jeudi 27 décembre 2018

Kanata-Episode 1 :La controverse de Robert Lepage

Il est exceptionnel que deux metteurs en scène renommés unissent leur savoir faire. Bien que le spectacle joué par des comédiens du Théâtre du Soleil, soit signé par le Québecois Robert Lepage, la griffe d'Ariane Mnouchkine y est visible. L'absence d'acteurs autochtone a, comme on en a abondamment été informé, provoqué des réactions si outrées qu'il fut question de mettre fin à l'aventure. C'est finalement un spectacle amputé de nombreuses scènes qui nous est présenté. On découvre, en suivant à la trace quelques femmes et hommes pour la plupart d'origine huronne, un Canada à la merci de son passé. Une peintre française qui a pris ses quartiers à Vancouver fait la rencontre d'une jeune prostituée droguée jusqu'au yeux. Laquelle sera, comme 48 autres jeunes femmes à la dérive, victime d'un tueur en série. Robert Lepage n'a pas eu à faire montre d'imagination. Les récits qui s'entremêlent sont véridiques. On apprend ainsi que de nombreuses petites filles d'origine autochtone arrachées à leur mère et placées dans un orphelinat finissaient sur le trottoir. D'autres au départ plus chanceuses, telle la fille d'une restauratrice de tableaux , sont tout aussi irrémédiablement perdues. Les changements de registre comme de décors sont d'une fluidité qui rappellent les grandes réussites des deux maîtres d'oeuvre. Il est notamment une scène d'une fulgurante beauté où, sous l'effet d'une prise d'opium, la jeune artiste se trouve en apesanteur dans une petite embarcation. Bien que parfois encore trop schématique, le spectacle mérite amplement la découverte. On ne peut par ailleurs être étonné qu'un projet tel que celui dont il est ici question ait nourri la défiance d'une population qui n'ayant cessé de subir des offenses ne tient pas à ce que des étrangers à leur communauté viennent les dénoncer. Il est plus aisé de s'opposer à ce poison qu'est le communautarisme aujourd'hui si triomphant quand il n'est pas, comme dans le cas des Amerindiens (terme aujourd'hui banni), la dernière branche à laquelle s'accrocher. Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris Jusqu'au 17 février Cartoucherie de Vincennes tél 0143 742408

lundi 10 décembre 2018

J'ai bien fait? Texte et mise en scène Pauline Sales

Valentine, une enseignante d'une quarantaine d'années surgit sans crier gare chez son frère, un plasticien avec lequel elle n'a conservé que de rares contacts Elle est visiblement hors d'elle. On en apprend peu à peu les raisons. Elle a, il est vrai, des cheveux à se faire. L'arrivée sur les lieux de son mari, un scientifique que son savoir semble mettre à l'abri des tourments et tient éloigné de ceux de sa femme, n'est pas fait pour la calmer. Peu après c'est une de ses brillantes anciennes élèves, résignée à vivre de petits boulot qui fait irruption dans l'atelier de l'artiste. Lorsque laissé seul ce dernier dévide son histoire, il apparaît que comme tous ceux qui gagnent modestement leur vie, il a, tout créateur qu'il est, peur du déclassement, de la précarité Pauline Sales, dont la pièce est d'une force peu commune, est douée d'un flair sociologique imparable. Les quatre personnages qu'elle met en scène en disent long sur l'état de notre civilisation. Cette oeuvre qui embrasse à la fois l'intime et la politique est jouée à la perfection par Hélène Viviés qu'entourent Gauthier Baillot, Anthony Poupard et Olivia Chatain, des comédiens d'une trempe égale à la sienne. Un spectacle qui'en ces temps incertains tombe à pic. Jusqu'au 16 décembre la Tempête. Cartoucherie de Vincennes tél 01 43 28 36 36

vendredi 30 novembre 2018

Mémoire de fille d'Annie Ernaux. Mise en scène Cécile Backès

En 1958 alors qu'elle avait 18 ans Annie Ernaux trouva un job de monitrice dans une colonie de vacances. Elle garde de ce séjour un souvenir si cuisant qu'elle a attendu pour s'en délivrer d'être gagnée par l'âge et devenue une femme écrivain renommée. Quand elle rejoint les jeunes gens qui vont devenir ses collègues, elle se décrit comme une oie blanche. Elle tombe dans les bras d'un garçon qui s'en vante auprès des autres moniteurs. Il n'en faut pas plus pour que la jeune Annie subisse, des filles comme des garçons des paroles rapetissantes.Et de se trouver traitée de "putain sur les bords". LE récit des humiliations de cette jeune fille issue d'un milieu de condition sociale modestes, elle le fait dans Mémoires de filles qu'a ingénieusement adapté pour la scène Cécile Backès. Une des forces du spectacle réside dans le fait que la quasi encore adolescente est interprétée par Pauline Belle alors que Judith Henry se fait la narratrice de ces événements traumatisants. Jules Churin, Simon Pineau et Adeline Vesse retrouvent , quant à eux, l l'esprit étriqué et les comportements triomphalement vachards des jeunes gens des années cinquante. La metteuse en scène qui a l'art de bien s'entourer a trouvé dans le scénographe Raymond Sarti et le compositeur Joachim Latarjet des complices de qualité. Depuis quelques années et de plus en plus fréquemment les romans et récits écrits sans fioritures d'Annie Ernaux sont mis en scène au théâtre pour lequel elle n'a jamais écrit. Ce qui s'explique par sa faculté à descendre dans les grands fonds des femmes auxquelles elle s'attache. Ce qui est pour des comédiennes exigeantes chose rarissime. Les 4 et 5 décembre Théâtre de Sartrouville et des Yvelines. Tél 0130867779

mercredi 28 novembre 2018

Festval TNB Théâtre National de Bretagne

Directeur général du TNB, Arthur Nauziciel a brillamment pris la relève de François Le Pilouer qui fut longtemps aux commandes du lieu et initia un festival qu'il rendit prestigieux. Nous n'avons pu assister qu'au dernier et plus que convaincant week-end de la manifestation. Elle s'ouvrit avec "Les idoles" où les fantômes chers à Christophe Honoré viennent à notre rencontre. L'écrivain-cinéaste- metteur en scène de théâtre est trop jeune pour avoir connu Jacques Demy, Serge Daney, Jean-Luc Lagarce, Bernard-Marie Koltès et Cyrille Collard; tous emportés par le sida dans les années 80. Mais il a pour eux une si fervente admiration qu'il réussit le prodige de leur redonner vie. Ces artistes si tôt soustrait de la communauté des vivants occupent le plateau et balancent des mots qu'ils auraient pu dire et que parfois ils ont écrits. Christophe Honoré a d'ailleurs magistralement intégré à des phrases qu'il a le sentiment qu'ils auraient pu prononcer à celles nées de leur plumes. Si l'influence de Demy sur ses films est nette, on ne saurait dire pareil pour les oeuvres des autres créateurs qu'il a convoqué.L'univers de Cyrille Collard, dont le film, les Nuits fauves tiré du livre qu'il écrivit peu avant, est celui d'un être tendre emporté par le goût de l'aventure apparaît bien éloigné du sien. Comme l'est celui de Jean-Luc Lagarce qui s'était notamment fait, et avec quel talent!, le chroniqueur de son quotidien. Si Bernard-Marie Koltès savait par le truchement de son écriture d'une puissance foudroyante nous entraîner au coeur des ténèbres, c'est qu'il était attiré par les enclaves de nuit et peut être les situations périlleuses dans lesquelles cet homme au physique dévastateur s'exposait. Peut-être- et c'est là la seule réserve que peut susciter le spectacle- Serge Daney dont l'intelligence lumineuse et la plume affutée faisait le bonheur de ses lecteurs est le moins bien loti. La raison pourrait en être que Christophe Honoré ne partage que peu son goût pour la spéculation intellectuelle. Il est frappant que cet auteur n'est jamais autant à son affaire que quand il cède à la nostalgie d'une époque dont il n'a pas connu la grandeur et les trépidations. Ceux qui ont vu le spectacle "Nouveau roman", où il évoque les auteurs publiés autrefois aux Editions de minuit en gardent un souvenir enthousiaste. Un mot enfin pour les comédiens qui de Marlène Saldana(Demy) à Youssouf Abi Ayad (Koltès), Julien Honoré (Lagarce),Marina Foïs (Guibert) et Harrisson Arévalo (Collard) sont tous d'une présence sidérants. Autre (re)découverte celle du metteur en scène iranien Amir Reza Koohestani qui dans Summerland nous introduit dans la cour d'une école de village où un peintre, une surveillante avec laquelle il a vécu et la mère d'une élève s'attardent chaque jour une heure avant la sortie des cours. La petite fille s'est amourachée de l'homme ce qui provoque une situation intenable. On pense évidement aux films d'Abbas Kiarostami. Mais la difficulté des rapports hommes-femmes est ici davantage dévoilée. La journée s'est achevée en beauté. Le chorégraphe Boris Charmatz et l'historien Patrick Boucheron se sont concertés pour relater à travers des performances de comédiens et de danseurs une histoire de France qui mène de la grotte Chauvet aux événements de 2015. Le spectateur chaloupe, passionné, entre les époques en passant d'un coin du théâtre à l'autre. Né de l'ouvrage collectif "Histoire mondiale de la France" cette randonnée est le clou et le point final d'un festival qui aurait pu s'intituler celui du gai savoir.

