dimanche 20 février 2011

Aller chercher demain de Denise Chalem

Une flopée de comédies tournent en ridicule une mère juive envahissante. C'est cette fois un père grognon qui n'a de cesse de raconter des blagues juives - dont certaines usées jusqu'à la corde - qui est au centre de la pièce de Denise Chalem. Laquelle s'est réservée le rôle de sa fille, une célibataire acrimonieuse au déclin de sa jeunesse. Sa vie il faut le reconnaître, n'est guère festive.Alors que la nuit elle est infirmière dans une unité de soins palliatifs, elle s'occupe la journée de la tambouille de son paternel et tient à distance un voisin, brave gars un peu bas du front, qui veut en faire sa femme. On comprend que la rage souvent rugit en elle qui n'a envie que de paisible solitude.

Fait d'observations mineures le dernier écrit de Denise Chalem, mis honorablement en scène par Didier Long, se passe entre l'appartement où il lui faut supporter les humeurs du vieil homme (Michel Aumont comme à son habitude irréprochable) et l'hôpital où elle est confrontée à des êtres, vieux ou jeunes, qui vont basculer dans l'inconnu de la mort. Des dialogues pétillants font toutefois barrage à la sinistrose. Sur un thème plutôt sombre, l'auteure a réussit à bâtir une pièce qui arrache presque constamment des rires.

Seul bémol : les dernières scènes tiennent du fantastique. Ce qui n'est, pas mais alors pas du tout, du registre de Denise Chalem dont on se rappelle encore avec émotion combien elle fut irrésistible dans Le mariage de Figaro de Beaumarchais monté par Jean-Pierre Vincent.

Petit Théâtre de Paris tel 01 42 80 01 81

vendredi 11 février 2011

La voix humaine de Francis Poulenc et Jean Cocteau

Pour une curiosité c'en est une. On sait gré à Vincent Vittoz d'avoir exhumé cet opéra de Poulenc d'après la pièce de Jean Cocteau. La soirée s'ouvre avec La dame de Monte-Carlo, monologue lyrique de Poulenc dont on regrette qu'un peu de fantaisie ne vienne aérer l'atmosphère. Suit aussitôt, dit par la même Stéphanie d'Oustrac, le soliloque de Cocteau "Lis ton journal."

On passe ensuite aux choses sérieuses c'est à dire à "La voix humaine" dans lequel l'auteur, comme plus tard Roland Barthes dans "Fragments d'un discours amoureux" décrit les émois de celle (ou de celui) qui attend un coup de téléphone de l'être de sa vie. Lorsque celui-ci arrive et est constamment interrompu, car l'appareil en est encore à ses balbutiements, l'amoureuse - qui sait qu'elle a affaire à un indifférent mais n'en est pas moins éprise, au contraire - déverse une cascade de mots tendres. On regrette que la jeune mezzo-soprano ne joue pas à ce moment crucial d'avantage avec le pianiste qui, fixé à son instrument, est l'image même de l'individu inaccessible. Le décor, qui avec sa luxuriance de couleurs apparaît au départ d'une laideur insensée, va bientôt se révéler sous un jour différent car il rappelle combien des compositeurs tels que Poulenc et Satie s'amusaient à se gausser du lustre vulgaire des snobs de leur temps.

Plus la représentation avance, plus la voix de Stéphanie d'Oustrac s'amplifie et s'épure. Entraîné par l'interprète, Pascal Jourdan, le musicien, va en affinant son jeu. Et le couple sur la fin d'atteindre au sublime.

Jusqu'au 13 février Athénée Louis Jouvet tel 01 53 05 19 19

mercredi 9 février 2011

Un tramway nommé désir de Tennessee Williams

Célèbre par le film qu'en tira Elia Kazan, Un tramway nommé désir apparaissait comme une oeuvre d'un réalisme éprouvant. Orchestrée par Lee Breuer, figure majeure de la scène alternative américaine et fondateur de la compagnie Mabou Mines, la pièce semble flotter dans les eaux troubles d'une mémoire malmenée. Celle de Blanche DuBois qui débarque sans crier gare chez sa soeur Stella qui vit avec son mari Stanley Kowalski, un homme fruste mais qui ne s'en laisse pas conter, dans un logement vermoulu de la Nouvelle-Orléans.

