lundi 23 septembre 2013

Au monde de Joël Pommerat

Les efforts de Joël Pommerat pour se forger une identité de metteur en scène particulier ont porté leurs fruits. Il ne se contente pas aujourd'hui d'aligner les succès comme des perles, il s'offre aussi le luxe de tirer du sommeil (comme il l'écrit lui-même) des pièces qu'il écrivit et monta il y a quelques années. Ce qui est le cas de "Au monde" créé en 2006.
La famille au sein de laquelle il nous introduit est celle d'un marchand d'armes dont la vie est en voie d'extinction. Il vit entouré de ses trois filles -  dont l'une a été adoptée pour remplacer une morte...  -  et attend le retour de son plus jeune fils qui a fait carrière dans l'armée. C'est à lui qu'il destine la conduite de ses affaires. Mais ce projet n'emballe à l'évidence guère  cet homme qui semble muré dans un monde intérieur.
La maître d'oeuvre ne se borne pas, on le devine, à brosser le portrait d'une tribu qui appartient à la classe dominante. S'attachant en priorité à l'une des filles devenue présentatrice sur une chaîne de télévision, il réussit le tour de force de faire voir combien est biaisée la perception de la réalité  des favoris de la fortune. On peut reprocher à ce personnage de parler à profusion, ce qui finit par le rendre agaçant. C'est là la seule réserve que peut susciter ce spectacle qui est pour le reste aussi prenant que les productions plus récentes de cet artiste si justement en vue. On y retrouve, en effet, le climat de pesanteur palpable et envoûtante et les soudaines incongruités (comme les brusques apparitions d'une chanteuse à la présence d'une affolante sensualité) qui sont la signature de Pommerat.

Jusqu'au 19 octobre Odéon -Théâtre de l'Europe tel 01 44 85 40 40

dimanche 22 septembre 2013

En v'la une drôle d'affaire

Nathalie Joly a été bien inspirée de commencer le tour de chant qu'elle consacre à Yvette Guilbert, immense chanteuse d'avant-guerre, par un texte du poète  Jean-Louis Laforgue que la dame mit elle - même en musique. Authentique icône de la féminité, l'artiste se fraya son chemin dans des conditions hasardeuses. Ses débuts, elle les fit au Café noir, caf con'c des Grands Boulevards où son répertoire suavement coquin était grandement apprécié.
Des revers de santé l'éloignèrent de la scène. Etablie aux Etats  Unis elle y fonda une école de chants pour jeunes talents désargentés. Et exhuma des centaines de chansons médiévales dont elle se fit l'interprète. Habitée d'une foi ardente, elle se mit aussi à l'étude du Nouveau Testament. Pas étonnant que les chants de cette époque, où la passion joue un rôle central, souvent se fassent prières.
Elle n'en resta pas moins fidèle à son humour caustique. Douée d'une voix tout à tour enveloppante grinçante ou de gorge, Nathalie Joly est la passeuse idéale de ces oeuvres dissemblables.
Parmi les chansons qu'elle a réunies, on retiens en priorité "La pocharde", esquisse d'un personnage qui tient de Zola et de Feydeau et "La morphine" évocation des disciples de Lesbos, toutes à la joie d'avoir découvert des plaisirs qui les enchante.
Enrichi par la présence au piano de Jean-Pierre Gesbert, ce spectacle est pur délice. Qui doit beaucoup à la mise en scène d'une capiteuse fantaisie de Jacques Verzier.
Du 25 septembre au 3 novembre Lucernaire tel 01 45 44 57 34

jeudi 19 septembre 2013

Et jamais nous ne serons séparés de Jon Fosse

Un rire fuse. Celui d'une femme qui marche dans son salon en ressassant  ses pensées à voix haute. "je me débrouille très bien toute seule"  dit-elle puis ajoute"Mais je ne suis pas seule. Je n'ai jamais été seule. J'ai toujours été seule. Je n'ai jamais été pas seule" Puis de se demander :  "Pourquoi il ne vient pas. Il ne rentre jamais aussi tard" Et le spectateur d'éprouver un sentiment d'étrange familiarité. Ces phrases ont maintes fois surgies en lui.