mercredi 21 novembre 2018

La réunification des deux Corées. Mise en scène Jacques Vincey

Comme me le faisait remarquer une amie à la sortie du spectacle : quel Challenge!Jacques Vincey a, en effet, repris les mots et les situations de la pièce de Joël Pommerat qu'il fait jouer par des comédiens de Singapour. Une femme s'avance sur la scène et dit haut et fort qu'à présent que ses enfants sont adultes elle quitte son mari, un homme estimable pour qui elle n'éprouva jamais plus d'amour qu'il n'en ressentait pour elle. Chacun de ceux qui défilent sont loin d'être en mal d'amour. Une jeune femme annonce à celui qui partage sa vie qu'elle se sépare de lui car l'amour excepté rien ne les lie. D'autres épisodes sont plus troublants encore tel celui où des parents de retour chez eux demandent comment se portent leurs enfants à la baby sitter. Celle-ci, embarrassée, leur répond qu'elle n'a vue aucun enfant. On ne saura pas si les petits sont nés au plus épais de l'imagination du couple ou si celle qui en avait la charge ment. Encore que sachant combien la réalité est insensible au désir l'on n'a quelques idées sur la question. Il est plus difficile de se faire une opinion sur le conflit qui naît et gonfle entre de jeunes parents et un professeur qui aurait eu avec leur fils des relations trop étroites. Un des moments le plus poignant de cette série de conjonctures perturbantes est celle où un homme rend visite a une femme dont la mémoire s'est désagrégée. Jour après jour se répètent les mêmes questions et gestes. La manière dont les nombreux personnages se trouvent face à des difficultés peu courantes et dont ils tentent de s'en sortir pourraient faire croire que leur habitudes d'esprit sont éloignées des nôtres. Ce qui n'est évidement pas le cas puisque la pièce et ses innombrables épisodes dont la fin restent pour la plupart irrésolus sont nés de l'imagination de Joël Pommerat. Lequel ne manque pas d'un humour distancié qui, à en croire les acteurs de Singapour plus accoutumés à un jeu naturaliste, ne leur est pas familier. Epaulé par cette magicienne de la lumière qu'est Marie-Christine Soma ainsi que par la musique et les sont créés par Bani Hayka, Jacques Vincey a réalisé une mise en scène qui suscite l'emballement. Qu'on ait vu ou pas La réunification des deux Corées à sa création par Joêl Pommerat, on serait bien avisé d'aller découvrir celle-ci. Elle ne reste malheureusement que peu de temps dans nos parages Du 28 novembre au 1er décembre MC93 Maison de la Culture Bobigny. tél OI 41 60 72 72 et jusqu'au 24 novembre Théâtre Olympia Tours tél 02 47 64 50 50

vendredi 16 novembre 2018

Sopro de Tiago Rodrigues

Depuis trois ans à la tête du Theatro Nacional D.Maria à Lisbonne. Tiago Rodrigues a su tirer un parti prodigieux des moyens précaires dont il dispose et s'est, ce faisant, forgé une identité originale. Cristina, une femme aux portes du grand âge qui depuis des décennies occupe la fonction de souffleuse dans ce théâtre occupe au départ seule le plateau. Cinq comédiens peu à peu la rejoignent à qui elle souffle les textes qu'ils ont à interprèter. Après avoir jouer le jeu de la maladresse voire de l'amateurisme les interprètes s'emparent des extraits de quelques pièces fondatrices. S'emboitent des moments décisifs des Trois soeurs, d'Antigone, de Bérénice... A d'autres moments ils font leurs des souvenirs de Cristina. Celle-ci leur a confié comment à l'âge de cinq ans elle assista, car la directrice du lieu l'a eu d'emblée à la bonne, à son premier spectacle cachée dans le trou du souffleur. Elle devint proche de cette femme qui choisit, plutôt que de repousser une première où elle tenait le rôle principal, de remettre aux calendes grecques une délicate intervention chirurgicale. Les innombrables récits que la souffleuse a livrer aux acteurs ponctuent la représentation.Tiago Rodrigues n'est pas pour autant attaché à une époque révolue. Grand réformateur du théâtre, il résiste aux avanies de l'époque en mettant en scène des spectacles qui assène la preuve qu'en inventant des formes innovantes le théâtre restera en vie. Il en apporte la preuve à chacune de ses créations. Jusqu'au 8 décembre Théâtre de la Bastille tél 01 43 57 42 14

dimanche 11 novembre 2018

Perdu connaissance Création collective sous l'oeil d'Adrien Béal

Il s'en passe de drôles dans le logement de la gardienne d'une école primaire. Alors qu'elle faisait des emplettes dans une grande surface, elle est tombée inanimée. Tandis qu'elle tente de trouver les papiers de celle qui a perdu connaissance et est à présent hospitalisée, sa soeur est surprise par la directrice de l'école à l'esprit apparemment tatillon. D'autres hommes et femmes apparaîtront dont le mari de la directrice, le père d'un enfant à qui une institutrice a confisqué un couteau, une deuxième soeur de la gardienne qui, elle, sort de prison. Chacun tient des propos ou a des comportements qui paraissent discordants. La première soeur veut que son mari s'occupe dorénavant seul de leur fils, la seconde raconte la passion qui l'a liée à une autre détenue retournée depuis au Mexique, son pays. Ne sachant où trouver un toit, elle se cabre lorsqu'il lui est conseillé de quitter le logement qu'occupait la malade. On apprend entre autre étrangetés que la directrice et son mari n'échangent jamais un mot et que l'enfant du couple qui se défait ne supporte pas qu'on lui dise qu'on l'aime... On l'avait noté avec Le pas de Bême et Les batteurs, ses précédentes créations, Adrien Béal se démarque radicalement des productions actuelles. Non seulement car l'écriture du spectacle est collective et que chacun des six interprètes y met, de ce fait, une touche personnelle mais surtout parce que le lieu où se déroule la pièce tient à la fois de l'école, de l'hôpital et de la prison, trois lieux d'enfermement dont il est constamment question et sur le fonctionnement desquels Michel Foucault s'interrogea avec l'acuité qui était sienne. La représentation manque encore un peu de vivacité. Elle n'en est est pas moins l'une des plus délicatement saugrenue vue depuis longtemps. Jusqu'au 19 novembre T2G Théâtre de Genevilliers Tél 01 41 32 24 26

mardi 30 octobre 2018

La Locandiera de Carlo Goldoni

Mirandolina, une avenante aubergiste (Florence Viala comme à son habitude impeccable) a pour pensionnaires deux hommes de qualité (expression autrefois aussi usitée que revendiquée...) qui n'ont de cesse de la courtiser. L'un plein aux as, qui s'est acheté un titre, lui fait de coûteux cadeaux qu'elle accepte après avoir fait mine de les refuser. L'autre, est de vieille noblesse mais n'a pas un sou. Aussi pingre que bouffi d'orgueil, il rappelle les personnages truculents de la Comédia dell arte. Arrive un chevalier qui affirme haut et fort son peu d'estime pour les femmes. Il traite son hôtesse avec tant de morgue qu'elle décide, afin de lui donner une leçon, de l'aguicher. Mais le jeu se révèle dangereux. Surpris par l'esprit, la lucidité et le parler de la jeune femme, celui qui se considérait comme un indécrottable misogyne s'échauffe. Après avoir perdu la tête, Mirandolina revient à la réalité. L'étanchéité des frontières entre les classes n'autorise pas l'aubergiste et le chevalier à se lier. Elle convolera avec Fabrizio, son valet, que son défunt père lui destinait. Elle restera de la sorte maîtresse de la situation. Remarquable directeur de comédiens, Alain Françon a l'art de faire découvrir que ses personnages sont plus complexes, plus vulnérables aussi qu'il n'y paraît. Avec des acteurs de la trempe de Laurent Stocker, Hervé Pierre et Michel Villermoz il jouait, il est vrai, sur du velours. Un mot enfin sur les costumes conçus par Renato Bianchi qui sont pures merveilles. En alternance jusqu'au 10 février Comédie-Française Richelieu tél 01 44 58 15 15

vendredi 19 octobre 2018

Je parle à un homme qui ne tient pas en place de Jacques Gamblin et Thomas Coville

Jacques Gamblin met en scène et joue ses propres spectacles en prenant constamment davantage de risques. Son inspiration se fait aussi toujours plus généreuse. Il reconstitue cette fois ses échanges par mails avec son ami Thomas Coville qui seul sur son trimaran tente une fois de plus en solitaire le record du tour du monde à la voile. Trente jours durant l'acteur soutient son ami en lui envoyant des mots dans lesquels il se livre un peu et se soucie beaucoup de de l'état d'esprit de celui qu'il appelle parfois son jumeau. Il se sent d'autant plus concerné par les difficultés auxquelles s'affronte Coville que la mer est un lieu qui lui fait à lui aussi des avances. Aux mots qu'envoie Gamblin succèdent souvent des plages de silence. Dans les réponses qui finissent pas arriver le navigateur, que sa situation pousse à diriger son attention sur son for intérieur, dit prendre la mesure de sa faiblesse. A travers leurs échanges les deux hommes dévoilent la complexité de leurs ressorts intimes. Ce qui n'empêche pas Jacques Gamblin de se livrer sur le plateau, à sa façon gracieuse, à quelques facéties. En fond de scène des cartes océaniques de toute beauté ou des images d'une mer tantôt accueillante, d'autres fois déchaînée nous font ressentir les dangers et les moments de sérénité que connaît celui qui fend les océans. Lesquels ne sont pas si éloignés des tourments et des exaltations du comédien qui occupe seul une scène où il se doit de tenir le public sous le charme. Jusqu'au 18 novembre Théâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21

dimanche 14 octobre 2018

La princesse Maleine de Maurice Maeterlinck

Comme Pauvreté, Richesse, Homme et Bête de Hans Henry Jahn, le splendide précédent spectacle par lequel Pascal Kirsch,se fit connaître, La princesse Maleine de Maurice Maeterlinck est issu d'un conte des frères Grimm. Il est clair que ce metteur en scène à une prédilection pour des pièces où l'étrange fait intrusion dans le réel. Auteur inclassable, Maeterlinck, dont c'est la première oeuvre, dépeint une cour royale située au delà du temps. Faisant fi d'obstacles à priori insurmontables une jeune princesse porte au fils du roi un amour sans borne. Cette passion n'est pas mais alors pas du tout du goût de l'épouse du monarque lequel a pris soudain un sacré coup de vieux. Reste à éliminer la prétendante. Le climat de cette pièce, qui semble annoncer Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz, frise souvent la parodie. Pointes de tragique et de sarcasme sans cesse se concurrencent. Le jeu souvent paroxystique des comédiens (en particulier des excellents Vincent Guédon et Bénédicte Cerrutti) contribue grandement à faire de cette peinture d'un monde où le malheur coule à flots une tragi-comédie. L'harmonieux alliage de la scénographie et de la vidéo comme la musique de Richard Comte, présent sur le plateau de bout en bout, font de cette représentation, à laquelle on ne reprochera que quelques longueurs au cours des scènes qui privilégient le grotesque, une réussite d'une intense singularité. Jusqu'au 20 octobre MC93 Bobigny tél 01 41 60 72 72

vendredi 12 octobre 2018

La vraie vie d'Olivier Liron

Pour ce qui est des études, Olivier Liron y consacra sans dételer de nombreuses années. Les connaissances ainsi engrangées, il a eu le cran de concourir pour l'émission "Question pour un champion" dont il nous fait avec drôlerie et sympathie découvrir les coulisses. Il en sort gagnant. Devenu acteur de "La vraie vie d'Olivier Liron" , il flâne dans ses souvenirs. Solidement épaulé tant pour l'écriture que le jeu par le metteur en scène et comédien Douglas Grauwels, il nous offre avec les concours ponctuels mais néanmoins précieux de trois partenaires diablement doués un spectacle où se mêlent confessions lourdes et enjouées. Jusqu'à ce soir seulement Théâtre de Vanves (01 41 33 93 70) Une production faisant la part aussi belle aux innovations mérite de trouver d'autres lieux d'accueil.