Bien qu'elle avoue à sa soeur avoir perdu leur fastueuse demeure familiale, Blanche se comporte comme une reine en son royaume. De son passé soyeux elle a gardé le goût du luxe. Mais comme elle n'a plus un sou vaillant, elle porte des robes et des bijous de pacotille qui, croit-elle, en jettent.L'inimitié entre son beau frère, qu'elle traite de polak, et elle va en s'accentuant. Gagné par la haine, Kowalski glanera des informations compromettantes sur le passé de celle qui le considère comme un rustre. Les fractures trop nombreuses de l' existence de celle qui dit préférer la magie au réel vont lui faire rejoindre les contrées de la folie.

On peut ne pas totalement adhérer à ce spectacle dont la circulation incessante de panneaux japonisants tue parfois l'émotion, on ne peut en revanche que constater que le metteur en scène arrive malgré cet écueil (qui n'en est pas un pour tout le monde) à tirer de la pièce sa quintessence tragique. Il faut dire qu'Anne Kessler est une Blanche Dubois grandiose. Les comédiens rencontrent parfois dans leur carrière un rôle avec lequel ils ont , plus qu'avec tout autre, des affinités électives. Ce qui semble être ici le cas. Le reste de la distribution est au diapason. Eric Ruf ne fait pas du vindicatif beau-frère, comme il est d'usage depuis l'interprétation de Brando, une masse de muscles exsudant la sexualité mais un être ambigu, mimant avec une jouissance évidente les minauderies de Blanche. Françoise Guillard, actrice au talent bien trempé, est une Stella qui exprime on ne peut mieux l'ambivalence des relations familiales.

De nombreuses scènes comme notamment celle du viol, dont on ne sait s'il a lieu ou n'existe que dans l'imagination perturbée de Blanche, ou les parties de poker dont les femmes sont exclues confirment que Lee Breuer n'a pas volé sa prestigieuse réputation.

En alternance jusqu'au 2 juin Comédie française Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

mardi 1 février 2011

La critique de l'Ecole des Femmes de Molière

Pour ses débuts dans la mise en scène, Clément Hervieu-léger n'a pas choisi la facilité puisqu'il a porté son choix sur La critique de l'Ecole des femmes, courte pièce en prose de Molière où celui-ci cloue le bec à ses détracteurs. Le concert d'éloges que lui valut la création de L'école des femmes s'accompagna de critiques acerbes. Plutôt que d'y répondre en polémiste, il le fit en écrivain de théâtre par cette oeuvre rarement représentée où, par le biais de sept personnages se querellant dans un salon, il entreprend de percer les clichés de l'époque sur l'art dramatique.

Une femme à l'hystérie rayonnante (Elsa Lepoivre, un des plus beaux fleurons de la Comédie française) mène la charge. Contrairement à son hôtesse que l'impertinence décapante de la pièce enchante, cette noble dame perd connaissance au simple souvenir de certaines répliques. Les autres convives prennent le parti de l'une ou de l'autre et leurs bisbilles finissent par en dire long sur leur propre sensibilité. Et le spectacle de toujours davantage nous harponner.

Aucun acteur ne tente de tirer la couverture à lui comme on dit. Tous prennent admirablement les mots au collet. S'il est un compliment qu'on peut faire à Muriel Mayette est qu'elle a, contre toute attente, su créer un esprit de troupe. Afin que le spectacle n'apparaisse pas trop bavard, Clément Hervieu-Léger multiplie les trouvailles. Il est clair qu'il a l'étoffe bien peu fréquente d'un metteur en scène a l'esprit inventif. Un dernier mot sur le décor conçu avec autant de goût que d'ingéniosité par Eric Ruf. Un court spectacle qui provoque de longues acclamations.

Jusqu'au 6 mars Comédie Française-Studio-Théâtre tel1 44 58 98 58