Arrive l'homme. Il est fatigué. Un rien agacé par l'amour dont l'enveloppe la femme. Mais peut-être n'est-il pas présent, n'est-il qu'un souvenir qui a pris corps.  Plus tard il a à ses côtés une autre femme qu'il supplie de ne pas le quitter. Chez le norvégien Jon Fosse, nouveau fleuron de la scène internationale, le passé ou  possiblement le futur ne cesse de s'infiltrer dans le temps  présent. Dans les pièces de cet écrivain, qui semble suivre une voie ouverte par Beckett, le temps se déréalise. Des être absents mais qui habitent nos pensées peuvent être d'une compagnie plus intense que les créatures en chair et en os  qui nous font face.

Le metteur en scène Marc Paquien a su faire résonner et rendre envoûtante la "musique" si singulière écrite par Jon Fosse. Il fallait évidement pour interpréter  cette  partition  des acteurs qui allient le métier à l'intuition. Ce qui est le cas de Ludmilla Mikaël, souvent seule avec ses fantômes sur le plateau, mais aussi de Patrick Catalifo et de la jeune Agathe Dronne.

On connaissait surtout en France l'univers de  Jon Fosse par la vision qu'en a eu son découvreur Claude Régy. On découvre qu'en respectant la vigueur rythmique conseillée par l'auteur dans les notes qui accompagnent le texte les comédiens nous emportent vers des contrées inexplorées.

L'Oeuvre, 55, rue de Clichy Paris 75009 tel 01 44 53 88 88       

jeudi 12 septembre 2013

Invisibles de Nasser Djemaï

Résolu à accomplir les dernière volontés de sa mère le jeune Martin tente de retrouver un homme au nom maghrébin qu'il devine être son géniteur. Ses recherches le conduisent dans un foyer Sonacotra où vivent cinq Chibanis, cinq "cheveux blancs". Celui qu'il recherche est aphasique. Les quatre autres veillent sur lui. Depuis qu'ils ont été mis au rencart, ils mènent une vie rétrécie. Si l'un d'entre eux accueille le visiteur avec chaleur, sa présence  agace prodigieusement l'un des autre occupants du lieu.

Fruit des entretiens avec des travailleurs immigrés qui ont trimé en France depuis leur jeune âge et n'ont gardé avec  les membres de leur famille restés au pays que des liens distendus la pièce a été écrite et mise en scène par Nasser Djemaï. Lequel a le talent de croquer des personnages qui se sont leur vie durant accommodés du pire mais savent à tout bout de champs faire preuve d'humour. Il est ainsi des scènes irrésistibles  telle celle où assis sur un banc ils se gaussent des jeunes de la cité dont les comportement et l'habillement leur apparaît d'un goût douteux. La cassure entre les générations est bel et bien consommée...

Le temps se passe surtout à ferrailler avec l'administration que ne leur verse pas les pensions auxquelles ils ont droit. Mais quant leur visiteur les incite à changer de mode et de lieu d'existence ils refusent net. Ils ne veulent à aucun prix renoncer à leurs habitudes. Finement cernés les personnages sont servis par une solide interprétation.  Angelo Aybar, Azize Kabouche, Kader Kada, Lounès Tazaïrt et Azzedine Bouayad, qui joue le rôle délicat de l'homme prostré, sont ce qu'appelle "des pointures" Ils ont trouvé dans le jeune David Arribe un partenaire à leur mesure.

Réussite frémissante, ce spectacle provoque, à juste titre,  des bouffées d'enthousiasme. L'ovation faite aux comédiens ne faiblit qu'après une dizaine de minutes.

Jusqu'au 20 octobre Théâtre 13/Jardin tel 01 45 88 62 22  

mercredi 11 septembre 2013