jeudi 4 octobre 2018

Réparer le vivants de Maylis de Kerangal

Rares sont les spectacles qui nous harponnent autant que cette adaptation conçue par Sylvain Maurice de l'oeuvre de l'écrivain Maylis de Kerangal qui fit, c'est justice, un carton. Elle y relate dans un style éblouissant de minutie la mort par accident d'un garçon de 19 ans. La greffe de son coeur doit permettre de sauver la vie d'une autre personne. Les parents éperdus de chagrin sont relayés par des membres du corps médical qui tous se montrent à la hauteur de leur rôle. L'auteur, qui a le sens du trait, pointe, en passant, les minuscules travers de ces êtres par ailleurs admirables. Comédien doué à l'extrême, Vincent Dissez se tient sur un tapis roulant où il esquisse quelques pas de danse en prenant les voix des différents protagonistes. Juché sur le haut du décor en forme de tombeau le talentueux musicien et compositeur Joachim Latarjet accompagne tout du long ce trajet du pire à l'espoir. Et l'on apprend en douce au cours de ce spectacle, qui depuis deux ans emporte où il passe une immense adhésion, que la mort est attestée, non comme on le croyait jusqu'il y a peu, par l'arrêt du coeur mais par la disparition de l'activité cérébrale. Jusqu'au 10 octobre Théâtre de Sartouville et des Yvelines, le 6 novembre Thâtre de l'Agora Scène Nationale d'Evry et de l'Essonne, du 21 novembre au 1er Décembre Théâtre National de Strasbourg.

mardi 2 octobre 2018

George Dandin ou le mari confondu de Molière

Son mariage a fait du florissant paysan George Dandin Monsieur De la Dandinière. Ce dont il tire fierté mais guère de contentement. C'est qu'Angelique, sa jeune épouse ne l'apprécie guère et se laisse conter fleurette par un jeune gommeux, issu, comme elle d'une famille d'aristocrate. Le pauvre Dandin tente à plusieurs reprises d'avertir ses beaux parents, les Sotenville, de son infortune. Mais ceux-ci trouvent les manières de leur gendre offensantes et lui reprochent sans cesse de ne pas connaitre les usages du beau monde. Ils ne disent, en revanche pas un mot sur le fait que, désargentés, ils lui ont vendu leur fille pour se remettre financièrement à flot. Ce que la jeune femme n'ignore pas. D'un tempérament roué elle tourne, avec l'aide de sa servante, son mari en bourrique. Piètre parvenu, comme nombre de personnages centraux des pièces de Molière, le bougre en sera pour ses frais. Jean-Pierre Vincent, dont la connaissance des oeuvres théâtrales est sans pareille a eu connaissance qu'à sa création à Versailles la pièce était mêlée de musiques. Il a de ce fait réintégrer dans le spectacles des compositions de Lully, lesquelles sont jouées et chantées par Gabriel Durif dont la présence discrète est un enchantement. Tandis que Vincent Garanger compose un Dandin peu reluisant et à l'occasion brutal, Alain Rimoux et Elisabeth Mazev incarnent, eux, un couple de nobliaux aussi insoucieux du sort de leur fille que respectueux de la religion et des convenances de leur classe. Anthony Poupard, enfin, campe un serviteur d'une crétinerie sans fond, une sorte de Scapin, le malin, à l'envers.Un mot enfin du décor réalisé Jean-Pierre Chambaz, égal à lui même c'est - à dire d'une efficacité exemplaire. Jusqu'au 7 octobre MC93 Bobigny Tél 01 41 60 72 72

vendredi 28 septembre 2018

Les démons d'après Fiodor Dostoïevski

Qu'il s'affronte à Baal de Brecht, s'interroge sur la Terreur ou sur le Capital de Marx, Sylvain Creuzevault monte des spectacles à l'atmosphère électrisante. L'univers de Dostoïevski, dont il adapte, à sa façon fébrile, en en privilégiant certaines parties et en bouleversant la trame, Les démons de Dostoïevski, convient, on ne peut mieux, à ce metteur en scène dont les créations sont portées par le souffle de la pensée. La Russie de la fin du 19e siècle que dépeint l'écrivain semble habitée par des êtres égarés qui ne trouvent un sens à leur existence qu'en s'en remettant à Dieu ou croyant, pour combattre l'iniquité sociale, à une révolution de préférence sanglante. Difficile de ne pas établir de liens avec le délitement contemporain. Ce que fait le maître d'oeuvre qui évoque entre autres la présence sur nos terres du glyphosate. Pour la première fois il a joint à des comédiens avec lesquels il a l'habitude d'oeuvrer de nouveaux venus tels que Valérie Drévile et Nicolas Bouchaud qui ont eu maintes occasions de montrer de quelles prouesses ils sont capables Si Sylvain Creuzevault déborde, lui aussi, de multiples et rares talents, il n'a pas celui de diriger ses interprètes. Certains (pas tous!) en font du coup trop.Ce qui au fil des représentations ne peut que s'arranger. Nikolaï Stavroguine, personnage clé du roman, est, lui, joué avec maestria par Vladislas Galard. On se souvient que,double de nombreuses figures dostoïevskiennes, il croit à la rédemption par le péché. Et le mal, il ne se prive pas de le commettre.Si le spectacle apparaît souvent grandiose c'est grâce aussi à des acteurs de la trempe de Michèle Goddet, impeccable notamment en théoricienne d'un nouvel et sévère art de vivre, d'Arthur Igual et de Léo-Antonin Lutinier. Ajoutons enfin que la traduction d'André Markowicz est on ne peut plus fidèle à l'esprit de l'auteur et que la scénographie signée Jean Baptiste Bellon, mise rapidement en charpie, en dit long sur le mal de vivre de ceux qui y errent, s'y confessent, y meurent. Jusqu'au 21 octobre Festival d'Automne à Paris Ateliers Berthier de l'Odéon-Théâtre de l'Europe tél 0144854040

samedi 22 septembre 2018

Le procés d'après Franz Kafka

Une fois de plus le metteur en scène polonais Krystian Lupa tire d'une oeuvre littéraire particulièrement saillante un spectacle d'une amplitude considérable. La première partie de la représentation est fidèle au début du roman où Joseph K est arrêté par des hommes pour qui l'affaire semble entendue. Contrairement à l'inculpé qui ignore de quoi il est accusé. Chez Kafka les situations cauchemardesques sont monnaies courantes. Ce qui est aussi le cas dans La Pologne d'aujourd'hui dirigée par une clique notoirement réactionnaire, qui rétrécit les libertés, notamment celles des artistes. Krystian Lupa, que le pouvoir a dans le collimateur et tente de l'empêcher d'oeuvrer comme il l'entend, en sait quelque chose. Avant de clore le procès inique dont K est victime, Lupa insère une longue et grandiose scène sans lien avec le roman. Des proches de Kafka font le sien de procès. Parmi eux la plus véhémente est la berlinoise Félice Bauer avec qui l'écrivain pragois a entretenu une féconde correspondance mais rompit deux fois les fiançailles. Rendu amère par l'indécidabilité de celui qui écrivait lui vouer un amour infini son "ex promise" a des mots d'une dureté extrême. C'est dans cette partie centrale du spectacle que se déploie avec le plus de force les talents de metteur en scène, de scénographe et de créateur de lumières de Krystian Lupa.Il faut ajouter que son utilisation presque constante de la vidéo (devenue si souvent un cache misère) est d'une maîtrise et d'une invention exceptionnelles. Trop étiré, Le procés, n'est pas, quoi qu'on en dise, le spectacle le plus abouti du grand homme. Mais il recèle tant de richesses et est joué par des comédiens au talent si immense qu'il constitue un événement. Dans le cadre du Festival d'Automne à Paris Jusqu'au 30 septembre Odéon Théâtre de l'Europe tél 01 44 85 40 40

mardi 7 août 2018

Théâtre du Peuple à Bussang

Superbe idée que d'avoir confié la direction du Théâtre du Peuple à Simon Delétang, comédien et metteur en scène qui a de l'estomac et des projets alléchants plein sa besace. Depuis quelques mois il arpente les Vosges et joue en solo dans des villages Lenz, récit inachevé de Georg Büchner. Personnage romantique par excellence, Lenz s'adonne tout au long de son périple à la réflexion mais est envahi de forces impitoyables qui le rend, face à ceux qui croisent son chemin, d'une intransigeance sans appel. Ce spectacle d'un homme d'une sensibilité exacerbée dont le désordre mental va en grandissant, Simon Delétang le présente plusieurs fois à Bussang au cours de l'été. Mais c'est avec Littoral de Wajdi Mouawad qu'il débute sa mission. Ce spectacle, qui réunit dix huit comédiens dont (comme il est de tradition au Théâtre du Peuple) 12 amateurs, a pour personnage central un homme qui, à la mort de son père, prend la décision de l'inhumer dans le pays qui l'a vu naître.Ce que dans une contrée ravagée par les tumultes de l'Histoire il aura toutes les peines du monde à accomplir. Trouver un emplacement pour enterrer le corps de son géniteur s'avèrera d'une difficulté quasi insurmontable. Il verra en outre, comme il est fréquent dans le théâtre de Mouawad, les morts se dresser sur sa route. Il trouve ainsi fréquemment à ses côtés un chevalier à la silhouette majestueuse. L'un des principaux talents de l'auteur est d'arriver à mêler à des événements tragiques des situations saugrenues. Le public semble y trouver son compte qui applaudit à tout rompre les représentations. Jusqu'au 25 août Théâtre du Peuple - Maurice Pottecher Bussang tél 03 29 61 50 48

mercredi 18 juillet 2018

Italienne, scène et orchestre de Jean-François Sivadier

En 2OO3 Jean-François Sivadier avait mis en scène inoubliablement Italienne, scène et orchestre. Il l'a depuis remonté à plusieurs reprises. Le plaisir qu'on prend à le redécouvrir est toujours aussi grand. Le metteur en scène invite le public à suivre les répétitions de la Traviata de Verdi. Les spectateurs sont d'emblée intégrés dans les séances de travail puisque placés sur la scène ils incarnent dans la première partie du spectacle le choeur de l'opéra. Dans la seconde, installés dans la fosse, ils deviennent les instrumentistes à qui le chef d'orchestre (rôle que s'est réservé Jean-François Sivadier) donne sur un ton souvent orageux ses instructions. Au départ c'est le metteur en scène du célèbre opéra (Nicolas Bouchaud) et sa dévouée assistante (Nadia Vonderheyden) qui les interpelle pendant les rares moments où il n'a pas à flatter la vanité des chanteurs ou à leur faire entendre qu'ils font fausse route ou carrément n'importe quoi.. Entre cet homme qui voit avec anxiété le temps filer à toute allure et le chef d'orchestre au tempérament éruptif qui manie le langage de manière étourdissante la tension ne cesse de monter. C'est qu'ils sont l'un et l'autre convaincus de leur talent. Ce qui est aussi le cas de la diva (Charlotte Clamens)qui, sollicitée ailleurs, n'a que peu de temps à consacrer aux répétitions. Les autres chanteurs (Marie Cariès et Vincent Guédon), eux, assurent. Mais à leur façon. Elle aspire à devenir cantatrice de renom tandis que son partenaire fait des propositions de jeu totalement brindezingues. Tous six débordants de fantaisie et impressionnants d'adresse, les comédiens font de bout en bout jubiler les spectateurs choristes ou musiciens.Jusqu'au 28 juillet MC93 Bobigny tél 01 41 60 72 72

