre arrive à créer l'illusion qu'il a réussit à apaiser les forces de l'ombre

Dans le cadre du Festival d'automne Jusqu'au 11 décembre Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

dimanche 4 décembre 2011

Bullet Park d'après John Cheever

L'écrivain John Cheever (1912 -1982) décrit dans ses nombreuses nouvelles et romans les existences ternies d'hommes et de femmes appartenant à la moyenne bourgeoisie américaine et établis dans des maisons de banlieue où l'abondance d'appareils ménagers et la possession d'une piscine leur donne l'illusion d'être au nombre des heureux du monde.

Constatant combien ce mode de vie séduit les européens, Rodolph Dana et Katja Hunsiger ont cédé à la tentation de porter à la scène le roman le plus emblématique de son auteur. Et comme on s'en serait douté la tranquillité acquise par ceux qui ont choisis ce mode de vie se révèle sacrément mortifère.

Les personnages sont les habitants de deux pavillons voisins. Dans l'un vit un couple, parents d'un fils qui, l'adolescence venue, vivra confiné au lit. Dépassée par les événements, la mère fait appel à un gourou. Les nouveaux occupants de l'habitation la plus proche sont des trentenaires dont les relations se sont déjà aigries. On songe en constatant que chaque parole ou silence est source de conflit aigu à "Qui a peur de Virginia Woolf" d'Edward Albee. C'est là que le bât un peu blesse. Le texte à l'évidence date. Non seulement parce qu'il rappelle un brin trop les écrits des riches années soixante mais surtout pour la rude raison que le seuil de tolérance au pire s'est lamentablement élevé.

Ce petit monde où les adultes boivent à tire larigot et où les plus jeunes sont menacés d'affections psychiques est incarné on ne peut mieux par les comédiens du collectf Les possédés dont on a déjà pu apprécié le métier sûr et la vaillance lorsqu'ils se sont mesurés à des dramaturges aussi différents que Jean-Luc Lagarce et Tancred Dorst. Les découvrir ou les retrouver est un rare bonheur.

Dans le cadre du Festival d'Automne Jusqu'au 22 décembre Théâtre de la Bastille tel 01 43 57 42 14