lundi 28 septembre 2015

Pauvreté, richesse, homme et bête de Hans Henny Jahnn. Mise en scène Pascal Kirsch

Au début de la Grande Guerre, Hans Henny Jahnn (1894-1959) fuit l'Allemagne où il ne reviendra qu'en 1918 et s'établit dans une contrée reculée de Norvège. Cette région de montagnes dont les habitants ne se croisent qu'en de rares occasions lui inspirera l'écriture de Pauvreté, richesse, homme et bête. Manao Vinje qui exploite une ferme isolée veut prendre femme. Il a porté son choix sur Sophia dont la famille est sans-le sou. Mais c'est compter sans Anna, une riche paysanne qui éprouve pour lui une passion jalouse et veut l'enserrer dans ses filets. Ne s'embarrassant pas de scrupules, elle arrive à ses fins. Pour son propre malheur. On entre avec cette pièce dans les viscères du monde rural. Des trolls, ces créatures chimériques, commentent et peut être influencent les destins. Plus accoutumé à fréquenter les animaux que les humains, Manao éprouve pour son cheval un tel attachement qu'il passe plus volontiers ses nuits dans l'écurie que dans dans la chambre conjugale. Ce qui fait naître le bruit que le cheval serait habité par un être fantasmagorique. Chez Hans Henny Jahnn le réalisme côtoie le surnaturel, le lyrisme la cruauté la plus triviale. Ce qui frappe dans cette pièce est sa démesure que le jeune metteur Pascal Kirsch met splendidement en lumière. On ne peut qu'être stupéfait par la maîtrise avec laquelle il s'est emparé de ce texte dont le climat rappelle l'univers terrien de Dylan Thomas et qui s'inspire pour ce qui est des situations et des personnages hantés de troubles désirs autant de Shakespeare que de contes de Grimm. Porté par des comédiens d'une singularité exceptionnelle (notamment Vincent Guédon, Raphaëlle Gitlis, Arnaud Cheron, Elios Noël... ) cette oeuvre dramatique de l'auteur de "Pasteur Ephraïm Magnus" et d'une bluffante "Médée" provoque l'ivresse d'une découverte fondamentale. Jusqu'au 9 octobre L'échangeur Bagnolet à 19h30 du lundi au samedi à 17h dimanche (relâche les mercredis)tel 01 43 62 71 20

samedi 26 septembre 2015

Café Polisson. Mise en scène Jacques Verzier

Mise en scène par Jacques Verzier qui tire malicieusement parti de la largeur du plateau et de son absence de profondeur, Nathalie Joly - qu'entourent le pianiste Jean-Pierre Gesbert, la bandéoniste Louise Jallu et la danseuse Bénédicte Charpiat - nous plonge dans ce que l'on appelait autrefois le demi-monde. Et c'est un régal. Les chansons et autres goualantes des défunts caf'conc' qu'a dégottées la comédienne-chanteuse et qu'elle interprète à merveille sont - on n'en sera pas surpris - d'une savoureuse gaillardise. Le répertoire de celles qu'on appelait selon les époques ou leur renommée des gueuses, des racoleuses, des bitumeuses... était d'une richesse foisonnante. C'est qu'il y avait, pour désigner les services "offerts" par les filles de joie une infinité de vocables qu'on découvre avec jubilation. Vêtue par les soins de Claire Risterucci et de Carmen Bagoe avec l'élégance orageuse du trottoir, Nathalie Joly fait sa coquine puis rappelle le sort de celles qui se retrouvaient détenues à Saint Lazarre, le corps parfois miné. Le délicieux décor de maison close conçu par Jean-Jacques Gernol achève de rendre ce spectacle - qui se déroule dans le cadre de l'exposition Splendeurs et misères, images de la prostitution 1850-1910 - plus que recommandable. Samedi 3 oct 16h, Samedi 10 oct 16h, jeudi 15 oct 20h30 Auditorium du Musée d'Orsay.