dimanche 1 juillet 2018

Tragédies romaines de William Shakespeare

Quand le metteur en scène hollandais Ivo van Hove monte un spectacle avec des comédiens français il fait montre de savoir-faire mais ne nous bluffe pas. Il en va tout autrement lorsqu'il travaille avec le Toneelgroep d'Amsterdam, la compagnie qu'il dirige. Il rassemble, cette fois, dans un même spectacle les trois tragédies romaines de Shakespeare : Coriolan, Jules César, Antoine et Cléopatre. Les personnages se meuvent sur un espace immense rempli d'écrans, dont un particulièrement imposant qui fait face à la salle et où l'on découvre en gros plan les comportements de ceux qui occupent la scène. Durant une importante partie de la représentation le public est invité à occuper des portions du plateau. Les protagonistes se montrent tous capables d'actions exorbitantes. Chaque geste peut être sujet de discordes. Qui vont en s'amplifiant. Chacun se révèle affamé de pouvoir. Lequel a, on ne le sait que trop, partie liée avec la perversité. Désavoué par des concitoyens influents, Corolian prend les armes contre les siens. Devenu aux yeux de certains trop puissant, Jules César est mis à mort par quelques uns de ses proches. La passion charnelle qu'éprouvent l'un pour l'autre Antoine et Cléopatre leur donnera un sentiment de toute puissance qui les mènera au désastre. Constatant que des femmes jouent de nos jours des rôles politiques de premier plan, le metteur en scène qui a tenu à ce que ces pièces s'inscrivent dans le monde contemporain, donne à des comédiennes des rôles d'homme. Il a aussi eu l'excellente initiative de faire faire (par Tom Kleijn) une nouvelle et magnifique traduction. Grâce à celle-ci des phrases qui apparaissent d'habitude si ornées que les metteurs en scène les suppriment surgissent ici dans toute leur vertigineuse splendeur. Filmée par une caméra placée en surplomb de la scène, la mort de chacun des personnages clés est d'une force qui laisse pantois. Spectacle défendu par des comédiens d'un talent étourdissant et qui gagne au fil des heures en séduction et en consistance, Tragédies romaines est de ceux qui marquent à jamais. Jusqu'au 5 juillet Théâtre National de Chaillot tél 01 53 65 30 00

vendredi 15 juin 2018

Les ondes magnétiques de David Lescot

L'atmosphère est fébrile dans le studio fait de bric et de broc de Radio Quoi. La pièce de David Lescot commence en 1981, époque d'un foisonnement culturel qui favorisa l'émergence des radio libres. Ils sont six qui y croient, bossent sans relâche, s'abreuvent de paroles. Ces temps d'euphorie ne durent pas. L'antenne de sensibilité libertaire n'aura bientôt d'autre choix que de s'unir à une consoeur au fonctionnement proche de celui de l'entreprise. De cette fusion naissent des conflits politiques et éthiques. La reprise en main décape les illusions des membres de l'équipe fondatrice. D'autant que le boss a l'arrogance brutale et les paroles blessantes de ceux qui ne savent pas comment mener leur barque. Si le constat est amer et annonce l'assujettissement des médias aux puissances de l'argent, la représentation déborde de fantaisie et d'inventions. David Lescot a le don de faire participer les acteurs à la construction de leur personnage. Chacun d'entre eux en interprète au moins deux. Elsa Lepoivre, Christian Hecq, Nâzim Boudjenah, Sylvia Berger, Jennifer Decker, Alexandre Pavlov et les jeunes Claire de La Rüe du Can et Yoann Gasiorowski ont tous une pêche d'enfer. On connaît l'attention que porte l'auteur à la musique. Elle contribue largement à la réussite d'un spectacle qui en dit aussi long sur les déconvenues des temps passés que présents. Jusqu'au 1er juillet Comédie -Fraçaise Vieux Colombier tél 01 44 58 15 15

dimanche 10 juin 2018

VxH-La voix humaine

La voix humaine, écrit en 1927 par Jean Cocteau, n'a rien perdu de son impact. Du moins quand la pièce est revisitée par le compositeur, musicien et metteur en scène Roland Auzet. Epaulé par Joëlle Bouvier, sa chorégraphe et collaboratrice artistique et conforme à ses inclinations expérimentales, il a inventé un dispositif qui laisse pantois. Irêne Jacob, la comédienne, joue sur sur une plateforme de dix mètres sur quatre en plexiglas suspendue au dessus du public. Lequel découvre le spectacle allongé sur le sol. La trame est simple qui décrit une femme qui parle au téléphone à l'homme qui l'a laissée choir. La conversation, est pour des raisons techniques ou de difficultés d'en dire ou d'en entendre davantage constamment interrompue. La femme parle éperdument, fait la forte, craque, se confond en excuses, connaît des moments de désordre mental. Elle évoque des rêves faits dans des moments où elle était shootée aux antidépresseurs et dont il ne reste aux réveils que la texture. Irêne Jacob est stupéfiante dans ce rôle d'une femme que la douleur constamment élance et qui est agrippée à son portable ou à son téléphone fixe. Le maître d'oeuvre Roland Auzet a mélangé à l'oeuvre de Cocteau des extraits d'un poème du dramaturge allemand Falk Richter qui lui aussi s'interroge sur les ravages provoqués par l'abandon de l'être épris. Grâce à la collaboration de l'Ircam les sons qui vrillent les oreilles de la femme en détresse sont d'une puissance inédite. Ce prodigieux spectacle termine aujourd'hui son passage au 104 à Paris. Il poursuivra sa route la saison prochaine dans plusieurs villes du pays notamment à Lyon et à Saint Nazaire. L'espoir qu'il revienne à Paris ne semble pas vain.

vendredi 1 juin 2018

Les créanciers d'August Strindberg

Strindberg avait un net penchant pour les êtres qui carburent à la haine. Au départ les relations entre le peintre Adolf et Gustaf, son ami de fraîche date semblent de confiance. Adolf est reconnaissant à son visiteur de l'avoir aidé quelque tempsauparavant à sortir d'une dépression. Aujourd'hui son "sauveur" lui fait en douceur entendre que Tekla, sa femme, devenue une auteure à succés, est largement responsable de son mal de vivre. Le peintre s'en laisse d'autant plus facilement conté qu'il a appris à sa femme les rudiments de son art. A son arrivée Tekla se trouvera face à un mari dont le comportement hargneux la déconcerte. Peu à peu elle découvre ce qui s'est tramé durant son absence, à savoir que Gustaf est venu dans le but d'apurer de vieilles créances. Comédien qui a eu ces dernières années peu d'occasions de déployer ses immenses ressources, Didier Sandre pratique la méchanceté avec une finesse réjouissante. Il a trouvé en Sébastien Pouderoux un partenaire à sa mesure. Il prête à son personnage une ardeur mortifère qui fait songer à celle des grandes figures de la littérature russe. Dommage que Adeline d'Hermy, comédienne douée à l'extrême, ait tendance à porter sa voix à des hauteurs exagérée. Mise en scène avec minutie par Anne Kessler ces Créanciers valent la (re)découverte. Jusqu'au 8 juillet Comédie-Française studio tél 01 44 58 15 15

jeudi 24 mai 2018

Les petites reines de Clémentine Beauvais

Le succès rencontré au festival d'Avignon par Les petites reines, roman de Clémentine Beauvais que met en scène Justine Heynemann (sur une adaptation qu'elle réalisa avec Rachel Arditi) a ouvert au spectacle de nombreuses portes. D'entré de jeu, où une ado de 15 ans et demi dont le visage est éclairé par l'écran de son portable crie sa joie d'avoir été désignée "boudin de bronze" de sa classe, le public est interloqué. C'est qu'elle refuse de prendre, face à ce titre infamant, un air éploré. Elle arrive grâce à sa tchatche à redonner confiance en elles à deux autres lycéennes de sa ville à qui leur physique considéré comme peu avantageux a valu de semblables déboires. Accompagnées du frère - qui a perdu ses jambes au cours d'une mission militaire - de l'une d'elle les trois nouvelles amies partent à vélo rejoindre Paris. C'est qu'elles ont décidé de s'inviter à la garden-party du 14 juillet à l'Elysée. Chacune a quelques comptes à y régler. Le voyage se révèle carrément initiatique. Lorsque l'une de ses copines flanche, celle qui mène la troupe la pousse à être endurante. Les réseaux sociaux puis la télévision s'intéressent bientôt à leur périple. La réussite du spectacle tient autant à sa mise en scène particulièrement riche d'inventions qu'à ses jeunes comédiens qui usent d'un vocabulaire et surtout d'un esprit de leur âge c'est-à- dire marqué par internet et les excès de la médiatisation. Théâtre Tristan Bernard Paris 75017 Tél 01 45 22 08 40

vendredi 18 mai 2018

Cequ'on attend de moi écrit par Vincent Guédon

Viré de son emploi un technicien de l'informatique se présente à Pole Emploi où il demande d'un ton courtois à être reçu par le responsable de l'agence. Cet homme qui a manifestement été précipité dans la misère autant psychique que matérielle fait peur à la personne à qui il s'adresse. Laquelle ne peut retenir ses larmes. L'homme la prend calmement par la main et réitère avec les mêmes accents dépassionnés sa demande. L'épisode se conclura par une prise d'otage. En écrivant ce texte - à priori pas destiné à la scène - Vincent Guédon met en question les ambitions gestionnaires des entreprises qui ont pour conséquence de priver quantité de personnes de travail, d'en faire des déclassés. Si son écriture est d"une qualité stylistique hors du commun, c'est que si elle est à certains endroits d'une précision extrême, elle est aussi riche d'envolées d'un lyrisme inédit. Jeanne Desoubeaux a été bien inspirée qui fait ses gamme de metteuse en scène avec ce texte. Elle a choisi pour interprète Arthur Daniel qui débute en entonnant de remuante manière une chanson des Talking Heads. Il est entouré de deux musiciens : le claveciniste Martial Pauliat et le violoncelliste Jérémie Arcache. Le spectacle sera repris en tournée accompagné d'un autre récit de Vincent Guédon qui, lui aussi, décrit un homme victime de circonstances dépersonnalisantes. Jusqu'au 26 mai 19h Salle Thélème 18, rue Troyon paris 75017. Texte publié aux Editions d'Ores et Déjà.

