lundi 28 décembre 2015

La Belle au Bois Dormant par la compagnie Jean-Michel Rabeux

Jean-Michel Rabeux a le chic pour adapter les contes de Charles Perrault en mettant en valeur les événements les plus piquants et en en gommant la bienséance. Ce qu'il fit, il a peu, avec Barbe Bleue et qu'il refait ici avec des moyens une fois encore mesurés et une imagination exubérante. Si les fées sont, comme dans le conte, bonnes filles ou méchantes créatures, et que la princesse se trouve au départ plongée dans un sommeil de cent ans, le prince charmant est, lui, un peu perché. La reine, mère du prince, est, quant à elle, une sacrée terreur. Qu'elle ait la voix et l'oeil mauvais ne serait qu'un moindre mal. Mais cette ogresse ne songe qu'à dévorer sa belle fille et à prendre son fils pour époux afin de pouvoir donner naissance à de petits monstres.Au grand bonheur des jeunes spectateurs les effets comiques dont beaucoup touchent au fantastique sont innombrables et les gros mots, ceux qu'ils affectionnent, fusent. L'interprétation pétaradante de Morgane Arbez, Jacinthe Cappello, Corinne Cicolari et Renaud Truffault vêtus avec un charmant grain de fantaisie par Sophie Hampe et Jean-Michel Rabeux achèvent de faire de ce spectacle pour petits et moins petits enfants un moment de ravissement. Du 5 au 9 janv Théâtre de Nîmes tel 04 66 36 65 10 Du 14 au 16 janv Théâtre de Bretigny Dedans/dehors tel 01 60 85 20 85 Du 14 au 16 fev Le figuier blanc 01 34 23 58 00 Du 15 au 17 mars La Rose des vents Villeneuve d'Ascq tel 03 20 61 96 96

mercredi 23 décembre 2015

En attendant Godot de Samuel Beckett

Ecrite par Beckett en 1948, c'est-à dire à une époque revenue du pire,En attendant Godot a pour personnages centraux Estragon et Vladimir, deux types qui n'en mènent pas large, deux survivants. S'ils évoquent à la fois Charlot, par leurs allures de clochard et Laurel et Hardy par leur absence parfois cocasse d'affinités avec le réel, c'est que le cinéma américain dominé par des acteurs délicieusement burlesques était revenu en force occuper les écrans français. Plantés à proximité d'un arbre isolé dans un paysage désertique, les deux compères attendent le dénommé Godot autrement dit le mirage d'un avenir moins désespérant. Viennent à passer l'exubérant Pozzo que mène à coups de fouet Lucky, son esclave. Le nazisme n'est pas mort puisqu'il est des humains qui peuvent être réduits à l'état d'animaux de peine. Ses scrupules rapidement levés, Estragon va dévorer la pitance de l'homme-cheval. Le jour suivant cet épisode s'est effacé de sa mémoire. Seules des bribes du passé lointain refont parfois surface. Véritable couple de clowns, les deux hommes se chamaillent, lancent des phrases extravagantes, ont l'esprit potache, se reprochent, comme peuvent le faire des enfants, leurs odeurs, ne peuvent se passer l'un de l'autre, comptent en finir ensemble. Metteur en scène considérable, Jean-Pierre Vincent rend à la pièce sa force intemporelle.Comme il tire de plus de ses comédiens (Abbes Zahmani, Charlie Nelson, Alain Rimoux et Frederic Leidgens) un parti particulièrement savoureux et que le superbe décor d'Alain Chambas est éclairé de façon poignante par Alain Poisson, on aurait mauvaise grâce à cacher sa joie. Jusqu'au 27 décembre Théâtre Des Bouffes du Nord. Tel 01 46 07 34 50

mercredi 9 décembre 2015

Roméo et Juliette de William Shakespeare

Force est de le reconnaître : les mises en scène de Roméo et Juliette réalisées en France ces dernières années n'ont guère marquées les mémoires. Il en va tout autrement de celle que propose Eric Ruf. Plutôt qu'à Vérone (néanmoins citée) le drame se joue dans le sud de la péninsule, région imprégnée de traditions archaïques où, comme l'écrit Ruf dans le dossier de presse, la chaleur échauffe les esprits. Dès l'instant de leur rencontre, Roméo qui jusqu'alors se languissait d'amour à tout bout de champs et Juliette, jeune fille d'un tempérament qu'elle croyait réservé, vont être transportés par les mots qui s'échappent de leurs lèvres. Le besoin d'en découdre de leurs cousins respectifs va faire couler le sang. Pas question pourtant pour les deux quasi enfants de renoncer l'un à l'autre. Et la tragédie de se tisser, ponctuée de refrains mélodieux. Et marquée de temps forts tels la scène du balcon aussi inattendue que gracieuse, les monologues de Juliette (Suliane Brahim d'une grâce infinie), les accès de colère de Capulet, le père de Juliette, qui oubliant ses bonnes manières balance à sa fille des injures d'une crudité jubilatoire (Didier Sandre à qui l'occasion est offerte de faire montre de son effarant savoir faire). Claude Mathieu impose, quant à elle, une nourrice haute en couleur, tour à tour mère de substitution et complice dénuée de lucidité tandis que Serge Bagdassarian compose avec son habituelle truculence un Frère Laurent dépassé par les événements. Contribuent enfin à ce que le spectacle laisse une trace mémorable les robes d'une allure folle ou ravageuse taillées par Christian Lacroix et les lumières conçues par Bernard Couderc qui soulignent l'étroit passage de la nuit au jour et de l'euphorie au chagrin. Jusqu'au 30 mai Comédie-Française-Salle Richelieu tel 08 25 10 16 80