mardi 22 septembre 2015

Père d'August Strindberg Mise en scène Arnaud Desplechin

Pour ce qui est des empoignades conjugales, Strindberg en connaissait visiblement un bout. D'accords sur rien, le Capitaine et Laura, son épouse ne le sont évidement pas sur l'éducation de Bertha, leur fille. Si la mère veut la garder auprès d'elle, le père veut au contraire l'envoyer à la ville afin qu'elle apprenne un métier qui lui permettra, si elle ne se marie pas, de vivre de son travail. Le paradoxe (la pièce en fourmille) est que, par ailleurs, fidèle aux injonctions de son époque, le Capitaine affiche un mépris farouche pour la gent féminine. La pièce - c'est là la finauderie de Strindberg - annonce en fait la fin de l'ère patriarcale. Laura a depuis sa plus tendre enfance, comme le dit son pasteur de frère lors d'une conversation avec le Capitaine, toujours eu le dernier mot. C'est ce qu'elle aura aussi à l'issue d'une guerre des mots qui sans cesse se ravive. Personnalité d'un cran bien trempé, elle usera pour acquérir sa liberté de stratagèmes qui mèneront son mari à la folie. Lorsqu'elle insinue que Bertha n'est peut être pas sa fille, cet homme si sûr de son droit et de son savoir, perd pied. En viendra même à sangloter. Ce que l'on comprend moins- c'est la réserve majeure qu'inspire le spectacle - est la raison pour laquelle le metteur en scène fait à plusieurs reprises pleurer Laura (Anne Kessler). Difficile de ne pas penser à Ingmar Bergman dans les films duquel les femmes, aussi monstrueux que soit leur sort, jamais ne versent une larme. On sait qu'Arnaud Desplechin, l'un des rares cinéastes français à pouvoir mener une carrière d'une superbe exigence, voue une passion au théâtre. Ses films Léo "Dans la compagnie des hommes" d'après le dramaturge anglais Edward Bond et Esther Kahn le prouvent. Il fait ici de convaincants débuts de metteur en scène de théâtre. Lesquels permettent de retrouver le splendide texte français d'Arthur Adamov. L'interprétation par Michel Vuillermoz du Capitaine est, quant à elle, d'une telle force, qu'on peine à trouver pour la définir des mots qui ne soient pas usés. Citons parmi ses partenaires Martine Chevalier qui transforme la vieille gouvernante en un bloc d'humanité inquiète. Jusqu'au 4 janvier Comédie -Française Salle Richelieu tel 01 44 58 15 15

mercredi 16 septembre 2015

Comme une pierre qui ... Sur une idée de Marie Rémond. Adaptation et mise en scène Marie Rémond et Sébastien Pouderoux

Elle l'avait déjà prouvée avec ses précédents spectacles (André et Vers Wanda) Marie Rémond ne se contente pas de s'aventurer hors des chemins balisés, elle bâtit à partir d'ingrédients insolites un théâtre aussi inédit que jubilatoire. Epaulée par Sébastien Pouderoux, son complice attitré, elle réinvente - en s'appuyant sur le livre de Greil Marcus - la séance d'enregistrement en studio en 1965 de Like a Rolling Stone. Entouré de quatre musicien de formation diverses, Bob Dylan alors en panne d'inspiration, compose, on pourrait dire déverse, vingt pages de ce qui va être une chanson phare de sa génération avant de devenir immortelle et d'ouvrir (bien plus tard) la voie aux artisans du Rap. Il paraît évident que les sixties offraient un terreau propice à la création. Il n'empêche que les répétitions furent bordéliques et qu'après le moment miraculeux de l'enregistrement les tentatives suivantes furent de fichus insuccès. Le spectacle, relevé constamment de pointes d'humour, s'attache à imaginer les relations que nouent les interprètes, celles moins cool que tente d'imposer le producteur (Gilles David à son meilleur) et celles qui se tissent avec la vedette. Dylan est joué avec une intensité magnétique par Sébastien Pouderoux. L'éloquence torrentielle avec laquelle il fait surgir des grands fonds le poème est l'un de ces moments qui prennent place dans les mémoires. Pour le reste on ne peut qu'applaudir l'entrain en demi teinte de la brochette de jeunes qui l'entourent (Stéphane Varupenne, Christophe Montenez et les élèves comédiens Gabriel Tur et Hugues Duchène). La plupart d'entre eux sont à l'évidence des musiciens accomplis. Ce spectacle semble à l'image de la nouvelle ère qui s'ouvre au Français. Audacieux, exigeant, inventif, à même de faire la nique aux temps désespérants que nous traversons. Jusqu'au 25 octobre Studio Théâtre Galerie du Carroussel du Louvre tel 01 44 58 98 58