dimanche 13 mai 2018

Névrotik hôtel Texte et mise en scène Michel Fau

Une femme d'âge disons mûr, qui mène visiblement grand train, fait son entrée dans la chambre d'un kitsch pas croyable qu'elle a réservée dans un palace normand. Portant perruque Michel Fau s'est glissé avec délectation dans la robe d'un chic étudié et les nerfs en pelote de la dame. Son coup de téléphone exaspéré à la standardiste de l'hôtel met d'emblée en joie, tant est éclatante sa mauvaise foi. Son humeur change du tout au tout à l'arrivée du groom venu lui apporter ses bagages. Le physique avantageux et les tours acrobatiques du jeune homme (Antoine Kahan, comédien au corps élastique) la rendent toute chose. Après avoir tant et plus jacasser et minauder, elle propose à ce garçon un étonnant et juteux contrat. On ne s'étonnera pas que le jeu tout en chatteries de Michel Fau soit un régal. Seul ou avec avec son talentueux partenaire, il chante et danse à de nombreuses reprises des chansons de Michel Rivgauche et d'autres sur des musiques de Jean-Pierre Stora. Il apparaît peu à peu aux yeux de celui dont elle paye les insolites prestations que la cliente aux humeurs extravagantes ne peut aimer que désespérément. Si le spectacle a de grandes chances de faire un succés c'est évidement que l'acteur baroque qu'est Michel Fau n'a guère de mal à mettre le public en poche. L'autre raison est que responsable des dialogues, Christian Siméon les fait grésiller de phrases savoureuses. Jusqu'au 27 mai Théâtre des Bouffes du Nord tél 01 46 07 34 50

jeudi 10 mai 2018

Tristesse. Un spectacle d'Anne - Cécile Vandalem

Dès ses débuts la metteuse et scène et auteure belge Anne-Cécile Vandalem est apparue comme une figure de pointe du théâtre européen. Le lieu dans lequel se déroule sa pièce "Tristesse" est on ne peut plus rugueux puisqu'il s'agit d'une île danoise que ses habitants, à l'exception de huit d'entre eux, ont désertés. C'est la fermeture des abattoirs où tous travaillaient qui explique ce départ en masse vers le continent. La femme du pasteur prend soin des maisons abandonnées. Le plateau est occupé par celles qu'occupe la poignée de personnes restées sur place. Le spectacle s'ouvre sur la découverte du corps d'une femme. Laquelle est la mère d'une dirigeante d'un parti populiste. La jeune femme revenue sur l'île pour emporter le corps n'hésite devant aucun coup bas pour arriver à convaincre les iliens de lui laisser le champs libre pour créer sur leur étendue de terre un studio de films de propagande. Hommes et femmes n'arrêtent de se quereller et même d'en venir aux mains. Le maire, un homme bilieux est marié à une femme qui toujours pleure. Ils ont ont deux filles. L'une est muette alors que l'autre, le plus souvent armée d'un fusil, chante divinement. Leurs voisins et souvent parents sont eux aussi des personnages hauts en couleur. Ce qui rend la cérémonie funéraire d'une ahurissante dinguerie. Bien qu'il dépeigne un monde qui va à vaux l'eau le spectacle - qui fait la part belle aux morts témoins des comportements des vivants- provoque souvent le rire. Il se déploie, c'est sa force, à la fois sur le plateau et sur un écran ce qui permet aux spectateurs de découvrir en gros plans les visages. En s'imbriquant avec tant de souplesse théâtre et cinéma offrent de ce petit monde une image qui constamment s'enrichit. Véritable cri d'alarme contre le populisme agressif qui partout se répand "Tristesse" est interprété par des comédiens belges (dont Catherine Mestousis repérée dans des créations de Joel Pommerat) d'un métier et d'un biscornu époustouflants. Jusqu'au 27 mai Theâtre de l'Europe Paris 75006

samedi 5 mai 2018

A la trace d'Alexandra Badea

Anne Théron met en scène depuis plusieurs années des auteurs de l'importance d'Elfriede Jelinek, Christophe Pellet,Carmelo Bene, Christophe Tarkos ainsi que des texte nés de sa propre plume. Pour, semble-t-il la première fois, elle dispose, grâce au Théâtre National de Strasbourg où le spectacle a été créé, d'un budget confortable. Elle a visiblement trouvée en l'auteur Alexandra Badea une âme soeur. Les quatre femmes autour desquelles tourne la pièce sont toutes mal assurées de leur identité. Après la mort de son père, Clara, la plus jeune, a trouvé dans ses effets une carte électorale au nom de Anna Girardin qu'elle va s'obstiner à retrouver. Nombre de femmes portent ce nom. Un peu plus âgée Anna a choisi un métier qui lui permet de ne jamais rester en place, de dépayser son malaise. Au cours des liens virtuels qu'elle entretient avec quelques hommes (Yannick Choirat, Alex Descas, Wajdi Mouawad, Laurent Poitrenaud) elle se confie ou fait mine de le faire. Ses souvenirs sans cesse fluctuent. On ne ne tarde pas à saisir que si elle a choisi d'évoquer avec ces êtres visiblement de qualité des moments cruciaux de sa vie, c'est qu'ils sont, comme elle, enfermés dans une bulle de solitude. L'usage sur scène de la vidéo est aujourd'hui si fréquente qu'elle donne des envies de fuite. Il n'en est pas de même ici où elle permet à des personnes qui se trouvent à proximité ou au loin d'échanger des propos que l'on tairait si l'on se trouvait face à face. Le spectacle doit son charme à ses comédiennes c'est- dire à la jeune Liza Blanchard, Judith Henry, Maryvonne Schiltz qui fait de la mère un personnage magnifiquement déroutant et Nathalie Richard à propos de qui les mots manquent pour dire l'incroyable éclat. Le seul regret qu'inspire la représentation est sa fin légèrement mélodramatique. Jusqu'au 26 mai La Colline Théâtre National; tél 01 44 62 52 52

jeudi 19 avril 2018

L'éveil du printemps de Frank Wedekind

Pas étonnant que "L'éveil du printemps" dont Frank Wedekind (1864-1918) acheva l'écriture à la fin du 19e siècle fut longtemps considérée comme une pièce mal famée. La sexualité des jeunes y est, de fait, abordée de front. Ce qui à une époque où les mères racontaient à leurs filles quasi pubères que les nourrissons étaient déposés dans les familles par des cigognes ne pouvait que scandaliser. Wendla, Moritz et Melchior, les personnages principaux de l'oeuvre ont l'âge où l'on change de carapace. Au cours de ce passage de l'enfance à l'âge adulte ils sont d'une fragilité dont ils n'ont pas conscience. Melchior manifeste un goût, dont il rend compte dans son journal, pour les mystères de l'organisme. Bien qu'il garde des airs de petit garçon, Moritz est troublé au plus profond par les découvertes que fait son ami. Plus soumise à la morale ambiante, Wendla joue ingénument avec le feu. Décidé à pourfendre une armature puritaine qui lui faisait horreur, Wedekind s'en prend à tous les tabous. Scènes de masochisme, de masturbation, d'homosexualité et d'avortement se succèdent. L'écrivain pointe face à ces jeunes gens les comportements de leurs parents et professeurs. Aux yeux d'un aréopage d'enseignants et de son père, Melchior apparaît comme un prédateur sexuel. Clément Hervieu-Léger, dont les mises en scène de Molière et de Marivaux avaient révélées un talent d'une indéniable singularité, montre ici avec une véritable maestria combien le passionne les souterrains des êtres.Il a eu l'excellente idée de confier la scénographie à Richard Peduzzi qui a inventé des cubes qui lorsqu'ils se déplacent nous introduisent tour à tour dans une chambre, le bureau du chef d'un établissement scolaire ou un cimetière. Jeunes comédiens doués à l'extrême, Georgia Scalliet, Christophe Montenez et Sébastien Pouderoux se coulent avec ardeur dans la peau de jeunes gens en butte à la fausse maturité de leurs aînés. Quelques scènes suffisent à Cécile Brune, Clothilde de Bayser et Eric Genovèse pour montrer combien ils sont passés maître de leur art. Jusqu'au 8 juillet (en alternance) Comédie-Française Richelieu tél 01 44 58 15 15

vendredi 6 avril 2018

Viens mon coeur, c'est un bon coeur Poèmes de femmes américaines.

Conçu par la comédienne Anne Alvaro, le chorégraphe et danseur Thierry Thieû Niang et le musicien Nicolas Daussy le spectacle prouve nous seulement que nombre d'amer-indien n'ont pas été réduits au silence mais surtout que leur littérature constitue un pan certes ignoré mais fondamental de la littérature américaine. A preuve les poèmes de femmes qu'a recueilli et nous fait découvrir de sa voix tantôt âpres, tantôt mélodieuse Anne Alvaro. Ces femmes ont toutes des écritures bien à elles. L'une fait un sort aux idées toutes faites qu'entretiennent quasi tous à propos des habitudes de ces cultures minoritaires.Les artistes sont issues de différentes tribus. Certains poèmes célèbrent une nature avec laquelle l'auteure se sent en symbiose. D'autres dénoncent les règlements iniques auxquels ils leur faut se plier. Est évoquée aussi une poète lesbienne dont l'écriture ardente et le destin funeste a de quoi nous laissé ébranlés. Qu'une multitude des leurs vivent amollis par l'alcool n'est pas passé sous silence. L'harmonieuse présence de Thierry Thieû Niang, dont les danses aériennes lui ont été enseignées par les vieux des tribus, donnent, quant à elles une touche de douceur à la représentation. En passant d'un instrument à l'autre Nicolas Daussy contribue lui aussi à nous plongé dans un univers où, parmi les plus réceptifs, il en est qui ont le sentiment que des forces ancestrales sont à l'oeuvre. Jusqu'au 8 avril TGP Théâtre Gérard Philipe Centre dramatique national de Saint- Denis Tél 01 48 13 70 00