dimanche 6 décembre 2015

Les rustres de Carlo Goldoni

Belle idée que d'avoir proposé à Jean-Louis Benoit de mettre en scène Les Rustres de Goldoni dont l'alliage de comédie explosive et de tableau de moeurs est, on ne peut plus, dans ses cordes. La pièce se déroule en grande partie dans la maison de Lunardo (Christian Hecq à son meilleur), un barbon vénitien à qui Margarita, sa deuxième épouse (Coraly Zahonero) et Lucetta (Rebecca Marder) la fille née de son premier mariage doivent obéir au doigt et à l'oeil. Véritable tyran domestique, Lunardo pique à tout bout de champs des colères monumentales et, sans doute persuadé que le diable gît dans les détails, ne supporte pas que les femmes portent la moindre parure. Il a pour l'heure décidé de marier sa fille qui n'a jamais mis les pieds hors de la maison à Fillipetto (Christophe Montenez), le fils de Maurizio (Nicolas Lormeau), un négociant de ses amis, personnage comme lui bardé de préjugés et père despotique. Sont conviés au dîner, où les deux promis vont s'apercevoir pour la première fois et aussitôt se voir mariés, Simon (Bruno Raffaelli) et Canciano (Gérard Giroudon) et leurs épouses.Celles-ci, Marina (Céline Samie) et Félicia (Clotide de Bayser) , fomentent un plan pour faire se rencontrer les deux jeunes gens. Plan qui foire. Les rustres de maris tiennent conciliabule. Est-il préférables de cloitrer ces femmes insubordonnées, de les frapper à coup de gourdins ou de les laisser agir comme bon leur semble. Félicia, qui a la langue agile aura, non sans mal, le dernier mot. Où l'on découvre - grâce à la mise en scène où abondent les chassés-croisés - que Goldoni est l'ancêtre du théâtre de boulevard. Un ancêtre qui prenait fait et cause pour le combat qu'on appellera des siècles plus tard féministe. Qui ne sait où emmener des ados découvrir les charmes du théâtre classique sera bien inspiré de leur faire découvrir ce spectacle joué avec un savoureux entrain par des comédiens vêtus avec goût ou malice par Marie Sartoux. Jusqu'au 10 janvier Vieux Colombier tél 01 44 58 15 15

vendredi 4 décembre 2015

Le méridien d'après Paul Celan

Le moins qu'on puisse dire est que le comédien Nicolas Bouchaud ne craint pas les textes aventureux. Après avoir avec "La loi du marcheur" porté à la scène les réflexions sur le cinéma de Serge Daney puis reconstitué, avec "Un métier idéal" de l'écrivain engagé John Berger, le périple d'un médecin de campagne, il nous entraîne (une fois encore seul en scène mais avec la complicité avisée d'Eric Didry) avec "Le méridien" du poète Paul Celan aux confins du dicible. Lorsqu'il reçu en 1960 le prix Georg-Buchner, le poète juif roumain de langue allemande fit dans la langue de ses parents qui fut aussi celle de leurs bourreaux un discours de réception plus proche du déchaînement pulsionnel que de la péroraison attendue en pareilles circonstances. L'hommage qu'il rend à Buchner est l'occasion de s'interroger sur sa propre pratique. Il commence par évoquer Lucille Desmoulin qui à la fin de "La mort de Danton" crie "Vive le roi"après avoir vu Camille Desmoulin se faire guillotiner. Ces mots qui ne peuvent que la mener à son tour sur l'échafaud n'ont évidement rien d'un signe de ralliement à l'ancien régime mais témoignent de son opposition à un monde où règne l'inhumanité. Restée à l'état de fragment "Lenz" est l'oeuvre de laquelle Celan semble se sentir le plus proche. Atteint de ce qu'on qu'on pourrait appeler une folie langagière, Lenz, comme on dit, s'oublie. Ses mots questionnent plus avant, ce qui est le propre de la poésie. Le comédien ne joue plus mais semble emporté par des forces telluriques. Il faut être un interprète d'une virtuosité phénoménale pour sembler, comme fait Nicolas Bouchaud, n'être plus que dans le vif de l'existence, de l'exaltation et de la douleur. Cette douleur qui l'envahit quand revient inlassablement le souvenir de ce monde sans mots et sans réponses que fut l'Allemagne dont, rappelle Celan, la mort fut un maître. Une amie me dit, avec justesse, à la sortie de la représentation, que si celle-ci se déroulait dans un galerie ou un musée on parlerait d'installation verbale. Une de ces installations qui donne un sentiment d'inquiétante familiarité... Dans le cadre du festival d'automne Jusqu'au 27 décembre Théâtre du Rond-Point tel 01 44 95 98 21