dimanche 13 septembre 2015

Un tango en bord de mer de Philippe Besson

L'écrivain Philippe Besson y va franco. Les deux hommes qui se retrouvent à une heure avancée de la nuit dans le bar d'un palace en bord de mer ont été amants. Ils échangent des souvenirs certains cuisants, d'autres - la mémoire jouant des tours - faux. L'un, Stéphane, est un auteur à succès, l'autre,plus jeune(Vincent) cherche sa voie... Ce dernier a trois ans plus tôt quitté son aîné sans crier gare. Le plus âgé, à l'évidence le double du romancier, est à en croire son ex, un homme placide qui adore la notoriété qu'il prétend haïr. Vincent est toujours apparu aux yeux de son amant comme un garçon qui use et abuse de sa jeunesse. Ce que nie le fringant trentenaire. L'alcool peu à peu renforce les élans affectifs, fait oublier les empoignades, les pousse à davantage se livrer. Si le voyage au bout d'eux même qu'effectuent les deux personnages n'apparaît pas bidon c'est grâce à la forte présence, à la force de conviction des deux comédiens : Jean-Pierre Bouvier, dont on connaissait l'excellence, et Frédéric Nyssen qui se tire avec finesse d'un rôle un peu convenu. Petit Montparnasse tel 01 43 22 17 74

jeudi 10 septembre 2015

887 Conception, mise en scène et jeu Robert Lepage

Seul sur le plateau, comme il l'a déjà été à plusieurs reprises, Robert Lepage parle d'emblée de l'offensive de l'âge. Le temps passant, il constate - comme tout un chacun... - que la mémoire des faits récents est peu sûre alors que celle de l'enfance semble inentamée. Et de revenir sur ses jeunes années au cours desquelles il habitait avec parents, frère, soeurs et grand-mère un appartement situé dans un immeuble dont les locataires, décrits avec un humour acide, n'avaient en commun que de mener des vies précaires. Et le bâtiment, ressurgi des limbes de la mémoire, de se retrouver en miniature sur le plateau. Qui connaît le travail de ce metteur en scène sait avec quel art il utilise et poétise les nouvelles technologies. L'habillage visuel de son dernier opus laisse carrément baba. Tout comme son talent à glisser de son histoire personnelle à celle du Québec. La personnalité qui l'a à l'évidence le plus marqué est son père, qui trima dès l'âge de huit ans, devint chauffeur de taxi, fut un homme taiseux. Ce qui ne l'empêcha pas à la fin des années soixante, temps de convulsions politiques et sociales où la communauté francophone eut des velléités d'indépendance, d'exprimer que si la cause était juste, la méthode des insurgés pour arriver à leur fin ne l'était pas. Dans la foulée Robert Lepage rappelle que le Québec vécu à cette époque sous le joug d'Ottawa. La visite de soutien de De Gaulle aux indépendantistes fut, dit-on aujourd'hui, un pétard mouillé. On peut regretter le ton grandiloquent de ces réflexions sur les tensions identitaires. D'autant que le spectacle n'est pour le reste que charme tantôt mélancolique, tantôt facétieux. Jusqu'au 17 septembre Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris (01 53 45 17 17) Théâtre de la Ville tel 01 42 74 22 77

dimanche 6 septembre 2015

Les voisins de Michel Vinaver

En écrivant en 1984 Les voisins, Michel Vinaver sortait du cadre de ce que l'on appelait jusqu'alors "Le théâtre du quotidien" qui dépeignait de façon naturaliste des vies qu'on qualifiait d'ordinaires. Les parcours de Blason (Patrick Catalifo)et de Laheu (Lionel Abelanski), qui vivent le premier avec Alice, sa fille (Alice Berger), le deuxième avec Ulysse, son fils, handicapé mental très léger (Loic Mobihan), ont été semés d'embuches, d'accidents, de ruptures, de deuils. En dépit de tempéraments on peut plus opposés, les deux hommes se font confiance, ont le sentiment de bien se connaître, partagent fréquemment, sur la terrasse qu'ils ont en commun, une bouteille de vin ou, à de grandes occasions, de champagne. Quand la pièce débute Ulysse vient d'enterrer sa chienne. Un autre événement, on pourrait dire un ouragan va s'abattre sur le quatuor. Blason, principale victime de cet épisode, ne semble au premier abord, pas trop éprouvé. Il ne tarde pourtant à chercher des bricoles à son voisin. Lequel n'entend pas en rester là. Les anciens potes s'affrontent avec une ardeur qui va en s'accentuant. Le combat est sans merci. Leurs enfants, qui rêvent d'un avenir commun, ne paraissent pas gagnés par le délire de leurs pères. Apparence trompeuse. Patrick Catalifo déploie toute sa puissance dans le rôle de cet homme, dont on assiste à la désagrégation intérieure. On ne peut qu'être séduit par le contraste entre les deux comédiens qui incarnent les pères. Il est clair que Michel Vinaver considère que le monde dans lequel nous évoluons menace notre équilibre psychique. Ce que Marc Paquien, qui assure la mise en scène, souligne avec une adresse infinie. Notamment en ponctuant le spectacle d'appels à l'apaisement sous forme de brefs extraits d'oeuvres de Mozart Théâtre de Poche Montparnasse tel 01 45 44 50 21