jeudi 5 avril 2018

La petite fille de Monsieur Linh de Philippe Claudel

En adaptant pour la scène un texte de Philippe Claudel, Guy Cassiers se montre, une fois de plus, à la hauteur de sa prodigieuse réputation. Il a eu la bonne intuition de demander à Jérôme Kircher qui - depuis qu'il a laissé au vestiaire quelques insistants effets vocaux - est à juste titre considéré comme l'un des comédiens les plus doués de sa génération, d'interprété Monsieur Linh. Celui-ci est un réfugié vieillissant d'un pays en guerre où les siens ont tous perdus la vie. Il a recueilli une toute petite fille sur laquelle il veille avec adoration. Dans le pays de l'exil il vit, avec d'autres rescapés de mondes qui ont été disloqués, dans un foyer où tous l'ignorent. Son sentiment de n'être plus cher à personne (sauf au nourrisson qu'il a pris sous son aile) s'éloigne lorsqu'il rencontre sur un banc Monsieur Bark, un veuf qui bien qu'il sache que Monsieur Linh ne comprend pas un traitre mot de sa langue, parle d'abondance. Le solo harmonieux auquel on assistait jusqu'alors est transformé par la présence sur une vidéo d'un hologramme. On sait Guy Cassiers féru de technologies de pointe. Le recours qu'il fait ici de la vidéo est d'une ingéniosité et d'une beauté sans pareilles. Lorsque pour soi disant améliorer son sort Monsieur Linh et l'enfant sont conduit dans une sorte de foyer pour vieillards, il refuse de se laisser encagé. Il ne songe plus qu'à rejoindre l'homme avec lequel il a noué une si étrange et profonde amitié. En cours de route le vieil homme se prend à rêver. Et le metteur en scène de réaliser le prodige de nous plonger à l'intérieur du songe. En faisant ressentir la perplexité puis les élans d'un homme contraint de fuir son pays, Guy Cassiers nous offre un spectacle d'une amplitude poétique rarement égalée. Jusqu'au 7 avril MC93 Bobigny tél O1 41 60 72 72 - du 10 au 14 avril à La Rose des vents, Villeneuve d'Ascq

lundi 2 avril 2018

Les os noirs Idée et mise en scène Phia Ménard

Tour à tour ou simultanément jongleuse, comédienne, mime, danseuse, Phia Ménard conçoit et met en scènes des spectacles au registre plastique dissemblable. Le début des Os noirs émerveille. Sur un mer démontée une femme agrippée à une frêle embarcation lutte contre les flots qui finissent par l'engloutir. On assiste ensuite à un cortège de métamorphoses qui sont autant de cauchemars. Même si la créatrice de cette suite de performances sait gouverner ses effets, force est de reconnaître que la plupart n'ont pas la grâce de celle qui ouvrit la représentation. Toutes dépeignent les derniers souffles d'une femme (Chloée Sanchez). Phia Ménard ne craint pas le tragique de répétition. Son tempérament inventif et ses connaissances éclectiques nous font basculer de l'univers de Munch à celui de Baudelaire en faisant une halte chez le Caravage. Les sensations que produisent ces tableaux seraient plus électrisantes encore si la bande musicale qui les accompagnent n'apparaissait pas aussi datée et, contrairement à l'ensemble du projet, peu surprenante. Les mots sont tout du long absents. Sauf à l'ouverture de l'objet insolite que l'on va découvrir. Et aussi en fin de parcours ou Phia Ménard enfonce élégamment le clou en faisant résonner les vers de Cesare Pavese "La mort viendra, elle aura tes yeux". Jusqu'au 14 avril Le Montfot théâtre (Théâtre de la ville hors les murs) tél 01 56 08 33 88

mercredi 28 mars 2018

La truite de Baptiste Amann

Un couple qui a pris sa retraite et s'est installé dans un village où il a ouvert une boulangerie bio reçoit, à l'occasion de l'anniversaire du père, ses trois filles et leurs conjoints. Le repas de famille est perturbé par l'une des filles qui refuse désormais de consommer de la viande. Elle a apporté - sans doute dans le but inavoué de contrarier sa mère,experte en préparation de la blanquette de veau - une truite. Ces retrouvailles sont évidement l'occasion de régler ou d'aggraver des différends. Alors que certains font montre d'une émotivité débordante d'autres apparaissent cuirassés. Le compagnon d'une des filles qui connaît des revers professionnels à la tchatche brillante ce qui lui permet de donner le change, un autre arrive à amadouer sa "belle mère" qui le considérait avec dédain. La pièce, qui dure trois heures lesquelles passent comme l'éclair, décrit l'ordinaire parfois gai, parfois triste des familles d'aujourd'hui. On ne peut que louer la mise en scène de Rémy Barché qui, en s'attachant essentiellement au jeu des acteurs, rend la pièce attachante. Pour ce qui est de ces interprètes il eu la main particulièrement heureuse. Entourant Christine Brücher, impayable en ménagère dévorée par les avanies domestiques pour na pas l'être par des tourments plus alarmants, Daniel Delabesse, Suzanne Aubert, Samuel Réhault, Thalia Otmanetelba et leurs partenaires incarnent avec justesse des personnes prétendument sans histoires. Jusqu'au 14 avril Théâtre Ouvert tél 01 42 55 55 50

vendredi 23 mars 2018

La ménagerie de verre de Tennessee Williams

Tenneessee Williams laissait entendre que sa pièce "La ménagerie de verre", écrite à ses presque débuts, portait des traces personnelles explicites. Il ne fait donc pas de doute que Tom, qui se tient à l'avant scène et sera à la fois le narrateur et l'un des personnages du drame familial auquel on va assister, est le double de l'écrivain. Il partage un lugubre logement avec Amanda,sa mère, qui ne cesse d'évoquer sa jeunesse dorée, entourée de riches prétendants et Laura sa soeur, que sa claudication rend inapte à toute vie sociale. La jeune fille ne vit en bonne compagnie qu'avec les minuscules animaux en verre qu'elle confectionne. Tom qui gagne chichement sa vie en travaillant dans un entrepôt passe ses soirées dans des cinémas ou des bars. Lorsque sa mère l'exhorte à présenter un galant, comme elle dit, à sa soeur, il s'exécute. La présence du dénommé Jim met la mère en liesse. Laura, qui a autrefois entrevu ce garçon et en a été éprise, est nettement plus réservée. Son entrevue avec le collègue de son frère semble pourtant, au départ, se dérouler au mieux... Daniel Jeanneteau qui a choisi de mettre la pièce en scène et a demandé à Isabelle Frachon d'en écrire une nouvelle traduction, laquelle est une splendeur, n'a aucun goût pour le réalisme. Ce qui est heureux car cette oeuvre a été dictée par des souvenirs et l'on sait combien la mémoire est aléatoire. Les événements auxquels on assiste se déroulent derrière un rideau de tulle, ce qui accentue le sentiment qu'ils sont chimériques. Le spectacle a, en revanche, la vertu immense de faire ressentir combien il fut impossible à l'auteur, comme à chacun, de délaisser certains souvenirs. Jusqu'au 2 avril Théâtre de Genevilliers tél 01 41 32 26 26 Les 6 et 7 avril Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, les 12 et 13 avril Théâtre du Beauvaisis, Beauvais.

dimanche 18 mars 2018

Un mois à la campagne d'Ivan Tourgueniev.

Chez les Islaïev le temps stagne. Jusqu'à l'arrivée de Beliaev, un étudiant engagé pour l'été comme précepteur du jeune Kolia dont la présence va perturber Natalia Petrovna, la maîtresse de maison soudain moins friande de discussions avec Rakitine l'ami de la famille avec qui elle poursuit une relation complice mais apparemment inconsommée. La situation se tend lorsqu'elle en arrive à soupçonner qu'un lien s'est noué entre le nouveau venu dont la simplicité contraste avec les conventions mondaines de la bourgeoisie de province et Vera sa jeune pupille. Ce qui avive son sentiment d'insatisfaction. Contrairement à Tchekhov qui décrira quelques années plus tard des personnages rongés de nostalgie, Tourgueniev observe son petit monde sans céder à l'apitoiement. Ceux qui mènent une existence dorée ne tarderont pas à reprendre leurs habitudes. Les jeunes gens sans fortune paieront, en revanche, les pots cassés.La technique rigoureuse d'Alain Françon convient parfaitement à cet univers. Il a en outre eu l'heureuse idée de demander à Michel Vinaver, dont on connait la plume sans fioritures, d'assurer la traduction laquelle est admirable. Il a été tout aussi bien inspiré pour ce qui est du choix de ses interprètes. Avec son si singulier phrasé, Anouck Grinberg campe à merveille une femme qui, habituée à être maîtresse du jeu, doit y renoncer. Face à elle Micha Lescot incarne avec un indéniable panache l'ami qui se sent de trop. Nicolas Avinée et India Haïr sont quant à eux, impressionnants de fraîcheur et de talent. On savait à quel point Philippe Fretun sait se montrer savoureux, il en arrive ici à se surpasser. Quant à Catherine Ferran la justesse de son jeu une fois de plus impressionne. Il s'agit, on le voit, d'une indicutable réussite. Juqu'au 28 avril Théâtre Dejazet. Tél 01 48 87 52 55

lundi 12 mars 2018

1 heure 23'14'' et 7 centièmes Un spectacle de Jacques Gamblin

On sait Jacques Gamblin prodigue en talents. S'il est un comédien à l'aise dans les registres les plus variés, il explore aussi lorsqu'il se fait auteur de théâtre des terres en friches où nul autre que lui ne pourrait s'aventurer. On ne saurait donc être étonné qu'il ait éprouvé une fois de plus le besoin de se renouveler. Il s'est, cette fois, glissé dans la peau et la tenue d'un entraîneur sportif.Au départ son poulain accorde ses pas sur les siens. Il reçoit ensuite des instructions qu'il suit incontinent. Mais dont son coach n'est pas toujours satisfait. Son cours il le dispense autant sinon plus par des gestes que par des mots. Jacques Gamblin qui instiller volontiers une pincée d'humour dans ses ses spectacles fait ici fréquemment preuve d'un sens très sûr du burlesque. Il ne fait pas de doutes que son appétence pour le sport soit forte. Bastien Lefèvre, l'élève est un gymnaste et danseur accompli. Lorsqu'il finit par s'émanciper de son "maître" il réussit des prodiges. Il est poignant qu'à une époque en mal de transmission comme la nôtre Jacques Gamblin ait eu à coeur de monter un spectacle où il interprète un personnage qui passe la main. Pas surprenant que la représentation qui se déroule devant un public aux anges soit d'une intensité qui va grandissante. Jusqu'au 25 févier Thèâtre du Rond-Point tél 01 44 95 98 21

samedi 10 mars 2018

The prisonner Texte et mise en scène Peter Brook et Marie-Hélène Estienne

Peter Brook se plaît à entrainer les spectateurs du côté de l'indicible. Il a, cette fois, imaginé une fable dont le personnage central est un homme assis devant une prison située dans un désert. On apprend qu'il s'agit d'un criminel qui purge sa peine en restant indéfiniment sur ce lieu. Quand l'occasion de le quitter se présente il la refuse. Son oncle, un sage qui joue auprès de sa soeur et de lui un rôle prééminent, l'a mené dans ce paysage aride dont il ne pourra s'éloigner que s'il éprouve le sentiment que son esprit s'est purifié.Un villageois, qui parfois vient s'entretenir avec lui et est chargé de couper les têtes des détenus condamnés à la peine capitale, restera, lui, dans la prison même quand celle-ci ne sera plus que ruines. C'est que l'empreinte du mal qu'il a commis est indélébile. A l'exemple des spectacles qu'il met en scène depuis quelques années, celui-ci est une épure. Quelques branches en fait de décor et d'attachants interprètes venus d'horizon lointains et le joli tour est joué. Jusqu'au 24 mars Théâtre des Bouffes du Nord. tél 01 46 07 34 50

lundi 5 mars 2018

Fore! de Aleshea Harris

C'est une fois encore un spectacle d'une forme inédite que met en scène Arnaud Meunier. Le texte est d'Aleshea Harris,une jeune auteure américaine dont l'univers est autant marqué par les films de David Lynch ou de Quentin Tarantino que par les séries qui défilent triomphalement sur les écrans et des musiques dont le rythme éperdu grise les sens. Les acteurs issus les uns de l'Ecole de la Comédie de Saint Etienne, les autres du California Institute of the art de Los Angeles ont tous moins de 25 ans et jouent en anglais (le spectacle est évidement surtitré en français) Ils sont au départ répartis sur deux niveaux. En bas se retrouvent autour d'une table les membres de la prospère famille des Atrides. Agamemnon, le père, est un homme confit de certitudes qui se targue d'avoir assassiné des centaines de sauvages, Clytemnnestre, sa femme paraît être une épouse et une mère soucieuse d'apaiser les tensions, Oreste le fils adolescent, est au régime végane et joue du violoncelle. Il introduit dans sa famille Jackie, une jeune femme qui va venger les siens. Retranchés à l'étage, les Halburton, actuels dirigeants du pays n'en mènent pas large. Affamé le peuple s'est soulevé et les menace. Depuis que sa femme aux idées progressistes qui était à la tête de l'Etat a reçu une balle dans la nuque et vit, privée de paroles, dans une chaise roulante, Edward son mari, lui a, sans enthousiasme, succédé. Il est nouvelles de son pilote de fils parti à la guerre. Anna, sa fille n'a de passion que pour les armes à feu. Il y a donc pour tous de quoi s'inquiéter. La pièce joue avec les mythes fondateurs pour faire entendre combien la réalité est mouvante. Le spectacle ne se destine pas à produire du sens mais au contraire à le troubler. Il apparaît de ce fait - en évoquant des populations toujours davantage appauvries, des tirs à bout portant sur des êtres dont on ne partage pas les opinions ou les croyances et les massacres perpétrés par des possesseurs de flingues - furieusement en prise avec un temps où la carte du pire n'arrête de s'étendre. Une production qui, tant par l'audace de son propos et de sa mise en scène que par le jeu d'une grande sureté de ses très jeunes comédiens, doit à tous prix être découverte. Jusqu'au 10 mars Théâtre de la Ville - Les abbesses tél 01 42 74 22 77, les 14 et 15 mars Théâtre National de Nice

jeudi 1 mars 2018

Bovary. Texte et mise en scène Tiago Rodrigues

Une nuée de pages blanches balancées par les comédiens recouvrent le plateau. Le procès de Gustave Flaubert jugé pour outrage à la morale publique et religieuse ainsi qu'aux bonnes moeurs peut commencer. Assailli par les accusations de l'avocat impérial, l'écrivain les tourne en dérision. Pour prouver leur justesse l'homme de loi lit des extraits du roman. Et l'on passe constamment de l'enceinte du tribunal au coeur d'une oeuvre passée à la postérité. La trame est connue dont le metteur en scène portugais Tiago Rodrigues s'empare à son audacieuse façon. Mariée à un médecin de campagne à la triste figure Emme Bovary se languit. Une fête où sa beauté fait tourner les têtes enflamme son imagination. Dès lors elle ne rêve plus que de rencontres incandescentes. Mais aucun des deux hommes auxquels elle se donne ne se montre à la hauteur de ses espoirs. Enferrée dans ses échecs elle sombre dans la dépression. Tiago Rodrigues ne craint pas d'assaisonner la langue de Flaubert de savoureuses expressions de son crû. Son talent à peaufiner des scènes d'un romantisme échevelé (on songe au cinéma de Manuel de Oliveira) fait le reste. On ne saurait oublier ces scènes où abandonnant toute retenue défenseurs comme adversaires d'Emma Bovary l'embrassent à pleine bouche et en ayant goûté la saveur y reviennent. Flaubert, on le sait, sorti blanchi de ses ennuis judiciaires. Il était, à la création du spectacle il y a prés de deux ans, des jeunes spectateurs qui à la sortie de la représentation se montrèrent d'un esprit nettement moins ouvert. Ils disaient trouvé inexcusable le comportement d'Emma... Jusqu'au 6 mars Bastille tél 01 43 57 42 14

mercredi 28 février 2018

Bluebird de Simon Stephens

Jimmy vit accroché au volant de son taxi. Parmi les clients avec lesquels il sillonne Londres beaucoup se confient à lui. Certains ont visiblement perdus pied. D'autres, comme une jeune femme à l'aspect déluré, le houspillent tout au long de la course. Il ne laisse, pour sa part jamais deviner ses propres turbulences intérieures. On en apprendra beaucoup sur son compte, notamment qu'il fut autrefois écrivain, lorsqu'il se retrouvera face à celle qui fut la compagne de sa vie. Bluebird fut le magistral coup d'essai de Simon Stephens devenu aujourd'hui un des auteurs dramatiques anglais les plus renommé. La cinéaste Claire Devers, qui s'installe pour la première fois aux commandes d'un spectacle, se sort avec brio des innombrables pièges que recèle la pièce. Le premier d'entre eux est qu'elle se déroule entièrement à l'intérieur ou à côté d'une voiture. Ce qui fut d'autant plus ardu pour l'équipe que, comparé à des scènes de province où le spectacle fut créé, l'espace est ici abrégé. Si la metteuse en scène s'en est si bien tiré c'est qu'elle a pu s'appuyer sur la remarquable traduction de Séverine Magois et sur la performance en demie teinte de Philppe Torreton qu'entourent des partenaires d'une aussi belle intensité que Marie Rémond (dont les talents multiformes ne cessent de se confirmer), Julie-Anne Roth,Serge Larivière et Baptiste Dezerces. Jusqu'au 4 mars Théâtre du Rond-Pont tél 01 44 95 98 21 Les 29 et 30 mars Théâtre de Sartrouville, du 3 au 7 avril Théâtre des Célestins Lyon.

vendredi 16 février 2018

La collection d'Harold Pinter

Fort du succès qu'a rencontrée sa mise en scène de The servant (adaptation pour la scène du scénario écrit par Pinter pour le film de Losey) Thierry Harcourt s'attaque à une des pièces phares de l'écrivain. Deux hommes ici également cohabitent. Mais leurs relations évoquent davantage celles de Sherlock Holmes et du docteur Watson que celles infernales qui lient les personnages de The servant. Le péril surgit d'un inconnu qui vient perturber l'existence douillette de Bill, un personnage en vue que son ami dit issu des bas fonds. L'intrus lui reproche d'avoir couché avec sa femme. Qu'en est-il? Pinter a, comme on le sait, une science consommée des mystères qui poussent à agir, à fabuler, à se mentir à soi-même. Il bouscule avec ingéniosité les codes du théâtre de boulevard. Le mari et le peut être amant finissent par s'affronter au couteau à fromage... Thierry Harcourt a engagé pour interpréter ces personnages ondoyants des comédiens aussi chevronnés que Sara Martin, Thierry Godard, Davy Sardou et Nicolas Vaude. Théâtre de Paris Tél 01 48 74 25 37

mardi 13 février 2018

Quils de Dough Wright. Mise en scène Jean-Pierre Cloutier et Robert Lepage

Une femme échevelée fait irruption dans le bureau du responsable de l'asile de Charenton. Elle exige qu'il soit mis fin aux privilèges dont jouit son mari qui n'est autre que le marquis de Sade. Protecteur davantage que geôlier du célèbre détenu dont la rhétorique bien rodée le laisse admiratif, l'abbé de Coulmier ne se résoud pas à faire, comme on le lui a recommandé, de son séjour un enfer en le privant de sa plume. Mais rien n'arrête le champion du libertinage qui quand il n'a plus d'encre écrit avec son sang. Les mises en garde de l'abbé le pousse à surenchérir. Ses débordements libidineux finissent par avoir raison de la mansuétude de celui qui se considère comme un homme de dieu et finit par se découvrir des pulsions inavouables. Ecrite à la fin du précédent millénaire par l'écrivain et librettiste texan Doug Wright, cette pièce dénonce les inclinations puritaines contre lesquelles les créateurs américains doivent constamment lutter et qui aujourd'hui, en particulier depuis le début de l'affaire Weinstein, vont, partout, en grandissant. L'artiste multidisciplinaire québecois Robert Lepage, qui avec Jean-Pierre Cloutier a mis le spectacle en scène et en espace, joue avec une prodigieuse faconde le rôle de celui qu'on surnomma le divin marquis. Il a eu l'astucieuse idée de mettre face à lui un comédien à sa taille. L'interprétation de Pierre-Yves Cardinal est d'une telle intensité qu'elle rappelle cet autre abbé qui se croit confronté au diable décrit par Georges Bernanos dans Sous le soleil de Satan. On connaît le goût de Lepage pour les prouesses technologiques. Il a cette fois conçu des jeux de miroirs dont la fréquence ne semble pas utile. C'est la seule réserve qu'inspire la représentation. Jusqu'au 18 février La Colline Théâtre National tél 01 44 62 52 52

jeudi 8 février 2018

Le jeu de l'amour et du hasard de Marivaux

Catherine Hiegel est une comédienne d'un talent insolent on peut même dire fou. Ses mises en scènes sont, elles, au contraire diablement conventionnelles. Si visité par elle Le jeu de l'amour et du hasard n'apparaît que comme une demie réussite c'est que seuls les rôles féminins sont défendus à la perfection. Clotilde Hesme campe avec superbe une jeune aristocrate que les rapports protocolaires auxquels elle est habituée n'ont pas préparés à affronter les dangers de l'amour. Laure Calamy se glisse, quant à elle, avec une adorable pétulance dans la peau d'une soubrette qui joue les grandes dames. Hormis le toujours excellent Alain Pralon qui incarne un père étonnement aimant, il en va tout autrement des personnages masculins. Si Nicolas Maury d'ordinaire si savoureux doit se coltiner une partition qui n'est pas de son ressort, Vincent Dedienne est, lui, dans son élément. Le problème est que trop habitué à faire le pitre, il en rajoute souvent une louche. Ce qui est d'autant plus regrettable qu'il est visiblement doué à l'extrême. Ce spectacle qui repose essentiellement sur le jeu des comédiens reçoit des professionnels comme du public un accueil enthousiaste. Auquel, comme on peut le constater, je ne souscrit pas pas totalement Theâtre de la Porte Saint-Martin tél 01 42 08 00 32

dimanche 4 février 2018

J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne de Jean-Luc Lagarce

Comme dans "Juste la fin du monde" et "Le pays lointain" Jean-Luc Lagarce décrit dans "J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne" le retour dans la maison familiale du fils qui depuis longtemps s'en était allé. Seules des femmes y vivent ou plutôt y végètent. Alors que le fils a rejoint sa chambre sa mère, sa grand-mère et ses trois soeurs parlent de lui. Leurs récits sont discordants. Ce qui apparaît avec force est qu'elles ont toutes avec cet homme ou ce fantôme des liens inaltérables. Plus que dans les autres pièces de Lagarce la réalité ici ne tient qu'à un fil. La metteuse en scène Chloé Dabert a créé un climat à la fois réaliste et irréel. Qui est celui dans lequel sont plongés les êtres endeuillés. Les femmes, qui ont du fils, petit-fils ou frère une perception différente, sont interprétées par des comédiennes dont le métier ou la grâce juvénile font merveille. Cécile Brune, Clotilde de Bayser, Suliane Brahim, Jennifer Decker et Rebecca Marder forment un quintet de très haut vol. Pour ce qui est des trois jeunes soeurs Tchekhov n'est évidement pas loin. Lagarce a forcément songé à elles lorsque celles nées sous la sienne de plume disent vouloir enfin commencer à vivre. Comme il le fait depuis qu'il est administrateur du Français, Eric Ruf se plaît à repérer des jeunes metteurs en scène d'une puissante singularité. Ce qui est le cas de Chloé Dabert mais aussi de la créatrice des lumières Kelig Le Bars et du compositeur Lucas Lelièvre. On ne peut que se réjouir que Lagarce se retrouve entre d'aussi bonnes mains. Jusqu'au 4 mars Vieux-Colombier tél 01 44 58 15 15

dimanche 28 janvier 2018

L'autre fille d'Annie Ernaux

Comme à son habitude la metteuse en scène et directrice de la Comédie de Béthune Cécile Backès exerce son art à bas bruit. Ce mélange d'intensité et de discrétion convient on ne peut mieux à "L'autre fille", texte dans lequel Annie Ernaux recueille images et paroles obscures subsistant dans sa mémoires. L'auteure s'adresse à sa soeur morte de la diphtérie deux ans avant sa naissance. Si personne ne lui a parlé de cette enfant elle a entendue sa mère qui tenait un petit commerce l'évoquer devant des clientes. Née en 1940, elle est d'une génération où les adultes étaient persuadés que les mômes étaient incapables de comprendre les mots qu'ils échangeaient et pouvaient, de ce fait, avoir en leur présence des paroles meurtrières. Annie Ernaux se souvient ainsi avoir entendu sa mère confier à une de ses connaissances que leur fille disparue était plus gentille que celle qui était à l'écoute... Les psychanalystes nomment "crimes innocents" de telles conduites. Sachant qu'on ne lutte pas contre une morte mais qu'on peut apprendre à l'aimer l'écrivaine, qui d'ordinaire n'a pas sa pareille pour dresser des tableaux de l'univers social modeste dont elle est issue, adresse cette fois une lettre d'une infinie tendresse à celle qu'elle a remplacée. Comédienne d'une impressionnante envergure, Cécile Gérard joue au milieu des spectateurs parfois très jeunes et toujours d'une attention soutenue. Passant de Béthune à une multitude de communes environnantes le spectacle doit constamment s'adapter aux contraintes des lieux. Il dévoile avec tant de délicatesse des blessures intimes qu'on est nombreux à partager qu'il semble être accueilli partout avec la même émotion. Festubert, salle des fêtes le 31 janv à 20h, Marles-Les-Mines, salle Pignon le 1er février à 20h, Béthune, Le Palace Foyer du 2& au 2" fév 20h.

lundi 22 janvier 2018

Katie Mitchell se mesure à Marguerite Duras et à Elfriede Jelinek

Katie Mitchell n'a pas froid aux yeux qui monte deux spectacles à partir d'écrits d'auteures aussi justement fameuses que Marguerite Duras et Elfriede Jelinek. Dans son roman La maladie de la mort, qu'a choisi d'adapter la metteuse en scène, Duras observe un homme (Nick Fletcher) et une femme (Laetitia Dosch) qui durant plusieurs semaines se retrouvent dans une chambre d'hôtel. Elle est payée pour se plier à tous les désirs de cet homme aux comportements souvent inquiétants. Conservant un captivant mystère, elle mettra fin à ces rencontres après s'être fait molester et lui avoir fait entendre qu'il est atteint de la maladie de la mort dont le symptôme est l'incapacité d'aimer. L'homme et la femme échangent peu de mots. Enfermée dans une cabine en verre une comédienne (Irêne Jacob) dit ce texte d'une étrange amplitude. Fidèle à sa manière Katie Mitchell a inventé un dispositif scénique qui force les habitude du regard. Trois caméras sont braquées sur les deux protagonistes. Les images ainsi saisies sont projetées en direct sur un écran qui surplombe la scène. Un spectacle qu'on quitte à la fois fasciné et saisi de malaise. Pour Schattent d'Elfriede Jelinek, Katie Mitchell a fait appel à la troupe de la Schaubühne de Berlin. Poursuivant ses recherches sur les mythes féminins l'écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek met en scène une Eurydice étouffée par le besoin qu'à d'elle Orphée, un chanteur à succès. La volonté engourdie dès qu'il s'approche d'elle, elle ne parvient pas à se consacrer à l'écriture, sa passion. Ce qui l'a fait violemment souffrir. Aussi se découvre t'elle apaisée lorsque - comme dans le mythe- elle est mordue par un serpent et se retrouve au royaume des morts. Ne pouvant se passer de sa présence Orphée part à sa recherche, la ramène, mais ne peux l'empêcher de retourner parmi les ombres. Jelinek raconte pour la première fois à sa costaude façon l'histoire d'Orphée en adoptant le point de vue d'Eurydice. Les deux créations de Katie Mitchell qu'on peut découvrir en ce moment ont en commun de s'attacher à des femmes qui se dégagent de l'emprise d'un homme qui ne songe qu'à ses propres tourments ou à son bon plaisir. Toutes deux sont foisonnantes de riches trouvailles formelles. La maladie de la mort Jusqu'au 3 février Théâtre des Bouffes du nord (dans la programmation hors les murs du Théâtre de la Ville) tél 01 46 07 34 50 ou 01 42 74 22 77 Shatten (Eurydice sagt) Jusqu'au 28 janvier La Colline Théâtre National tél 01 44 62 52 52

jeudi 18 janvier 2018

Tableau d'une exécution de Howard Barker

Les pièces d'Howard Barker ne sont que moyennement appréciées en Angleterre son pays. Il a, en revanche, et c'est heureux, la cote en France. La metteuse en scène et directrice du théâtre des Célestins à Lyon, Claudia Stavisky, a jetée son dévolu sur Tableau d'une exécution, sans doute son oeuvre la plus vigoureuse. Le personnage central en est Galactia,une artiste vénitienne qui a abordé la soixantaine, n'a que faire des opinions courantes, a la pensée intempestive et un amant de quelques décennies plus jeune qu'elle. Celui-ci, comme elle, est peintre et consacre son maigre talent à glorifier Jésus et ses apôtres. Lorsque le doge choisit, malgré sa réputation sulfureuse, Galacticia pour peindre un tableau qui magnifie les guerre maritimes de la République, elle se met à l'ouvrage. Le résultat est on ne peut plus éloigné des souhaits de son mécène. La guerre sous son pinceau n'a rien de grandiose. N'apparaissent sur la toile monumentale qu'officiers méprisants, corps décharnés, coulées de sang... Ce qui met en boule les puissants. Bien qu'elle encourt ce faisant de gros risques l'artiste tient tête à ceux qui usent de mots destinés à la flétrir. Impossible de ne pas être sidéré même carrément ébranlé par la puissance de jeu de Christiane Cohendy qui trouve ici un rôle à sa mesure. La metteuse en scène a eu le bon goût de lui faire donner la réplique par des comédiens d'un talent aussi incontestable que David Ayala, Philippe Magnan, Julie Recoing, Anne Comte et Luc-Antoine Duquéro. Un mot enfin pour Lili Kendaka dont les costumes ajoutent a la magnificence de la représentation. Jusqu'au 28 janvier Rond-Point tél 01 44 95 98 21 Ensuite du 6 au 8 février TNBA/Bordeaux et le 13 février Comédie de Caen.

dimanche 14 janvier 2018

Saigon de Caroline Guiela Nguyen

Caroline Giuela Nguyen, qui a mis en scène et écrit avec les membres de l'équipe artistique le spectacle, a choisi pour décor un restaurant vietnamien appelé Saigon dont l'hyper-réalisme fait songer à une peinture d'Edward Hooper. Au centre se trouvent les tables, à gauche la cuisine où se préparent soupes et bobuns tandis qu'à droite a été emménagé un petit podium où Hao, un chanteur de charme entonne des airs à la mode. La patronne du lieu, que ses parents vietnamiens ont eu l'idée saugrenue de prénommée Marie-Antoinette, pleure chaque soir la disparition inexpliquée de son fils parti en 1939 en France défendre la mère patrie. Le spectacle débute en 1956 alors que colons et soldats sont sur le point de plier bagages. Les vietnamiens qui, comme Hao risquent fort d'être considérés comme des traîtres par les nouveaux dirigeants du pays, tentent, eux aussi, à se mettre hors d'atteinte. Marie-Antoinette ouvrira à Paris un restaurant semblable à celui où elle officiait au Vietnam. Elle y retrouvera ses clients-amis d'autrefois marqués par l'ampleur de ce qu'ils ont eu à supporter. Ainsi Edouard, le soldat amoureux fou d'une jeune vietnamienne qui lui a fait croire, pour qu'elle l'accompagne, qu'elle aura en France une vie de rêve. La pièce se déroule tantôt en 1956, tantôt en 1996, année où les vietnamiens exilés eurent le droit de revenir au pays. Ce que font certains comme le chanteur Hao et que refuse d'autres comme la désormais veuve d'Edouard. Attitude qui déconcerte et met en boule, son fils,un homme à la situation enviable. La metteuse en scène n'a pas craint de forcer la note mélodramatique. La musique est omniprésente, les larmes innombrables. Ce qui agacent certains mais transportent beaucoup d'autres. Parlé la plupart du temps en français, de temps à autres en vietnamien (évidement surtitré) et joué par onze comédiens, tous on ne peut plus convaincants, Saigon fait démarrer en force l'année théâtrale nouvelle.Jusqu'au 10 février Odéon-Berthier tél 01 44 85 40 40